Les plaisirs des fêtes sont passés. Il faut revenir aux enjeux. Dès le début ce ce blog, j'ai présenté une analyse des localisations d'activités. Je vous propose ci dessous une série de "papiers" qui en recoupent et, parfois, en répètent les réflexions. Par commodité, je segmenterai cet article dont le thème est - " Pour la sauvegatde de l'Europe et la promotion du Sud :le co-développement" - en plusieurs publications. C'est ausi une interpellation des politiques. J'espère vos réactions
VOICI DONC : RETOUR A LA STRATÉGIE ÉCONOMIQUE - 1 -
PANORAMA SCHÉMATIQUE DES PRINCIPES COMMERCIAUX MONDIAUX
La présente note ne peut avoir, au regard des composantes variées des questions évoquées, qu'un caractère schématique dont l'objet est avant tout de mettre en valeur les déterminants fondamentaux d'une stratégie, des études complémentaires étant disponibles si l'intérêt s?en manifeste.
1- Le libre-échange est le principe de référence qui inspire la gestion commerciale mondiale. Sa mise en oeuvre est appuyée par l'Union Européenne. En effet, celle-ci, d'une part, a fait prévaloir l'ouverture sur la conception initiale de la préférence communautaire et, d'autre part du fait des élargissements, met en quasi libre communication des sociétés parvenues à des stades très inégaux. La conséquence ambivalente est d'ouvrir des marchés porteurs de certaines natures d'emploi et d'en faire perdre d'autres par substitution de fournisseurs dont les activités sont situées soit dans la nouvelle Europe, soit dans des pays tiers. Il n'y a guère d'intérêt, du point de vue de l'emploi, que la balance - difficile à faire - prenne en compte la nationalité des entreprises (car l'approche du nationalisme économique rend plus compte des facteurs de puissance que des effets sociaux). Ce qui compte, par contre, ce sont les flux de postes de travail que les localisations d'activités et origines de produits et services compromettent ou génèrent à l'intérieur ou à l'extérieur de nos frontières. Le périmètre à considérer devrait aux yeux des maximalistes européens être celui de toute l'Union à l'intérieur de laquelle il n'y aurait « plus qu'un problème d?aménagement du territoire ». Mais, on doit constater - sans être pour autant « souverainiste » - que c?est au sein de chaque territoire national que s'apprécient les niveaux de vie et de chômage et que se déterminent des accompagnements de politique économique et sociale. C'est aussi toujours dans le cadre national que se font le choix et la sanction du pouvoir politique . C?est donc bien dans chacun des cadres nationaux qu'il est pertinent de faire des bilans, tout en réfléchissant à l'échelon du noyau de la vieille Europe dont, sous quelques variantes, les données structurelles sont à peu près homogènes.
2- A l'échelon mondial, le libre-échange comporte, à côté de facteurs de croissance, des résultats négatifs bien connus : bien des pays du Sud sont dans la trappe de la pauvreté. Les pays émergents ( dont des modèles exemplaires ont été le régime Pinochet, puis la Chine capitalo-communiste) voient coexister de grands privilèges, des classes moyennes naissantes mais très marginales et des masses que même des régimes à volonté progressiste ne parviennent guère à arracher à la misère. Les pays développés sont très concurrencés sur des gammes de produits de plus en plus larges. Il était inévitable que la libéralisation des échanges suscite une Division Internationale du Travail donnant aux « low costs countries » la maîtrise des marchés de produits à dominante de coûts de main-d?oeuvre. Il est maintenant évident que les biens et services de moyenne gamme et très prochainement de larges segments de haute gamme peuvent être également proposés à des prix imbattables par de nouvelles puissances économiques. Celles-ci, d'ailleurs, exigent pour acheter chez nous de bénéficier des transferts technologiques qui leur permettront de réaliser demain des équipements qu'elles ne produisent pas encore. Dès maintenant, le résultat du libre-échange est que pour gagner des débouchés rémunérant bien notre haute valeur ajoutée, mais relativement peu porteurs d'emplois sur notre territoire, non seulement nous perdons bien des marchés intérieurs de grande consommation, mais aussi, ce qui est encore plus important, que des fournisseurs à bas prix se substituent aux nôtres sur les marchés tiers. Sauf lorsqu'on offre des spécialités très ciblées ( comme notamment l?Allemagne sait le faire), le noyau européen est de plus en plus court-circuité par une partie des échanges mondiaux.
