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Pourquoi ce blog

L'objet de ce site est de baliser par quelques souvenirs éloquents l'histoire récente et de faire contribuer ces expériences, par des commentaires d'actualité, à éclairer et choisir les changements, en s'interrogeant sur les propositions des politiques et les analyses des essaiystes. Donc, à l'origine, deux versants : l'un rétrospectif, l'autre prospectif.

A côté des problèmes de société (parfois traités de manière si impertinente que la rubrique "hors des clous"a été conçue pour les accueillir), place a été faite à "l'évasion" avec des incursions dans la peinture, le tourisme, des poèmes,  des chansons, ce qui constitue aussi des aperçus sur l'histoire vécue.

 

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L'auteur

 

DSCF0656-copie-1.JPGNé en 1933, appartenant à la génération dont l'enfance a été marquée par la deuxième guerre mondiale, l'occupation et la Résistance, l'adolescence par la Libération, la guerre froide, puis par de clairvoyants engagements pour les décolonisations, l'auteur a ensuite partagé sa vie professionnelle entre le service public (il a notamment été préfet, délégué à l’emploi, directeur des affaires économiques de l’outre-mer, président de sa chaîne de radio-télévision, RFO), l'enseignement et la publication d’ouvrages de sciences politiques (il est aujourd’hui membre du comité de rédaction et collaborateur régulier de la Revue Politique et Parlementaire). Il a également assumé des missions dans de grandes entreprises en restructuration (Boussac, Usinor/Sacilor), puis a été conseil d’organismes professionnels.

 

Alors que ses condisciples ont été en particulier Michel Rocard et Jacques Chirac (il a partagé la jeunesse militante du premier dans les années cinquante et fait entrer le second à Matignon dans les années 60, avant d'être son premier collaborateur à l’Emploi et pour la négociation de Grenelle et au secrétariat d’Etat aux Finances, il n'a suivi ni l'un, ni l'autre dans leurs itinéraires. En effet, dans le domaine politique, comme il ressort de ses publications (cf. infra), Gérard Bélorgey n’a rallié ni la vulgate de la Veme république sur les bienfaits de l’alternance entre partis dominants, ni les tenants du catéchisme du libre-échange mondial. Il ne se résigne donc pas à TINA ("there is no alternative" au libéralisme). Tout en reconnaissant les apports autant que les limites de ceux qui ont été aux affaires et avec lesquels il a travaillé, il ne se résigne pas non plus à trouver satisfaction dans tel ou tel programme de camp. Mesurant combien notre société multiculturelle, injuste et caricaturalement mondialisée, souffre aussi bien des impasses de l’angélisme que des progrès de l’inégalité et des dangers de l’autoritarisme, il voudrait contribuer à un réalisme sans démagogie.

 

Partie de ses archives est déposée dans les Fonds d'Histoire contemporaine de la Fondation des Sciences Poltiques (cf. liens).

 

Il a publié sous d'autres noms que celui sous lequel il a signé des ouvrages fondamentaux que furent "le gouvernement et l'administration de la France" (1967), "la France décentralisée" ( 1984), "Les Dom-Tom" (1994)  : le pseudo de Serge Adour correspond à l'époque de la guerre d'Algérie et à une grande série de papiers dans Le Monde en  1957 , celui d'Olivier Memling au recueil de poèmes et chansons "Sablier " (couronné en 1980 par l'Académie Française et référé, dans l'histoire littéraire du XXeme Siècle de Hachette) celui de  Gérard Olivier à son analyse dans de  grands quotidiens de la décentralisation en 1981/82; celui de Solon  (malheureusement partagée par erreur avec d'autres auteurs) à la publication en 1988 de "la démocratie absolue" . Cessant de vivre un peu masqué, il retrouve son nom en 1998 pour "Trois Illusions qui nous gouvernent", puis en 2000 pour "Bulles d'Histoire et autres contes vrais " (série de coups de projecteurs sur quelques apects du dernier demi siècle qui seront souvent repris ci-dessous), ainsi que pour de  nombreux articles dans  diverses revues. EN 2009, il est revenu sur la guerre d'Algérie avec le roman ( Ed. Baurepaire) "La course de printemps". Il prépare "L'évolution des rapports Gouvernés /Gouvernants sous la Veme République :entre absolutismes et renouvellements?"

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9 janvier 2010 6 09 /01 /janvier /2010 00:03
Pour donner le cllmat de ce temps de transition voici trois chroniques issues de "Bulles d'Histoire" (Phenix EDITIONS, 2000.)


48 - DÉLÉGUÉ AU DÉSEMPLOI   - 1985/1987



Quand Michel Delebarre m'a demandé de prendre la délégation à l'emploi, je savais que les socialistes n'en avaient plus que pour quelques mois. Ma jeunesse étant loin, je ne provenais pas de leur récent sérail; mais j'appréciais leurs efforts pour faire face aux circonstances défavorables qu'ils connaissaient. Si j'avais une critique à leur faire, ce n'était pas une critique de droite, mais une critique de gauche :  ils se faisaient déjà piéger par le libéralisme mondial. Pour le reste j'avais beaucoup licencié chez Boussac, beaucoup fait de pansements avec les TUC. Peut-être aurais-je une influence sur la politique pour l'emploi.


J'ai vite déchanté. On ne traitait pas de la maladie; on avait la charge des pansements. On gérait le budget du chômage en cherchant les ressources entre l'État, l'Unedic et autres fonds de solidarité. On accompagnait par ailleurs les restructurations, c'est à dire qu'on négociait avec les grands groupes qui devaient "dégraisser" la manière dont ils le feraient. La doctrine des équipes que je trouvais était qu'il fallait les obliger à faire des conversions et à payer pour. Je me demandais , quand partout déclinait l'activité française, vers quoi ces conversions pouvaient souvent bien conduire. C'est pourquoi je ne répugnais pas à accepter des mesures simples qui n'étaient pas de la poudre aux yeux,  mais d'un réalisme absolu : des préretraites pour tous ceux qui y étaient éligibles, qu'ils occupent des emplois supprimés ou des emplois maintenus :  leurs départs faisaient, alors,  place à des salariés plus jeunes, eux-mêmes menacés. C'était, au moins, pour tous ceux que pouvaient couvrir ces dispositifs de solidarité, la sécurité, ainsi qu'une aide indirecte aux restructurations françaises, non censurée par la Communauté européenne.


Sous différents prétextes personne n'aimait cette "facilité". Les sociologues  disaient qu'on perdrait la mémoire des entreprises, alors qu'on ne savait plus véritablement à quoi cette mémoire servait. Les budgétaires, que ça coûtait bien cher, mais, à mon sens, pas plus que de payer des stages de reconversion sans issue débouchant sur des allocations chômage. Les moralistes, que les entreprises ne devaient pas se délester ainsi - et c'est pourquoi ils ont réussi à leur faire payer de plus en plus cher leur participation aux mesures d'âge -  mais qu'elles devaient prendre la responsabilité de trouver un autre destin à leurs salariés.


Pour m'expliquer tout cela, il y avait quelques passionarias sincères qui n'avaient jamais quitté leurs études ou leurs bureaux et qui ne pouvaient savoir ce que c'est de tomber en chômage ou de faire la fin de mois d'une entreprise sans fonds de roulement. Elles réussirent à faire sortir quelques rapports accablants à l'encontre des mesures de retraites anticipées et à faire bloquer quelques gros dossiers à la faveur des consultations des organismes et conseils spécialisés. Elles ont depuis pris du galon et font la philosophie du partage du travail, c'est à dire du partage du chômage. On avait trouvé une ligne de conciliation qui fut d'inventer la retraite anticipée à temps partiel. Les textes mirent des mois à sortir et furent peu promus et employés. Néanmoins, c'est sans doute un des plus utiles défrichements que je fis dans mon métier d'alors.


Celui-ci offrait aussi de permanentes tentations d'accommodement avec le malheur. Tout un secteur de la délégation s'occupait des associations, des entreprises intermédiaires, de l'économie sociale . Tout un autre secteur s'occupait des dispositifs d'assistance et d'appui pour les jeunes et les chômeurs de longue durée et couvrait la France déshéritée d'un réseau de P.A.I.O. ( je n'ai jamais su ce que cela voulait dire ) et autres missions locales.


Ces structures de bonne volonté, essayant de nouveaux pansements, ajoutaient bien des complications à une situation déjà d'autant plus difficile à administrer que la gestion du désemploi fait appel à un lourd dispositif enchevêtré et complexe. La formation professionnelle est, à cette époque,  l'objet des soins de la Délégation du même nom; elle a lieu dans des organismes spécialisés d'inégales qualités et de toute nature, dont la vieille AFPA, à conseil tripartite associant l'État et les partenaires sociaux. Elle se finance au moyen de ressources de nombreuses origines dont celles des Régions. Quant à la gestion des chômeurs, indemnisés ou non - qui sont un important groupe de clients pour la formation - elle est éclatée. Outre l'intervention des services départementaux d'État du travail et de l'emploi et du rôle conservé par les mairies , deux entités se renvoient les demandeurs d'emploi et de formation, dix à vingt fois selon la durée de leur chômage,  comme des balles de ping pong. D'un côté, l'appareil de l'A.N.P.E. accueille et compte les demandeurs d'emploi, les évalue, les oriente vers des formations et contribue à leurs placements. D'un autre côté, les Assedic et l'Unedic leur versent les allocations,  peuvent les guider, payent aux organismes spécialisés une part des formations et participent, avec l'État, au financement des mesures d'âge.


Les exégètes de chaque maison trouvaient mille raisons pour justifier la répartition des tâches, le ciselage des frontières, les cocktails de financements. Pour ma part, j'ai consacré des journées d'analyses à tenter de comprendre pourquoi il devrait en être éternellement ainsi. Mon testament, bien plus démonstratif que ces notations, était d'aller à la fusion de l'organisme paritaire qu'est l'Unedic et de l'établissement public administratif qu'est l'A.N.P.E..

( PS le 10 Janvier 2010 ; ce fut une réforme pertinente que de regrouper enfin ces organismes en un pôle emploi en ...2008)


Je connaissais assez bien l'ANPE pour avoir été sur son berceau. En 1967, Pompidou demanda à Ortoli - alors commissaire au plan, avant de devenir ministre -  un rapport sur le traitement du chômage. 4OO.OOO demandeurs d'emploi semblaient, en ce temps, une grave menace pour la société française. L'ancien directeur de cabinet du Premier ministre proposa la généralisation de l'assurance chômage, ce qui se fit par ordonnance après quelques négociations. Il préconisait, en parallèle, la formule allemande d'un seul organisme chargé de tout : prise en compte des chômeurs, paiement des indemnités, dispaching vers les formations et réunion des moyens de financement de celles-ci, placement. Jeanneney, qui était ministre du travail, s'y opposa en soutenant les missions traditionnelles de ses services qui géraient l'assistance chômage et veillaient au droit du travail et du placement. La situation était bloquée. Un matin de 1967, dans ma cuisine, j'ai rédigé l'ordonnance créant l'A.N.P.E. : petit organisme alors qui devait devenir monstrueusement démultiplié,  mais surtout mauvais compromis. Jacques Chirac, secrétaire d'État à l'Emploi, à cette époque, l'a vendu au Premier ministre, ou plutôt à son conseiller social d'alors, Édouard Balladur. Je crois que nous avons fait une grosse bêtise en ne suivant pas Ortoli. Depuis lors, des améliorations ont été apportées à la coordination, mais la fusion n'aura jamais lieu ( que vingt ans plus tard)


Vingt ans après avoir fait naître, en 1967,  le secrétariat d'Etat à l'emploi, en charge, en 1987,  de la Délégation du même nom, j'étais  purement et simplement devenu, comme je le dis dans mes quelques mots désabusés d'adieu....« le délégué au désemploi ».
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49 - LES EFFETS D'AUBAINE - 1981/2000



On pouvait quand même essayer d'être utile à la délégation à l'emploi, d'autant plus que la capacité d'écoute et d'innovation de Michel Delebarre offrait de puissants atouts. Dans le contexte de libéralisation des échanges européens et mondiaux, l'une des grandes faiblesses de notre activité française était naturellement le coût salarial, en particulier pour les entreprises de main-d'oeuvre. Bien des rapports se sont accumulés sur ce point. Il ne fallait pas être grand clerc pour soutenir que c'est le domaine dans lequel, malgré tous les problèmes de seuils et de frontières, une action d'allégement des charges sociales était vitale.


Nous n'y sommes jamais parvenus de façon suffisamment significative. Fondamentalement, sans doute, parce que les stratèges de l'économie avaient déjà fait une croix sur le textile, les jouets, la chaussure, la navale, les cycles, une part de la sidérurgie et de l'électronique, les meubles, l'électroménager, etc. au profit des hautes technologies et des produits nouveaux. D'ailleurs,  au sein du conglomérat des corporatismes constituant le CNPF, le poids des industries de main d'oeuvre n'était pas décisif. On avait accepté à l'avance une société internationalisée et profitable, s'accommodant d'un matelas de chômeurs, à la faveur de transferts de ressources entre pourvus et exclus, d'assistance et de divers accompagnements que les méchants appellent des gadgets.


Mais aussi, parce qu'aucune idée d'aide aux entreprises ne pouvaient sortir dans l'univers de la délégation à l'emploi sans que quelque sociologue ne vienne expliquer que cela ne servait à rien : les entreprises existantes étaient bien obligées d'exister, donc de faire travailler, voire d'embaucher. Les aider était une dépense largement superflue, aux retombées non mesurables. C'était ainsi créer, à leur profit, "un effet d'aubaine".


Pendant plus de dix ans, correspondant à peu près aux deux  septennats de François Mitterrand - au cours desquels nous avons perdu, en net, un million et demi d'emploi dans nos échanges extérieurs - la politique française a démontré sa frilosité pour maintenir nos emplois. L'absence de tout effort de régulation du commerce mondial, le refus de tout soutien massif à ses industries de main d'oeuvre ont été de merveilleux "effets d'aubaine" pour les pays d'exploitation du travail humain, d'esclavage des enfants et de dumping social et monétaire; de merveilleux "effets d'aubaine", aussi pour tous les négoces, mondial et français, qui prospèrent sur les différences de coûts comparatifs d'approvisionnement.


J'essayais, dans ce métier, d'intéresser mes interlocuteurs - tels que le ministère des Finances et de l'Economie ou tel que le S.G.C.I., organisme de coordination des négociations européennes - aux causes du désemploi. Ils soutenaient que les mesures de régulation ne pouvaient avoir qu'un effet "contre-productif". Sur le long terme, ils considérent que tout approvisionnement au moindre prix à un effet global positif. Ils ne m'ont jamais convaincu, mais je dois constater qu'en 2000, les apparences leur donnent raison. Je me suis lourdement trompé dans un pamphlet que j'écrivis lorsque le gouvernement bascula de Juppé à Jospin. "Trois  illusions qui nous gouvernent"  a d'ailleurs eu du mal à trouver un éditeur. Tous, pensant qu'on doit vendre aussi de l'espoir,  me trouvaient trop pessimiste.


Et je l'étais. La première illusion que je dénonçais était que le libéralisme international puisse être créateur d'emplois. La seconde me paraissait de penser que l'Europe, élargie à des pays de structures économiques bien différentes de celles des nations fondatrices, dépourvue de pouvoir politique démocratique, puisse conduire à autre chose qu'à une aggravation du désemploi. Je voyais une troisième illusion dans les vertus accordées à notre régime politique d'alternance. La dictature des systèmes de scrutin majoritaire bipolarisant le pays et déchirant l'électorat en deux camps, n'offre pas le moyen de répondre aux besoins de fonctionnement de notre société, mais établit  le risque d'un retour en force d'une droite  incorporant les sensibilités de l'extrémisme. Le débat reste ouvert sur le modèle européen. Le quinquennat "sec" va nous précipiter vers des risques accrus de division et de démocratie absolue au bénéfice des gagnants des deux consultations législative et présidentielle si les durées des mandats viennent à coïncider.


En ce qui concerne l'emploi, mes voeux sont comblés, puisque j'écrivais "je souhaite me tromper". En effet,  alors que j'annonçais une très importante progression du chômage, les statistiques nous disent qu'il a beaucoup reculé.


Il est vrai qu'elles sont dégonflées par le nombre des salariés à temps partiel - même si beaucoup, dont particulièrement des femmes, peuvent apprécier cette commodité - qui ne sont pas comptés comme des fractions de chômeurs, mais comme employés. Elles sont encore dégonflées  - là encore, même si cette réduction peut rencontrer les souhaits de certains pour du temps libre - par le partage du travail tenant aux trente-cinq heures. Cet autre partage de l'inactivité a bien bonifié les décomptes. Elle sont  nettoyées par la radiation des irrécupérables et des titulaires de quelques droits jusqu'à retraite. Elles sont allégées des stagiaires et des "emplois-jeunes" pris en charge par les collectivités publiques et dont il faudra bien, un jour, gérer les sorties. De la même façon qu'un retraitement de comptes consolidés d'un groupe, peut "plomber" ou flatter  celui-ci, la statistique du chômage peut donner une optique qui désespère ou qui remonte le moral, ce que l'on constate sauf pour ceux qui restent sur le sable. Le thermomètre ne mesure plus l'ampleur du désemploi, mais, largement, les effets de la répartition de l'emploi. Quel "effet d'aubaine" d'avoir conservé, en apparence, le même thermomètre !


S'il exprime une part de vérité,  comment ne pas s'en réjouir. Comment toutefois parvenir à comprendre qu'il puisse en être ainsi. La diminution du nombre des agriculteurs non salariés - dont bien des producteurs, sans réelle protection par des organisations européennes de marchés, sont ruinés par la pression des grandes surfaces s'approvisionnant hors frontières - n'est pas prise en compte dans les statistiques du travail. Ailleurs aussi, les coûts comparatifs donnent toujours l'avantage aux pays tiers. Leurs produits fabriqués moyenant de bas salaires,  ceux de haute technologie inclus, rentrent de plus en plus aisément dans notre espace de consommation. Voilà qui continue à frapper de nombreuses entreprises, comme l'illustrent les conflits durs que conduisent les laissés pour compte de ce que l'on appelle "la nouvelle croissance".


On ne saurait nier que celle-ci est palpable dans une floraison qu'on n'imaginait pas il y a trois ou quatre ans :  le développement des services répondant aux appétits entretenus de commodités, de plaisirs, de pouvoir, la sophistication de la vie individuelle et collective, les demandes de portables, d'internet, de nouvelles communications, l'ampleur des collaborations qu'appellent  les nombreuses créations audiovisuelles et artistiques, toutes les offres de nouvelles modes, de nouveaux luxes, de nouveaux besoins. La bonne bulle financière qui en résulte n'a pas crevé. Elle a permis des avancées dans l'exportation et des placements profitables dans l'économie internationale. Rien, d'ailleurs, qu'on puisse reprocher tant il est vrai, comme le dit d'expérience le patron d'un grand groupe que "la croissance externe, on ne la fait pas pour le plaisir, mais parce qu'on ne peut pas faire autrement. Quand on est engagé dans une bataille mondiale, c'est, à terme, une affaire de survie". L'aisance de beaucoup permet, par des prélèvements encore acceptés, une redistribution de revenus. Elle autorise d'accompagner par des secours ceux-là mêmes qui ne sont pas portés par le marché du travail en leur distribuant des capacités de consommation qui soutiennent la demande.   


Ce climat assure-t-il à la fois l'amélioration de l'emploi, de la sécurité et du niveau de vie ? Que veut dire l'assertion selon laquelle il y a eu plusieurs centaines de milliers de créations nettes d'emplois?


Et, d'abord, quelle est la qualité de ceux-ci ? Ils sont souvent intérimaires, précaires, volatils et, sans doute rémunérés, de manière moins appréciable, moins garantis aussi que dans l'économie traditionnelle. Tout ceux qui partagent un peu la vie du pays savent que cette croissance peut rimer avec souffrance. Des analystes en apprécient même le taux par des mesures prenant en compte des "pathologies particulières". Les angoisses du travail en morceaux, de la pression sur les rémunérations, de tout ce que l'on impose à un candidat à un emploi ou à celui qui veut garder celui qu'il a, y sont certainement pour quelque chose.


On n'a rien sans rien, n'est ce pas. Ces stress sont-ils le prix  d'une "prospérité" redressant la quantité d'activité offerte? La quantité numérique d'emplois certes, grâce à une part d'émiettement du travail. Mais qu'en est-il en ce qui concerne la quantité volumétrique d'emploi total? Pourrait-on mesurer- sur la base d'un même étalon qui comparerait des périodes de références - l'évolution de l'activité travaillée nationale? Il faut poser la question.  Pourrait-il exister un système d'appréciation, avec les correctifs de démographie et de productivité, qui pourrait permettre d'y répondre? La politique du thermomètre ne devrait pas s'arrêter à l'effet d'aubaine médiatique, mais aller au bout d'une logique économétrique.


Nous sommes, en effet,  devant une contradiction d'apparences. Comme on disait autrefois, elle "interpelle". D'une part, le chômage statistique diminue. D'autre part, le désemploi marchand - constitué de formes d'inactivités économiques, souvent subies, parfois souhaitées -  est partout : dans les activités agricoles aux débouchés détruits; dans la réduction hebdomadaire et, souvent,  annuelle, du temps travaillé; dans l'allongement des temps d'études et de formation; dans l'abaissement des âges de départ en retraite; dans les heures non rémunérées de ceux des salariés qui n'ont trouvé, contre leur voeu, que des tâches partielles; dans les périodes intercalaires de chômage; dans les stages non productifs; dans les embauches publiques qui pallient les insuffisances d'offres du marché; dans les éprouvantes difficultés qu'ont les salariés licenciés, les jeunes exigeants et les demandeurs de longue durée de trouver des employeurs.


Il est vrai que ces derniers ont, à l'inverse, du mal à trouver et à garder des collaborateurs que pourchassent les chasseurs de tête. C'est ce qui se passe dans l'économie très spéciale et limitée issue d'internet. Internet que l'un des jeunes héros de la "nouvelle économie"  a pu définir, en raison du libre accès à la toile, comme "une fusion géniale du communisme et du capitalisme". Ce sont les promoteurs de "start-up" qui subissent les examens non seulement de leur "business angels", mais encore des surdoués qu'ils cherchent à embaucher. 


Mais que veut dire, ailleurs, l'expression répétée d'un  besoin, bientôt non couvert, de main-d'oeuvre adéquate? Il est bien vrai que le capitalisme, par sa prodigieuse capacité d'adaptation à toutes les gestions politiques, à la faveur de l'aisance d'action que lui donne la perméabilité de toutes les frontières, ne cessera jamais de créer la surprise. Des salariés adéquats? Est-ce à dire compétents et pas trop payés? Notre modèle, en suivant  la perfide Albion ( je parle de son calcul du chômage et de l'indemnisation, si l'on peut dire, des chômeurs anglais ) est en train de se chercher, de plus en plus, du côté des pays récusant les grandes garanties sociales. Il est clair qu'en adoptant une part de leurs recettes, on deviendra un peu compétitifs avec eux. Tout peut fonctionner ainsi  longtemps que de bons résultats financiers permettront, par une voie ou une autre, des prélèvements restant supportables pour les classes moyennes, et finançant les minima sociaux des exclus. Voilà le moyen de réguler les valeurs du marché par des valeurs non marchandes. Un compromis rendu possible parce que le niveau d'activité planétaire est ce qu'il est : meilleur, chaque jour,  grâce aux ressorts qu'il trouve dans la division du monde entre opérateurs florissants et populations du sud exploitées dans tous les domaines - ceux des coûts des matières premières, des transports, du travail et par les termes des échanges - et qui, de ce fait, vivent, de plus en plus dans une  tragique misère, porteuse d'atroces conflits. Il n'est plus nécessaire que "l'impérialisme" soit "le stade supérieur du capitalisme". En fait, il n'y a pas de surprise, mais toujours la même recette. L' OMC, après le GATT, est là pour ça.


C'est vraiment un "effet d'aubaine", pour le socialisme européen, qu'à ce compte, le capitalisme international se porte bien.





50 - LES PHOTOS CAVIARDÉES -1987



Lorsqu'en 1986 l'Hôtel hébergeant le ministre du Travail, de l'Emploi et de la formation professionnelle, est revenu à Philippe Seguin, celui-ci avait des idées, mais aussi un cabinet. Les deux ne coïncidaient pas forcément, ce qui conduisait d'ailleurs entre le patron et ses collaborateurs à des clashs sévères marqués par de sanguines colères ministérielles. Au point que certains de sa proche équipe,  pour essayer d'apaiser un débat avant que celui-ci ne s'envenime, m'appelaient souvent comme pacificateur. En effet, le ministre  ne m'engueulait jamais, peut-être parce que je l'avais connu dans les temps historiques lorsqu'il était au cabinet du général, peut-être en raison de la restructuration du textile vécue ensemble dans les Vosges, quand j'équilibrais les efforts de reconversion entre lui et le socialiste Pierret, peut-être parce que j'avais été nommé par son prédécesseur Delebarre.  D'autres, tout à l'inverse m'étaient  férocement hostiles : j'avais continué avec les socialistes un métier de service public; je n'assassinais pas mes collaborateurs de cette sensibilité; c'est par le gouvernement battu que j'avais été promu dans la fonction de Délégué à l'emploi.


Pour traiter la situation, les idées du ministre, au demeurant, me paraissaient  simples et saines. Il fallait assouplir, le marché de l'emploi, sans se faire d'illusions sur les résultats. Pour assouplir le marché de l'emploi, il avait d'ailleurs testé auprès de moi, comme auprès de bien d'autres, deux questions qui lui tenaient à coeur. L'une comportait une réponse assez facile : pouvait-on supprimer l'autorisation administrative de licenciement sans ouvrir la porte à des excès? La réponse était "oui" et il réussit vite à bien le faire. L'autre était bien plus coton : "comment rétablir des pompistes et des garçons d'ascenseur?". Promouvoir "les petits boulots" sans menacer les vrais, sans  toucher à la productivité,  sans émietter et précariser le travail, ce n'est pas très commode.


