Quelques uns font encore semblant
entre deux whiskies, entre trois parties
malgré leurs privilèges garantis
de faire la révolution ou d'apprécier celle des autres
mais ce qu'ils aiment par dessus tout
c'est qu'il n'y ait plus d'idéologies
plus d'idéologie du tout
mais des sociologies du néant
Nous voulions libérer les peuples
Ils ont libéré les moeurs
Nous cherchions un juste marché
Ils ont fait le libre échange
Leur prurit libertaire s’est converti en laisser faire
sans laisser faire bien évidemment
les courants concurrents
Une génération s’est partout poussée devant
Ses réseaux ont occupé tant de postes influents
chez les uns et les autres, copains et adversaires
qu’elle a aisément écarté des facultés d’expression
ceux venant de plus loin qu’elle
ne sentant pas, ne pensant pas
ne jugeant pas comme elle
et qui n’étant de leurs chapelles
se sont, bel et bien, souvent faits censurer
- il suffit tout simplement de refuser ou de ne pas commenter -
ce qu’ils voulaient faire connaître et publier
Les chiens des garde nés d’un mai d’illusions
les ont tenu à l’écart plus encore par l’éditorial
qu’ils ont largement colonisé
le poisson pourrit par la tête
que par le capital dont l’intérêt libéral
- ça tombe bien - du même tonnneau
a su récupérer la critique artiste
pour mieux neutraliser la critique sociale
C’est qu’en soixante ans de sarabande
un autre monde est né que j’ai laissé passé
dont je ne connais ni les musiks
ni les people, ni les albums
ni les gadgets de com
dont je ne veux ni des disciplines
ni des libertés
ni que fictions et réalités
y rivalisent d’effets spéciaux
d’instincts dragués et de culots
Tout au long même de ces années
ce monde, s’il s’est un peu amélioré
a aussi multiplié les malades
les faméliques, les rats et les égorgés
Partout les imbéciles et les déshonneurs
y ont allumé des brandons dispersé
et la guerre du feu y a bien prospéré
Trop en a été dit et chaque jour en est répété
pour à nouveau le raconter
sinon que le charcutent les scalpels prétentieux
d’intellectuels au goût de jours vite passés
redécouvrant en termes souvent illisibles
mais heureusement volatils
ou propageant par stéréotype
les vulgates ou trahisons des prêts à penser
De la terreur et des rires
du napalm et des sunlights
du show biz et de la misère
la vermine, la peur et le froid des camps
les familles broyées dans l'incendie des villes
des jungles enlacées de pièges et de flammes
Les loups rassasiés dorment dans les poubelles
l'informatique irrigue les charniers
chacun couche avec la femme de l’autre
et l’autre méprise la vôtre
Il n’est que l'innocence pour ne pas s'ennuyer
On n'a pas encore trouvé le moyen
de faire sortir les enfants du ventre de leur père
mais il est revendiqué
que, sans mère
deux hommes accouplés puissent en élever
en attendant que le clonage humain
rende inutile de procréer
Femme, tu n’es plus l’avenir de l’homme
mais le fantôme d’un passé
dont il faisait les lois et toi les moeurs
la partenaire moins égale que suprême
comme la mort elle-même
qui joue les atouts des deux sexes
qui paye et prend à ses manières
sur tous les tableaux paritaires
où chacune joue, gagne ou perd
Et, dès qu’ils sont sortis des tripes nourricières
peut-être ensemencées par un père masqué
tes enfants vont en masse dans des pouponnières
avant de former les nouveaux régiments
de chômeurs consommateurs
s’éclatant ou grappillant
sur la misère des autres continents
Dans les stades, des coupes et des jeux
des mercenaires dopés qui valent très cher
galvanisent des foules pour changer en fêtes
des instincts d’agression et de domination
C’est la bonne école de la concurrence mondiale
L’offre de sexe exponentielle
ne fait plus deviner mais elle expose
faisant flamber l’envie du rut
et vendre le viagra
En attendant, pauvres adolescents
que vous soyez blasés avant d’être impuissants
voyez mon nombril sur ce doux ventre rond
votez pour le string qui me sculpte les fesses
apprécier le relief de mes parties
les pruneaux de mes seins et ma fente incrustée
l’enfant moulée premier et dernier cri
que sa tenue d’emblée offre à violer
Belle impunie au nom des libertés
la provoc, lorsqu’elle ne tue qui la pratique
dans le boomerang de quelques tournantes