3 - Les délocalisations ( des productions de biens, comme des offres de services) ne sont qu'une manifestation marginale et incontournable de ces concurrences. Le plus grave - et qui représente sans doute cinq à six fois ce que les délocalisations au sens strict font perdre - tient aux «non-localisations», c?est-à-dire à tous les arbitrages d'entreprises et de groupes qui consistent à créer l'activité ailleurs que sur nos territoires. La logique des coûts comparatifs fait que seuls quelques segments d'activités sont à peu près sûrs au sein du noyau d?Europe ; la haute gamme pour autant que nous gardions une part d'avance par l'innovation ; le négoce (pour autant qu'on vende sur place et non de manière dématérialisée) ; du BTP ( mais seulement pour la part qui consiste en montage in situ de composants largement venus d'ailleurs) ; les services qui ne peuvent être rendus à distance, c'est-à-dire « non délocalisables » (et surtout à la personne, pour autant que ce marché soit solvabilisé) ; les productions de communication et divertissement (pour la part où elles ne sont pas réalisées en externe) ; le tourisme (qui sera de plus en plus nourri par des visiteurs asiatiques ...mais il faut reconnaître qu'un tout petit pourcentage visiteurs sur les milliards d'hommes des pays émergents fait certainement autant d'emplois que ceux qu?ils ont pris...).
4 - Comme on ne saurait affirmer que ces « niches » et « gisements » suffisent à garantir un niveau souhaitable d'activité, l'obligation est, pour se mettre en état de compétition avec tous les autres fournisseurs, d'obtenir la flexibilité du travail et la réduction de ses coûts directs et indirects, ainsi que le cantonnement de toutes les charges publiques pesant sur les entreprises et sur les investisseurs. La logique libérale veut que niveaux des rémunérations, volumes des garanties, charges des retraites, coûts des services publics soient minimisés et que les chômeurs soient de moins en moins bien couverts pour être obligés de reprendre du travail à n'importe quelle condition. Le chômage est d'ailleurs non seulement la variante d'ajustement de l'économie, mais aussi le climat de pression nécessaire à un rapport de forces entre salariés et sous-traitants d'une part, donneurs de contrats d'autre part soumettant les premiers aux exigences des seconds. En bref, tout ce qui par des prélèvements pèse sur les coûts de production doit, dans une économie libre-échangiste mondiale, être écarté sauf danger public trop grave. Tous ceux qui déclarent que pour régler telle ou telle question ( de banlieue, de logement, de justice, de prisons, d'éducation nationale, de formations, d'hôpitaux, etc.) il faut faire mieux appel à des contributions publiques ne peuvent être pris au sérieux dès lors qu'ils ne proposent pas d'économies en contrepartie ou dès lors quils ne mettent pas en cause le libre-échange dont les contraintes en matière concurrentielle interdisent toute augmentation des prélèvements obligatoires. De la même manière qu'il discipline à la baisse les rémunérations occidentales, le libre-échange (assorti des offres alléchantes des pays les moins disants fiscaux pour attirer nos sièges sociaux, nos établissements et nos plus gros contribuables ) est la bride radicale pour tenir et réduire les ponctions publiques, et donc interdire l'amélioration substantielle des services financés par l?impôt.