Il savait bien que tout cela ne changerait pas le grand mouvement de fond de destruction progressive, par le dumping social et monétaire des pays tiers émergents, de pans entiers de l'activité industrielle traditionnelle que ne pouvaient relever d'emblée les services et les avancées technologiques pour l'exportation. C'est pourquoi il devait en fait poursuivre la politique d'accompagnement du chômage : sous un nom  ou sous un autre, les stages, les TUC, les assistances, l'économie sociale, les pansements des retraites anticipées et des reconversions hasardeuses dans la foulée des grands licenciements.


Cette continuité de bien des mesures critiquées par la droite lorsqu'elle n'était pas aux affaires n'était pas du tout du goût des politiques de son cabinet dont certains membres voulaient d'abord transcrire leur programme électoral et régler des comptes. L'un de ceux-ci, malgré une ancienne belle compétence,  avait été au placard depuis 81. Il avait mal vieilli et avait pris l'allure d'une lourde grenouille rancunière jouant le rôle de commissaire politique. Il en voulait à ceux qui avaient continué leur carrière dans l'alternance. Il est bien normal qu'il ait alors monté quelque cabale contre "le délégué des socialistes". Tout fut utilisé à mon encontre, y compris d'une manière assez ignoble, les séquelles de l'affaire Boussac. Mais, surtout, comme le gouvernement de droite ne pouvait guère trouver le moyen de faire bien différemment du gouvernement de gauche, un jour est arrivé où le ministre gêné m'a expliqué qu'il était "vraiment difficile de faire la même politique avec les mêmes gens". Les mêmes gens, c'étaient les deux directeurs d'administration centrale : celui que j'étais et le directeur des relations du travail qui était Martine Aubry. Qu'elle parte eut été interprété comme une chasse aux sorcières. J'ai donc satisfait au désir du ministre en lui indiquant, comme il l'espérait, que celui qui devait partir c'était moi qui n'appartenait à personne. Qui fut dit, fut fait et, dès lors, le tout assez gentiment.


Mais le commissaire politique m'avait réservé un chien de sa chienne. Je n'en ai pris conscience qu'un peu plus tard avec le coup des photos de la salle des accords,  cette salle des accords de Grenelle qui est devenue historique. J'y fais un tour de curiosité un jour où j'attendais dans le vestibule de l'hôtel de Grenelle un entretien au cabinet. Je regarde au mur les illustrations de la négociation de 1968 à laquelle j'ai participé de bout en bout, comme directeur de cabinet du secrétaire d'État à l'emploi d'alors. Je connais bien ces photos où, comme les collaborateurs de Georges Pompidou et de Jean-Marcel Jeanneney, je me trouve au second rang, un peu de travers derrière Jacques Chirac. Or, aucun des clichés de la négociation de Grenelle placés dans la salle des accords ne comporte une vieille trace de mon jeune temps. Je n'ai trouvé qu'un peu de flou à ma place vide. Ce témoignage d'un certain rôle exercé autrefois par un fonctionnaire ayant continué à servir l'État lorsque celui-ci était géré par leurs adversaires avait sans doute été insupportable à certains. Peut-être, fallait-il aussi que le directeur à abattre que j'avais été ne puisse en tirer crédit.


Avant de songer, tout simplement, à vérifier que les photos affichées étaient truquées  en consultant le volume 1968 de l'année Larousse qui est illustrée par une vue de la conférence, j'avais demandé à  un photographe de presse que j'avais bien connu s'il pouvait retrouver un document témoin. Il s'est dérobé : il ne savait plus où pouvaient être de telles archives. Puis, en rigolant, il a ajouté :


«  tu  es une victime de la technique stalinienne. Tu as été caviardé. Je pense que la plupart des originaux ont été détruits. Tu devrais être honoré d'être traité comme Zinoviev et Kamenev. Comme ces traîtres. Ils ont partout disparu des photos officielles du communisme, comme des manuels scolaires. C'est ainsi qu'on écrit l'Histoire.Tu es devenu un homme invisible, au passé invisible du moins, un homme illisible, quoi ! ».

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5 janvier 2010 2 05 /01 /janvier /2010 19:29

La directive « Bolkestein » transposée dans la législation française !

jeudi 31 décembre 2009 par Jean-Jacques Chavigné

 

Après le vote la directive McCreevy par le Parlement européen en novembre 2006, les Etats-membres de l’Union européenne avaient un délai de trois ans pour transposer cette directive, reprenant les trois quarts de la directive Bolkestein, dans leur législation nationale.

Le gouvernement Sarkozy a décidé de faire le moins de bruit possible autour de cette transposition et a renoncé à faire voter une loi-cadre pour la transposer en droit français. Il se souvient, en effet, du scandale qui avait éclaté lorsque, en plein débat sur le référendum de 2005, le projet de directive Bolkestein était apparu en plein lumière. Il compte également, profiter au mieux de cette directive qui va exactement dans le même sens que sa politique de marchandisation généralisée.

Sarkozy avait d’ailleurs déjà commencé à transposer, en catimini, cette directive « services » lors de la création du « guichet unique » pour les entreprises ou lors de l’assouplissement des conditions d’installation des grandes surfaces, adoptés dans la Loi de Modernisation de l’Economie (LME) de juillet 2008. Le plus gros reste cependant à faire. La transposition devait être terminée pour le 28 décembre 2009 mais ne le sera qu’en 2010.

Respectant en cela les vœux de Sarkozy, les grands médias ne s’attardent guère sur le sujet. C’est pourtant une directive cruciale pour notre avenir. Mais c’est sans doute aussi ce qui explique leur silence assourdissant.

Le projet de directive « Bolkestein »

L’objectif de ce projet de directive, rédigée dès 2003, était l’instauration d’un marché unique des services dans l’Union européenne, non en harmonisant par le haut les législations sociales des Etats-membres mais en les nivelant vers le bas, sous les coups de boutoir de la concurrence « libre et non faussée ».

Le champ d’application de la directive était considérable il concernait tous les services faisant l’objet d’une « contrepartie économique » : des sociétés d’intérim aux services liés à la santé et en passant par les plombiers… C’était la concurrence généralisée et la remise en cause du droit d’un Etat-membre à des services publics puisqu’ils étaient, pour l’essentiel, soumis à la concurrence.

Le principe de base de cette directive était celui du « pays d’origine ». Selon ce principe, un prestataire de services était uniquement soumis à la loi de son pays d’origine. C’était une attaque incroyable contre les droits du travail les plus avancés. En effet, la directive prévoyait les modalités de détachement de salariés dans un autre pays de l’Union. Ainsi, un salarié polonais pouvait être envoyé travailler en France par son entreprise et dépendre, pour l’essentiel, des lois sociales du pays d’origine de la société qui l’employait et non du droit du travail et du droit social (sécurité sociale, retraite…) du pays destinataire, la France en l’occurrence.

C’était la mise en place du « dumping social » dans toute sa splendeur. Au lieu d’instaurer un Smic européen de haut niveau, le projet de directive mettait directement en concurrence les salariés européens pour faire baisser les salaires et les prestations sociales. En 2005 et au début 2006, les libéraux européens ont opéré un repli tactique

Ce repli tactique était du à la peur que le « non » l’emporte, en particulier lors du référendum français du 29 mais 2005, puis à la mobilisation des salariés à l’appel de la Confédération européenne des syndicats. En février 2006, plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestaient à Strasbourg à l’appel de la CES et d’organisations comme Attac. Sous cette double pression, le Parlement européen adoptait le 16 avril 2006 un texte qui entérinait un double recul des libéraux.

En premier lieu, le champ d’application de la directive service était restreint. La totalité des services du secteur de la santé était exclue, de même que les agences d’intérim, les services sociaux, l’ensemble du droit du travail et de la Sécurité sociale. En deuxième lieu, le principe du pays d’origine disparaissait du texte.

Ces reculs des libéraux étaient incontestables. Mais le refus explicite (un amendement en se sens a été rejeté) de remplacer le principe du pays d’origine par celui du pays destinataire était lourd de conséquences. Il laissait, en effet, à la Cour de Justice européenne la possibilité de décider au cas par cas du droit applicable. Or, les arrêts de cette Cour vont très largement dans le sens de l’application du principe du pays d’origine.

2006 : une nouvelle version de la directive « Bolkestein »

Le 24 juillet 2006, le Conseil des Ministres (qui est le principal législateur de l’Union européenne) adoptait une version modifiée de la proposition de directive votée en première lecture par le Parlement européen. Ces nouvelles dispositions étaient approuvées par la Commission européenne qui a le monopole de l’initiative des directives.

L’offensive néolibérale du Conseil des Ministres et de la Commission se déroulait, essentiellement, selon deux axes. Premier axe : le refus de définir des termes comme « obligation de service public », « travailleurs » ou « service d’intérêt économique général » afin de laisser la plus grande marge d’interprétation possible à la Cour de Justice de Luxembourg. Deuxième axe : la diminution du nombre des services exclus du champ de la directive. L’eau, certains services liés à l’éducation, la culture, certains services sociaux étaient de nouveaux soumis à la directive et donc à la concurrence de prestataires de services d’autres Etats-membres.

Le vote de la directive « McCreevy par le Parlement en novembre 2006

Le Parlement européen avait la possibilité de refuser de voter, en deuxième lecture, la proposition du Conseil des Ministres et de la Commission. La directive aurait alors cessé d’exister. Ce n’est pas la voie qu’avaient choisie les libéraux majoritaires au Parlement européen. Au contraire, le 15 novembre 2006, ils avaient adopté la proposition du Conseil et de la Commission qui devient la directive McCreevy, du nom du nouveau Commissaire en charge du « marché intérieur ». La motion de rejet de cette directive avait été repoussée par 105 voix pour (dont les Socialistes français, le PCF et les Verts), 405 voix contre (dont les parlementaires européens de l’UMP et de l’UDF) et 12 abstentions.

Les États membres avaient alors trois ans (jusqu’à décembre 2009) pour transposer cette directive dans leur législation nationale.

2006-2009 : la Commission européenne transforme la directive McCreevy en clone de la directive Bolkestein

La Commission européenne a mis à profit les trois ans qui séparaient le vote de la directive McCreevy de sa transposition dans les législations des pays membres pour encore gagner du terrain et faire de cette directive un véritable clone de la directive Bolkestein.

Le « principe du pays d’origine » avait disparu du texte de la directive McCreevy. Le règlement européen du 17 juin 2008 sur « la loi applicable aux obligations contractuelles » (Rome I) le fait rentrer par la fenêtre. Ce règlement prévoit, en effet, que « les parties contractantes sont libres de choisir la loi applicable au contrat ». Ainsi, un travailleur letton envoyé travailler en France par son entreprise pourra, « librement », choisir que lui soit appliqué le droit social letton.

Le champ des services épargnés par l’application de la directive McCreevy se réduit comme peau de chagrin. Les néolibéraux n’avaient pas accepté de gaîté de cœur qu’une bonne partie des services sociaux (plus de 100 milliards d’euros annuels) soient exclus du champ de la directive. En s’appuyant sur les articles 43 à 49 du traité de Lisbonne, la Commission européenne a repris l’offensive contre ces services en rappelant que « les services exclus du champ d’application de la directive relative aux services dans le marché intérieur continueront de relever de ces règles et principes ». Et ces règles et principes se résument en un seul commandement, celui d’une « concurrence libre et non faussée ».

Le sénateur français, Jean Bizet, rapporteur « sur l’état de la transposition de la directive services » souligne, avec un certain cynisme, que les exemptions prévues par la directive McCreevy ne sont que provisoires. En effet, en 2011 (et tous les trois ans, par la suite) un point sera fait par la Commission et à ces occasions, des modifications du champ d’application de la directive pourront être adoptées.

Sarkozy ne paraît pas pressé de protéger les services sociaux de notre pays

Les gouvernements des pays membres ont la possibilité d’exclure leurs Services Sociaux d’Intérêt Général (SSIG) du champ d’application de la directive. Mais ce n’est pas, à l’évidence, l’orientation du gouvernement Sarkozy qui ne semble pas du tout pressé de sortir du champ de la concurrence ce secteur d’activités sociales majoritairement composé d’associations (petite enfance, aide familiale, services à la personne…) Ainsi, le Ministère de l’Economie et des Finances estime que les conditions d’exclusion du champ de la directive seront très difficile à remplir « dans la plupart des secteurs où interviennent des opérateurs « sociaux » car ces secteurs sont des secteurs concurrentiels où sont susceptibles d’intervenir des acteurs de types différents (privés, commerciaux, associatifs, publics, etc. »

Quant au secrétaire d’État chargé de l’emploi, Laurent Wauquiez, il affirme que les SSIG sont une notion « totalement vides » et que seule, donc, s’applique la concurrence « libre et non faussée ».

Cette orientation signifie, à terme, la disparition du secteur social et médico-social associatif (900 000 emplois) qui ne pourra plus recevoir de subventions ou de financements publics (Etat, mais surtout Régions, Municipalités, Conseils généraux…) Ces subventions seraient, en effet, contradictoires avec le principe de la concurrence « libre et non faussée » puisqu’elles apporteraient un avantage concurrentiel aux associations qui les percevraient, face aux entreprises privées du secteur qui n’en bénéficieraient pas. Une crèche associative pourrait ainsi concurrencer « déloyalement » une crèche mise en place par une entreprise privée à but lucratif.

La gauche toute entière devrait se mobiliser dans l’unité pour faire barrage à l’application de cette directive assassine, pour refuser la subordination de l’ordre public social à la « liberté » contractuelle et pour exiger du président de la République qu’il fasse voter une loi qui exclut du champ d’application de la directive la totalité du secteur social et médico-social.

Jean-Jacques Chavigné

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23 décembre 2009 3 23 /12 /décembre /2009 15:19
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Contre les tabous indiscutés, par Maurice Allais

Tribune de Maurice Allais, parue dans l'hebdomadaire Marianne du 5 au 11 décembre 2009.

Le point de vue que j'exprime est celui d'un théoricien à la fois libéral et socialiste. Les deux notions sont indissociables dans mon esprit, car leur opposition m'apparaît fausse, artificielle. L'idéal socialiste consiste à s'intéresser à l'équité de la redistribution des richesses, tandis que les libéraux véritables se préoccupent de l'efficacité de la production de cette même richesse. Ils constituent à mes yeux deux aspects complémentaires d'une même doctrine. Et c'est précisément à ce titre de libéral que je m'autorise à critiquer les positions répétées des grandes instances internationales en faveur d'un libre-échangisme appliqué aveuglément.

Le fondement de la crise: L'organisation du commerce mondial

La récente réunion du G20 a de nouveau proclamé sa dénonciation du « protectionnisme », dénonciation absurde à chaque fois qu'elle se voit exprimée sans nuance, comme cela vient d'être le cas. Nous sommes confrontés à ce que j'ai par le passé nommé « des tabous indiscutés dont les effets pervers se sont multipliés et renforcés au cours des années» (1). Car tout libéraliser, on vient de le vérifier, amène les pires désordres. Inversement, parmi les multiples vérités qui ne sont pas abordées se trouve le fondement réel de l'actuelle crise: l'organisation du commerce mondial, qu'il faut réformer profondément, et prioritairement à l'autre grande réforme également indispensable que sera celle du système bancaire.

Les grands dirigeants de la planète montrent une nouvelle fois leur ignorance de l'économie qui les conduit à confondre deux sortes de protectionnismes: il en existe certains de néfastes, tandis que d'autres sont entièrement justifiés.

Dans la première catégorie se trouve le protectionnisme entre pays à salaires comparables, qui n'est pas souhaitable en général. Par contre, le protectionnisme entre pays de niveaux de vie très différents est non seulement justifié, mais absolument nécessaire. C'est en particulier le cas à propos de la Chine, avec laquelle il est fou d'avoir supprimé les protections douanières aux frontières. Mais c'est aussi vrai avec des pays plus proches, y compris au sein même de l'Europe. Il suffit au lecteur de s'interroger sur la manière éventuelle de lutter contre des coûts de fabrication cinq ou dix fois moindres - si ce n'est des écarts plus importants encore - pour constater que la concurrence n'est pas viable dans la grande majorité des cas. Particulièrement face à des concurrents indiens ou surtout chinois qui, outre leur très faible prix de main-d'œuvre, sont extrêmement compétents et entreprenants.

Il faut délocaliser Pascal Lamy !

Mon analyse étant que le chômage actuel est dû à cette libéralisation totale du commerce, la voie prise par le G20 m'apparaît par conséquent nuisible. Elle va se révéler un facteur d'aggravation de la situation sociale. A ce titre, elle constitue une sottise majeure, à partir d'un contresens incroyable. Tout comme le fait d'attribuer la crise de 1929 à des causes protectionnistes constitue un contresens historique. Sa véritable origine se trouvait déjà dans le développement inconsidéré du crédit durant les années qui l'ont précédée. Au contraire, les mesures protectionnistes qui ont été prises, mais après l'arrivée de la crise, ont certainement pu contribuer à mieux la contrôler. Comme je l'ai précédemment indiqué, nous faisons face à une ignorance criminelle. Que le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy, ait déclaré: « Aujourd'hui, les leaders du G20 ont clairement indiqué ce qu'ils attendent du cycle de Doha : une conclusion en 2010 », et qu'il ait demandé une accélération de ce processus de libéralisation m'apparaît une méprise monumentale. Je la qualifierais même de monstrueuse. Les échanges, contrairement à ce que pense Pascal Lamy, ne doivent pas être considérés comme un objectif en soi, ils ne sont qu'un moyen. Cet homme, qui était en poste à Bruxelles auparavant, commissaire européen au Commerce, ne comprend rien, rien, hélas! Face à de tels entêtements suicidaires, ma proposition est la suivante: il faut de toute urgence délocaliser Pascal Lamy, un des facteurs majeurs de chômage!

Plus concrètement, les règles à dégager sont d'une simplicité folle : du chômage résultent des délocalisations elles- mêmes dues aux trop grandes différences de salaires ... A partir de ce constat, ce qu'il faut entreprendre en devient tellement évident! il est indispensable de rétablir une légitime protection. Depuis plus de dix ans, j'ai proposé de recréer des ensembles régionaux plus homogènes, unissant plusieurs pays lorsque ceux-ci présentent de mêmes conditions de revenus, et de mêmes conditions sociales. Chacune de ces « organisations régionales» serait autorisée à se protéger de manière raisonnable contre les écarts de coûts de production assurant des avantages indus à certains pays concurrents, tout en maintenant simultanément en interne, au sein de sa zone, les conditions d'une saine et réelle concurrence entre ses membres associés.

Un protectionnisme raisonné et raisonnable

Ma position et le système que je préconise ne constitueraient pas une atteinte aux pays en développement. Actuellement, les grandes entreprises les utilisent pour leurs bas coûts, mais elles partiraient si les salaires y augmentaient trop. Ces pays ont intérêt à adopter mon principe et à s'unir à leurs voisins dotés de niveaux de vie semblables, pour développer à leur tour ensemble un marché interne suffisamment vaste pour soutenir leur production, mais suffisamment équilibré aussi pour que la concurrence interne ne repose pas uniquement sur le maintien de salaires bas. Cela pourrait concerner par exemple plusieurs pays de l'est de l'Union européenne, qui ont été intégrés sans réflexion ni délais préalables suffisants, mais aussi ceux d'Afrique ou d'Amérique latine. L'absence d'une telle protection apportera la destruction de toute l'activité de chaque pays ayant des revenus plus élevés, c'est-à-dire de toutes les industries de l'Europe de l'Ouest et celles des pays développés. Car il est évident qu'avec le point de vue doctrinaire du G20, toute l'industrie française finira par partir à l'extérieur. Il m'apparaît scandaleux que des entreprises ferment des sites rentables en France ou licencient, tandis qu'elles en ouvrent dans les zones à moindres coûts, comme cela a été le cas dans le secteur des pneumatiques pour automobiles, avec les annonces faites depuis le printemps par Continental et par Michelin. Si aucune limite n'est posée, ce qui va arriver peut d'ores et déjà être annoncé aux Français : une augmentation de la destruction d'emplois, une croissance dramatique du chômage non seulement dans l'industrie, mais tout autant dans l'agriculture et les services.

De ce point de vue, il est vrai que je ne fais pas partie des économistes qui emploient le mot « bulle». Qu'il y ait des mouvements qui se généralisent, j'en suis d'accord, mais ce terme de « bulle» me semble inapproprié pour décrire le chômage qui résulte des délocalisations. En effet, sa progression revêt un caractère permanent et régulier, depuis maintenant plus de trente ans. L'essentiel du chômage que nous subissons tout au moins du chômage tel qu'il s'est présenté jusqu'en 2008 - résulte précisément de cette libération inconsidérée du commerce à l'échelle mondiale sans se préoccuper des niveaux de vie. Ce qui se produit est donc autre chose qu'une bulle, mais un phénomène de fond, tout comme l'est la libéralisation des échanges, et la position de Pascal Lamy constitue bien une position sur le fond.

Crise et mondialisation sont liées

Les grands dirigeants mondiaux préfèrent, quant à eux, tout ramener à la monnaie, or elle ne représente qu'une partie des causes du problème. Crise et mondialisation : les deux sont liées. Régler seulement le problème monétaire ne suffirait pas, ne réglerait pas le point essentiel qu'est la libéralisation nocive des échanges internationaux. Le gouvernement attribue les conséquences sociales des délocalisations à des causes monétaires, c'est une erreur folle.

Pour ma part, j'ai combattu les délocalisations dans mes dernières publications (2). On connaît donc un peu mon message. Alors que les fondateurs du marché commun européen à six avaient prévu des délais de plusieurs années avant de libéraliser les échanges avec les nouveaux membres accueillis en 1986, nous avons, ensuite, ouvert l'Europe sans aucune précaution et sans laisser de protection extérieure face à la concurrence de pays dotés de coûts salariaux si faibles que s'en défendre devenait illusoire. Certains de nos dirigeants, après cela, viennent s'étonner des conséquences !

Si le lecteur voulait bien reprendre mes analyses du chômage, telles que je les ai publiées dans les deux dernières décennies, il constaterait que les événements que nous vivons y ont été non seulement annoncés mais décrits en détail. Pourtant, ils n'ont bénéficié que d'un écho de plus en plus limité dans la grande presse. Ce silence conduit à s'interroger.

Un prix Nobel ... téléspectateur

Les commentateurs économiques que je vois s'exprimer régulièrement à la télévision pour analyser les causes de l'actuelle crise sont fréquemment les mêmes qui y venaient auparavant pour analyser la bonne conjoncture avec une parfaite sérénité. Ils n'avaient pas annoncé l'arrivée de la crise, et ils ne proposent pour la plupart d'entre eux rien de sérieux pour en sortir. Mais on les invite encore. Pour ma part, je n'étais pas convié sur les plateaux de télévision quand j'annonçais, et j'écrivais, il y a plus de dix ans, qu'une crise majeure accompagnée d'un chômage incontrôlé allait bientôt se produire. Je fais partie de ceux qui n'ont pas été admis à expliquer aux Français ce que sont les origines réelles de la crise alors qu'ils ont été dépossédés de tout pouvoir réel sur leur propre monnaie, au profit des banquiers. Par le passé, j'ai fait transmettre à certaines émissions économiques auxquelles j'assistais en téléspectateur le message que j'étais disposé à venir parler de ce que sont progressivement devenues les banques actuelles, le rôle véritablement dangereux des traders, et pourquoi certaines vérités ne sont pas dites à leur sujet. Aucune réponse, même négative, n'est venue d'aucune chaîne de télévision et ce, durant des années.

Cette attitude répétée soulève un problème concernant les grands médias en France: certains experts y sont autorisés et d'autres, interdits. Bien que je sois un expert internationalement reconnu sur les crises économiques, notamment celles de 1929 ou de 1987, ma situation présente peut donc se résumer de la manière suivante: je suis un téléspectateur. Un prix Nobel. .. Téléspectateur. Je me retrouve face à ce qu'affirment les spécialistes régulièrement invités, quant à eux, sur les plateaux de télévision, tels que certains universitaires ou des analystes financiers qui garantissent bien comprendre ce qui se passe et savoir ce qu'il faut faire. Alors qu'en réalité ils ne comprennent rien. Leur situation rejoint celle que j'avais constatée lorsque je m'étais rendu en 1933 aux Etats-Unis, avec l'objectif d'étudier la crise qui y sévissait, son chômage et ses sans-abri: il y régnait une incompréhension intellectuelle totale. Aujourd'hui également, ces experts se trompent dans leurs explications. Certains se trompent doublement en ignorant leur ignorance, mais d'autres, qui la connaissent et pourtant la dissimulent, trompent ainsi les Français.

Cette ignorance et surtout la volonté de la cacher grâce à certains médias dénotent un pourrissement du débat et de l'intelligence, par le fait d'intérêts particuliers souvent liés à l'argent. Des intérêts qui souhaitent que l'ordre économique actuel, qui fonctionne à leur avantage, perdure tel qu'il est. Parmi eux se trouvent en particulier les multinationales qui sont les principales bénéficiaires, avec les milieux boursiers et bancaires, d'un mécanisme économique qui les enrichit, tandis qu'il appauvrit la majorité de la population française mais aussi mondiale.

Question clé : quelle est la liberté véritable des grands médias ? Je parle de leur liberté par rapport au monde de la finance tout autant qu'aux sphères de la politique.

Deuxième question: qui détient de la sorte le pouvoir de décider qu'un expert est ou non autorisé à exprimer un libre commentaire dans la presse ?

Dernière question: pourquoi les causes de la crise telles qu'elles sont présentées aux Français par ces personnalités invitées sont-elles souvent le signe d'une profonde incompréhension de la réalité économique ? S'agit-il seulement de leur part d'ignorance? C'est possible pour un certain nombre d'entre eux, mais pas pour tous. Ceux qui détiennent ce pouvoir de décision nous laissent le choix entre écouter des ignorants ou des trompeurs.