a installé l’endémie d’une peste
et l’on a mis au pilori qui la conteste
tous ces ringards dont je suis
Les signes d’autres Fois
et d’autres droits que ceux du tout permis
sont incompris
voile et foulard collectent les lazzis
alors que j’aime y voir sous les apparences pudiques
le meilleur qui soit de l’érotique
le risque et l’interdit
l’inaccessible est mieux que le promis
et sa valeur est ainsi sans prix
Il te faudra quand même de la drogue en poche
pour oublier l’appel de ces épaules nues
et le duvet des bras, le velouté des peaux
ces gorges offertes dans l’odeur des aisselles
ces parfums de femmes que tout homme idolâtre
lorsque bus et métros plaquent contre ton corps
l’essence d’inconnues un instant inhalées
Va donc les semer de tabacs en cinés
Il y a tant de films que dans le lot du nombre
il s’en trouvera bien un qui te conviendra
pour chercher un temps dans des destins fantômes
ce que le tien n’assouvit pas
Détournons nous tous
des estrades qui firent le Verbe théâtre
devenues burlesques par le plein des ordures
en proposant l’ennui collectif de l’obscène
ou ces contes ravaudés en caricatures
de mythes éternels ainsi remis en scène
pour redire à grand prix, mais pas mieux qu’autrefois
ce que l’on sait des dieux, des hommes et des rois
Dans l’éventail de mille fictions historiques
je retrouve parfum ou puanteur des siècles
qu’illustrent tour à tour de crédibles remakes
et j’aime aussi y lire une pendule ou deux
qu’un écrivain fouineur a su bien mettre à l’heure
Mais je suis bien heureux de n’être pas au nombre
de ces morts illustres dont le nom sert d’appât
ou de ces « Grands » qu’on ne déguise même pas
pour en vendre l’histoire en quelque travesti
prétendant écrire ce qu’ils firent et furent
Quand le scénario est la fable qui ment
quand l’imaginaire se prétend document
il n’est plus d’identité qui soit garantie
et mieux vaudrait garder le secret de leurs vies
Que la postérité s‘y trompe est bien le but
des marchands de soupes, d’intox et mascarade
qui font passer des faux pour des faits avérés
auxquels croient des publics sans formation critique
dont l’illusion de savoir va de pair
avec des navigations de hasard
sur des sites aléatoires
Et je ne parle pas des créations plastiques
allant d’installations en point mathématique
de millions de gélules
aux espaces tout nus
de monuments faits de scories coriaces
en éphémères pestilentiels
ou difformités célébrées par des cerceaux criards
Si je fus compétent, je suis perdu
surtout depuis qu’un farceur monochrome
du gland de son pinceau, je ne peux mieux le dire
a levé la fille dont j’étais l’homme
Quand on a la puissance d’argent ou de cul
- ce qui réserve l’extase à quelques élites -
on peut se choisir l’absurde ou l’insolite
et admirer ainsi les commandes publiques
Plus jubilatoire est l’horreur
et mieux les thrillers sont vendeurs
J’aime mieux ne pas avoir de nom
que d’avoir écrit ces saloperies
grâce auxquelles des auteurs nominés
courent après les prix
Mort, torture et possession par procuration
en attendant plus de live
sont en libre accès sur tous les écrans
dans toutes les collections
Il faut scandaliser non plus par l’imposture
mais en rêvant des vertus qu’aurait la censure
La meilleure, et d’abord pour soi-même,
est une assurance esthétique :
sans règles subies et interdits surmontés,
il n’est ni art, ni écriture
La liberté ouvre aux facilités du pire;
à la rigueur enfin de nous faire survivre.
Le plus mauvais dans ce qu'on écrit
est ce qui dit en clair ce qu’il eut fallu crypter
le sexe raconté n’est plus énigmatique,
mais névrose expliquée sans rien de poétique
Comment distinguer les fruits de la liberté
des attrapes du « sans limites » ?
et des fortunes des marchés ?
c’est à pleurer, c’est à fumer
Le « tout permis » égare plus qu’il n’affranchit
le « tout possible » qu’autorisent à tous les techniques
portent aux fractures plus qu’aux harmonies
et aux chaos d’architectures dans tous les sites
N’importe qui peut faire n’importe quoi
en n’ayant plus à se soumettre
aux climats et matériaux d’autrefois
La liberté n’ouvre chance de qualité qu’aux talents
la certitude de survie qu’aux génies
et il n’est pas établi qu’ils soient
plus qu’autres valeurs
garantis par la démocratie