. 5 - A ce compte, une politique de logique libérale pourrait-elle obtenir des équilibres après encore plus de « ruptures » vis à vis de « l?État Providence » d'autrefois ? Il est possible que, combinée à l?obtention de résultats par l'innovation dans le haut de gamme, à des créations d'emploi de services, à une part de protection fiscale de la production ( par des points de TVA remplaçant des charges sur les salaires et diminuant donc les coûts nationaux tout en renchérissant un peu les imports), une réduction des niveaux de vie des classes moyennes et une précarisation accentuée des plus vulnérables, permettent, à l'image ce qui s'est fait dans certains États européens, qu'une bonne croissance soit achetée par des sacrifices du plus grand nombre et par de fortes inégalités qui sont le ressort indispensable d?un financement privé de l?économie. Il n'est même pas exclu que cette croissance autorise, comme sécurité politique, une assistance minimale aux exclus, pour autant que « les pourvus » acceptent une certaine dose de prélèvements.
Mais cette fuite en avant dans le libéralisme se vivrait sous une triple menace . Il y aura le chantage des « pourvus » pour toujours accepter moins de contributions et recevoir plus d'allégements . Les réformes qui pénaliseraient nombre de citoyens entraîneraient une répression très autoritaire des mouvements sociaux, des désordres publics et favoriseraient des ressacs extrémistes. Quant à l'impératif de toujours plus comprimer les coûts, plus réduire les charges des entreprises et investisseurs, il conduirait au moins à la diminution des rémunérations de beaucoup (comme c'est déjà constaté actuellement) et à la mise en cause ( comme en Allemagne ou dans les pays scandinaves lorsqu'ils passent à droite) des taux de couverture et durée de la protection contre le chômage. Des atteintes profondes au niveau réel de biens d'autres prestations ( maladie, comme on le voit déjà ; retraites - comme le prépare des travaux actuels non pas sur les durées de cotisations dont l?allongement est incontournable, mais sur les versements aux ayant-droits - ) font partie d'un tel système.
Ce modèle nous permettrait au mieux de tenir la comparaison avec des pays européens de même nature que le nôtre et de pouvoir supporter, par des compensations commerciales sur certaines lignes de produits, les effets de l'entrée dans le marché unique de pays européen à bas coûts de production qui s'octroieront naturellement les segments à dominante de coûts de main d?oeuvre. Mais deux graves limites sont évidentes :
- À supposer que l'offre d'un million et demi ( au mieux) d'emplois potentiels qui existent dans l'économie française, si celle-ci bénéficie de toutes les flexibilisations, soit couverte, il manque encore presque autant d'emplois pour faire face à la demande potentielle qui n'est pas au niveau du chiffre officiel du chômage, mais proche de son double si l'on tient compte des radiés, des préretraités, des stagiaires, des travailleurs à temps partiel. Il continue donc à manquer au moins 1 million de postes de travail. L'intérêt d'ajuster l?offre et la demande de postes de travail ne peut occulter le besoin fondamental qu'il soit offert plus d?emplois. Quand l'industrie est en déclin, que les services sont surtout des pourvoyeurs de temps partiel, que les moyens du secteur public ne lui permettent plus d'embaucher, il est bien clair qu'il n'y a que des marchés reconquis ou renouvelés pour restaurer l'emploi et ces marchés ne peuvent être garantis ou trouvés que dans une autre donne de la relation commerciale internationale.
-Or, tenir, au prix de la régression sociale, la compétition avec les pays européens qui nous ressemblent est peut-être possible mais il est improbable qu'il en soit de même envers les « low costs countries ». Ce sont nos défis mondiaux parce qu'on ne peut pas combler le gap des coûts et parce que ces pays émergents sont déjà et seront de plus en plus capables de produire beaucoup moins cher que nous tous équipements, biens et services. Ils montrent bien qu'ils sont aptes de le faire à des niveaux de qualité incontestable par des hommes compétents et motivés, disposés à travailler à des conditions très modestes pour assurer leur survie et leur progrès, généralement sous des encadrements traditionnels, culturels ou politiques assurant leur dévouement, leur résignation, leur soumission. La relation concurrentielle France /low costs countries ne sera jamais comme la relation France/Allemagne ou France/Espagne, ou France/États-Unis, etc.