----------

(1) L'Europe en crise. Que faire ?, Éditions Clément Juglar, Paris, 2005

(2) Notamment: La Crise mondiale aujourd'hui, éditions Clément Juglar, 1999, et La Mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance: l'évidence empirique, éditions Clément juglar, 1999

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23 août 2009 7 23 /08 /août /2009 18:16
Donnond la parole à Claude Allegre déclarant à prpos de la TAXE CARBONE :


"Elle serait inutile climatiquement, injuste socialement, nuisible économiquement", juge l'ex-ministre de la Recherche.

"La France émet à peu près les cinq millièmes des émissions mondiales de CO2. Cela veut dire que l'arrêt total de toute émission de CO2 par la France modifierait la température moyenne du globe d'un centième de degré dans 100 ans", affirme-t-il.

Selon M. Allègre, "parler d'une taxe carbone pour l'ensemble Europe-Amérique du Nord, qui représente presque 50% des émissions de CO2, peut être un sujet de débat, mais l'instaurer au seul niveau français est ridicule".

"Prélever neuf milliards par le biais de cette taxe sur notre système économique serait suicidaire. Ce serait affaiblir la consommation et pénaliser nos entreprises", ajoute-t-il.

On peut débattre de ces chiffres et des impacts, mais ce qui est évident c'est  que la taxe carbone pour les seuls Français relève de notre angélisme dans le monde des compétitions impitoyables.


La taxe carbone ne peut avoir un sens que si elle est très générale ou , à défaut, si elle est imposée aux frontières ( de l'Europe dans le système actuel et de la France si on se libérait de l'Europe.., voire sans rompre l'union douanière en imaginant des normes techniques à respecter qui la ferait payer peu ou prou) à proportion des causalités de CO2 des produits importés.

L'idée de protection (coûteuse mais à supporter par tous - vendeurs étrangers et producteurs nationaux )  de la taxe carbone a encore été dévoyée par les écolos sociaux libéraux.


Toute protection ( de l'environnment, de l'emploi), etc.) ne peut que coûter et il faut que ce prix soit intégré au coût facturé par tous les porteurs de causes de pollution, de désemploi, etc..C'est l'équité, un peu de "fair play" dans la compétition  mondiale.


A l'arrivée, sur notre marché interne li ya aura toujours un effet induit sur les prix aux consommateurs  auxquels ce surcoût (des importations  , comme des productions nationales, mais devant les unes et les autres être traitées pareillement)  doit être être compensé par une politique du pouvoir d'achat populaire (taux sélectifs de tva, minima sociaux, allocations familiales, contrôle des prix de la distribution, etc..) , elle-même financée pour une part par des taxes à l'import sur les produits de dumping et sur les produits "carbonisant" ...

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9 août 2009 7 09 /08 /août /2009 15:26
Au regard de la présentation du modèle libéral, on trouvera ci-dessous des éléments de contre-propositions pour une autre économie.

1 - dans les relations commerciales internationales : COMMENT SÉCURISER L’EMPLOI DANS UN CADRE DE CO-DÉVELOPPEMENT DURABLE
2 - pour l'investissement : QUELLE ÉCONOMIE MIXTE



1 - COMMENT SÉCURISER L’EMPLOI DANS UN CADRE DE CO-DÉVELOPPEMENT DURABLE

        
    A - La valeur à privilégier c’est, à mon sens, de reconstruire une société de l’emploi. Car celui-ci est
- la première dignité
- le premier pouvoir d’achat
- le moyen d’une démocratie  nourrie de moins d’amertumes, de violences et de passions

Allant de pair avec l’emploi, le niveau de vie dépend comme lui des moyens d’échapper à la pression sur les rémunérations, à la destruction des garanties sociales, aux insuffisances des services publics qui sont les résultats des concurrences mondiales par les prix.

Parallèlement, il faut bien comprendre que les causes profondes de nos graves inégalités sont que ces inégalités  répondent aux besoins même de l’économie libérale internationale de marché, car elles sont les carburants de la compétition et de celui de l’investissement (cf.infra C -3-c)  

    B- il faut donc rechercher des conditions à réunir pour atteindre sinon un « plein »,  du moins un « bon » emploi

L’emploi MARCHAND dépend avant tout de l’existence de marchés rentables, ce qui est certes le but des prospections et études permanentes des entreprises. Mais il y a un intérêt collectif à ce que soit clarifié, à grands traits du moins, ce qui est pour notre collectivité activités d’avenir rentables et autres activités problématiques, pour entraîner une prise de conscience de tous sur les contraintes économiques et les réponses possibles.

A la base , pour identifier ces différents marchés et leurs conséquences en matière d’emploi et préparer l’application des meilleurs moyens de la collectivité d’exploiter les bons créneaux et de s’adapter avec réalisme  au constat qu’il y en a d’incertains et de mauvais , il faut obtenir la conduite d’une étude prospective comparant les coûts français et ceux des autres pays du monde et les flux qui en résultent en matière d’échanges de marchandises et de services et en matière de localisations d’activités   ( la tâche d’un nouveau léger commissariat au plan, en quelque sorte qui devrait se substituer au très insuffisant et souvent dogmatique CAS et CEPI  ).
Le  simple fait de conduire et publier une telle étude serait une première opération vérité  sur des sujets qui ne sont appréciés que de manière très floue et souvent même occultés : il n’y pas de données disponibles permettant aujourd’hui de synthèse autre qu’approximative sur ces questions .

L’objectif concret est d’identifier, établir et faire connaître ( ce qui peut créer un choc salutaire)  
- les secteurs ou investir ( ou mieux organiser) pour sauvegarder ou créer de l’emploi peut être rentable
- ceux qui sont  en courte survie
- ceux qui peuvent être sauvés ou promus et à quelles conditions,
ce qui fera naturellement apparaître, comparativement aux offres étrangères,  des questions de prix de revient et de coût du travail montrant quels sont les choix :  ou baisser les rémunérations et autres charges, ou sécuriser une part de ces emplois par recours à des mesures de protection.






    C - Dans la batterie des moyens protectionnistes, il faut chercher à préférer ceux qui favorisent un «  co-développement durable».

1-    Ce concept est à redéfinir , comme le modèle dans lequel il peut y avoir le maintien de chances de non régression dans un pays relativement socialement avancé comme le nôtre  et  le soutien à des chances de progrès des niveaux de vie  et de développement durable chez les compétiteurs que sont des pays émergents et chez les abandonnés qui sont dans les pauvretés et inégalités sans fin.                     
Il faut aussi replacer ce concept  dans la question très difficile de savoir si et comment (cf. A. Lebeau, « l’enfermement planétaire ») la planète peut supporter, à l’ échéance du siècle, au delà de  9 Mds d’habitants dont les modes de vie convergeraient selon les habitudes de consommation des pays avancés, vers le haut , ou s’il faut imaginer que les populations du monde doivent et puissent se rallier à un modèle plus frugal ? Sans essai de clarification, la compétition ne peut être que plus radicale et les ressacs plus violents  entre pays avancés, pays émergents et populations prises dans des trappes de pauvreté.

 
2- Quelle batterie de moyens pour un co-développement équitable ?

Il faut d’abors énumérer DES TECHNIQUES
Puis voir dans un second temps COMMENT FAIRE AVEC L’EUROPE

S’agissant des techniques

a) Il faut accepter le principe qu’il y a lieu à un différentiel de charges lorsqu’un produit étroitement comparable est obtenu dans une low cost country avec des productivités comparables au nôtres, mais avec un coût de revient (tenant aux facteurs travail, fiscalité, monnaie, environnement, etc.) imbattable.
Mais il faut négocier l’affectation de ce différentiel de charges, de ce « droit compensateur »  qui peut être :
- ou un droit ( un « tariff ») perçu en tant que droit de douanes,
- ou un droit ( un « duty ») perçu au profit de fonds revenant d’une manière ou d’une autre aux pays d’origine, comme compensation de coûts du travail et de coûts sociaux particulièrement  bas .
Etant observé que les classes dirigeantes de ceux-ci sont hostiles à un système de « social taxes »  et n’accepteraient sans doute pas de recevoir des compléments salariaux par des ressources ayant augmenté leurs prix de vente terminaux aux consommateurs européens ( et ayant donc réduit leur pugnacité commerciale et les profits de ces classes dirigeantes) et que dès lors on peut aussi négocier qu’ils instituent directement des taxes à l’export  ( dont la contre-valeur serait recyclée dans leurs économies), l’affectation concerté des produits des duties  pourrait sans doute être plus particulièrement recherchée
- pour une part,  comme contributions à l’amélioration de  leurs services publics et sociaux
- pour une part,  en garantie de recettes (cf infra : g- ) pour des Émergents exportateurs ayant besoin d’autant de devises, mais pour moins de volume de  ventes
- pour une autre part, comme  concours à leur prise en compte des défenses de l’environnement,  dès lors qu’ils intégreraient ces contraintes à leurs productions, notamment pour les émissions de CO2 (on peut d’ailleurs alors leur faire valoir que le coût en serait terminalement supporté par les consommateurs des pays vers lesquels ils exportent)

 b) A défaut les droits différentiels ne leur seraient pas ristournés mais affectés à des fonds mondiaux.

c) Par ailleurs, il faut  faire progresser l’hypothèse de cette taxe carbone sur les produits obtenus au prix d’émission de C02 et qui serait d’application mondiale, mais de fait s’appliquerait aux seuls pays n’ayant pas pris les dispositions protectrices requises en la matière.

d) Dans un dispositif d’un certain rétablissement de la « préférence communautaire »,  il ne faut pas exclure des contingents vendus aux enchères aux fournisseurs ou importateurs les plus offrants . L’une des tâches du commissariat à l’analyse prospective et stratégique suggéré ci-dessus étant de proposer  dans quels secteurs agricoles, halieutiques, industriels ou de services , ces contingents seraient vitaux.  Les contre-valeur des enchères seraient de même affectées  à l’un des trois emplois visés en a)

e) une régulation sécuritaire ( état des navires, qualification des équipages, anticipation sur les effets de pénurie sur le prix du fuel) du transport mondial ( y compris par des fonds de concours contre la piraterie)  peut aussi aboutir à des augmentations salutaires de prix réduisant les avantages de s’approvisionner  à l’extérieur.


f) Vis à vis des pays émergents, la stratégie à conduire – au demeurant différenciée selon les cas et devant aboutir à des accords cadres  bilatéraux entre puissances  - est complexe, mais peut avoir des bases claires :

- ces pays pourraient-ils méconnaître qu’il n’est pas de leur intérêt de voir s’effondrer les économies et les capacités de consommation de leurs clients ? A courte vue, non ;  mais à moyen terme ce n’est pas exclu : dans la compétition entre puissances dont les rejets de pollutions et les consommations totales d’eau, d’énergie, de nourriture vont se heurter au mur écologique planétaire, des Émergents  pourraient avoir tentation de se faire place contre les anciennes nations « pourvues » : d’accepter donc le déclin des commandes de celles-ci  allant de pair avec celui des économies occidentales et d’en profiter pour mobiliser à leur profit les ressources disponibles (libres capacités de rejet des pollutions, liées aux consommations industrielles et alimentaires de protéines , accaparement (à l’image d’ailleurs de ce qu’à fait l’Occident)  des sources de minerais, d’énergie,etc. )   en développant  très fort et vite leurs propres marchés intérieurs.
Mais n’est ce pas, par ailleurs,  ce qui est en définitive souhaitable pour notre propre salut ?  Ce développement du marché intérieur des Émergents ne pouvant  provenir, au delà de la croissance démographique,  que de l’ augmentation de leurs rémunérations directes et indirectes, c’est ainsi  que se rééquilibreront à moyen terme les prix de revient ( tout en obligeant tous à traiter  la question des garanties à prendre pour un développement durable et frugal).
 
Il faut spéculer qu’il n’y aura pas de schéma tranché, tant la globalisation a croisé et mêlé les intérêts, mais qu’il faut surtout compter sur les fortes incitations que l’on peut employer sur les Émergents pour les inciter à des politiques raisonnables,  sans trop compter sur la prise en compte que d’eux-mêmes ils pourraient faire de nos propres problèmes.

Ces incitations reposent, à mon sens, sur le fait qu’ils ont besoin au moins en soudure ( pour une - ou deux ? -  décennies) de nous vendre des produits à un niveau produisant pour eux des recettes comparables au moins  à celles qu’ils en tirent aujourd’hui pour continuer à pouvoir acheter chez nous ce dont ils ont besoin.
Mais pour obtenir ces recettes, ils n’ont pas besoin de vendre autant s’ils vendent plus cher.  Le deal et donc d’accepter de leur payer plus cher un volume d’export restant suffisamment raisonnable et ciblé  pour ne pas détruire certaines de nos propres productions ; et les « duties » ristournés peuvent jouer un certain rôle dans ces montages ; le problème le plus difficile étant de maîtriser les comportements d’achats de nos propres firmes ( ce à quoi doivent répondre les tariffs et les contingents).

De surcroît en assurant ces recettes aux Émergents, on assure du même coup le plan de charges ( et les emplois) de celles de nos activités qui produisent les biens qu’ils achètent et on sort du faux débat sur les risques de représailles en cas d’une part de protectionnisme, puisque l’on met en oeuvre un protectionnisme sinon « altruiste », du moins  « gagnant/gagnant » qui veut garantir les intérêts de nos fournisseurs ( et par ailleurs clients...)

Construire clairement, du moins au niveau des principes ,  un tel deal et le replacer dans les conditions dont l’observation pour la viabilité de la planète est nécessaire pour tous pourrait passer par le niveau d’une concertation internationale ( d’un échelon adéquat à positionner entre ONU, OMC, BIT, G20)  fin que soit recherché une sorte de pacte directeur de co-développement durable entre les États du monde.
 

g) A l’arrivée, il faut donc  accepter le principe que certains produits seraient, par les effets des  dispositifs sus visés  ainsi vendus plus cher aux consommateurs européens qui doivent choisir entre un  « pouvoir d’achat »  par la casse des prix et des emplois nationaux ( autrement dit un pouvoir d’achat pour une société ouverte mais assistée) et un pouvoir d’achat obtenu par  des emplois sécurisés moyennant des prix plus élevés pour certains produits.

Voilà qui impose et justifie parallèlement, en compensation,  une politique du PA populaire à obtenir par une fiscalité indirecte socialement sélective et par une redistribution plus équitable entre hauts et bas revenus ( en tenant compte des patrimoines) , afin de garantir des minima sociaux.
Son financement ( en dépenses fiscales ou budgétaires)
-pourrait être gagé sur des économies en matière de dépeses chômage si celui régresse ;
- pouurait être également trouvé dans une part des produits de « tariffs » lorsqu’il y aurait lieu à ceux-ci .

h) les effets de tel ensemble de régulations physiques seraient sensibles sur les localisations d’activités, puisque des localisations dans les « low cost countries » perdraient une part de leur intérêt dès lors que les produits qui y seraient obtenus ne pourraient  rentrer dans les Pays Avancés  à leurs prix de revient sortie production, mais à leurs prix de revient assortis des différentiels à payer et/ou ans la limite de contingents quantitatifs.

L’ENSEMBLE DES INDICATIONS CI-DESSUS NE TRAITE PAS DES RÉGULATIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES devant contribuer à l’éradication de « l’économie casino », comme à un mode opératoire plus satisfaisant du financment des économies réelles.   
Les unes ont été présentées par les tenants d’un capitalisme moralisé et domestiqué et on ne peut que souscrire à leur esprit et contenus.
Un certains nombre d’autres visent plus loin : à une part de  contrôle des mouvements de capitaux, en particulier à court terme, de manière liée à des disciplines relatives aux liquidités, placements, ratios bancaires. Je ne m’estime pas compétent pour les présenter et je renvoie aux préconisations de J. Sapir, in  « la fin de l’eurobiléralisme »


3 - Et l’Europe ?
 
a) Bien entendu, toutes les  mesures concernant le commerce international sont de la compétence européenne ( à la majorité qualifiée du CM ) et gérées en fait par la commission.
Mais ce n’est pas seulement pour ces raisons juridiques que la compétence est européenne . Dès lors qu’il y a un périmètre européen de libre circulation interne des produits, il faut un système uniforme d’accès à ce périmètre sauf à créer des distorsions de trafics et de concurrence qu’il n’est pas impossible, mais qu’il est très compliqué alors,  de gérer.

b) Si l’on confronte cette compétence européenne et la batterie ( cf supra) de mesures de protection  et de négociations internationales pour un co-développement durable, on mesure quelle révolution devrait intervenir dans les esprits européens et dans l’appareil de l’UE, formés au dogme du libre échange,    pour  que  ce soit possible, en impliquant une intervention convaincue de tous les acteurs, en particulier dans les négociations internationales  à conduire sur la base de rapports de forces.

c) C’est néanmoins la transformation qu’il faut réussir de l’Europe
- en faisant de celle qui existe une critique beaucoup plus radicale que celles qui sont conduites lorsqu’elles se contentent de demander une Europe plus sociale
- en mesurant bien, en effet, qu’il ne sert à rien de vouloir promouvoir une Europe sociale si l’on ne s’en donne pas les moyens qui sont moins budgétaires et juridiques que stratégiques


Il doit être clair que « l’Europe sociale » est impossible

- Si, d’une part , les rémunérations, droits sociaux et services publics n’y sont pas protégées contre les moins disant sociaux, fiscaux, environnementaux, si bien que même une disposition générale sur un salaire minimum européen aurait autant d’effets contre-productifs dans la concurence mondiale, si celle-ci n’est pas maîtrisée, que d’effets régulateurs en interne ( ou jouent d’ailleurs toute une autre série de facteurs que le coût direct du travail).
Si d’autre part , les inégalités continuent à constituer dans le périmètre européen les carburants indispensables tant de la compétition que de l’investissement .

Rappelons en effet des choses élémentaires :

On peut guère lutter contre les inégalités  dans une économie libérale de marché essentiellement fondée sur l’appropriation privée, sur l’attente d’une régulations automatique, sur la liberté des échanges commerciaux allant de pair avec celle des localisations d’activités à travers le monde.
 Les inégalités sont en effet les indispensables carburants d’un tel système :

a) C’est grâce aux inégalités que la machine économique libérale peut fonctionner
- en pesant sur les coûts salariaux
- en dégageant de la capacité d’investissement autorisée par les propensions possibles à épargner des meilleurs revenus

b) si on fait une politique plus égalitaire
- on diminue la compétitivité dans la concurence mondiale
- on diminue la capacité d’investissement par le marché financier
 
c) C’est pourquoi cette politique plus égalitaire des revenus n’est possible qu’à deux conditions majeures
- des protections contre les concurrences des moins disant-sociaux, fiscaux, environnementaux, en matière de services publics  
- une part raisonnable  de relai-substitution de l’investissement privé par des financement publics  ( obtenus par une épargne fiscale)



L’esprit support d’une Europe sociale, l’esprit qu’il faudrait faire partager c’est donc
- qu’elle demande une part de son investissement au financement public et fiscal se substituant à une fraction de financement privé ; ce qui ne saurait s’obtenir magiquement, mais ce qui  ne peut être bâti peu à peu que sur un réel consentement en ce sens, en particulier par une réflexion de la gauche européenne sur ce point  
- qu’elle échappe aux excès de la compétition mondiale et des compétitions internes    
 

A ce second titre,
- les moyens doivent donc d’abord, vis à vis de l’extérieur,  comporter la sécurisation économique nécessaire par la part indispensable de « préférence communautaire » et/ou de « co-développement durable » négocié  dans l’esprit indiqué ci dessus,  aboutissant à remplacer le libre échange par le juste échange pour pouvoir avoir un niveau social correct sans perdre les emplois ;  
- ces moyens doivent aussi comporter la faculté de résoudre les distorsions internes de  l’Union entre ses pays avancés et ses low cost countries.

d) Or les classes au pouvoir de ces dernières ne se plieraient pas aisément à des propositions d’alignement de minima sociaux ou fiscaux d’autant que cette question est biaisée par le fait que les distorsions en cause  sont aussi de l’intérêt de nos firmes d’avoir des lieux préférables à celui du noyau d’Europe pour localiser leurs activités et faire pression sur leurs salariés  .
Là encore c’est en négociant de manière volontariste, en exerçant les pressions utiles , que l’on pourrait peut-être obtenir des changements :
- il faut subordonner l’apport des fonds structurels, et plus généralement d’autres financements internationaux ( BE, FMI) à   des progrès vers ces minima
-il faut appliquer un  régime de taxe carbone significative partout en Europe
- il faut faire observer aux nouveaux pays de l’élargissement que , compte tenu de leurs types et niveaux de prix de productions, ( encore dans l’agriculture et l’industrie « classique »)  , ils peuvent être les premiers intéressés à une certaine « préférence européenne » pour ces produits, mais que cette préférence ne peut raisonnablement être demandée à leur profit  que si eux-mêmes ne font pas du « dumping » interne
- à défaut, de la même manière qu’il y a eu des « montants compensatoires » lorsqu’il y avait des distorsions monétaires ( avant l’euro), il faut imaginer des « montants compensatoires » qui corrigeraient en hausse certains prix émanant des  nouveaux pays de l’est européen lorsqu’il seraient constatés comme le résultat de composants anormalement bas des prix de revient.

e) Si tout cela ne marche pas, et en se donnant comme terme ultime aux recherches consensuelles dans le grand périmètre , la fin de la mandature du Parlement européen élu  prochainement et auquel devrait être confié par un sommet des chefs d’État une mission de proposer les voies et moyens d’une réelle harmonisation économique et sociale européenne -  il faudra concevoir un périmètre cohérent européen plus restreint qui passerait de simples partenariats avec les États n’en acceptant pas des règles du jeu monétaires, fiscales  et sociales minimales contraignantes. Une autre révolution, par rapport à la mode l’élargissement,  à laquelle on n’échappera peut-être pas.

 4 -  Se sécuriser, au nom de l’emploi et avec lui comme ultime critère de décision,  contre les excès du libre-échange peut prendre du temps et, avec les incertitudes,  on pourrait « mourir guéris ». C’est pourquoi dans cette attente, il y a des leviers nationaux qui sont parfaitement utilisables. On en citera deux.   


a) un moyen – national -  d’agir sur les localisations d’activités n’est pas d’interdire les délocalisations tant – hélas - elles répondent à la logique économique mondiale qui, plus encore que la recherche de la maximisation du profit, contraint les entreprises à baisser leurs rémunérations, à demander des allégements fiscaux, à se localiser ailleurs, mais de négocier des engagements d’activités sur le sol national, moyennant notamment des concours financiers. Dès lors qu’une  firme accepte ce deal, ce qui suppose qu’elle l’a jugé économiquement viable,   il faut être extrêmement ferme à l’encontre des sophismes qui disent de telles mesures contraires au droit, notamment européen ,  de la concurrence ( cf. annexe 3) et si raison n’est pas entendue, aller jusqu’à la crise.     

b) –l’autre est une « tva sociale »  bien construite -  question qu’il faut regarder en dehors du contexte électoral où elle était venue.   

Des ressources inchangées pour les régimes de garanties sociales et un niveau de prix inchangé pour le consommateur peuvent, en ce qui concerne certains produits d’assiette, être obtenus en remplaçant des cotisations sociales par des points supplémentaires de TVA sur ces produits.

Cette compensation aurait pour effet que des produits nationaux qui bénéficieraient de l’effet d’allégement de cotisations sociales soient obtenus moins chers que les mêmes produits importés qui supporteraient la TVA augmentée. C’est une rare mesure protectionniste à portée d’une décision nationale ( l’UE n’est pas compétente pour contrôler les augmentations de TVA et d’ailleurs l’Allemagne et les Pays Bas l’ont fait avec succès). Pour verrouiller positivement le système ( qui est parfaitement compatible avec une fiscalité indirecte socialement sélective) , il faut pouvoir s’assurer que la production répercutera les allégements de cotisations sociales et que le distribution ne ferait  pas de péréquation entre produits localement obtenus et produits importés. La véritable difficulté est d’ailleurs du côté de la distribution qui apprécie trop la libre importation et les différentiels de profit qu’elle lui assure et qui est certainement assez hostile à ce dispositif dont l’idée ( en conséquence ?)  paraît être enterrée.   



CONCLUSION

La récession est là, en tant que produit inéluctable du système libre échangiste et inégalitaire mondial ; cf. mes notes précédentes sur « l’économie mondialisée » ayant souligné qu’il ne faut pas confondre
- les sources de la crise : le dérèglement bancaire par les conséquences en chaîne de l’affaire des subprimes et par la dérégulation financière ayant autorisé «  l’économie casino »  mondiale ;
- et les causes profondes de la dépression : les chutes des solvabilités populaires par suite de la déflation  salariale et du désemploi,  combinées  au détournement de l’épargne et de l’investissement vers les meilleures rentabilités des placements dans les low cost countries et, plus encore,   dans l’économie casino.


L’économie de marché qu’il faut accepter est de reconnaître le rôle irremplaçable des entreprises privées et de l’initiative de chacun, mais de tempérer cette économie de marché de trois manières en écartant  l’idée dangereuse de refonder l’économie de marché sur ses trois inacceptables piliers s’ils sont exclusifs.



     L’économie de marché, dans une acception pleinement libérale,  c’est en effet  trois choses :
    - l’ appropriation privée de quasi tous les moyens de production de biens et de services
    - la croyance en la  régulation automatique de l’offre et de la demande, de l’investissement, des prix
    - des échanges internationaux et des localisations d’activités à travers le monde se formant sans qu’il soit  tenu compte, pour des produits et des activités comparables,  des composantes  de leurs prix de revient respectifs

Or, on ne peut accepter, dans leur intégralité , aucune de ces trois données :

a) -    l’appropriation privée doit s’entendre comme la liberté d’entreprendre – qui est nécessaire et fructueuse -  avec ses moyens propres, mais doit aller de pair avec une dose d’économie mixte répondant  à plusieurs besoins
        * celui de services publics de base classiques et régaliens
        * celui de services publics industriels et commerciaux pour les grands besoins collectifs qui doivent être satisfaits par les principes d’égalité et d’accessibilité
        * celui d’une certaine participation de la puissance publique au financement des investissements  matériels et immatériels)  productifs dans le secteur des productions et services marchands

b) - la seule régulation automatique est incertaine, aléatoire et malsaine.
    * la recherche des équilibres offre/demande appelle manifestement des politiques publiques précises
    _* en matière d’investissement,  je renvoie à mes notes («  réflexion préparatoire » et « quelle économie mixte ? »,  ayant
- d’abord souligné le besoin d’une part d’investissement financé collectivement pour limiter l’effet d’inégalité qu’entraîne obligatoirement le financement par le seul marché, c’est à dire par les seuls détenteurs de moyens de revenus et d’épargne pour le faire,
- ensuite indiqué  des voies  possibles pour une Banque Nationale d’Investissement .
    * en matière de formation des prix , il est évident que des contrôles devant faire respecter la concurrence, comme il le faut,  par la distribution vis à  vis des producteurs et des consommateurs sont absolument indispensables   

c) - enfin, au plan international , le libre échange entre pays très hétérogènes (comme il a été analysé dans mes précédentes contributions : note 1, « la compréhension de la crise » ; note 2 «  la dépression, à la recherche de réponses » )  ne peut servir les intérêts à long terme ni des pays avancés, ni des pays émergents, et encore moins des pays dans les trappes de pauvreté et d’inégalités , ni permettre l’observation des conditions d’un développement durable ne rencontrant pas le mur écologique  . En conséquence, je préconise, à ce stade,sans que la question puisse être épuisée,  au nom de notre emploi et des équilibres mondiaux,  les correctifs développés  dans la présente note .  Mais ceci implique une révolution du mode pensée et du mode opératoire de l’Union européenne qui permettrait d’engager les travaux précis et les négociations délicates nécessaires .



Avant tout quatre démarches méthodologiques ont donc à retenir :

- l’une consiste à obtenir une étude sérieuse sur les perspectives d’activités françaises rentables replacées dans un cadre européen et mondial ;
- l’autre est qu’au niveau d’une concertation internationale ( d’un échelon adéquat à rechercher entre ONU, OMC, BIT, G20), soit élaboré une sorte de pacte directeur de co-développement durable entre les États du monde ;
-la troisième est que le nouveau Parlement européen soit saisi ( par une conférence des chefs d’États de l’UE ?) de la mission d’avoir à définir, sous trois ans, les voies et moyens d’une cohérence économique, sociale, de services publics et de protection environnementale à l’échelle de l’ Union ;
- la quatrième qui intéresse particulièrement les formations politiques de progrès serait qu’elles qu’elles réflechissent de concert sur les conditions fondamentales de réduction des inégalités .     
 
Annexe 1

A - Formation brute de capital fixe par secteur institutionnel
Valeurs - Milliards d'euros 2007        

FBCF (Total des secteurs résidents) dont :     406,3                        
 Sociétés non financières     212,2                        
 Sociétés financières     15,4                        
 Administrations publiques     61,8                        
 Ménages hors entrepreneurs individuels     114,2                        
 Institutions sans but lucratif au service des ménages      2,7                        



Annexe 2 – Les IDE

Selon C P C I - édition 2007
Définitions
Investissements directs étrangers (IDE) : opération concernant au moins 10 % du capital d’une entreprise (sinon, le transfert est classé en simple opération de portefeuille).
Après un timide redressement en 2004, les flux mondiaux d’investissements directs étrangers (IDE) repartent franchement à la hausse en 2005, attisés par la reprise des grandes opérations de fusions ou d’acquisitions des groupes internationaux qui en représenteraient environ la moitié. Au total,selon la Cnuced, les flux d’IDE entrants s’établissent à 925 milliards de dollars en 2005, en hausse de 33 %. En 2005, la progression des flux d’IDE entrants a bénéficié pour la première fois autant aux pays industrialisés qu’à ceux en voie de développement. Ces derniers ont attiré un montant  d’investissements étrangers record de 350 milliards de dollars. Chine en tête, l’Asie et les PECO ont bénéficié de la majeure partie de ces flux.
Pour l’année 2006, les données disponibles sur les pays de l’OCDE font état d’une hausse de 22 % des flux d’IDE entrants et de 29 % des flux sortants.

Les flux d’IDE entrants en France ont bondi en 2005 à 65 milliards d’euros, cela après deux années creuses en 2003 et 2004, et ils se maintiennent au même niveau en 2006. Ces niveaux sont les plus élevés jamais enregistrés en France.
Parallèlement, les investissements français à l’étranger ont doublé entre 2004 et 2005, puis ont légèrement reculé en 2006 à 92 milliards d’euros. Les sorties d’IDE dépassent ainsi largement les flux entrants.
Entre 2000 et 2004, la Cnuced estime que la moitié des IDE étrangers en France sont liés à des fusions ou des acquisitions. Les achats d’actions représenteraient 44 % du flux net total (achats de plus de 10 % du capital social d’une entreprise).
En 2006, l’industrie manufacturière recueille le tiers du flux d’IDE en France (soit 21 milliards d’euros). Les industries chimiques et agroalimentaires en captent la moitié.

De même, un quart des flux sortants sont orientés vers l’industrie manufacturière (soit 23 milliards d’euros). Mis à part une opération de taille exceptionnelle en 2006 dans le secteur des TIC, ces flux concernent surtout l’industrie chimique et pharmaceutique, la filière des métaux et les industries agro-alimentaires Récemment, les investissements dans le secteur minier remontent.
L’Europe (UE à 15) reste le premier investisseur industriel en France. Elle est à l’origine des deux tiers du flux d’IDE dans l’industrie. Les Pays-Bas viennent en tête mais une partie importante de ces IDE ne fait que transiter par des holdings (comme par exemple lors de l’acquisition d’Arcelor par Mittal Steel). De même, le Royaume-Uni vient en deuxième position mais, compte tenu de l’importance des flux inverses, le solde net en provenance de ce pays reste modeste.
Les flux d’IDE français à l’étranger sont dirigés vers l’UE à 15 (la moitié des flux) et les États-Unis (le quart). Le Royaume-Uni, la Suisse, l’Irlande et les Pays-Bas sont les principaux pays d’accueil des IDE français en Europe.Aux États-Unis, les investisseurs français ont profité en 2006 de la faiblesse du dollar pour faire de nombreuses acquisitions outre-Atlantique.
La part de l’industrie dans le stock d’IDE en France reste relativement stable autour de 18 % depuis 2003. Le stock d’IDE se concentre dans l’industrie chimique, qui représente 27 % du stock des investissements étrangers de l’industrie manufacturière, loin devant l’automobile (10 %) et l’agroalimentaire.

 
Annexe  3


En droit de la concurrence ou en droit de la propriété intellectuelle, les accords d'exclusivité, ou les droits exclusifs de brevet, qui visent à garantir que celui qui fait un investissement spécifique en prenant des risques ait un juste retour de ce dernier en empêchant d'autres d'en profiter indûment pendant une période raisonnable de rentabilisation dudit investissement, sont parfaitement légitimes.
Par conséquent, contrairement à ce que disent les dogmatiques du marché unique ou du libre-échange, comme la Commission européenne en ce moment, il est tout à fait conforme aux règles de concurrence qu'un Etat qui "investit" dans des entreprises pour sauvegarder l'activité sur son territoire prenne des garanties pour avoir un juste retour sur cet investissement, sous la forme d'une interdiction pour les bénéficiaires de transférer, d'une manière ou d'une autre, le soutien reçu dans d'autres Etats. Dans tous ces cas, la "restriction" à la liberté de comportement est justifiée par la lutte contre le parasitisme, au sens économique du terme. Dès lors, si l'Union veut que tous les Etats membres bénéficient de mesures de soutien indifférenciées, il faut qu'elle mette en oeuvre ces mesures à son niveau.
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8 août 2009 6 08 /08 /août /2009 15:36
2 - QUELLE ÉCONOMIE MIXTE  ?




1 - Rappel :

- l’inégalité ( qui permet l’investissement par les seuls plus aisés et qui est, par ailleurs, entretenue et aggravée par le besoin de compression des coûts en économie ouverte) est, pour financer les investissements, le carburant indispensable à l’économie libérale (d’appropriation privée et mondialisée par le libre–échange )

- cette inégalité est aussi son poison :  elle conduit, en effet
    * à la déflation salariale (donc à la chute de la demande)
    * et, par des attraits inégaux de rentabilités en concurrence les unes avec les autres à travers le monde entier (où les low cost countries offrent les meilleurs placements pour les mêmes productivités),  elle rend contingente la propension à investir dans les pays socialement avancés où les rentabilités sont les moindres.

Non seulement le monde est devenu pluripolaire ce qui signifie la diminuation de la puissance occidentale – ce qui est bien normal - mais nos  niveaux de vie, nos sécurités , nos services publics sont conduits – ce qui est inadmissible -  à une détérioration rapide et importante, conséquence inéluctable d’une conception de la croissance fondée sur le développement prioritaire d’un commerce mondial sans régulation entre entités hétérogènes.

2 - Cette menace immédiate et réelle appelle deux types de traitement :

- la régulation des échanges commerciaux , avec la part nécessaire de protectionnisme (cf. CONTRE PROPOSITIONS POUR UNE AUTRE ÉCONOMIE, PARTIE 1) ) ;

- des mécanismes d’investissements dans les équipements productifs faisant appel au financement collectif pour une part significative de la FBCF (formation brute de capital fixe, hors administrations et ménages)  pouvant être correctrice des effets néfastes d’un financement exclusivement privé.

Il faut souligner que ce financement collectif d’une part des investissements  productifs n’implique en  aucun cas une conséquence obligatoire de  gestion  publique des entreprises.
 La question ici traitée est donc une question distincte de celle du périmètre des services publics.
Toutefois le problème des voies et moyens de  financement de certains  SPIC (comme la Poste, l’énergie ou les transports publics - qui au nom de l’intérêt général doivent rester des spic)  fait constater qu’il peut exister un champ commun de recherche de financements par voie publique d’ investissements dans ce secteur des spic et dans le secteur strictement marchand.






 3 –Il ne s’agit donc pas de hercher à définir ici  des périmètres et des formes de gestion publique  - telles que des « nationalisations » - mais des objectifs, voies  et moyens  

- de collecter des ressources publiques pour qu’elles soient affectées à des investissements productifs dans le secteur marchand, voire dans le secteur intermédiaire  des spic  ;

- d’utiliser au mieux ces ressources dans un but de localiser sur notre sol des pouvoirs d’entreprendre et de décider et des facultés d’y retenir, d’y faire apparaître et d’y fixer des emplois.


4 - C’est pour cette stratégie qu’est nécessaire la mutation du très marginal Fonds National Stratégique d’Investissement qui peut être un point de départ   en une BANQUE NATIONALE DE DÉVELOPPEMENT et D’INVESTISSEMENT.

A - Ressources  de la BNDI

L’ordre de grandeur de la ressource à rechercher doit, pour être influente , atteindre un pourcentage significatif de la FBCF ( hors administrations publiques et ménages ), soit, sans doute, pouvoir  monter en puissance vers 20 à 30 milliards d’euros annuels.


    * L’esprit fondamental du système proposé étant de substituer, pour une part de l’investissement productif en secteur marchand, du financement public à du financement privé, il faut  ponctionner  une marge des ressources privées alimentant habituellement l’investissement de cette nature, tout en assurant, avec une certaine sélectivité des apports selon les secteurs considérés ,  leur retour vers des entreprises privées ( dont des PME interessantes) opérant selon les régles du marché.

C’est pourquoi les ressources de la  BNDI doivent comporter une base  nécessairement fiscale obtenue, par
 
        ° l’augmentation de la progressivité de l’impôt sur le revenu
        ° la restauration de l’ISF et des droits de succession
        ° l’abolition du bouclier fiscal (sauf cas très particuliers)
        ° ainsi que par l’élévation de certains taux de prélèvement sur les  revenus  des placements ( révision des systèmes de  prélèvements libératoires)


    * Si des taxes douanières européennes ( TEC) étaient appelées, au delà de quelques unes qui subsistent  (par ex. sur les cycles),  à être mises en place elles devraient, comme celles en vigueur,  avoir pour destination la BNDI , puisque l’objectif de celui-ci est de soutenir au regard des importations, des activités nationales ou concertées à l’échelon européen.

    * On en doit pas écarter que la BNDI reçoive des concours d’institutions européennes (fonds structurels et tout autre) ou internationales (FMI ) qui sont dédiés aux pays, régions ou secteurs  en difficultés (la difficulté devant s’apprécier compte tenu des reculs généraux ou sectoriels  par rapport à un  étiage précédent et non dans l’absolu), puisque notre type de pays doit souffrir les conversions d’activités qu’a imposé la mondialisation des échanges commerciaux et que ce type de concours ne saurait être réservé ni  à ceux qui viennent de loin ( les PECO ) , ni à ceux qui ont joué et perdu des mises ultra libérales ( Irlande, Espagne).

    * Néanmoins , c’est bien l’emprunt qui est la seconde voie majeure de dotation  de la BNDI ( pour le même ordre de grandeur annuel de 15 milliards d’euros/année de démarrage)  ,  étant établi que l’emprunt doit trouver ses amortissements soit dans les produits de son emploi (les revenus des investissements du fonds), soit à défaut dans  des affectations annuelles de ressources fiscales.

    * il faut donc escompter, comme important facteur d’équilibre du système, que les placements de la BNDI soient producteurs de ressources.


B- Les emplois  des ressources de la BNDI doivent en effet concilier plusieurs  objectifs :

    - ils doivent relayer ( et parfois accompagner) pour une part le rôle de l’investissement privé , en étant réducteurs d’inégalités
    - ils doivent sauvegarder ou créer de l’emploi national (notamment dans des secteurs difficiles ou des secteurs prometteurs par des consolidations, des conversions, des anticipations )  de placement
    - en devant  être « profitables » en revenus pour le fonds de placements de la BNDI,  après des délais de retour raisonnables selon les types d’investissements considérés.

En effet la BNDI n’est pas à regarder comme une super compagnie nationale, gérant des entreprises publiques ( et le problème du niveau de participation  pour contrôle ou non ne se pose pas vraiment au niveau des principes, mais est à apprécier en fonction de ses capacités de financement et des opportunités de placement dans chaque cas particulier)   mais comme un  fonds de placement public, mêlant souplement  des fonctions comparables à celles qui ont été  remplies par la Caisse des Dépôts ou, plus modestement, par l’Institut de Développement Industriel., ou conçues aujourd’hui à petite échelle de secours  pour le FSI.


Les types d’intervention possibles seraient

- de la participation en capital par voie de souscriptions à des créations d‘activités, à des augmentations de capital, etc.
- des concours en fonds longs de natures variées ( des quasi fonds propres aux prêts ciblés)
- des « portages » pour permettre des démarrages avant relais par d’autres investisseurs
- des apports particuliers d’actifs ( foncier, brevets, droits intellectuels ou sociaux  divers , etc.) dont la BNDI pourrait s’être constituée un portefeuille (soit par ses achats, soit  en particulier par des apports dédiés de collectivités publiques ou d’organisations ad hoc)
- une capacité d’intervenir comme opérateur en Bourse

C - Par ailleurs, plutôt que de définir les champs d’intervention d‘emblée, il est préférable que ceux-ci soient largement déduits des modalités d’interventions car ce sont celles-ci qui commandent ou non la satisfaction conjointes des buts indiques en B ci dessus.
 
- la première modalité, classique, est que la BNDI pourrait être sollicitée pour l’une des formes de participations susvisées par un  opérateur  constituant un tour de table, avec d’autres investisseurs et banquiers ;
- la seconde, aussi classique, est qu’elle pourrait, au regard d’une situation le requérant  ( recherche de repreneurs, de consolidation, de soutiens), proposer lui-même, ou sur demande des pouvoirs publics centraux et régionaux, son intervention ;
- la troisième, tout à fait novatrice, est qu’elle pourrait être dotée d’une espèce de droit de préemption pour prendre une participation lors du lancement d’un investissement, d’une introduction en bourse,  ou d’une souscription sur le marché financier.

Alors que dans les deux cas précédents on se trouve devant une démarche ayant comme perspectives d’être  souvent créatrice de  risques, ce troisième cas ouvre la faculté de placements éventuellement profitables  et, par ailleurs,  remplit pleinement ainsi la fonction de substitution de l’investissement collectif réducteur d’inégalité à l’investissement exclusivement privatif, réservé aux personnes et institutions non publiques en ayant les capacités  d’épargne et les facultés financières .

D – « Territorialité » de la mission de la BNDI

Bien évidemment, les interventions de la BNDI ne pourraient s’appliquer qu’à des financements ayant pour résultats directs des emplois dans l’espace français ou, à certaines conditions de retours assurés,  dans l’espace européen. Ses concours ne pourraient alimenter des investissements extérieurs de personnes françaises ou de personnes physiques ou morales domiciliées en France et ils seraient automatiquement résiliés en cas de délocalisations. Mais elle pourrait associer ses concours à des IDE en France.

Au delà on devrait regarder comment combiner le rôle de la BNDI et une surveillance des investissements français à l’étranger, de telle sorte que la connaissance d’un projet d’IDE d’une entreprise soumise au droit fiscal français puisse appeller une observation de la BNDI et, le cas échéant, une proposition reconventionnelle de sa part en vue d’ouvrir une alternative comportant des possibilités d’application de la perspective de dépense en capital considérée avec des effets d’emploi sur le territoire national .    
____________________________________________________________
La présente présentation de pistes de réflexions demande naturellement à être validée et approfondie par un spécialiste de l’ingénierie financière.
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3 juillet 2009 5 03 /07 /juillet /2009 17:26

La crise du commerce mondial, symptôme d’une crise de la demande globale
Intervention de Jean-Luc Gréau, économiste,
auteur de La trahison des économistes (Gallimard, 2008), au colloque du 27 avril 2009, Crise du libre-échange mondial : comment en sortir ?


Ma tâche est la plus difficile qui soit puisque Jacques Sapir et Hakim El Karoui ont énoncé déjà un certain nombre d’idées qui correspondent à mes convictions. Jean-Marc Daniel a apporté, comme l’a dit Jean-Pierre Chevènement, une contradiction brillante. Que peut-il me rester ?

On a parlé de la crise du commerce mondial, qui, selon moi, factuellement, indépendamment de toute considération théorique ou idéologique, est une crise du libre-échange mondial.

Le chiffre de 9%, comme toutes les estimations du FMI, doit être considéré comme fantaisiste. Entre l’été 2008 et le mois de mars 2009, les exportations (donc les importations) ont chuté en réalité de 33%. Méfions nous toutefois de ce chiffre qui inclut la baisse - forte sur la période - de la valeur d’un certain nombre de biens, comme les matières premières. Sur les quatre derniers mois (octobre 2008 – janvier 2009) on a constaté 17% de décroissance du volume des échanges. Nous sommes bien au-delà du chiffre du FMI.

Cette chute du commerce mondial semble s’accompagner de phénomènes parallèles :
La chute de la production industrielle est inouïe dans les pays développés : plus de 15% aux États-Unis, plus de 20% sur la zone euro et l’Union européenne.

Associé à ces baisses, un affaiblissement des taux d’utilisation de la capacité industrielle. 78%, a dit Jean-Marc Daniel, c’est un bon chiffre (1) ! Le sommet en France, c’est 88%-89%, taux indépassable. Le bon chiffre se situe autour de 83%-84%. A 78% on n’est pas mauvais ! Le Japon est à moins de 60%, les États-Unis doivent être à peu près à 65% d’utilisation des capacités industrielles. C’est très important : les verts pâturages de la société postindustrielle ne sont pas encore à portée de la main. C’est l’industrie (et les services qui lui sont associés) qui souffre d’abord. Quand l’industrie pique du nez, l’économie ne se porte pas bien, ça ne peut pas être autrement.

Parallèlement à ce que je viens de dire, le phénomène le plus troublant est le déficit commercial récent d’un pays surcompétitif, le Japon, qui a été obligé d’importer un certain nombre de biens qu’il ne produit pas, en particulier son énergie, ses matières premières, tandis que ses exportations s’effondraient (-49% entre février 2008 et février 2009, -44% entre mars 2008 et mars 2009). On imagine aisément la répercussion sur l’industrie locale, l’emploi local, le travail effectif. Sachez par exemple qu’au premier trimestre Toyota a réduit de 54% sa production industrielle par rapport à l’année précédente. C’est-à-dire qu’on a fait du chômage partiel massif dans ses usines.

On a déjà connu une chute assez importante du commerce mondial, au moment du premier choc pétrolier : récession de 6% aux États-Unis, repli de 4% du commerce mondial (là aussi, prudence : le prix d’une matière première essentielle, le pétrole, avait été multiplié par six). Néanmoins, nous voyons que le phénomène de contraction brutale du commerce mondial que nous venons de connaître est sans précédent depuis la guerre. L’explication a été donnée par le journal El Pais daté du 10-11 avril : « La chute de la demande et la pénurie de crédit portent atteinte au commerce mondial ».

Deux facteurs se conjuguent :

La crise de la demande.
Keynes est mort, c’est un inconvénient ; Keynes a peut-être eu tort, ça se discute. Néanmoins, c’est bien une chute de la demande. La demande « internationale » n’existe pas, elle résulte de la demande interne de tous les pays qui sont en relation commerciale les uns avec les autres. Jean-Marc Daniel a avancé son hypothèse pour expliquer cette chute de la demande.

Un économiste ô combien oublié, John Stuart Mill, a écrit en substance dans son traité paru en 1858 : « Quand survient une récession économique, le fabricant reporte ses investissements ». C’est aussi simple que ça.

Un économiste travaillant pour un grand groupe automobile disait que cette crise était imprévisible. En fait, elle était difficilement prévisible dans le contexte de l’idéologie dominante. Néanmoins la plupart des entreprises concernées reportent leurs investissements, ne conservant que les investissements les plus urgents et les plus prioritaires. M. John Stuart Mill avait donc déjà donné une première explication il y a tout juste cent cinquante et un ans. Si John Stuart Mill revenait parmi nous, il dirait : « Je n’avais pas complètement tort d’énoncer cette proposition mais un deuxième agent économique, le ménage, intervient dans le même sens ». S’étant enrichi, le ménage consomme des biens durables, acquiert ou construit des maisons qu’il équipe, achète des voitures. De plus, il voyage, fait des dépenses. Et, aussi simplement, la prise de conscience d’une situation économique défavorable l’amène à reporter des dépenses qu’il voulait faire. C’est ainsi qu’on a assisté à l’effondrement du marché automobile européen. Non pas parce que Peugeot, Citroën, BMW, Volkswagen sont inopérants ou inefficaces - une activité ne peut pas être profitable au premier trimestre 2008 et devenir inefficace au deuxième semestre 2008 parce qu’on était improductif ou pas compétitif - mais parce qu’il y a un formidable repli de la demande. C’est en Grande-Bretagne et en Espagne qu’il est le plus accusé : les ménages surendettés commencent à se désendetter, soucieux de réduire leurs engagements financiers. La conséquence est immédiate : le marché automobile espagnol est à -55% par rapport à son pic de 2005 et le marché automobile anglais a perdu environ 35% en l’espace d’une année.

La troisième explication est le degré d’intégration industrielle à l’échelon international.

L’un des grands arguments des libre-échangistes est qu’il est impossible de revenir au protectionnisme quand bien même on le souhaiterait parce qu’on fabrique une roue de vélo dans un pays, le dérailleur dans un autre, le guidon dans un troisième… a fortiori pour des objets plus complexes comme les automobiles, les camions, les avions. On oublie que cette intégration industrielle est un des facteurs du développement du commerce mondial au cours des dernières années. Ce qui aurait pu se faire sur un territoire national ou un territoire régional déterminé se fait par morceaux sur plusieurs territoires. C’est un argument supplémentaire par rapport à ce que Jacques Sapir a dit tout à l’heure.

J’avoue ma très grande incertitude quant à ce qui va se passer dans un avenir proche. J’avais dit le 9 décembre 2008 (2), en présence de Jean-Pierre Chevènement, que la récession des pays développés en 2009 s’étagerait entre -3% et -8%. Jean-Pierre Chevènement avait jugé ces chiffres cataclysmiques mais ils sont acquis aujourd’hui et il faut faire avec.

A-t-on atteint le point-bas ? La stabilisation évoquée par certains est-elle devant nous ?
Je reste extrêmement prudent. En termes de chute du commerce mondial, de chute des investissements et de la consommation, on pourrait se rapprocher d’un point bas. Sous réserve que la crise financière ne reprenne pas. Le chiffre à observer, vers le 15 ou 20 mai, sera celui des défauts de paiement et des retards de paiement des ménages américains. Si les chiffres extravagants atteints au dernier trimestre 2008 continuent à s’aggraver, on aura un rebond de la crise financière. N’oubliez pas que, à côté du gisement du crédit des ménages, il y a d’autres gisements de crédits à risques du côté des entreprises. Jean-Marc Daniel a raison de dire que les Etats eux-mêmes commencent à paniquer.

La deuxième possibilité négative que je garde à l’esprit est une spirale déflationniste : des entrées massives au chômage, la réduction de la durée effective du travail et, dans certains pays comme le Japon et l’Angleterre, des baisses de rémunération se conjuguent pour engendrer une réduction substantielle du revenu disponible. Or, les particuliers et, pour certains aspects, les entreprises font face à leurs frais fixes (les impôts, les intérêts qu’ils ont à servir, les loyers) avec des revenus qui se contractent. C’est ce que j’appelle le risque de spirale déflationniste, les gens, de plus en plus acculés à réduire leurs dépenses, taillent dans leurs dépenses habituelles et une spirale se déclenche.

Enfin, il faudrait éviter une faillite des Etats. Or, quelques-unes sont déjà acquises : Ukraine, Roumanie, Hongrie, Irlande, Islande, peut-être d’autres… Je lisais, en première page d’un journal américain, qu’avec le budget actuel du Royaume-Uni, le FMI devrait déjà être installé au 10 Downing Street, ou à proximité, pour aider à confectionner le budget et redresser les finances de l’Etat britannique ! Nous sommes très loin du modèle anglais que Nicolas Sarkozy vantait, devant nos ressortissants à Londres, au cours de sa campagne électorale an 2007 (ce qui fait beaucoup rire aujourd’hui nos amis anglais dont on connaît l’humour).

Passons-nous donc de l’hypothèse favorable où tous ces dangers ne se manifestent pas.
Nous entrons dans une phase de transition difficile de faible croissance, de fausse croissance (rebond technique, reconstitution de stocks etc.). Nous entrons dans ce que j’appelle l’économie low cost. On va s’orienter de plus en plus vers les produits à bon marché, le plus importés.

Cette orientation vers le low cost ouvre-t-elle une phase ou une ère de paupérisation ?
J’ai longtemps pensé que la non-distribution des gains de productivité au monde du travail, voire la baisse du salaire réel dans certains cas – dont les couches moyennes nord-américaines sont victimes – était un dommage collatéral de la financiarisation et de la mondialisation. Je commence à penser que ça a été voulu. Je pense qu’une fraction de la « bourgeoisie dirigeante » (je parle en termes marxistes, moi qui suis et resterai un libéral de racines, de conviction, de profession et de vocation) peu cervelée, autosatisfaite, inculte, qui ne connaît pas l’histoire a voulu se déterritorialiser et, en se déterritorialisant, se dégager de la gangue des systèmes nationaux ou régionaux, c’est-à-dire « ces populations qui ne comprennent pas très bien l’économie ».

Un néolibéral authentique avec lequel j’ai travaillé, Denis Kessler, a le mérite de dire les choses telles qu’il les pense. Il a déclaré il y a peu qu’il fallait vider de sa substance le programme du Conseil national de la Résistance pour revenir sur les réformes de structures de l’après-guerre et entamer des réformes de structures inverses. Je crains que ce ne soit le vrai programme qu’on vise à travers de grands leviers comme ceux du libre-échange mondial.

Les pays émergents (Chine, Inde, Brésil) sont les seuls actuellement qui semblent avoir enrayé leur récession (avec des politiques de relance !). Mais ils ont de la marge : Un pays comme la Chine peut très bien instaurer une assurance maladie (qui existait il y a vingt-cinq ans, elle a été supprimée sous Deng Xiao Ping), dégageant un champ de demande pour les services sanitaires. Evidemment, ces pays peuvent développer encore leurs infrastructures, lancer des recherches et des programmes de grand avenir. C’est ce qu’ils font. Pour l’instant il semble que l’Inde et le Brésil sont en train d’émerger de cette situation difficile.

Si la crise se poursuit sous forme larvée, au moins dans les pays développés, nous assisterons à la prise du pouvoir par les grands pays émergents. Les grandes nations occidentales : États-Unis, Canada, Japon et Europe occidentale vont passer le flambeau aux grands pays émergents dont nous allons devenir involontairement la périphérie.

Le rattrapage, au sens économique du terme (point essentiel de la théorie économique) était possible pour ces pays : ils le font, il faut s’en réjouir. Mais, pour illustrer le point essentiel, la Chine avant la crise avait un taux d’exportations qui dépassait 40% du PIB (un chiffre envisageable pour un pays moyen de 22 millions d’habitants, comme Taiwan, pas pour la Chine, qui en a plus de 1 300 millions !). Ce sont des chiffres disproportionnés. Même sans le libre-échange mondial, la Chine, lancée dans son rattrapage, aurait connu des taux de croissance très importants, c’est une certitude absolue. Je suis, sur ce point, en désaccord formel avec Jean-Marc Daniel. Mais c’est précisément ce dont on ne veut pas puisqu’on veut faire de ces pays les ateliers du monde en notre lieu et place.

Un dernier chiffre pour illustrer le cas chinois : en 2004 la Chine était importatrice nette d’acier, en 2005 elle est devenue exportatrice nette d’acier. Le dernier chiffre mensuel de la production d’acier remonte après avoir un peu baissé : 44 millions de tonnes (soit 528 millions de tonnes annuelles), c’est la moitié de la production mondiale. Et ça va augmenter. Il n’y a aucune raison, pour le coup, qu’Arcelor Mittal continue à produire en France, au Luxembourg ou en Espagne.

Mais par quoi remplacer les usines du groupe ? Par Géox, multiplié par 2000 ou 3000 ? Je ne crois pas, franchement. Je pense au contraire que rien n’oblige à supprimer de plus en plus massivement des activités anciennes, qui, par ailleurs, se modernisent (si Mittal a mis la main sur Arcelor, c’est pour s’approprier le procédé de fabrication) ni à ajouter de nouvelles productions qui viendraient compenser ces pertes d’emplois, d’autant plus que nous sommes dans une Union européenne large.

Dernier argument, Flèche du Parthe, dit-on:
La fermeture des frontières (non pour faire payer les taxes par le consommateur mais pour empêcher les marchandises à bas prix d’entrer) n’entraîne pas la fermeture du marché pour les concurrents étrangers pour cette simple raison : la liberté des investissements directs. M. David Ricardo dont je recommence la lecture - prodigieusement ennuyeuse - en ce moment-même a placé sa théorie des avantages comparatifs du commerce international sur la base d’une hypothèse explicite d’immobilité du capital. Il le dit en termes très forts. Or l’entreprise s’internationalise et rien n’interdit à nos concurrents étrangers de venir s’installer sur nos territoires. Mais s’ils devaient s’y installer, ils devraient le faire dans les conditions sociales, fiscales, environnementales qui prévalent sur nos territoires. That’s the question.

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1) Chiffre tombé en avril 2009 à 70%
2) 38ème colloque de la Fondation Res Publica : L'Etat face à la crise, tenu le 9 décembre 2008

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2 juillet 2009 4 02 /07 /juillet /2009 17:23

Les avantages d’un protectionnisme européen
Intervention de Hakim el Karoui, banquier d'affaires, auteur de L'avenir d'une exception (Flammarion, 2006), au colloque du 27 avril 2009, Crise du libre-échange mondial : comment en sortir ?

La source de la crise, c’est la stagnation de la demande intérieure.
Il est convenu aujourd’hui de considérer que la crise de l’année 2008 est une crise financière causée d’une part par la crise de l’immobilier américain et notamment des ménages les moins solvables (« subprime ») et de l’autre par les excès de financiers avides et cupides sur fond de slogan populiste tel « tous propriétaires ! » Quant à son aggravation en 2009, elle serait due à la diffusion de la crise financière dans « l’économie réelle », expression fort étrange au demeurant.

Cette interprétation n’est pas fausse, mais elle est partielle. Elle méconnaît la vraie source de la crise : l’endettement des ménages américains, et plus généralement occidentaux. Pourquoi cet endettement alors que l’on célèbre depuis quinze ans la formidable croissance américaine ? Par l’optimisme sans mesure des Américains, par leur tradition de crédit, par la sophistication des produits financiers proposés aux ménages dont le risque était ensuite divisé à l’infini puis réparti via la titrisation, mais aussi et surtout parce que les salaires des Américains des classes moyennes et des milieux modestes n’augmentaient pas assez vite pour satisfaire leur besoin de consommation. Et ce qui est vrai aux Etats-Unis l’était aussi en Grande-Bretagne, en Espagne, en Allemagne – où les salaires réels ont baissé entre 2000 et 2005 – et dans une certaine mesure en France. Quand on compare la courbe de l’endettement des ménages à la balance courante du PIB américain, on se rend compte que « le déséquilibre des échanges se creuse à mesure que la dette des ménages se gonfle » (1).

Le taux de croissance, c’est la conjonction de deux facteurs : la capacité technologique à augmenter l’offre de biens et de services, la capacité sociologique à élargir la demande de ces biens et services. C’est cette capacité sociologique qui a fait défaut. Dans un cadre strictement identifié et notamment national, une entreprise ne fait pas de la diminution de sa masse salariale une priorité (« compromis fordiste » : j’augmente mes ouvriers pour qu’ils puissent m’acheter des voitures). Mais, dans la mondialisation, les salaires sont perçus uniquement comme un coût et dès lors, ils stagnent. L’héritier de Ford aujourd'hui pourrait dire « je n’augmente pas mes ouvriers parce qu’ils achèteraient sinon des voitures à l’étranger où elles sont moins chères parce que les salaires y sont plus bas » : c’est d’ailleurs l’argument du gouvernement français pour refuser de faire un plan de relance.

Mais, cette stagnation pèse sur la demande, compresse les demandes intérieures, et donc la demande globale et la croissance de l’économie : le chômage augmente alors. C’est là que se trouve la clé du problème : la demande extérieure n’est pas toujours supérieure, relativement à la demande intérieure. Une augmentation des salaires et de la consommation permise par une certaine fermeture aux produits étrangers peut plus que compenser les pertes consécutives à la fermeture de certains marchés étrangers.

Alors que tous les responsables politiques n’ont à la bouche que les mots de régulation et de moralisation, il est urgent de réguler le commerce mondial au moins autant que la finance mondiale et de faire la lumière sur ses effets : il est en effet moralement injustifiable de ne pas inscrire sur l’agenda politique cette question là tant elle a d’influence sur la vie de millions de nos concitoyens.

Protectionnisme et théorie économique
La crise actuelle pose donc la question de la régulation des échanges : le libre échange intégral ne peut plus être un dogme incontesté parce qu’il n’est plus adapté à la situation actuelle qui a vu l’émergence de pays à forte capacité technologique mais à coûts salariaux bas, dans une économie internationale où le prix des transports et des télécommunications a chuté de façon vertigineuse. Du coup, la mise en concurrence de salariés venus d’horizons très divers a été rendue possible, et avec elle la stagnation de leurs rémunérations… et le développement de l’endettement pour remédier malgré tout à cette crise de la demande intérieure.

C’est Maurice Allais, prix Nobel d’économie en 1988, qui rappelle : « une libéralisation totale des échanges et des mouvements de capitaux n’est possible, elle n’est souhaitable que dans le cadre d’ensembles régionaux groupant des pays économiquement et politiquement associés, et de développement économique et social comparable ». (La mondialisation, Paris, 1999) (2).
Comme le rappelle Bruno Amable (Colloque Fondation Res Publica, Mondialisation régulée des échanges, 28 novembre 2005), « la théorie économique dit qu'il y a des bienfaits au libre-échange à condition de remplir certaines conditions. Notamment, il peut y avoir bienfaits du libre-échange s’il permet une meilleure réallocation des facteurs de production. Le problème est que si le libre-échange conduit à ce que, dans un pays, les facteurs de production ne soient pas réalloués mais inemployés – typiquement si ça conduit à mettre des gens au chômage – il est clair qu'on est hors du cadre des bienfaits du libre-échange. Si on a des difficultés de réadaptation de la main d'œuvre vers d'autres activités, il est clair que la protection est non seulement souhaitable, mais légitime d'un point de vue de théorie économique. »

L’horizon européen
Il ne s’agit pas évidemment de reconstruire des murs infranchissables et d’imaginer une autarcie absurde. Il ne s’agit pas non plus de tenter un protectionnisme national absolument pas adapté à l’horizon économique actuel qui est mondial.

Il s’agit simplement de réguler les échanges commerciaux en imaginant de grandes zones géographiques de taille suffisamment importante pour éviter la création de situations de rente – le risque du protectionnisme – tout en en faisant un moyen d’organiser le monde : c’est pourquoi il ne peut être imaginé qu’au niveau européen, ou américain, ou asiatique.

De ce point de vue, les réactions protectionnistes de certains dirigeants européens qui souhaiteraient d’une manière ou d’une autre instaurer une régulation commerciale à l’intérieur de l’Europe sont dangereuses : d’abord parce qu’elles sont inefficaces – le marché intérieur est trop développé pour permettre cela -, ensuite parce qu’elles pourraient remettre en cause le projet européen – en témoignent les réactions des pays d’Europe de l’Est au plan automobile français – au moment où on en a besoin pour penser la recomposition de l’économie mondiale.

L’Europe à 27 n’est certes pas une zone régionale idéale : elle présente en son sein des disparités salariales qui ne reflètent pas les écarts de compétitivité, ce qui a entraîné une vague très importante de délocalisations, d’abord allemandes ensuite ouest européennes. Mais, l’ensemble européen est le plus pertinent car il serait irréaliste de vouloir réguler à l’intérieur de l’Europe les flux commerciaux – l’Union politique n’y résisterait pas alors qu’on en a besoin, malgré tout, pour résister à l’échelle du monde. Ensuite, des disparités salariales, quand elles sont raisonnables, sont un bien pour l’économie : elles encouragent l’innovation et limitent la création de rentes qui sont un cauchemar pour les consommateurs, notamment les plus modestes.

Enfin, l’histoire de l’intégration européenne, à six, à dix puis à quinze, est la preuve que le libre échange peut fonctionner, à une échelle régionale, s’il est régulé, organisé et s’il met aux prises des acteurs de niveaux économique, technologique et démographique comparables. L’Espagne, le Portugal et dans une moindre mesure la Grèce peuvent en témoigner.

Un ensemble économique fort, avec de la concurrence interne et un encouragement à l’innovation, voilà la condition nécessaire pour une régulation efficace du commerce international, sachant que d’autres grands ensembles existent déjà, l’Alena et bientôt toute l’Amérique du Nord comme du Sud, l’ensemble Chine-Japon en voie d’intégration accélérée, qui irrigue de sa puissance toute l’Asie du Sud Est.

Et demain peut-être, l’ensemble européen pourra-t-il intégrer son Sud, méditerranéen voire subsaharien pour la grande recomposition régionale qui s’impose. Il est en effet scandaleux que le protectionnisme agricole, par exemple, traite presque sans distinction des alliés naturels et historiques en Afrique et des pays avec lesquels nous n’avons pas d’intérêts majeurs. On l’aura compris, le protectionnisme est une arme économique mais aussi politique qui permet de donner des frontières à une zone d’influence choisie.

Il ne s’agit donc pas de s’abriter derrière des murs irréalistes que personne n’acceptera dans une économie mondiale intégrée mais plutôt de définir d’un commun accord des écluses : une écluse n’est pas un barrage – ou une muraille de Chine –, c’est un dispositif qui permet à l’eau de couler (et à la mondialisation de continuer) tout en permettant des mises à niveau. Une régulation commerciale au niveau européen peut donner des protections pendant un temps, le temps de permettre la mise à niveau asiatique : si la mise à niveau asiatique est longue, l’écluse restera longtemps. On voulait de la régulation économique ? Ici, on en a une : pourquoi s’en priver ?

La mise en œuvre
La mise en œuvre de cette politique ne doit pas être brutale ni caricaturale : il ne s’agit pas d’enfermer l’Europe, de renoncer aux changements et de créer des rentes. Il faut trouver le bon niveau de protection, avec des analyses, secteur par secteur, ex ante et des évaluations ex post régulières. Le protectionnisme ne peut être que partiel. Il doit être dosé de manière à ce que chaque économie puisse bénéficier d'une concurrence effective et des avantages procurés par les échanges avec l'extérieur. Il doit être concomitant à un libre-échange lui aussi partiel, auquel il apporte une limitation et un frein.

Quand on regarde dans le détail, un certain nombre de dispositifs sont envisageables, que l’on peut regrouper en quatre secteurs : le commercial, le financier, l’industriel et le juridique. En matière commerciale, on pourrait bien sûr imaginer un nouveau tarif extérieur commun qui pourrait débuter par une phase expérimentale. L’inconvénient est qu’il traiterait de la même manière la Norvège et la Chine. Autre problème, il est pratiquement impossible de procéder à une évaluation du prix de chaque produit dans chaque pays. Des milliers de fonctionnaires n'y suffiraient pas. Les décisions seraient arbitraires, devraient être modifiées constamment, et seraient très difficiles à négocier. Ensuite et surtout, le système des changes flottants rend impossible tout calcul de tarif compensateur : on aurait bien du mal à déterminer les taux de change d’équilibre du dollar vis-à-vis de l’euro ou du yen.

Le système probablement le plus efficace serait les quotas d’importation, solution que préconise Maurice Allais (La Mondialisation, op cit, 1999). Le système de contingents vendus aux enchères est le système le plus facile à établir, le plus efficace et le plus compatible avec les principes généraux d'une économie de marché. Il n'implique qu'une seule décision par produit : déterminer la fraction maximum de la consommation communautaire de ce produit susceptible d'être assurée par des importations.

Il n'y aurait pas de contingents pour les produits que la communauté ne produit pas, par exemple les matières premières, les produits tropicaux et les produits artisanaux ou pour ceux qu’elle ne produit plus (ordinateurs par exemple). Pour tous les autres, la protection reposerait sur la vente aux enchères de contingents pour chaque produit ou groupe de produits : le produit de la vente aux enchères pourrait être utilisé pour des grands programmes industriels, des subventions aux exportations ou pour de la coopération économique avec des pays du Sud. Selon Allais, la valeur moyenne de ce pourcentage pourrait être de l'ordre de 80 %.

Prenons un exemple pour être clair : à partir du moment où les fabricants de textile chinois dépasserait leur quota d’importation en Europe (ils en ont eu un jusqu’en 2005), ils devraient payer une certaine somme d’argent à l’Union européenne… ou venir produire en Europe et créer de l’emploi et du revenu en Europe. On pourrait d’ailleurs imaginer qu’une partie de cette somme leur soit reversée, sous réserve d’amélioration des conditions sociales et environnementales dans leurs usines.

Les Accords multi-fibres de 1974 entre la Communauté économique européenne et les Etats-Unis d'une part, et certains pays en développement exportateurs (en particulier les quatre « dragons » du Sud Est asiatique) d’autre part, ou la limitation " volontaire " en 1981 des exportations japonaises à 1,68 million d'automobiles vers les Etats-Unis reposaient sur ce principe. Nul besoin bien sûr de remarquer que ces accords ont été décidés entre pays occidentaux, tous ouverts à l’économie de marché. La régulation protectionniste est une variante de l’économie de marché, ce n’est pas une alternative. Et c’est bien comme cela.

A l'intérieur de la communauté, la concurrence serait, bien entendu, entièrement libre. Ce système permettrait d'éviter la disparition partielle ou totale de secteurs entiers d'activité. Il n'y aurait aucune subvention interne. Ce système n'aurait aucun coût budgétaire. Pour l’agriculture, le même système pourrait être mis en place, sauf qu’on abaisserait le tout à 10%.

Autre solution, la mise en œuvre de taxes anti-dumping qui existent déjà pour certains produits : les vélos importés de Chine sont taxés à 47 %, ce qui a permis à l’industrie européenne du vélo de garder 70 % de parts de marché. Et, depuis le 7 avril 2006, une taxe anti-dumping de 19,4 % a été imposée sur les importations de chaussures chinoises. Et le principe de cette taxe anti-dumping pourrait être élargi pour lutter contre le dumping social.

Deuxième piste d’action, la souveraineté européenne en matière industrielle. On pourrait recommencer à organiser à l’intérieur de l’Europe la coopération entre de grands acteurs industriels pour qu’ils partent à la conquête de marchés extérieurs ensemble. Pourquoi ne pas imaginer une task force Chine de la Commission européenne chargée de coordonner la réponse aux appels d’offres des grandes entreprises européennes afin d’éviter qu’elles ne se fassent concurrence entre elles. En clair, pourquoi Alstom et Siemens ne s’allient-t-il pas pour aller en Chine ? Il est urgent également d’encourager le rapprochement de grands groupes nationaux pour qu’ils constituent des entreprises européennes : on a su le faire avec Airbus qui est l’alliance d’un Français et d’un Allemand et de deux sous-traitants espagnol et britannique. Pourquoi ne peut-on pas encourager le rapprochement de champions nationaux de l’énergie qui permettraient par exemple une coopération à grande échelle sur les techniques de l’après pétrole ?

En matière juridique enfin, il y a beaucoup à faire pour que l’Europe impose ses normes, mette au point une préférence communautaire pour les marchés publics et lutte de manière plus efficace contre la contrefaçon : les faux produits de luxe, mais aussi les faux médicaments, jouets ou autres pièces automobiles font perdre 200 à 300 milliards d'euros par an à l'économie de la planète, dont 6 milliards pour l'économie française. Chaque année, la contrefaçon détruit 200 000 emplois en Europe dont 30 000 en France. Ce sont des emplois volés. La plupart des contrefaçons viennent d'Asie, Chine en tête: 41% des articles saisis en 2005 venaient de la région. Phénomène inquiétant, la France n'est plus, comme en 2002, un pays de transit pour la marchandise copiée : elle est devenue un pays de destination et Dubaï sert de plaque-tournante à la contrefaçon chinoise. Il est temps que l’Europe fasse payer des amendes importantes à ceux qui tolèrent ces pratiques sur le thème « copier n’est pas voler ». Le traité instituant l’OMC, signé à Marrakech au printemps 1994, prévoyait que les pays irrespectueux des lois protégeant la propriété industrielle, devraient se mettre en règle dans un délai maximal de dix ans, faute de quoi ils s’exposeraient à des poursuites. Il serait temps que l’Union européenne mette à l’ordre du jour des discussions au sein de l’OMC cette question de la contrefaçon.
On objectera que le Sud va pâtir de ce choix. N’oublions pas que le Nord est beaucoup plus « ouvert » que le Sud et que l’on peut élargir le cercle européen au cas par cas. On dira aussi que le vrai danger réside dans les mesures de rétorsion : c’est là où il faut étudier la nature des importations dans les pays émergents et leurs déterminants. Contrairement aux importations dans les pays développés, le déterminant n’est pas le prix mais la qualité et dans certains cas le fait tout simplement qu’il n’y a pas d’autres sources d’approvisionnement. La Chine ne va pas taxer les Airbus en rétorsion de mesures protectionnistes européennes pour la bonne et simple raison qu’elle n’a aucun intérêt à se retrouver en tête à tête avec Boeing !

Autre avantage, une production relocalisée et une plus grande proximité de ses marchés permettra de limiter les risques environnementaux que la production segmentée au niveau planétaire aggrave. Les fraises chinoises sont devenues très compétitives mais elles réclament vingt fois plus d’équivalent pétrole que la fraise du Périgord. Durant les trente dernières années, on a clairement favorisé les économies d'échelle, avec des usines de plus en plus grosses, capables de desservir des zones de plus en plus vastes. Du fait de la contrainte énergétique, le mouvement devrait être amené à s'inverser.

Conclusion

Depuis le début de la crise financière en septembre 2008, les dirigeants des grandes puissances économiques mondiales n’ont cessé de prendre des engagements pour lutter contre le protectionnisme. Ils ne savent visiblement pas que le protectionnisme des années 30 ciblait les matières premières principalement, et que ce protectionnisme était brutal : un mur, pas une écluse. Ils devraient pourtant regarder la réalité en face : personne n’a intérêt au déséquilibre actuel où les consommateurs sont au Nord et les épargnants au Sud, où le dumping social et salarial de la Chine fait peser sur les milieux modestes et les classes moyennes une menace structurelle sur leur avenir alors qu’elles constituent évidemment le fondement social de nos démocraties.
La façon dont on cherche à réduire la crise est singulière : on ré-endette le Nord, - les Etats plutôt que les particuliers cette fois, mais la dette publique n’est pas meilleure que la dette privée quand elle est excessive – pour qu’ils puissent continuer à consommer des produits qu’ils ne produisent plus et qui sont fabriqués au Sud, pour le plus grand bonheur d’une nouvelle élite économique émergente qui ne voit pas que ce système n’est pas soutenable. Et on ne fait rien ou presque pour encourager la consommation des classes moyennes et des milieux populaires du Sud en encourageant par exemple la création d’un vrai système de solidarité sociale et générationnelle dans les pays émergents les plus intégrés à la mondialisation. Et les inégalités augmentent, au Nord comme au Sud. Quand la crise vient, la révolte gronde.
Pour l’Europe, l’heure est à la prise de conscience. En pleine dépression mondiale, au moment où l’on cherche désespérément un sens à l’Europe, la crise actuelle peut lui donner l’opportunité de s’affirmer comme espace politique fait de solidarité et d’intérêts à nouveau partagés. En apparence, on en est loin. En réalité, peut-être moins : il faut faire confiance à la lucidité des opinions publiques qui réclament de la régulation commerciale (3). Elles sont souvent plus lucides que les responsables politiques. Mais seront-elles entendues ?



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1) Jean-Luc Gréau, L’Avenir du capitalisme, Gallimard, Le Débat, 2005.
Voir aussi : Emmanuel Todd « L’illusion économique », Gallimard, 1999 ; « Après la démocratie », Gallimard 2009 et préface à « Système national l’économie politique », de Friedrich List, ed. Poche.
2) Voir aussi « La mondialisation : la destruction des emplois et de la croissance », éd. Clément Juglir, 1999.
3) Cf. le blog « Pour un protectionnisme européen »

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1 juillet 2009 3 01 /07 /juillet /2009 17:17

Le protectionnisme n’est pas la solution
Intervention de Jean-Marc Daniel, professeur d'économie à l'ESCP-EAP et directeur de la revue Societal,
au colloque du 27 avril 2009, Crise du libre-échange mondial : comment en sortir ?


Keynes, dont on a déjà beaucoup parlé, disait qu’on fait en général des politiques d’économistes morts. Cette remarque s’applique à lui-même ! Ce retour frénétique vers Keynes a quelque chose de sympathique mais d’illusoire.

Je remonterai encore plus loin, à Ricardo, dont Keynes disait qu’il était à la pensée économique de ce qu’avait été l’illustre inquisiteur Torquemada à la pensée théologique. Je me situe dans le camp de Torquemada. Lorsqu’a été créée la Société d’économie politique en 1842, vers laquelle je me rendrai en vous quittant, elle avait pour slogan : « Nul n’est économiste s’il est protectionniste ».

Sans rentrer dans la théorie économique, je vais répondre à la question qui nous est posée :
« La crise du libre-échange, comment en sortir ? »
Je ne sais pas si le « en » se rapporte à « libre-échange » ou à « crise », je l’interpréterai comme se rapportant à « crise » puisque, selon moi, non seulement il ne faut pas sortir du libre-échange mais il faut y rentrer, une bonne fois pour toutes, car nous ne sommes pas encore vraiment dans le libre échange.

Je vais essayer de vous expliquer
• que le libre-échange n’a pas démérité et que la crise est liée, non au libre-échange, mais au keynésianisme et aux politiques économiques keynésiennes,
• que le protectionnisme ne peut pas être la solution,
• ce que peut être, ce que doit être la solution.

L’origine de la crise est multiple.

Elle s’est développée en quatre temps :
Elle a commencé par une crise financière, amplifiée par l’affaire Lehmann Brothers.

Aujourd’hui, nous subissons une crise économique caractérisée par l’absence de circulation de la liquidité, avec l’effondrement systématique de l’investissement. Aux États-Unis, l’investissement a reculé de 25% au dernier trimestre de l’année 2008 ; au Japon, il a reculé de 30%. Les taux d’utilisation des capacités de production baissent malgré cette chute de l’investissement : on n’investit plus parce que les machines sont sous-utilisées : d’après l’Insee, le taux d’utilisation des capacités de production en France est de 78%, le niveau le plus bas atteint depuis 1993.

Cette crise de l’économie réelle entraîne une crise sociale (60 000 chômeurs de plus en France au mois de mars).

Puis - l’intervenant précédent en a parlé - va suivre la crise des Etats. Cette espèce de keynésianisme hydraulique qui consiste à considérer que les assignats rebaptisés « relance » constituent l’alpha et l’oméga de l’intelligence économique, finit par se payer ! Au moins aurons-nous anticipé, en dotant de fonds supplémentaires le FMI pour tenter de limiter l’hécatombe parmi les pays les plus fragiles.

Quelle est l’origine de cette séquence de crise?

L’origine est le déficit de la balance des paiements courants américains, c’est-à-dire l’idée que la croissance économique repose sur une injection permanente de demande, que la croissance économique, c’est de la consommation. Or la croissance économique n’est pas le fruit de la consommation car la consommation est l’objectif de la croissance économique. On ne consomme pas pour donner du travail aux autres mais parce qu’on a des besoins. C’est par le travail qu’on arrive à satisfaire ces besoins. La croissance économique est le résultat d’un processus de rentabilisation et d’accumulation du capital.

Une des caractéristiques de l’activité économique mondiale, c’est que les énormes gains de productivité des pays émergents sont liés à l’adoption par ces pays de technologies qu’ils ne maîtrisaient pas précédemment. M. Sapir a dressé un tableau extrêmement négatif, probablement vrai, de la vie quotidienne de l’Indien et du Chinois d’aujourd’hui. Mais quel meilleur moyen que les taux actuels de croissance (8% par an) pourrait améliorer leur sort ? Faudrait-il 20%, 25%, 50% de croissance pour qu’ils atteignent un niveau de vie équivalent au nôtre ? C’est absolument irréalisable. Il faut aussi tenir compte de ce que les économistes appellent un « effet Balassa-Samuelson », c’est-à-dire que, dans un pays qui décolle, lorsque la croissance s’emballe, l’inflation s’emballe. L’inflation annuelle moyenne en Chine atteint déjà 10%. La Chine fait donc au mieux pour se sortir de la situation dans laquelle elle est. On ne peut prétendre, quand on a connu la Chine en 1978, que la situation ne s’est pas améliorée depuis les réformes de Deng Xiaoping et le début du processus de décollage. Cette amélioration n’est pas allée assez loin, elle doit se poursuivre. La croissance de la Chine est une bonne chose pour le reste du monde mais elle est à son maximum probable et la Chine en tire le meilleur. Dans ce contexte, où un certain nombre de pays émergent, d’autres pays sont en situation de maturité économique.

C’est la productivité qui fait la croissance économique. Dans les pays occidentaux, la productivité augmente maintenant au rythme de 1,5% par an. On n’améliorera pas la productivité en augmentant les salaires mais en améliorant l’efficacité du système productif par les innovations et les découvertes scientifiques. On augmentera la productivité dans l’économie occidentale, dans l’économie européenne, lorsqu’on incorporera en permanence dans le capital de l’efficacité nouvelle.
En ce moment les autorités européennes tentent de faire le bilan de la « stratégie de Lisbonne », programme qui devait permettre à l’Europe d’atteindre un taux de croissance de 3% en volume et de 5% en valeur. Elle reposait sur une augmentation de la capacité de travail de 0,5% et une augmentation moyenne de la productivité de 2,5%. Or la productivité ne s’est pas accrue au rythme espéré. Nous sommes dans des économies dont la croissance ne pourra structurellement augmenter que si elles améliorent leur efficacité.

La politique économique américaine a répondu à ce problème par l’injection permanente de demande. C’est ce que les économistes appellent un « arbitrage de Phillips » : il s’agit d’accéder au plein emploi par l’inflation. L’inflation est un déséquilibre entre l’offre et la demande. Dans une économie fermée, le déséquilibre entre l’offre et la demande provoque une hausse des prix. Dans l’économie américaine, en cas de déséquilibre entre l’offre et la demande, l’offre nationale qui manque est compensée par des importations. Donc l’économie américaine a généré un déficit extérieur considérable qui a explosé à la surface de la planète sous forme de création de monnaie. La crise a commencé et s’est développée à partir du moment où les autorités monétaires américaines ont pris peur face à l’explosion de l’inflation qu’elles avaient générée par une politique monétaire trop laxiste basée sur l’idée que, par l’inflation, ils atteindraient le plein emploi.

C’est ainsi que se déroule la crise. Grosso modo, le chômage américain qui aurait dû exister dans les années 2000 survient maintenant. On a gagné du temps par l’inflation, on a habilement géré du temps. Aujourd’hui, cette habileté explose à la surface de la planète.

Le bilan de cette période se solde par une forte croissance dans les pays émergents, ce qui est positif. Il y a un effet négatif : on a mal géré le temps, on a généré de l’inflation.

Cette situation explose : surliquidité globale du système, incapacité du système à utiliser cette liquidité.
C’est cela, la crise.


Le protectionnisme est-il une réponse à cette crise ?


Pourquoi se met-on à parler du protectionnisme ?
Comme l’a dit Jacques Sapir, il y a eu assez peu de périodes de libre-échange parce qu’il y a toujours eu la tentation de sauver les emplois qui existent. Tout à l’heure, un mot a été lâché, qui arrive de chez Ricardo : c’est le mot « rente ». Le protectionnisme est la protection des rentes. Dans le protectionnisme, on protège des emplois improductifs. Les emplois productifs n’ont pas besoin d’être protégés. Ils trouvent leurs marchés, leurs débouchés. Le problème est de savoir de qui on protège la rente et aux dépens de qui. Grosso modo, les rentes sont visibles mais certaines rentes sont populaires alors que d’autres le sont moins. Dans ce pays, depuis que je fais de l’économie, la rente impopulaire typique est celle du chauffeur de taxi. J’ai vu s’accumuler les rapports pour casser le monopole du chauffeur de taxi parisien. Cette rente n’est pas sympathique mais elle est efficace puisqu’on n’arrive jamais à la casser. On en parle depuis le Comité Rueff-Armand, tous les plus brillants esprits s’attaquent au chauffeur de taxi, sans effet.

Le protectionnisme génère des rentes. Certes, le plus souvent, elles ne sont pas énormes. Parler de rentes quand on sauve les emplois d’ouvriers de la sidérurgie ou de l’automobile peut paraître indécent ou indélicat mais, de fait, on maintient en activité des emplois qui ne seront plus productifs (au sens de la capacité de générer un profit équivalent au coût du travail).
Qui va payer cette rente ? Qui va payer pour maintenir cet emploi ?

Dans la séance du 5 février, le Président de la République a dit : « Je vais imposer la taxe carbone sur les produits importés car il vaut mieux que ce soient les importations qui paient plutôt que les Français ». Mais ce ne sont pas les importations qui paient un droit de douane, une taxe carbone. Quand on taxe un produit chinois, ce n’est pas le Chinois qui paie, c’est le consommateur. A l’heure actuelle, aux États-Unis, 80% des produits vendus par la chaîne Walmart sont des produits chinois. Si on empêche les Chinois de vendre aux États-Unis pour réduire le déficit américain, certes des Chinois perdront leur emploi mais c’est le consommateur américain qui, in fine, paiera le droit de douane. Le mécanisme du protectionnisme consiste à reconstituer des rentes donc à se poser des questions d’arbitrage sur la façon dont fonctionne une société, sur le type d’emplois qu’on organise et sur la façon dont on répartit ces emplois. Mais ceci génère un coût pour cette société, payé au travers du droit de douane. Le débat ne porte pas sur les moyens de faire payer l’extérieur mais sur la façon de réduire le pouvoir d’achat à l’intérieur du pays.

Le droit de douane est-il le bon moyen pour diminuer le pouvoir d’achat à l’intérieur des pays occidentaux ?

Ne serait-il pas préférable d’augmenter les impôts des gens les plus fortunés ? M. Mankiw, conseiller économique de M. Bush, se disait favorable aux droits de douane sur les produits chinois, sa grande préoccupation étant le taux de change euro/dollar. En effet, il roule en BMW, boit de l’eau d’Evian et du Chablis et porte des chaussures italiennes ! Le droit de douane qui frappe les produits qui concurrencent l’industrie basique américaine indiffère l’élite de Washington qui n’en consomme pas.
La vraie question est : Qui va payer ? Le protectionnisme consiste à faire payer essentiellement le consommateur le plus modeste.


Le protectionnisme est-il praticable ?

Un droit de douane sur les produits chinois (10% ? 20 % ?) sera effacé très rapidement par les changes flottants. Dans les années 2000, l’administration américaine avait imposé des droits de douane sur l’acier, suscitant des hurlements (les dirigeants européens roulaient des mécaniques en déclarant « Tout a été transféré à l’OMC ! ») vite tus car, l’administration américaine a rapidement fait machine arrière. Les Américains avaient-ils découvert la vertu ? Etaient-ils allés sur le chemin de Damas du libre-échange ? Non. Simplement, entre-temps, l’euro était passé de 0,85 dollar à 1,30 dollar. Le droit de douane avait été effacé, balayé par l’évolution du taux de change. Le véritable enjeu n’est donc pas d’essayer de recréer des systèmes de protection, mais de se demander comment évoluent les taux de change. On a évoqué la solution de Maurice Allais qui, devant l’impossibilité de faire du protectionnisme par les prix, proposait d’agir sur les quantités. Je n’oserais critiquer un Prix Nobel d’économie mais imaginez-vous un Gosplan centralisateur attribuant des licences ? Ce serait la porte ouverte à la titrisation sur les droits d’importation. Si vous lâchez des polytechniciens sur un marché de quotas, ils ne tarderont pas à le titriser et à créer des dérivés et des options sur ce marché !
Tout cela est donc totalement impraticable.

Le protectionnisme consiste à faire baisser le pouvoir d’achat de la population. Si c’est bien l’objectif, il faut se demander si le droit de douane est le bon moyen, s’il n’y a pas de moyens plus justes, sachant que les produits qu’on veut taxer s’adressent essentiellement à la consommation populaire.
Le protectionnisme est inefficace en changes flottants.



Comment sortir de la crise aux niveaux international, européen et français ?

Au niveau international, il faut faire en sorte qu’il n’y ait plus de déficit extérieur américain (dont j’ai dit qu’il était à l’origine du désordre). C’est le privilège exorbitant du dollar. Là, on est dans le wishfull thinking.

Proposez aux autorités chinoises le « protectionnisme altruiste ». S’il est un mot que j’entends rarement dans les séances d’économie, c’est « altruiste » !

Tentez donc de convaincre les Chinois ; vous allez leur expliquer : « En 1842 (Guerre de l’opium, Traité de Nankin), nous, Européens, vous avons humiliés, nous avons entravé votre développement, confisqué vos droits de douane. Plus tard, nous vous avons envoyé une de nos inventions : le marxisme, qui a appauvri votre pays… Aujourd’hui, nous avons une nouvelle idée : le protectionnisme altruiste, c’est-à-dire que vous allez arrêter de produire parce que ça nous dérange. En revanche, nous souhaitons vivement que vous créiez un système de sécurité sociale ! » A part un immense éclat de rire de la part des autorités chinoises, vous n’obtiendrez pas grand-chose.

Adressez-vous maintenant aux Américains: « Décidément, ce n’est pas bien ! Le Général De Gaulle avait déjà stigmatisé ce privilège exorbitant, Jacques Rueff n’aimait pas ça : il serait temps que vous arrêtiez de battre monnaie et d’inonder la planète de dollars qui vous permettent de vivre au-dessus de vos moyens !» Succès garanti.

Le modèle américain s’est construit sur une interprétation dévoyée du keynésianisme selon laquelle l’inflation est un moyen de lutter contre le chômage. Le modèle américain va se perpétuer. La seule conséquence que nous devons en tirer au niveau européen, c’est que le jour où un euro vaudra deux dollars est pour bientôt. Sommes-nous capables de faire face à cette réalité ? La solution ne réside pas dans les droits de douane.

On envisageait tout à l’heure de taxer les importations de chaussures chinoises.
Savez-vous quelle est la première entreprise au monde en terme de profitabilité, celle qui a connu le plus grand développement sur ces quinze dernières années ?

Cette entreprise, née dans un petit garage de la banlieue d’une grande ville, qui est devenue une référence dans tous les cours de management et de stratégie des écoles de commerce, n’est ni Microsoft ni Face book, c’est … Géox ! Pas une entreprise chinoise, ni californienne, une entreprise italienne qui fabrique, non pas des logiciels hypersophistiqués, mais une idée : le confort de la marche ! C’est avec ça qu’ils gagnent de l’argent. L’avenir, n’est donc pas le protectionnisme mais ce que Berlusconi appelle « Italian touch ».

Quelle est l’entreprise automobile au monde la plus profitable en ce moment ? C’est Fiat ! Voilà un pays où on a de l’imagination !
L’avenir est dans la capacité à s’adapter en permanence à un taux de change qui va s’apprécier.

Que faut-il faire pour que l’Europe s’en sorte ?
L’Europe a besoin de croissance mais sa productivité n’augmente que de 1,5%. Si on veut faire de la croissance, il faut améliorer la productivité. En outre, – ce n’est même pas une prescription, c’est un constat – la durée du temps de travail va s’accroître. L’Europe fera de la croissance avec la productivité et la durée du temps de travail. Plus on sera efficace dans la productivité, moins on augmentera la durée du temps de travail.

Nous avons le choix entre une baisse du pouvoir d’achat par le protectionnisme – ce qui me paraît irréaliste - et une mobilisation de la capacité à travailler. La meilleure solution serait de mettre les chômeurs au travail mais c’est un processus long et compliqué. Je pense donc que l’Europe s’oriente vers une augmentation de la durée du temps de travail.
Pour éviter les drames monétaires - car c’est la désorganisation du système monétaire international qui est en jeu - l’Europe aurait intérêt à constituer un système monétaire cohérent. C’est en route, comme en témoigne la vitesse à laquelle les Islandais se précipitent vers l’euro. En faillite, ils se précipitent vers ce qui marche, vers l’euro. Ils ont bien compris l’importance de la solidarité monétaire.

Et la France dans tout ça ?
Dans l’école où j’enseigne, étudient beaucoup de Slovaques et quelques Tchèques. Ils viennent ici apprendre la langue de Renault et de Peugeot. Pour eux la France n’existe pas ; ce qui existe, c’est Renault et Peugeot. Le taux de croissance de la Slovaquie, sur les dix dernières années, a été supérieur à celui de la Chine. Quand on a connu Bratislava il y a trente ans, on voit à l’évidence qu’il s’est passé quelque chose. Les étudiants slovaques sont très fiers de leur premier ministre (un personnage formé par les jeunesses communistes et Harvard, les deux meilleures écoles à la surface de la planète) qui leur dit : «Pendant dix ans vous allez travailler chez Renault, Peugeot ou Volkswagen. Ces entreprises, soyez-en conscients, iront alors s’installer en Ukraine et en Roumanie. Pour vous, l’enjeu est donc de comprendre comment ça fonctionne pour vous préparer à travailler, dans dix ans, dans une industrie dont vous ne savez rien. Etre protectionniste consisterait à croire que Renault, Peugeot et Volkswagen resteront éternellement en Slovaquie. »
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30 juin 2009 2 30 /06 /juin /2009 16:52
Au titre de documents de références nous reprenons sur ce site le contenu d'un récent colloque de Res Publica qui a réuni des contributions de

-Jacques Sapir (directeur d'études à l'EHSS) : "Le protectionnisme aujourd'hui" (publication du 30 juin)

-" Le protectionnisme n’est pas la solution" : Intervention de Jean-Marc Daniel, professeur d'économie à l'ESCP-EAP (publication du 1er juillet)

- "Pour un protectionnisme européen" , de H. El Karaoui (publication du 2 juillet)

- "L'évolution du comerce mondial"de Jean Luc Gréau (publucation le 3 juillet)

Voici donc en ouverture



Le protectionnisme aujourd’hui
Intervention de Jacques Sapir, directeur d'études à l'EHESS, auteur de Le Nouveau XXIè siècle (Seuil, 2008) au colloque du 27 avril 2009, Crise du libre-échange mondial: comment en sortir ?


Le libre-échange a été souvent présenté comme l’une des conditions de la croissance. Il a été associé à la liberté de circulation des capitaux dans la mesure où il a été considéré que la liberté de circulation des produits devait s’accompagner d’une liberté de circulation des moyens de production pour pouvoir obtenir les meilleurs résultats.

Aujourd’hui, on est en mesure de dresser un bilan de cette double ouverture. Il ne semble pas que la liberté de circulation des capitaux ait eu un effet globalement positif. Plus encore, en contribuant à l’instabilité générale des économies, elle a certainement exercé un effet déstabilisant. Quant au libre-échange, il est lui aussi fortement critiqué. Si personne n’envisage un retour à des économies autarciques, la mise en concurrence des économies n’a pas eu que des résultats positifs.

Globalement, c’est le couple libre-échange et liberté des capitaux, soit le couple entre la liberté de faire circuler les produits et celle de faire circuler les moyens de les produire qui est en cause. La possibilité de diverses formes de protectionnisme, y compris un protectionnisme asymétrique ou un protectionnisme altruiste est alors posée. On abordera en conclusion la question du souhaitable et du possible.


1. Le libre-échange et la concurrence entre les nations.

La question du libre-échange et du protectionnisme s’inscrit dans une problématique de la concurrence entre les nations. Les conditions de productivité y sont différentes en raison de l’histoire économique et des inégalités de développement. Néanmoins, c’est bien dans l’écart qu’il peut y avoir entre les inégalités de productivité entre deux pays et les différences de prix que se joue l’effet de concurrence. Certes, la concurrence ne se fait pas uniquement par les prix. Il y a de nombreux exemples où la qualité est un facteur particulièrement important de différenciation entre les produits.

Mais, si l’on reconnaît que ce phénomène peut jouer dans certains cas, il devient peu pertinent quand les conditions matérielles de production se rapprochent.

Il convient donc de bien distinguer le cas, dans les pays à très faible coût du travail, entre ceux dont les niveaux de productivité et de sophistication des exportations sont en train de remonter vers la structure des pays de l’OCDE et ceux dont les niveaux vont rester très faibles. Ces différences recoupent dans une large mesure celles que l’on a connues dans le taux de pénétration de ces pays sur le marché des Etats-Unis.


Tableau 1 : Pays montrant la plus grande similitude dans leurs exportations avec celles de l’OCDE

               1972     1983     1994     2005
Mexique     0,18     0,20     0,28     0,33
Brésil          0,15     0,16     0,19     0,20
Taiwan        0,14     0,17     0,22     0,22
Corée         0,11     0,18     0,25     0,33
Argentine    0,11     0,09     0,09     0,13
Hong-Kong 0,11     0,13     0,17     0,15
Pologne      0,10     0,08     0,09     0,17
Hongrie       0,05     0,08     0,07     0,13
Roumanie   0,05     -     -     0,08
Inde             0,05     0,07     0,09     0,16
Chine          0,05     0,08     0,15     0,21

Source: P.K. Schott, « The Relative Sophistication of Chinese Exports », in Economic Policy, n°53, janvier 2008, p. 26.

Ainsi, on peut constater que le changement tel qu’il s’est joué ces vingt dernières années a été le fait non pas d’un ensemble de pays mais d’un petit groupe de ces derniers. Ce sont ces pays qui sont aujourd’hui visés par des mesures protectionnistes, car ce sont eux qui – par la pression de leurs faibles coûts – ont engendré la déflation salariale que l’on a connue dans les grands pays développés.

Il est particulièrement important de constater que dans ces pays qui ont le plus gagné au développement du libre-échange, on n’a pas eu les gains en protection sociale ni en protection écologique que l’on pourrait attendre de cette hausse de leur productivité et de la relative sophistication de leurs exportations. Ce sont donc ces pays qui posent aujourd’hui un véritable problème au monde développé.

Tableau 2 : Gains de pénétration sur le marché des Etats-Unis
                            1972     2005
Chine                0,04%     19,26%
Mexique            1,96%     10,44%
Malaisie             0,42%     2,61%
Irlande               0,25%     2,22%
Corée du Sud    1,79%     3,32%
Thailande           0,20%     1,38%

Source: P.K. Schott, op.cit. p. 22.

Le développement économique a été, durant les 25 dernières années, largement porté par le commerce international. Tel est le résultat vulgarisé par les économistes. Cependant il convient de se demander si l’on n’a pas été en face d’une erreur, ou du moins d’une illusion, due aux statistiques. En effet, la vulgate du libre-échange passe pour le moins rapidement sur des éléments importants pour sa démonstration.

1.1 Les évolutions des économies depuis les années 1980.

On a en effet connu deux phénomènes majeurs qui ont été la fin de l’Europe de l’Est, au sens du CAEM ou Conseil d’Aide Économique Mutuel et à la fin de l’URSS. Dans ces deux cas, on a pu constater que les flux de commerce connaissaient une forte croissance. Or, le simple phénomène de transformation de ce qui était un « commerce intérieur » en un « commerce international » s’est traduit par la hausse brutale de ce dernier.

Une deuxième cause, plus subtile, de la hausse de ces flux de commerce international a été l’évolution que ces économies ont connue durant les premières années de la transition. On a ainsi constaté une expansion des exportations, à la fois de manière relative dans son rapport au marché intérieur et donc au PIB, et de manière absolue, à la suite de la transition. À cet égard, les chiffres extrêmement élevés du commerce international dans les années 1994-1997 semblent bien avoir été le produit d’une illusion statistique. Ce sont ces chiffres, enregistrés sur quatre années, qui ont très largement conditionné notre vision de la croissance.

Enfin, il faut avoir à l’esprit la hausse des matières premières qui s’est manifestée pendant une bonne partie de cette période.

En effet, c’est de ces années-là que date le sentiment que le commerce international porte la croissance. L’on a eu l’impression, et peut être l’illusion, que c’était par l’abolition des barrières aux échanges que l’on avait obtenu la croissance très forte de ces années-là. Dans une large mesure, ceci a recouvert le processus de constitution en « Économies Nationales» de pays dont le commerce ne représentait jusqu’alors que du commerce intérieur. On peut ici parler d’un artefact statistique. Cependant, il faut signaler que la croissance a pu être portée, mais dans une bien moins large mesure que ce que l’on a constaté, par le commerce international. En effet, il est clair que le commerce des pays émergents a progressé de manière très nette. Néanmoins, l’étude des pays concernés se révèle riche en enseignements.

Des études ont depuis plusieurs années tenté d’établir une corrélation entre le degré d’ouverture de ces économies et le taux de croissance. Dans cette littérature, on doit inclure Dollar (1992) (1), Ben-David (1993) (2), Sachs et Warner (1995) (3) et Edwards (1998) (4). Tous ces papiers ont été écrits après la dissolution du bloc soviétique en Europe et après la désintégration de l’URSS, mais avant la crise des pays émergents de 1997-1998.

L’article de David Dollar repose sur l’hypothèse qu’une distorsion des flux est une mesure de leurs restrictions et que la variabilité du taux de change réel nous indique la persistance d’incitation sur la longue période. Puis, il compare l’évolution des prix des facteurs de production dans les pays considérés aux prix aux Etats-Unis et mesure ainsi son indicateur de distorsion. Ceci soulève deux problèmes. Le premier est de savoir si, d’une manière générale, on peut considérer les prix aux Etats-Unis comme des prix « justes » pour l’ensemble des autres pays. Le second est que, même si on admet cette hypothèse, la mesure de la distorsion s’avère extraordinairement sensible aux formes prises par les mesures de protection, et non à leur effet global (5). De fait, la distorsion s’avère être une variable peu robuste et dont le coefficient de corrélation n’est pas significatif.

En ce qui concerne l’article de Sachs et Warner, les spécifications de leur modèle tendent à introduire un très fort biais en raison de l’inclusion uniquement de pays ayant eu recours au programme d’ajustement structurel. De plus, les variables qui vont déterminer si l’économie en question est « ouverte » ou « fermée » sont extrêmement discutables. Ceci peut se voir dans le traitement des pays Africains. En effet, l’usage de la prime de Marché Noir et celui du Monopole d’exportation ne permettent pas de déterminer de manière réaliste quelles sont les économies que l’on doit considérer comme « ouvertes » et quelles sont celles qui ne le sont pas.

L’article de Sebastian Edwards va quant à lui tester la robustesse des neuf indicateurs d’ouverture. De fait, la robustesse de sa régression doit beaucoup aux poids relatifs de certains de ces indices qui peuvent être, là aussi, extrêmement subjectifs.

L’article de Dan Ben-David va, quant à lui, se concentrer sur le problème de la convergence. Il s’agit ici de tester l’idée que, si on a un libre-échange des produits, on doit avoir une égalisation du prix des facteurs. Cependant, ce « théorème » ne fonctionne que si on a autant de biens que de facteurs, si les technologies sont identiques et si les coûts de transport sont négligeables. Cet article a, de plus, la particularité de regarder le cas de pays développés comme les membres de l’Union Européenne. Mais, ses résultats semblent pouvoir être attribués aussi à d’autres facteurs comme le fait que l’on observe pour les pays du bloc initial de l’Europe une tendance à la convergence qui date de la fin du XIXe siècle. De fait, les politiques semi-autarciques que l’on observe dans les années 1930 semblent n’avoir eu aucun effet sur cette tendance historique.

De manière générale, les tests apparaissent comme donnant des résultats très ambigus. On peut en déduire que, pour certains pays, l’ouverture a été positive mais non pour d’autres. On peut aussi en déduire qu’une politique qui associe l’ouverture à de bonnes mesures macroéconomiques est supérieure à une politique associant le protectionnisme à des mauvaises mesures macroéconomiques, ceci tient bien plus en la qualité des dites mesures macro-économiques qu’à celle de l’ouverture. De fait, les pays qui ont associé des politiques protectionnistes à des bonnes politiques macro-économiques, et en particulier à des politiques industrielles agressives, connaissent des taux de croissance qui sont largement supérieurs.

Les travaux conduits par Alice Amsden (6) et Robert Wade (7) ainsi que ceux qui ont été regroupés par Helleiner tendent à montrer que dans les pays en voie de développement le choix du protectionnisme fournit des taux de croissance qui seront très au-dessus de ceux des autres pays, plus adeptes du libre-échange, dans le long terme. Le protectionnisme apparaît alors comme une condition nécessaire mais non suffisante du développement.


1.2. Que calcule-t-on par la croissance du PIB ?

L’essentiel des calculs servant à « prouver » la supériorité de l’ouverture et du libre-échange se fondent sur des régressions entre un indice d’ouverture et la croissance du PIB. Cependant, outre le caractère très discutable de cet « indice d’ouverture » il faut signaler que c’est une importante illusion statistique que de prendre la hausse du PIB comme une mesure de la croissance de la richesse à l’échelle mondiale.

Tout d’abord, le PIB (ou le PNB qui est son équivalent sur une base nationale) ne mesure que les biens et services mis au marché. Ce qui est autoconsommé ou échangé hors mécanismes de marché n’est pas comptabilisé dans le PIB ou le PNB. Ceci n’est pas très significatif (quoi que …) pour des pays développés qui ont des structures de production et de consommation similaires mais constitue un problème majeur dans des pays en voie de développement où une large partie des activités économiques dites traditionnelles se font « hors marché ». Le basculement de ces activités, de la sphère non-marchande vers la sphère marchande, induit une hausse du PIB à production égale. La croissance du PIB ne reflète donc pas celle de la richesse de la population (9).

La marchandisation d’une économie qui possédait initialement un secteur non-marchand se traduit toujours par une hausse du PIB même quand la richesse réelle du pays diminue.
Par ailleurs ceci ne concerne pas uniquement les pays en voie de développement. La marchandisation de l’économie a aussi progressé dans les économies développées, à travers deux mécanismes qui ont joué un rôle important entre les années 1960 et les années 1990.

(i) Une partie de la consommation des ménages, qui était réalisée dans la sphère de l’économie domestique urbaine, a été externalisée dans la sphère marchande.
(ii) Une partie des consommations intermédiaires des grandes entreprises ont été elles aussi externalisées. Ceci a fait apparaître en transactions marchandes, et donc comptabilisées dans le PIB, des transactions qui se déroulaient de manière non-marchande au sein des entreprises. Il faut ajouter que ce phénomène tend à accroître la part des services dans l’économie en faisant apparaître statistiquement dans cette catégorie des activités déjà existantes mais qui se déroulaient au sein de grandes entreprises industrielles.

Il ne s’agit pas, ici, de dire que l’ensemble de la hausse du PIB à l’échelle de la France ou à celle du monde est un simple artefact statistique. Cependant la hausse du PIB mondial telle qu’elle a été mesurée entre les années 70 et la fin des années 90, parce qu’elle s’est déroulée dans une période marquée par une très forte marchandisation des activités, incorpore nécessairement une part non négligeable d’artefact statistique, en raison des conventions comptables qui sont utilisées pour déterminer le PIB ou le PNB.

Fondamentalement l’idée que nous aurions à partir de la fin du «court XXe Siècle » retrouvé une tendance à une intégration par le commerce se révèle être un mythe. Comme l’ont montré Paul Bairoch et Richard Kozul-Wright (10), il n’y a jamais eu un « âge d’or » de la mondialisation qui se serait terminé dans la première guerre mondiale.

Nous aurons l’occasion de voir que le débat a continué dans la période récente et que ses résultats ont été les mêmes. Conservons pour l’instant, l’image qui nous est fournie par Rodrik et Rodriguez. La poussée vers une plus grande ouverture n’a pas été favorable au plus grand nombre.
Il n’en reste pas moins que cette poussée a bien été fortement consolidée par le passage du GATT à l’OMC et qu’elle a eu des conséquences considérables en ce qui concerne la détérioration de la situation sociale, en particulier dans l’ouverture des inégalités sociales, dans les économies nationales soumises justement à cette concurrence.


Le changement inscrit dans l’OMC et la charte de La Havane.

Le libre-échange est aujourd’hui largement assimilé au résultat du traité créant l’Organisation Mondiale du Commerce. La constitution de l’OMC est cependant récente, et dans une large mesure toujours contestée.

Il nous faut revenir un instant en arrière. Lors des négociations de Bretton Woods en 1944, il devint clair que pour éviter le retour aux pratiques autarciques des années 1930 une « Organisation du Commerce Internationale » devait établir les règles à respecter. La conférence de La Havane permit la rédaction d’un texte, la « Charte de La Havane ». Ce texte établissait ces règles à partir d’une logique de croissance et de lutte contre le sous-emploi. Ainsi, la présence de mesures protectionnistes était-elle admise et même consolidée pour favoriser le développement d’industries naissantes comme matures.

La Charte de La Havane

La Charte adoptée à la suite de cette conférence (Charte de La Havane) précise tout d’abord des buts sociaux et économiques. La libéralisation des échanges commerciaux n’est ainsi mentionnée que dans la mesure où elle contribue au progrès économique et social. Cependant, la Charte indique de manière très claire que les mesures de libéralisation sont contingentes aux objectifs énoncés. Elles sont donc susceptibles d’être suspendues si elles entrent en contradiction avec la réalisation des dits objectifs.

Ainsi, l’article 1 de la Charte de La Havane définit les buts de la Charte comme étant ceux de la Charte des Nations Unies et en particulier le relèvement du niveau de vie, le plein emploi et les conditions de progrès social.
Le §1de cet article 1 précise :
« Assurer une ampleur toujours croissante du revenu réel et de la demande effective… »
Le § 2 précise « Aider et stimuler le développement industriel ainsi que le développement économique général… ».
La question de la réduction des tarifs douaniers n’est soulevée qu’au §4 et apparaît donc comme subordonnée aux buts économiques et sociaux.

L’article 2 de la Charte fait de la lutte contre le chômage un objectif international. Le libre-échange n’est pas mentionné.
L’article 3, quant à lui, stipule (dans son §2) que les mesures prises nationalement ne doivent pas avoir pour effet de « mettre en difficulté la balance des paiements d’autres pays ». L’objectif est donc d’arriver à un équilibre global. Ceci est réaffirmé dans l’article 4 qui stipule que, si un État est cause d’un déséquilibre (par un excédent structurel), cet État doit corriger la situation. Ainsi la Charte fait obligation à ses membres de ne pas prendre de positions prédatrices.
L’article 6 indique que l’OIC doit agir en cas de pression déflationniste, qui justifie alors des mesures de sauvegarde de la part des autres pays.
L’article 7 de la Charte définit alors un processus devant conduire à des normes de travail équitables.

L’article 20 de la Charte appelle à l’élimination des mesures autarciques, mais introduit cependant immédiatement des clauses suspensives dans un grand nombre de cas (§2) :
- Limitation des exportations en cas de pénurie grave.
- Limitation des importations sur des critères qualitatifs relevant des normes ou de la réglementation du pays considéré.
- Limitation des importations agricoles si le pays considéré souhaite développer spécifiquement ces productions, ou se prémunir contre une surproduction temporaire.

L’article 21 vient souligner le caractère contingent des mesures de libéralisation en indiquant que la priorité est, pour les pays membres, de sauvegarder leur position extérieure et maintenir un équilibre stable de la balance des paiements.
Le §2 précise d’ailleurs (en référence aux restrictions quantitatives évoquées à l’article 20) :
« …tout État membre pourra, en vue de sauvegarder sa position financière extérieure et sa balance des paiements, restreindre le volume ou la valeur des marchandises dont il autorise l’importation… ».
Le §3 précise alors comme conditions permettant à un État de maintenir ou renforcer les restrictions à l’importation. Il s’agit de prévenir le risque d’une baisse des réserves monétaires, de mettre fin à une telle baisse ou enfin d’augmenter les dites réserves (à un taux qualifié de « raisonnable ») dans le cas où elles seraient très basses.

La charte de La Havane ne fut pas ratifiée par les États-Unis et, à partir de 1948 ce fut à sa place l’accord général sur les doits de douane et le commerce ou GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) qui en tint lieu.
Le remplacement du GATT par l’OMC survint à la suite de l’Uruguay Round de 1986. Le mandat qui fut donné aux négociateurs fut de réviser les principaux domaines jusque là couverts par le GATT et d’orienter ce dernier en un sens qui serait plus favorable au libre-échange. De fait, la fin de l’Europe de l’Est et du CAEM (Conseil d’Aide Économique Mutuel), puis la fin de l’Union soviétique avaient largement changé la donne initiale.
Les accords de Marrakech (1994) devaient donner naissance à l’OMC, qui entra en fonction le 1er janvier 1995.

L’OMC prévoit que ses diverses décisions devraient donner lieu à des votes. Mais la pratique de l’OMC a été marquée par la règle du consensus. Il suffit qu’aucun pays ne s’oppose à une mesure pour qu’elle soit adoptée. Cependant cette pratique semble aujourd’hui rencontrer ses limites.
Le « Doha Development Round », a connu un échec patent en juillet 2008 (23-29 juillet). Les négociations ont échoué sur un désaccord persistant entre les pays riches et les pays les plus pauvres en ce qui concerne les subventions agricoles, mais aussi l’accord sur la propriété intellectuelle (TRIPS). Cet échec a signifié la perte par l’OMC de la maîtrise qu’il avait pu exercer sur l’ordre du jour de ses négociations.
Dès sa création l’OMC a été le théâtre de violents affrontements qui se sont déroulés à l’extérieur de son enceinte feutrée. En 1999, la réunion dit « du millénaire » à Seattle a été marquée par des affrontements violents. L’OMC reste le symbole d’une ouverture constante, et aujourd’hui fortement critiquée, des économies.

Le glissement progressif d’un accord international se donnant comme objectif la lutte contre le chômage et le sous-emploi (comme dans la charte de la Havane) à un accord établissant la règle de la concurrence et du libre-échange comme base de toute négociation ne s’est pas faite en un jour.
Elle a eu pour corollaire la montée de ce que l’on appelle la « globalisation ». Cependant, ce glissement a surtout eu pour effet de déstabiliser l’économie de tous les pays et de faire de la course aux exportations le moteur – temporaire – de la croissance.
La crise actuelle, qui a déjà vu le commerce international baisser de 13%, et ce avant même que ne soient prises des mesures protectionnistes, confirme que cette course aux exportations ne peut fonder durablement la croissance.



2. Le libre-échange est-il un altruisme ?

Lors de la préparation du sommet de l’OMC de Cancun en 2003, et à la suite de la montée de la contestation anti-OMC, on pouvait lire et entendre des estimations des gains de la libéralisation du commerce mondial se montant à plusieurs centaines de milliards de dollars. Le modèle LINKAGE, utilisé par la Banque Mondiale, annonçait un gain total de 832 milliards de dollars, dont 539 uniquement pour les PVD. De tels chiffres ont popularisé l’idée que le libre-échange était une nécessité pour le développement de ces pays. Plus généralement, elle a accrédité l’idée que le libre-échange était un partage d’une « gâteau » mondial et qu’il fallait désormais que, par esprit de justice, nous laissions une place plus grande à ces pays, quitte à accepter une moindre croissance. C’est dans ce cadre que s’est développée toute une rhétorique qui accrédite l’idée que nos niveaux de protection sociale et écologique sont des « luxes » de nantis.

Pourtant, lors des discussions préparatoires au sommet de l’OMC qui se tint à Hong Kong en 2005, l’estimation des gains totaux était tombée aux environs de 200 milliards de dollars. Le gain pour les PVD semblait très faible, et en particulier si l’on retirait la Chine de ce groupe de pays. Une telle variation dans les estimations, et en si peu de temps, laisse rêveur (11).

2.1. Les modèles LINKAGE et GTAP.

Les deux principaux modèles utilisés pour estimer les « gains » de la libéralisation du commerce mondial sont LINKAGE, développé à la Banque Mondiale, et GTAP (pour Global Trade Analysis Project) de l’Université Purdue (12).

Il s’agit de modèles dits « d’équilibre général calculable »(13) qui appliquent aux données réelles le cadre théorique du modèle d’équilibre général. Pourtant, les limites et les défauts de ces modèles sont bien connus (14). Ils vont d’une évaluation faite à partir de l’hypothèse de marchés parfaits à l’hypothèse d’information parfaite et parfaitement distribuée.

On connaît pour l’instant deux générations d’estimations qui diffèrent en raison d’un réajustement des bases de données statistiques, afin d’obtenir des résultats plus réalistes. Ces bases de données ont été constituées par le Global Trade Analysis Project et pour les estimations de 2005 c’est la version GTAP-6 qui a été utilisée. Les écarts entre ces estimations sont considérables.
On constate dans le tableau 3 qu’en dépit de la différence dans les spécifications dans ces deux modèles, l’introduction d’une base de données plus réaliste produit des effets assez similaires. Les gains totaux sont ainsi ramenés au tiers de l’estimation initiale et la part des PVD baisse de plus de la moitié. Il est significatif, par rapport au discours ambiant sur les « vertus » du libre-échange, que les gains des PVD soient bien les principaux perdants de ce réajustement. L’amplitude de la fluctuation des résultats en fonction de la base de données soulève ici un véritable problème. Si l’introduction de données plus réalistes dans le cours de la constitution de GTAP-6 est ainsi susceptible d’engendrer une baisse de près des deux tiers des gains totaux et de 80% et plus pour les PVD c’est l’existence même de gains de la libéralisation des échanges qui devient douteuse.

Tableau 3 : Les estimations et leurs écarts
               GTAP 2002     GTAP 2005     LINKAGE 2003     LINKAGE 2005
Gains totaux de la libéralisation des échanges (milliards de dollars US)    
                    254                   84                          832                     287
Dont, gains pour Pays en Voie de Développement (milliards de dollars US)           
                    108                    22                         539                      90
Part des PVD en % du gain total    
                   42,5%                 26,2%                     64,8%               31,4%
Gains totaux en 2005 en % de l'estimation initiale        
                                              33,1%                                               34,5%
Gains des PVD en 2005 en % de l’estimation initiale        
                                               20,4%                                             16,7%

Source: K. Anderson et W. Martin, Agricultural Trade Reform and the Doha Development Agenda, World Bank, Washington DC, 2005.


2.2. Le phénomène de la différence temporelle.

Il est clair que ces deux modèles posent de nombreux problèmes. De plus, ils ne répondent pas à ce qui était l’interrogation première : a-t-on le droit de protéger sa protection sociale et écologique ?
Si l’on se penche sur les estimations concernant les gains potentiels en fonction des différents accords (sur l’agriculture et sur le textile par exemple), les résultats sont tout aussi instructifs.

Dans l’agriculture, la levée des subventions avantage massivement les pays riches, et au premier chef les États-Unis (15), et ce au détriment des petits producteurs. Rien que de très logique, dira-t-on. Sauf que la production de céréales et de viande aux Etats-Unis se fait dans des conditions qui sont extrêmement défavorables du point de vue écologique.

D’autres études montrent que les PVD pourraient être des perdants nets à une libéralisation des échanges agricoles (16), et ceci n’est guère étonnant.

Il faut se souvenir qu’entre les deux guerres mondiales, un spécialiste de l’économie agricole, Mordecai Ezekiel (17), avait démontré que la concurrence pure conduit nécessairement au déséquilibre quand les vitesses d’ajustement de l’offre et de la demande ne sont pas synchronisées. Ceci est connu sous le nom du « théorème de la toile d’araignée ». Ce résultat permet de montrer que la présence de subventions ou de protections était une des conditions de l’efficacité de la production agricole.

En fait le raisonnement de Mordecai Ezekiel est parfaitement généralisable à toute activité économique où l’ajustement de l’offre et de la demande ne se fait pas à la même vitesse (18).

Si l’on considère le cas du textile, le modèle LINKAGE fait apparaître un net effet positif de la libéralisation des échanges pour les PVD. Il faut cependant savoir que le modèle inclut des pays comme la Corée, Singapour, Taiwan et Hong Kong dans les PVD…

Ce choix est extrêmement discutable, pour ne pas dire tendancieux.
Ces quatre pays ne sont plus, et depuis au moins une décennie, des PVD. Si l’on adopte une définition plus réaliste des PVD, la libéralisation des échanges dans ce secteur n’a pratiquement aucun impact. Si, de plus, on retire la Chine de l’échantillon, l’impact devient négatif.

Il faut ici revenir sur la différence qui existe entre les modèles LINKAGE et GTAP. Le premier est purement statique et suppose implicitement une très forte hausse du PIB mondial entre 2005 et 2015. Les hypothèses retenues pour GTAP apparaissent quant à elles nettement plus réalistes en matière de croissance de l’activité (19).

On doit enfin rappeler que les « gains » de la libéralisation, tels qu’ils sont donnés tant par GTAP que LINKAGE, ne sont pas des gains annuels, mais des gains totaux obtenus une fois pour toutes. Si on les rapporte au PIB sur une période de 5 années (correspondant au délai de mise en œuvre des mesures de libéralisation envisagées), ces gains représenteraient alors 0,27% du PIB mondial. Dans le cas de LINKAGE, le gain total représenterait 0,8% du PIB de 2015, et moins de 0,1% par an s’il était réparti sur la période 2006-2015.

Quant aux résultats potentiels du « Cycle de Doha » qui a connu un échec décisif en juillet 2008 comme on l’a déjà indiqué, ils sont dérisoires. Ils représenteraient s’ils étaient appliqués sur une année du PIB mondial (2015) entre 0,23% du PIB de cette année pour LINKAGE et 0,09% pour GTAP (20). Ainsi, quand bien même ces gains ne seraient pas une illusion statistique, ils seraient en réalité insignifiants car largement en deçà de l’intervalle d’incertitude du calcul du PIB mondial… Par ailleurs, ces gains seraient concentrés sur un petit nombre de pays, et en particulier les NPI d’Asie qui maintiennent en réalité une forte protection de leurs marchés à travers des instruments non-tarifaires.

Les perdants, soit les pays dont le PIB baisserait avec l’application du « Cycle de Doha » incluent les pays d’Afrique, du Maghreb (en particulier le Maroc et la Tunisie) et du Moyen-Orient, le Bengladesh et le Mexique.

Comme on l’a indiqué plus haut, les principaux modèles utilisés pour évaluer l’impact économique des accords de libéralisation du commerce soulèvent de nombreuses questions et objections méthodologiques (21). On peut classer ces dernières en questions et objections portant sur la construction des modèles considérés du point de vue de leur utilisation comme instruments d’évaluations, et des objections plus fondamentales quant à leur capacité à représenter, même de manière approchée, le fonctionnement réel de l’économie.


2.3. La question de l’instabilité dynamique du système et son coût d’opportunité.

Il s’agit ici d’un autre phénomène sur lequel les modèles sont d’une rare discrétion. On doit ainsi signaler que l’accélération du nombre et de la vitesse des transactions ainsi que du degré de concurrence peut avoir un effet directement déséquilibrant. Ceci a été démontré dans le domaine de la finance par Dominique Plihon et Luis Miotti (22).

La libéralisation des flux affaiblit les conditions de stabilité de la reproduction de l’activité concernée dès que l’on raisonne en dynamique et non plus en statique. On obtient alors deux résultats qui ne sont pas exclusifs l’un de l’autre.

La libéralisation accroît bien le volume d’activité tant qu’une crise majeure ne se produit pas. Il y a donc bien un « gain » apparent de la libéralisation. Mais, la probabilité d’une crise s’accroît fortement et sa violence est alors décuplée par les effets de la libéralisation. La crise est ainsi plus destructrice et ses effets se font sentir plus longtemps. On peut alors en conclure qu’une croissance plus lente, mais plus régulière, aurait été plus profitable pour le plus grand nombre. Une évaluation globale et objective de la libéralisation devrait donc inclure les deux phénomènes : l’accroissement du volume d’activité en dehors des périodes de crise, et la plus grande probabilité de crises violentes ayant des effets négatifs prolongés sur cette activité. Des modèles de type LINKAGE et GTAP sont incapables de procéder à ce type d’évaluation globale et ne fournissent que celle du premier effet.

Enfin, et cela mérite d’être souligné, ces modèles ne prennent pas en compte les « coûts d’opportunité » induits par la libéralisation des échanges. Le désarmement douanier se traduit par une baisse des revenus fiscaux, ainsi qu’on l’a déjà observé dans la première partie de ce texte. Même si, en fin de période, on peut supposer que le revenu national ait augmenté, et avec lui les recettes fiscales, ceci ne répond pas à la baisse immédiate de ces dernières. Or ces recettes financent des dépenses publiques qui devront être réduites le temps que la hausse du revenu national se manifeste.



Tableau 4 : Gains et Coûts de la libéralisation des échanges
(Milliards de dollars US)
                                                               GTAP 2005     LINKAGE 2005
Gains totaux                                                   84                     287
Gains des PVD                                              22                       90
Évaluation des coûts        
Pertes fiscales pour les PVD                         -60                     -60
Coûts administratifs dans les PVD                 -4,4                     -4,4
Total des coûts pour les PVD                       -64,4                    -64,4
Solde pour les PVD                                      -42,4                     25,6



Il y a donc, en analyse statique, une perte nette pour une période qui sera (ou ne sera pas) compensée par un gain net dans une période ultérieure. Mais, nous ne voyons ici qu’une partie du problème. Les dépenses publiques, en particulier dans les domaines de l’éducation, la recherche, la santé et les infrastructures, ont un effet important sur la croissance de l’économie. Ceci est aujourd’hui largement admis par la plupart des économistes. Il faudrait donc logiquement calculer le coût d’opportunité de la perte de recettes fiscales induites par la libéralisation du commerce en estimant ce que ces sommes auraient pu induire en croissance potentielle.

Même sans introduire le possible coût pour les PVD des conséquences de l’accord TRIPS en matière de brevets, on constate que les deux autres sources de coûts ont tendance à faire pratiquement disparaître les « gains » du libre-échange tels qu’ils étaient calculés dans GTAP-2005, modèle qui en dépit de ses limites intrinsèques est moins irréaliste que LINKAGE.

L’évaluation de l’impact sur la croissance de ces coûts, qui est nécessaire pour une comparaison cohérente avec les « gains » indiqués par GTAP et LINKAGE dépend très fortement des hypothèses retenues quant aux réactions face à ces coûts.

L’hypothèse la plus favorable est celle où une partie de ces coûts pourrait être financée par une réduction de certains budgets dont le rôle sur la croissance est moins important. Les estimations de l’impact des dépenses publiques dans les PVD indiquent cependant que la perte en valeur ajoutée finale, en raison des divers effets cumulatifs, risque cependant d’être au moins égale à la perte fiscale.

L’hypothèse la plus défavorable est celle d’un accroissement de la pression fiscale. Les économies des PVD sont en effet extrêmement sensibles à tout prélèvement supplémentaire en raison du niveau général de pauvreté. La combinaison de l’effet « perte de revenu » et de l’effet « contraction de l’investissement » est ici désastreuse. Elle devrait être estimée pays par pays. Mais, en l’absence de travaux précis, on peut évaluer de manière prudente l’effet cumulatif à 1,5 fois la perte fiscale.

Compte tenu du fait que les « gains » de la libéralisation du commerce tels qu’ils sont aujourd’hui calculés sont en réalité très faibles, il est parfaitement possible qu’ils soient inférieurs à ce coût d’opportunité. En fait, et de manière plus générale, c’est l’absence de prise en compte des coûts de la libéralisation des échanges qui rend les résultats de modèles, tels que LINKAGE et GTAP, suspects. Les travaux tentant d’estimer ces coûts, et qui sont antérieurs à ces modèles, indiquaient que ces derniers étaient loin d’être négligeables (22). On peut donc en conclure que le libre-échange n’a nullement favorisé les plus pauvres parmi les pays en voie de développement.

Il n’y a donc nulle « justice » dans le domaine du commerce international, et en tous les cas certainement pas par des mécanismes automatiques. L’idée d’assimiler le « libre-échange » à un mécanisme de répartition entre le Nord et le Sud apparaît dans toute sa fausseté. En réalité, le libre-échange profite aux plus riches de ces pays, où il accroît considérablement les inégalités, mais son effet global est nul ou négatif. Le libre-échange ainsi n’est certainement pas la forme moderne de l’internationalisme que certains veulent y voir.


3. La question du protectionnisme social et écologique.

La question du protectionnisme se pose alors comme étant l’une des possibles réponses aux problèmes posés par l’extension du libre-échange. Il faut ici bien spécifier les problèmes. Si le protectionnisme concerne les pays en voie de développement pour la protection des industries naissantes, il concerne les pays développés pour la survie d’industries stratégiques ou considérées comme relevant de domaines particulièrement sensible ainsi que pour le maintien des protections sociales et écologiques dont ils se sont dotés.


3.1. La concurrence entre les nations et les protections sociales et écologiques.

Nos pays se sont dotés en 50 ans de législations sociales et écologiques relativement avancées. On peut considérer que l’effort fourni a été trop modeste, mais on doit lui reconnaître l’immense mérite d’exister.

Cet effort a reposé sur les gains de productivité qui ont permis ces mesures de protection qui, toutes, constituent un coût direct ou indirect sur nos industries. Cependant, ces politiques sont aujourd’hui largement entamées au nom de « l’efficacité » économique. En réalité, derrière cet argument se trouve le problème des pays émergents et particulièrement de ceux qui ont le plus vite progressé en productivité.
Un rapport du Sénat indique que les rapports entre la progression des salaires et celle de la productivité a été d’environ 50% pour la Chine mais aussi pour les pays de l’ex-Europe de l’Est (24). En ce qui concerne la Chine on y apprend que la productivité y est de 7% de la moyenne française alors que les salaires y sont dans un rapport de 1 à 30. Pour ce qui est des ex-PECO, on y voit une productivité de 26% de la moyenne de l’UE mais un salaire qui se trouve être dans un rapport de 1 à 6, soit de 16,67%.






Tableau 5 : Principales Industries exportatrices chinoises
Industrie                                                    Volume (en milliards de dollars)     %
Matériels et machines électriques                        342,0                                23,9%
Matériels électroniques et de communication      268,6                               18,8%
Textiles                                                                 113,0                                 7,9%
Métaux ferreux                                                     101,8                                7,1%
Equipement médicaux et optiques                        43,4                                 3,1%
Source : Statistiques des Douanes Chinoises, PRC Général Administrations of Customs, www.cbw.com

Ce rapport n’examine pas directement les gains par branches ou sous-branches de l’industrie. Or, il est particulièrement intéressant de voir qu’en ce qui concerne la Chine les gains se sont concentrés dans certains secteurs. Dès lors, il faut s’attendre à des variations importantes de la productivité en Chine.

Le fait que le commerce chinois soit déficitaire pour des pays comme le Japon, la Corée du Sud et Taiwan confirme que dans la productivité du travail chinois, il faut aussi introduire celle de ces pays, qui fournissent à l’industrie chinoise des sous-ensembles (en particulier pour la Corée et Taiwan) qui sont assemblés et revendus par la Chine.

Il est donc plus que probable que dans la productivité moyenne chinoise on observe des pics de productivité particulièrement significatifs.

En ce qui concerne les ex-PECO on a le même problème. La spécialisation de ces pays comme producteurs de pièces détachées, mais aussi comme assembleurs dans l’automobile est bien connue. La productivité dans ce secteur est donc certainement plus importante que ce que l’on a constaté là encore en moyenne.

Si nous nous bornions cependant à ne prendre en compte que ces moyennes, nous constaterions que l’avantage de marché de ces pays est dans un rapport de 1,56 en ce qui concerne les ex-PECO et de 2,1 en ce qui concerne la Chine. Compte tenu des coûts de transports, on peut constater, qu’en moyenne, les produits de ces pays arrivent avec un avantage compétitif de 1,4 à 1,7.

La question de la compétitivité par les prix est alors posée. On admet en effet que dans les phénomènes de compétitivité, on doit distinguer les effets de qualité des effets de prix. Pour ces derniers, on considère qu’ils ne jouent un rôle déterminant que tant que le niveau de qualité reste – relativement – homogène.

C’est bien évidemment un problème majeur en ce qui concerne les importations issues de ces pays. Cependant on doit admettre que les effets de qualité ne sont pas en prendre en compte en ce qui concerne les PECO. Dans ces pays, l’installation de producteurs européens (que l’on appelle les délocalisations directes et indirectes) a considérablement réduit l’écart de qualité. En ce qui concerne la Chine, le phénomène de rattrapage que l’on constate depuis les années 1990 a certainement réduit l’écart de qualité, du moins dans les branches qui sont exportatrices.

On doit donc admettre que, même si les productions issues de ces pays sont constituées par des entrées de gamme (comme dans le cas de la « Logan » de Renault-Dacia), la différence de prix est tellement massive qu’elle joue en leur faveur.

On est donc confronté au problème des délocalisations et de la concurrence sur les emplois entre ce qui est produit sur le territoire national et ce qui est produit dans ces pays. Telle est la forme prise aujourd’hui par la compétition entre les territoires, qui oppose désormais les emplois de toute une population et non plus seulement de la population directement concernée. Si l’on veut évaluer de manière honnête ce que l’on appelle les délocalisations, il faut tenir compte de trois effets qui sont distincts mais qui se renforcent.

a. Les délocalisations directes. Il s’agit ici d’emplois déjà existants dans un pays et transférés dans un autre pays (par fermeture de l’usine dans le pays d’origine). On considère de manière générale que ces délocalisations ont affecté environ entre 1% et 1,5% des emplois industriels en France soit à peu près 0,4% à 0,6% de la population active. C’est, sous cette forme directe, fort peu. C’est ce qui justifie l’argumentation des défenseurs du libre-échange qui prétendent que les délocalisations ne posent pas de véritable problème.

b. Les délocalisations indirectes. Il s’agit cette fois de la création délibérée d’emplois à l’étranger pour servir non pas le marché local mais pour la réexportation vers le pays d’origine. Ce mouvement est quant à lui complètement ignoré dans les débats sur les délocalisations. Il correspond à la décision d’une grande entreprise qui conçoit un nouveau produit et en réalise l’industrialisation d’emblée dans un pays à faibles coûts salariaux et ce à but de ré-export. Cette pratique, on le sait, est devenue systématique dans l’industrie automobile mais aussi la mécanique depuis une dizaine d’année. Il y a là un « manque à employer » plus qu’une destruction directe d’emploi. Les délocalisations indirectes constituent donc l’équivalent du « coût d’opportunité » par rapport aux délocalisations directes qui seraient le coût immédiatement constaté. On peut chiffrer dans le cas de la France et suivant les hypothèses de productivité l’impact de ces délocalisations indirectes entre 1% et 1,6% de la population active.

c. L’effet dépressif sur le marché intérieur. La menace des délocalisations et le chantage auquel se livrent les entreprises ont conduit à maintenir les salaires dans l’industrie à un niveau très faible et à exercer une pression croissante sur les salariés. Ces deux effets contribuent à déprimer le marché intérieur et sont la forme induite de la déflation salariale. La faiblesse des revenus tend à déprimer la consommation et donc la demande intérieure. Il est clair que si les gains salariaux avaient pu suivre ceux de la productivité, et si l’on avait pu économiser ne serait-ce que 1% du PIB en cotisations tant salariées que patronales, on aurait eu un impact très fort de ce surcroît de pouvoir d’achat sur la croissance et donc sur l’emploi.

Si l’on additionne les trois effets, on obtient un impact important sur l’emploi, en partie concentré sur l’emploi industriel directement concerné par les deux premiers effets. Mais, il faut savoir que pour toute quantité d’emploi industriel perdu, nous avons des pertes induites dans les services. On le voit bien dans les régions qui sont touchées par la fermeture d’usines. L’effet multiplicateur des pertes d’emplois provoquées par les délocalisations, qu’elles soient directes et indirectes, vient alors s’ajouter aux destructions d’emplois induites par le troisième effet. Dans ces conditions, il faut admettre que, tant dans le domaine de la protection sociale que dans celui de la protection écologique, nos pays ont un véritable problème avec les produits importés soit des ex-PECO soit depuis la Chine.

La compétitivité exige que le coût du travail et de la protection tant sociale qu’écologique soit considérablement réduit. À défaut on s’oriente vers la perte de pans entiers de notre tissu industriel et dans des secteurs qui ne sont pas les moindres comme l’automobile, le matériel électrique et électronique, voire une partie de notre capacité à innover.


3.2. Les conséquences sur les salariés du « coût » de l’ouverture.

Il convient de signaler ici que l’Union Européenne a été une des institutions les plus efficaces pour la mise en œuvre de politiques d’ouverture. Au nom de la fameuse concurrence dite libre et non faussée elle a introduit toute une série de clauses et de réglementations qui vont au-delà des mesures exigées dans l’OMC.

Si l’on tente d’évaluer les effets en pertes fiscales dans des pays qui ont développé un modèle social avancé, sur la base des coûts actuels en France, une perte de l’ordre de 100 à 150 milliards de dollars par an apparaît alors comme une fourchette minimale pour les pays de l’Union Européenne (essentiellement ceux du « cœur historique »).

Notons encore qu’il conviendrait d’imputer comme pertes fiscales et parafiscales l’accroissement des dépenses de l’assurance-chômage engendrée par les délocalisations, les subventions publiques accordées aux régions en difficulté, enfin le coût pour l’assurance-maladie des maladies « stress-induites » (25).

Il est établi que ces maladies engendrent des coûts importants. Il est aussi établi que la montée du stress au travail correspond à l’accroissement de la précarité de l’emploi qui résulte des effets de la libéralisation du commerce international.

Le montant de ce coût peut être estimé à partir des études actuelles qui montrent que, sur des pays ayant des structures proches de celles de la France, le coût total des maladies liées au stress au travail représente près de 3% du PIB (26). Dans le cas de la Suisse et de la Suède, où des enquêtes épidémiologiques exhaustives ont été menées, le coût du stress au travail a été évalué. Pour ce qui concerne la Suisse, et en fonction des définitions et de l’inclusion dans la définition des coûts directs et induits, on obtient un total variant entre 2,9 et 9 milliards d’Euros (27). Ceci pourrait donc correspondre à une fourchette allant de 24 à 76 milliards d’Euros pour la France.

On peut donc raisonnablement estimer que la part de ces maladies liées au stress résultant de la précarisation des emplois et des pressions induites par le risque de délocalisation pourrait représenter de 1% à 3% du PIB en France.

Pour éviter un accroissement du chômage encore plus important que ce que l’on a connu, les gouvernements qui se sont succédé depuis 1991 ont entrepris de subventionner, directement ou indirectement ces emplois. Ces subventions représentent elles aussi un « coût » de l’ouverture en ceci que ces sommes pourraient être allouées différemment dans un autre contexte.

La liste des subventions est longue, et elle inclut celles aux régions qui ont connu des taux de chômage importants. On ne retiendra ici que deux mécanismes, les abattements de charges consentis aux PME - qui atteignent 20 milliards d’Euros en 2006 - et la « prime à l’emploi », dont le coût se monte pour le budget à 4 milliards d’Euros. On atteint alors un total annuel de 24 milliards d’Euros, soit près de 31,4 milliards de dollars au taux de change actuel de l’Euro. L’effet dynamique de ces coûts, que l’on peut à nouveau estimer entre 1% et 2% du PIB, est considérable.

Dans des pays développés, l’impact d’un accroissement de la pression fiscale est plus facilement digérable que pour les PVD. Cependant, il est loin d’être nul. En revanche, et compte tenu du développement des dimensions R&D dans les investissements, toute réallocation implicite des dépenses a des effets cumulatifs très importants. On estime ainsi que pour la France les dépenses induites par les coûts de la libéralisation pourraient s’élever à 32-50 milliards d’Euros. Cette somme doit être comparée aux 2 milliards d’Euros à la recherche dans le cadre des « pôles de compétitivité » créés en 2005 par le gouvernement de Villepin. Le coût d’opportunité calculé si de telles sommes étaient investies en recherche et dans l’enseignement, suggère une perte de 1,5% à 2,5% du PIB.
On arrive donc, entre les coûts directs et indirects, mais aussi les coûts d’opportunités, à des montants compris entre 3,5% et 7,5% du PIB. Il n’est donc plus étonnant que quoique nous soyons nettement plus « riches » que dans les années 1960 nous éprouvions une difficulté croissante à financer nos dépenses sociales.

On n’a ici cherché à calculer que les coûts induits par les effets sociaux de la politique d’ouverture. Il est clair, mais plus difficilement calculable, que des coûts équivalents sont à l’œuvre dans le domaine de la protection écologique.

Il ne fait donc aucun doute que les coûts de la libéralisation des échanges sont considérables. On voit ici que les coûts pourraient bien excéder les gains calculés mêmes par les plus optimistes des modèles.

Ces modèles apparaissent comme présentant une image très favorable au libre-échange, et c’est exactement ce qu’ils sont. On ne peut en effet dissocier la méthode du résultat, et des modèles conçus pour calculer des « gains d’utilité » dans un cadre qui est globalement celui de la pensée néoclassique ne peuvent que donner une image très favorable du libre-échange.

Cependant, la réalité est assez différente de ces modèles. L’ampleur des coûts, directs et indirects du libre-échange peut être estimée entre 3% et 7,5% du PIB rien que pour les conséquences sociales. On admet aujourd’hui que ces coûts ont eu un effet dynamique sur les économies des pays développés, en contraignant à recourir à un endettement sans cesse croissant pour maintenir la demande.

Tableau 6 : Comment les modèles évaluent-ils les effets de la libéralisation du commerce mondial
Nature des effets à prendre en compte     Prise en compte par les modèles CGE     Problèmes méthodologiques soulevés
Gains de production par accroissement de la demande     Oui, dans tous les modèles CGE     Utilisation des "élasticités d'Armington" soumises à de très fortes incertitudes, dans tous les modèles.
Gains par accroissement de l'efficacité (spécialisation et taille de marché) et dynamique sur la croissance future     Oui, hypothèses, très favorables dans LINKAGE, plus réalistes dans GTAP     Hypothèse néo-classique de maximisation en information parfaite. Pas de prise en compte de la possibilité de rendements croissants sauf dans le modèle BDS
Coûts administratifs de mise en œuvre des accords     Non     Aucune difficulté à calculer ces coûts, comme montré par le RIS
Coûts fiscaux et parafiscaux de la libéralisation des échanges (baisse des revenus publics)     Non     Aucune difficulté à évaluer les coûts. Nécessité d'utiliser une modélisation de type "croissance endogène" pour obtenir une évaluation en dynamique.
Coûts induits par accroissement, même temporaire du chômage     Non     Données disponibles incomplètes, couvrant essentiellement les subventions aux emplois faiblement qualifiés.
Coûts induits par des maladies « stress induites » liées à l’ouverture     Non     Absence d'ét
udes exhaustives dans le cas de la France. Montant du coût susceptible d’atteindre 1% à 3% du PIB.



Par ailleurs, les effets distributifs de ces coûts doivent aussi être introduits dans l’équation finale des résultats de l’ouverture.

Le travail de Josh Bivens sur les Etats-Unis montre que ces effets ont été particulièrement importants et peuvent expliquer une large part de l’accroissement des inégalités dans ce pays (28). De tels résultats peuvent aussi être déduits pour les pays européens, et en particulier pour la Grande-Bretagne ou l’Espagne. Le libre-échange aboutit à vulnérabiliser les fractions du salariat les moins qualifiées.
Cependant, avec la montée en puissance de la productivité en Chine et dans les PECO, ce sont aussi désormais les couches à qualification moyenne qui sont désormais touchées.

Dans la majorité des pays européens, les politiques fiscales ont tendu à égaliser – relativement – les effets de ces politiques. Les dépenses en protection sociale ont donc tendu fortement à augmenter. Mais, on peut se demander quel aurait été là encore le résultat si on avait pu se passer de telles dépenses fiscales. Il faut aussi signaler le coût d’opportunité de ces dépenses, soit le « manque à gagner » que l’on observe en raison de leur allocation à des fins de correction des effets du libre-échange.

Au total, il apparaît bien que la concurrence que l’on peut considérer comme « déloyale » en provenance de la Chine et des PECO a eu un effet important sur les pays industrialisés.
Cette concurrence est « déloyale » du point de vue qui est le nôtre, en non pas de celui de l’organisme de règlement des conflits à l’OMC. C’est une concurrence qui se fait par un accroissement relatif en productivité, non équilibré par une hausse équivalente des salaires dans ces économies. Ceci est néanmoins considéré comme normal, et c’est bien là où pêche le système.

Il ne garantit nullement que les gains de productivité, enregistrés dans les pays en voie de développement, donneront naissance à la protection sociale et écologique qui s’impose ; bref, que ces pays feront une récapitulation de la trajectoire qui a été suivie par les pays développés. C’est, avant tout, en raison de la nature de cette protection. Elle ne découle pas d’un compromis qui aurait été passé dans le calme feutré de salles de réunions. Elle a été le produit de luttes sociales relativement intenses dans ces pays et elle fait donc partie intégrante de leur histoire, même si elle correspond au progrès qui ont été faits dans le domaine de la productivité.

Tant que l’on sera dans un système qui considérera comme « déloyal » uniquement des subventions ou des protections, et non des dispositifs institutionnels qui maintiennent les niveaux des salaires et de la protection à ce qu’ils étaient initialement, nous courrons le risque de voir nos propres systèmes de protection être démantelés par les pressions concurrentielles.


3.3. La nécessité d’un protectionnisme social et écologique.

La question d’un double protectionnisme est alors posée pour se protéger contre une concurrence largement « déloyale », dans le sens que nous lui donnons ici.

Il convient de regarder les alternatives qui nous sont ouvertes.

Soit nous imposons, par la force s’il le faut, aux pays en voie de développement dont les niveaux de productivité tendent à se rapprocher des nôtres le même type de règles de protection que nous avons institué. Une telle solution est ici clairement irréaliste tout comme elle est odieuse.

Soit nous laissons nos protections se défaire sous le coup de la concurrence issue de ces pays et nous nous résignons à une convergence sur la base du moins offrant et du moins disant. Une telle solution revient à renoncer à plus d’un demi-siècle de luttes sociales qui sont largement constitutives de notre patrimoine.

Soit, enfin, nous instituons des mesures de protectionnisme social et écologique qui nous permettent à la fois de garantir nos niveaux de protection ET d’organiser une convergence vers le haut dans ce domaine. Telle est évidemment la voie dans laquelle il convient de s’engager. Par ce protectionnisme social et écologique, on peut contribuer dans une large mesure à un processus de convergence. Les pays qui seront taxés le seront à la hauteur de la différence entre leurs gains en productivité et leurs gains en salaires et protection sociale ainsi qu’en protection écologique.

Nous avons vu que l’écart des salaires rapporté à celui de la productivité est de l’ordre de 1,4 pour les ex-PECO et de 1,7 pour la Chine. Ces chiffres, dont il faut rappeler qu’ils ne constituent que des moyennes, doivent encore être affinés. Néanmoins ils permettent de donner un ordre de grandeur des mesures protectionnistes qu’il convient d’adopter.

Il faut enfin rappeler que la situation des ex-PECO n’est pas la même que celle de la Chine. Ces pays font partie désormais de l’Union Européenne. Aussi, dans leurs cas parlera-t-on de montants compensatoires sociaux et non de droits de douane.

Dans un tel système, il convient de citer le « protectionnisme altruiste » imaginé par Bernard Cassen (29).

L’introduction de droits de douane va en effet pénaliser les importations en provenance de ces pays. De tels droits vont jouer comme des écluses qui égalisent les coûts supportés par les producteurs. Mais, ces droits doivent-ils être reversés aux pays qui les ont institués ?
Par ces droits de douane nous retrouvons en effet une capacité d’innovation dans les formes et la nature des protections sociales et écologiques. Il ne semble pas juste de vouloir en plus en retirer un avantage fiscal.

Une solution qui rendrait acceptables de tels droits, du moins en ce qui concerne les pays qui nous sont le plus proches (les PECO) pourrait être de lier ces sommes à des engagements qui pourraient être pris par ces pays dans le domaine de la convergence sociale et écologique. Les revenus issus de ces droits de douanes iraient abonder un fonds social et écologique qui effectuerait des investissements ou qui viendrait contribuer au financement de mesures sociales et écologiques dans les pays concernés. Ainsi, dans cette logique, aurait-on un processus de convergence sociale qui pourrait se mettre en action.

Il convient ici de respecter la volonté des pays considérés. Ces mesures ne seraient nullement obligatoires, et la mise en œuvre des politiques qu’elles impliquent serait laissée à la discrétion de leurs gouvernements. Mais, si ces gouvernements acceptent de rentrer dans une logique négociée de convergence, il conviendra de mettre en place des procédures de reversement des sommes dégagées par ces droits de douanes ou équivalents.

La politique de la protection de la protection sociale et écologique par des droits de douane a pour objet de prévenir les politiques dites de « cavalier solitaire » qui peuvent être mises en œuvre dans les pays en voie de développement. De ce point de vue, elles ne sont pas contradictoires avec un principe de concurrence. Mais, ce dernier doit alors inclure que, pour ne pas être faussé, le commerce ne saurait être libre.

Telle est bien la morale de cette histoire. A vouloir obtenir des effets de concurrence les plus larges possible, on a mis en concurrence des pays dotés d’histoires très diverses. Le principe de la concurrence « libre et non faussée » qui inspire aujourd’hui encore les réglementations européennes est une absurdité. Soit la concurrence est libre, et elle oppose alors des pays dont l’histoire et les réglementations sociales sont très différentes. Soit elle est dite non faussée, et alors elle ne saurait être libre.




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1) D. Dollar, « Outward-Oriented Developeng Economies Really Do Grow More Rapidly : Evidence from 95 LDC, 1976-1985 », in Economic Developemnt and Cultural Change, 1992, pp. 523-554.
2) D. Ben-David, « Equalizing Exchange : Trade Liberalization and Income Convergenge », Quarterly Journal of Economics, vol. 108, n°3, 1993.
3) J. Sachs et A. Warner, « Economic Reform and The Process of Global Integration » Brookings Paper on Economic Activity, 1995, n°1, pp. 1-118.
4) S. Edwards, « Opennes, Productivity and Growth : What we Do Really Know ? », Economic Journal, vol. 108, mars 1998, pp ; 383-398.
5) F. Rodriguez et D. Rodrik, Trade Policy and Economic Growth : A Skeptic’s Guide to the Cross-National Evidence, Department of Economics of University of Maryland et John F. Kennedy School of Government,, mai 2000.
6) A. Amsden, Asia’s Next Giant, New York, Oxford University Press, 1989.
7) R. Wade, Governing the Market, Princeton, NJ, Princeton University Press.
8) G.K. Helleiner, (ed.) Trade Policy and Industrialization in Turbulent Times, Londres, Routledge, 1994.
9) J’ai analysé ce paradoxe, qui est bien connu de tous les spécialistes du développement, dans J. Sapir, Les Trous Noirs de la Science Économique, édition originelle Albin Michel, Paris, 2000. Voir la ré-édition dans la collection « Points » au Seuil, octobre 2003, pp.48-49.
10) P. Bairoch et R. Kozul-Wright, Globalization Myths : Some Historical Reflections on Integration, Industrialization and Growth in the World Economy, UNCTAD-OSG, Discussion Paper n°113, Mars 1996, Genève.
11) F. Ackerman, « An Offer you can’t refuse : free trade, globalization and the search for alternatives » in F. Ackerman et A. Nadal (eds.) The Flawed Foundations of General Equilibrium : critical essays on economic theory, Routledge, New York – Londres, 2004, pp. 149-167.
12) Voir T. Hertel, D. Hummels, M. Ivanic et R. Keeney, « How Confident Can We Be in CGE-based Assessments of Free-Trade Agreements ? », GTAP Working Paper n°26, Purdue University, West Lafayette, Ind., 2004.
13) Ou Computable General Equilibrium model d’où le nom générique de modèle CGE.
14) F. Ackerman et K. Gallagher, « Computable Abstraction: general equilibrium models of trade and environment » in F. Ackerman et A. Nadal (eds.) The Flawed Foundations of General Equilibrium : critical essays on economic theory, op.cit., pp. 168-180. Pour une analyse critique plus générale de la théorie de l’équilibre général, J. Sapir, Les trous noirs de la science économique, Albin Michel, Paris, 2000, chap. 1.
15) F. Ackerman, « The Shrinking Gains from Trade : A Critical Assessment of DOHA Round Projections », Global Development and Environment Institute, Working Paper n° 05-01, Tufts University, Medford, Ma., Octobre 2005.
16) J.E. Stiglitz er A.H. Charlton, « A Development-Friendly Prioritization of Doha Round Proposals », IPD Working Paper, Initiative for Policy Dialogue, New York et Oxford, 2004.
17) M.Ezekiel, "The Cobweb Theorem", in Quarterly Journal of Economics , vol. LII, n°1, 1937-1938, pp. 255-280.
18) Voir J. Sapir, « Les subventions et autres entraves à la concurrence sont-elles nécessaires au bon fonctionnement de l’économie ? » in Perspectives Républicaines, n°4/2006.
19) F. Ackerman, « The Shrinking Gains from Trade : A Critical Assessment of DOHA Round Projections », op.cit ..
20) Idem, p. 8.
21) Voir F. Ackerman et K. Gallagher, « Computable Abstraction : general equilibrium models of trade and environment », op.cit..
22) L. Miotti et D. Plihon, "Libéralisation financière, spéculation et crises bancaires", in Économie Internationale, n°85, 1er trimestre 2001, pp. 3-36.
23) J.A. Ocampo, and L. Taylor, (1998), "Trade liberalization in Developing Economies: Modest Benefits but Problems with Productivity Growth, Macro Prices and Income Distribution", Center for Economic Policy Analysis working Paper n°8, CEPA, New School for Social Research, New York ; D. Rodrik, 1997, "Globalization, Social Conflict and Economic Growth", Prebisch Lecture 1997, UNCTAD/CNUCED, Genève, 24 octobre.
24) www.senat.fr/rap/r06-189/r06-1899.html.
25) P. Lunde-Jensen et I. Levy, « A model for assessing the costs of stressors at national level : socio-economic costs of work stress in two EU member states », European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions, Bruxelles, 1996.
26) À la différence de pays comme la Suède ou la Suisse, les pouvoirs publics en France n’ont pas procédé à des enquêtes épidémiologiques complètes sur les coûts du stress au travail. Pour une présentation des sources et des données disponibles voir J. Sapir, La fin de l’Euro-libéralisme, Le Seuil, Paris, 2006.
27) D. Ramaciotti et J. Perriard, « Les coûts du stress en Suisse », Genève, Groupe de psychologie appliquée (GPA) de l’université de Neuchâtel et ERGOrama, 2001.
28) J. Bivens, Globalization, American Wages and Inequality. Past, Present and Future, Economic Policy Institute Working Paper, 6 septembre 2007.
29) B. Cassen, « Inventer ensemble un ‘protectionnisme altruiste’ », Le Monde diplomatique, Février 2000.
30) Voir à ce sujet David Todd « Libre-échange et protectionnisme 1814-1851 », Grasset 2008.
31) Voir Hakim El Karoui « L’avenir d’une exception », Flammarion, 2006.






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