6 - C?est une illusion - entretenue par ceux qui ont intérêt au système libre-échangiste - de croire qu'il puisse y avoir une convergence des coûts entre les « low costs » pays et les pays avancés:
-Les low costs countries ont pour principaux fondements : des prix du travail qui sont des prix d'esclavage, la faiblesse des garanties sociales, la médiocrité des services publics, l'absence de sauvegarde de l'environnement, la consommation sans retour des biens naturels, l'autoritarisme politique exercé par des ploutocraties ou des nomenklatura.
- Alors même qu?il peut y avoir des avancées locales et circonscrites de conditions des rémunération et de garanties sociales, elles ne sont pas à l?échelle des enjeux et la naissance même de classes moyennes très marginales ne change pas le prix de revient global, mais aide au consentement aux régimes en place.
- Au demeurant, si le prix de revient vient à trop augmenter, il y a toujours une délocalisation vers des réserves ( internes ou dans des pays encore plus dépourvus) de main-d'oeuvre très pauvre à merci.
- D'ailleurs, la concurrence impitoyable entre low costs countries elles-mêmes (par exemple entre Asie et Maghreb pour le textile, entre Afrique et Amérique du Sud pour les fruits tropicaux, etc.) fait que le système entretient une spirale à la baisse du prix du travail et du respect de l'environnement.
- Les dépenses collectives, loin d'être pour l'intérêt général, sont ciblées pour permettre des avancées dans la gamme des productions de haute valeur commerciale dès lors qu?elles ont des débouchés externes. On est loin des coûts de « l'efficience économique globale » recherchée et obtenue en Occident moyennant un niveau général élevé d'éducation, de formation, d'infrastructures, de prestations publiques, de culture générale, de services sophistiqués à la disposition de tous, etc..
Il faudrait bien des décennies pour avoir un rapprochement significatif de tous les facteurs des coûts comparés. L'épuisement de l'énergie fossile mondiale arrivera avant et l'on peut pressentir que c'est plutôt tel épuisement, avec la remise à plat des questions de transports, qui redistribuera les cartes.
7? Les pays avancés se sont très bien accommodés de ce système pour des motifs se confortant les uns les autres. C'est d'abord l'intérêt du négoce (pas seulement des grands groupes, mais de tous ces importateurs qui vont presser leurs fournisseurs asiatiques de baisser encore plus leurs salaires). Ces négoces font leurs marges sur les différentiels de prix d'acquisition et de revente et, tout en laissant un certain avantage aux consommateurs, y trouvent des gains sans comparaison avec ce que rapporteraient des approvisionnements qui auraient lieu en pays socialement correct. C'est dans la logique de la lutte pour les plus bas prix possibles, au nom de la précaution contre l'inflation et au nom du pouvoir d'achat . C?est toujours politiquement payant, alors que des prix cassés par l?importation fabriquent des chômeurs par élimination des productions nationales identiques et diminuent de fait le pouvoir d'achat sécurisé global. Prenons garde au thème si électoral du pouvoir d'achat. C'est encore plus dans les pays concurrents à bas coûts qu'il en faudrait (cf.infra) plus que chez nous, si c'est sans précautions. La relance, la croissance par la consommation sans encadrement des flux a engendré bien des déceptions. Le libre-échange a enfin sa bénédiction « morale » : on doit s'ouvrir au sud pour lui donner ses chances et ne pas enfermer le « tiers monde » dans sa misère. Non seulement le « protectionnisme » serait contre-productif pour l'économie marchande, mais encore punitif pour les pauvres du monde. C'est bien d?ailleurs là l?une des inspirations simplistes de certaines positions syndicales et politiques réputées progressistes.
(FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE)