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Pourquoi ce blog

L'objet de ce site est de baliser par quelques souvenirs éloquents l'histoire récente et de faire contribuer ces expériences, par des commentaires d'actualité, à éclairer et choisir les changements, en s'interrogeant sur les propositions des politiques et les analyses des essaiystes. Donc, à l'origine, deux versants : l'un rétrospectif, l'autre prospectif.

A côté des problèmes de société (parfois traités de manière si impertinente que la rubrique "hors des clous"a été conçue pour les accueillir), place a été faite à "l'évasion" avec des incursions dans la peinture, le tourisme, des poèmes,  des chansons, ce qui constitue aussi des aperçus sur l'histoire vécue.

 

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L'auteur

 

DSCF0656-copie-1.JPGNé en 1933, appartenant à la génération dont l'enfance a été marquée par la deuxième guerre mondiale, l'occupation et la Résistance, l'adolescence par la Libération, la guerre froide, puis par de clairvoyants engagements pour les décolonisations, l'auteur a ensuite partagé sa vie professionnelle entre le service public (il a notamment été préfet, délégué à l’emploi, directeur des affaires économiques de l’outre-mer, président de sa chaîne de radio-télévision, RFO), l'enseignement et la publication d’ouvrages de sciences politiques (il est aujourd’hui membre du comité de rédaction et collaborateur régulier de la Revue Politique et Parlementaire). Il a également assumé des missions dans de grandes entreprises en restructuration (Boussac, Usinor/Sacilor), puis a été conseil d’organismes professionnels.

 

Alors que ses condisciples ont été en particulier Michel Rocard et Jacques Chirac (il a partagé la jeunesse militante du premier dans les années cinquante et fait entrer le second à Matignon dans les années 60, avant d'être son premier collaborateur à l’Emploi et pour la négociation de Grenelle et au secrétariat d’Etat aux Finances, il n'a suivi ni l'un, ni l'autre dans leurs itinéraires. En effet, dans le domaine politique, comme il ressort de ses publications (cf. infra), Gérard Bélorgey n’a rallié ni la vulgate de la Veme république sur les bienfaits de l’alternance entre partis dominants, ni les tenants du catéchisme du libre-échange mondial. Il ne se résigne donc pas à TINA ("there is no alternative" au libéralisme). Tout en reconnaissant les apports autant que les limites de ceux qui ont été aux affaires et avec lesquels il a travaillé, il ne se résigne pas non plus à trouver satisfaction dans tel ou tel programme de camp. Mesurant combien notre société multiculturelle, injuste et caricaturalement mondialisée, souffre aussi bien des impasses de l’angélisme que des progrès de l’inégalité et des dangers de l’autoritarisme, il voudrait contribuer à un réalisme sans démagogie.

 

Partie de ses archives est déposée dans les Fonds d'Histoire contemporaine de la Fondation des Sciences Poltiques (cf. liens).

 

Il a publié sous d'autres noms que celui sous lequel il a signé des ouvrages fondamentaux que furent "le gouvernement et l'administration de la France" (1967), "la France décentralisée" ( 1984), "Les Dom-Tom" (1994)  : le pseudo de Serge Adour correspond à l'époque de la guerre d'Algérie et à une grande série de papiers dans Le Monde en  1957 , celui d'Olivier Memling au recueil de poèmes et chansons "Sablier " (couronné en 1980 par l'Académie Française et référé, dans l'histoire littéraire du XXeme Siècle de Hachette) celui de  Gérard Olivier à son analyse dans de  grands quotidiens de la décentralisation en 1981/82; celui de Solon  (malheureusement partagée par erreur avec d'autres auteurs) à la publication en 1988 de "la démocratie absolue" . Cessant de vivre un peu masqué, il retrouve son nom en 1998 pour "Trois Illusions qui nous gouvernent", puis en 2000 pour "Bulles d'Histoire et autres contes vrais " (série de coups de projecteurs sur quelques apects du dernier demi siècle qui seront souvent repris ci-dessous), ainsi que pour de  nombreux articles dans  diverses revues. EN 2009, il est revenu sur la guerre d'Algérie avec le roman ( Ed. Baurepaire) "La course de printemps". Il prépare "L'évolution des rapports Gouvernés /Gouvernants sous la Veme République :entre absolutismes et renouvellements?"

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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 09:31

 

À RELAYER

texte remarquable

dont je ne connaissais pas l'auteur 

j'ai trouvé ces liens pour le découvrir 

http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/barbancon.html 

http://criminocorpus.cnrs.fr/qui-sommes-nous/160/

 

et je regrette encore plus de n'avoir pas eu l'occasion de  croiser cet homme sur des  chemins pour partie un peu partagés  entre Algérie et  Pacifique

 

Contribution au colloque du 9 octobre 2013 à la maison de la Nouvelle Calédonie *

 

Des accords de Matignon à l’Accord de Nouméa 1988-1998

Louis-José Barbançon

 

« … Matignon. Non pas ce compromis, mais au contraire, cette percée. Cette avancée. Cette victoire.

Et d’abord, une victoire sur soi… La plus grande des victoires. Sur la douleur intime. Sur le ressentiment. Sur la légitime méfiance. »

Aimé Césaire, comment ne pas citer ses phrases définitives, en évoquant le ressentiment et la légitime méfiance faisait référence aux 140 années de l’histoire coloniale du pays Kanak, mais le 26 juin 1988, le ressentiment et la légitime méfiance dominent également en Nouvelle-Calédonie, à l’annonce de l’accord de Matignon.

Comment pourrait-il en être autrement aux lendemains d’une guerre insulaire ? Car à la dimension de l’île, c’est bien d’une guerre qu’il s’agit.

Les médias ont popularisé l’expression « les Événements » qui avait été utilisée pour qualifier les opérations de « maintien de l’ordre public » en Algérie. Pourtant, sur le terrain, l’affrontement physique, idéologique et armé, oppose deux camps antagonistes : les indépendantistes et les non-indépendantistes aussi appelés «loyalistes». Comparées de manière proportionnelle à la population française d’alors, les quelques 73 victimes civiles et militaires représenteraient près de 26 000 morts dans l’Hexagone, tandis que les 1200 réfugiés de toutes origines contraints et forcés au départ des vallées vers les villages et des villages vers des communes de la côte Ouest et du Sud, correspondraient à près de 400 000 personnes déplacées !  Dans un milieu insulaire où la proximité géographique, relationnelle ou parentale peut se transformer en facteur aggravant, tout comme la rumeur et l’insécurité permanente, il convient aussi de prendre en compte les milliers d’actes répréhensibles portant atteinte aux personnes et aux biens commis sur une durée de 93 mois. Ajoutons y, l’encadrement de ce segment d’histoire par des assassinats de personnalités politiques : Pierre Declercq en 1981, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné en 1989 ; un effectif total de 7 020 personnes des forces armées et de l’ordre en septembre 1987, soit 44 militaires pour 1 000 habitants, le blocus de Thio durant près d’un mois ou la présence de milices et de groupes armés à Nouméa et dans de nombreux villages. Les images que nous venons de visionner, montrent bien la réalité des opérations militaires. Il ne s’agit pas de simples opérations de police dans le cadre du maintien de l’ordre public.

Bernard Pons déclare au Figaro, avant l’assaut de la grotte d’Ouvéa, le 24 avril 1988 : « Il y a eu entre 1981 et 1986 32  morts et des centaines de blessés. La Nouvelle-Calédonie était en état de guerre civile. (...) »

Dans la lettre d’accompagnement de l’accord de Matignon, Michel Rocard écrit : « L'affrontement de ces deux convictions antagonistes a débouché jusqu'à une date récente sur une situation voisine de la guerre civile. »

Pour sa part, Jean-Marie Tjibaou dénonce dans le Figaro des 7 et 8 mai 1988, donc après Gossanah, l’intervention « …  d'une armée menant une guerre coloniale ».

Ces qualificatifs « civile » ou « coloniale » qui diffèrent sont révélateurs de deux approches distinctes. Pour les représentants de l’Etat, s’il y a guerre, il ne peut s’agir que d’une guerre civile. Seuls sont engagés les responsabilités des Kanaks et des Caldoches, l’Etat se réservant le rôle historique d’Etat impartial, protégeant les Kanaks de la violence caldoche et les Calédoniens de la violence kanake. Etat impartial, l’expression est d’ailleurs utilisée en titre dans l’accord de Matignon. Mon vécu d’insulaire et ma longue fréquentation des archives traitant de l’histoire mouvementée de la Nouvelle-Calédonie depuis la prise de possession, m’incitent à penser que la formule « Etat impartial » demeure l’un des plus beaux oxymores de la langue française. D’où l’importance des adjectifs qualificatifs. En effet, en cas de guerre coloniale, la responsabilité de l’Etat colonisateur est forcément pleine et entière. Qu’en est-il exactement après Gossanah ?

Dans la première séquence insurrectionnelle des «événements » entre 1984 et 1985, les caractères d’une guerre civile existent, déplacements de population, affrontements directs entre Kanaks et Calédoniens qui font 24 morts. Dans la seconde séquence entre 1987 et 1988, il y a 34 morts dont 31 proviennent d’affrontements entre des militants Kanak et des militaires français. Le caractère de guerre coloniale est patent. L’attaque de la gendarmerie de Fayahoué montre bien que ce sont les représentations de l’Etat colonial qui sont visées, comme la décision en avait été arrêtée par les indépendantistes quelques semaines plus tôt à Maré.

Mon propos n’est pas ici, de clore ce débat, mais de rappeler l’incertitude des mots de l’Histoire. Les réponses sont dans l’avenir. Si le pays connaît une décolonisation dramatique accompagnée d’une diaspora des communautés non-Kanak, les termes de « guerre coloniale » ou de « guerre d’indépendance » s’imposeront. Si d’un destin commun et d’une communauté de destin naît une nation, alors les termes de « guerre civile » présideront à cette naissance comme la « civil war » a présidé à la naissance de la nation américaine.

Dans ce contexte de sortie de guerre, l’accord de Matignon annoncé le 26 juin 1988 est d’abord un cessez-le-feu, un armistice, ouvrant une trêve. Les accords signés rue Oudinot, le 20 août suivant, transforment cet armistice en traité de paix, mais une paix qui règle plus le présent, par le partage du pouvoir comme l’a montré Pierre Bretegnier dans un colloque tenu au Sénat sur le sujet, que l’avenir qui sera le propos de l’Accord de Nouméa.

En août 1988, bien des incertitudes demeurent. L’urgence est de faire approuver les récents accords par un référendum national, c’est une exigence des indépendantistes qui veulent se garantir d’un changement de majorité en France. Mais en Nouvelle-Calédonie, rares sont ceux qui pensent que les accords Matignon-Oudinot sont une « percée, une avancée, une victoire» pour reprendre les mots de Césaire. Pour s’en persuader, il suffit d’analyser les résultats du référendum du 6 novembre 1988.

Au plan national, les électeurs français répondent Oui à 80 %, mais avec une abstention record de 63 %.

En Nouvelle-Calédonie, les résultats sont les suivants : 29285 Oui soit 57% contre 22062 Non. La participation s’élève à 62.4 %.

Dix ans plus tard, le 8 novembre 1998, la consultation sur l’Accord de Nouméa donnera 55400 Oui presque 72 % contre 21697 Non. La participation s’élève alors à 74,2%.

Force est de constater que le référendum de 1988 reste dominé par le « ressentiment et la légitime méfiance » tandis que la consultation de 1998 traduit une plus grande adhésion. Rapporté aux chiffres des inscrits ce passage de la méfiance à l’adhésion est encore plus flagrant. En 1988, les Oui ne représentent que 33 % des inscrits contre 52 % en 1998. Tandis que le pourcentage de Non varie beaucoup moins 25 % en 1988 contre 20 % en 1998. Les 12 points de plus de participation ont largement profité au Oui.

Une analyse plus approfondie des résultats de 1988 montre que dans les communes de population essentiellement mélanésienne, le Oui l’emporte avec des scores allant de 85 à 99 %. L’électorat FLNKS et indépendantiste a donc répondu présent et a apporté la majorité des voix qui constituent le Oui. Cet électorat représente alors environ 26000 voix si l’on se réfère aux élections précédentes. Compte tenu d’une part, de l’absence de campagne de procurations sur les Loyauté qui entraîne une diminution de la participation et d’autre part, des indépendantistes qui comme le FULK ont voté Non, on peut estimer que 85 % de cet électorat a voté Oui.

Les 29300 voix du Oui sont donc composées d’au moins 22000 voix indépendantistes soit 3 Oui sur 4. Ce n’est donc pas dans le camp indépendantiste que se situe la légitime méfiance ou du moins ses militants et ses électeurs ont su dans leur très grande majorité les surmonter. Hélas, l’avenir tragique de Jean-Marie et de Yéyé montrera que tous n’avaient pas accompli ce chemin.

Ceux que l’on appelle « les Loyalistes » représentent environ 46700 voix (résultats des régionales de 1988), dont 31000 pour le RPCR de Jacques Lafleur et 15700 pour les partis situés à la droite du RPCR, le Front national, le Front calédonien et l’Entente. Ces derniers ont tous fait campagne pour le Non. Leurs voix forment les gros bataillons du Non, 15700 sur 22000, auxquels s’ajoutent le Non indépendantiste environ 1500, ce qui laisserait 4800 Non, issus du RPCR soit à peu près 15 % de son électorat, ce qui dans ce contexte est remarquable.

Sur 29300 Oui, 22000 proviennent des rangs indépendantistes, il en reste donc 7300 pour les Loyalistes majoritairement RPCR, en gros, un électeur RPCR sur 4 a voté Oui.

Plus de la moitié de l’électorat RPCR s’est abstenu ou a voté blanc ou nul. Jacques Lafleur doit donc faire face une situation délicate puisqu’il n’a pas réussi à convaincre son camp de voter Oui, il n’a d’ailleurs pas fait une campagne très active. Cependant, ses troupes ne se sont pas retournées contre lui, elles se sont abstenues, préférant une situation d’attente qui leur permet de remettre leur décision à plus tard. De plus, pour Jacques Lafleur, la difficulté provient du fait que c’est l’électorat d’origine européenne en général qui a voté Non. La capitale Nouméa a voté Non à 64% et surtout les scores du Non sont plus élevés dans les quartiers sud de Nouméa que dans les quartiers populaires où la mixité ethnique domine. La Noumeaklatura n’a pas suivi Jacques Lafleur, le Oui RPCR est minoritairement européen. Le RPCR tient encore par son électorat issu des minorités. L’image métropolitaine d’un Jacques Lafleur représentant des riches et soutenue par la bourgeoisie se révèle fausse, du moins dans cette période des lendemains du référendum.

Dix ans plus tard, en 1998, l’implication de Jacques Lafleur dans la campagne est décisive non pas pour convaincre la majorité de l’électorat européen, les beaux quartiers de Nouméa restent les plus imperméables au Oui, mais pour en convaincre suffisamment pour atteindre les 72 %. Les abstentionnistes de 1988, les indécis, les attentistes sont allés voter et ils ont en général opté pour le Oui. A titre personnel, pour la première fois, j’admets alors que le pays est redevable à Jacques Lafleur de ce résultat que je considère bien plus important que la plus médiatique poignée de main.

Le temps a donc accompli son œuvre réparatrice, mais fallait-il aussi que ce pays possède de profondes valeurs chrétiennes pour y parvenir, fallait-il que les gens du pays aient envie de faire passer les valeurs de partage et de pardon avant la raison. Dans de nombreux colloques, j’ai souvent entendu d’éminents juristes démontrer à grand recours d’arguments plus rationnels les uns que les autres, combien l’Accord de Nouméa était un monstre juridique, combien il remettait en cause les valeurs de la République, combien il méritait d’être contesté, et déféré devant les plus hautes instances judiciaires. Il n’existe pas de valeurs Kanak, ni de valeurs chrétiennes sur lesquelles d’aucun pourraient s’appuyer pour dénoncer ou attaquer l’Accord de Nouméa.

Les accords de Matignon-Oudinot et plus encore l’Accord de Nouméa ont voulu donner du temps au temps. Panser les plaies, pouvoir se regarder de nouveau quand le sang a coulé. Le temps guérit, paraît-il. Mais il permet aussi le renouvellement des générations.

En Nouvelle-Calédonie, on peut dire qu’il y a - les vrais démographes nuanceraient - 4000 naissances et 1000 décès par an. Depuis Matignon-Oudinot en 25 ans, 25000 personnes qui ont participé au premier référendum sont décédées. Et entre temps, il y a eu 100000 naissances. Autrement dit, le corps social actuel est différent de près 125000 personnes de celui de 1988, sans compter l’apport de l’immigration dont seule l’INSEE trouve qu’elle n’existe pas. Ces deux accords sont donc un pari sur la jeunesse. Tous ceux qui ont 25 ans aujourd’hui n’ont pas connu autre situation que la paix. Nous devrions tous nous en réjouir. Pourtant, les récentes élections montrent qu’un facteur qui était un atout en 1988, peut devenir un handicap quand le retour des discours virils et belliqueux ouvrant la voie aux victoires électorales, exploitent la méconnaissance d’un corps électoral profondément modifié et oublieux des temps de guerre. Aujourd’hui la paix ne fait plus rêver, du moins, elle n’est plus un critère déterminant dans les choix des électeurs qui ne mesurent plus sa fragilité. Le pari sur la jeunesse esquissé en 1988 et affirmé en 1998, devient d’autant plus difficile à tenir que cette dernière n’a pas conscience de la réalité de ces « temps de guerre ». L’usage exclusif du terme « événements » ne lui permet pas de mesurer cette période dans toute sa violente dimension. Pour mon fils, né en 1987, un événement, ce n’est pas une guerre. Le concert de Jimmy Cliff à Nouméa en 1996, la France qui gagne la coupe du Monde en 1998, ce sont des événements. D’où la nécessité dans un événement comme ce colloque de rappeler quelques fondamentaux à propos des mots comme des représentations.

Le monde de tweet, de zapping, de com dans lequel nous vivons a, encore plus que dans les siècles précédents, besoin de représentation symbolique, de mythe. La poignée de main en fait partie. Elle est de toutes les commémorations. Mais ce n'est pas parce qu'un peuple commémore des événements historiques qu'il possède une connaissance historique. Ne sommes-nous pas en train de participer à la sacralisation d’une icône que l’on ne pourrait même pas, ne serait-ce commenter, sans devenir sacrilège ?

Pourtant, si l’on décide de symboliser l’Histoire calédonienne par l’acte de deux guides du peuple, on accepte d’entrer dans l’ordre totémique et l’on occulte le fait que la vox populi fonde, à partir de 1998, avec 72 % de Oui, notre communauté de destin. Peut-on décider ainsi de minimiser et de nier l’ordre démocratique ? Doit-on choisir de continuer à célébrer l’aristos, les meilleurs, en oubliant de célébrer le demos le peuple ?

De ces deux hommes Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, de qui suis-je le plus proche ? A titre personnel, c’est des écrits de Jean-Marie, de ses réflexions, de ses paroles, de son être au monde que je me sens proche. De même, il est naturel de penser que des Kanak militants du RPCR se sentent proches de Jacques Lafleur. Or, ce n’est pas le message que l’icône imposée veut nous transmettre pour toujours. Sur cette icône, Jacques Lafleur représente les Blancs et Jean-Marie les Kanaks. Tout est figé pour l’éternité, comme congelé. Et je me demande si nous ne régressons pas en statufiant pour toujours cette poignée de main, en en faisant un acte sacré. Il faut, me semble-t-il, laisser toute sa chance  à l’avenir, pour que demain ce ne soit pas la couleur de la peau qui dicte le choix des femmes et des hommes. Alors nous aurons contribué à briser une statue de sel de plus une de ces statues que les sociétés laissent trop souvent s’ériger sur un socle de mémoire mal maîtrisée et de non-dit mal dominé. Comme l’écrit le poète calédonien Nicolas Kurtovitch ce geste ne doit pas être : «… conservé dans l’écrin du passé, poli au cours de maintes cérémonies, de maintes invocations, comme s’il suffisait de rappeler ce moment précis pour conjurer la violence, les passions et le mensonge. Ce geste doit être oublié et simultanément reproduit sous d’autres formes… »

 Je formule donc le vœu que ce colloque ne consacre pas une victoire de la mémoire sélective et une défaite de la démarche historique. L'Histoire n'est pas qu'un savoir, c'est un savoir critique. Or, pour le moment, tout contribue à faire croire que les accords de Matignon-Oudinot sont une création ex-nihilo, qu'avant il n'y avait rien. Mais le Saint-Esprit n’est pas descendu un jour sur Matignon et … les hommes sont devenus intelligents. Matignon n’est pas une nouvelle Pentecôte. Matignon n’est pas non plus une rupture dans le continuum historique. De même que l’Accord de Nouméa n’est pas une rupture par rapport à Matignon-Oudinot.

Pourtant, que de différences entre ces deux accords qui ne sont pas de même nature. Au pays, on écrit volontiers les accords de Matignon avec un a minuscule et l’Accord de Nouméa avec une majuscule comme l’Alliance dans la Bible. L’Accord de Nouméa est un accord de décolonisation : « La décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie… ». Il organise des transferts de compétence d’une manière irréversible et il « pose les bases d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. » Désormais l’Etat est plus partenaire qu’arbitre. Le cliché des poignées de mains croisées de Lionel Jospin, Jacques Lafleur et Rock Wamytan illustre involontairement ou volontairement ce nouveau rôle de l’Etat. On pourrait citer bien d’autres points distinguant dans leur essence ces deux accords, dont la collégialité gouvernementale ou les signes identitaires, et malgré tout, sans Matignon-Oudinot, pas d’Accord de Nouméa, comme sans Nainville-les-Roches, pas de Matignon-Oudinot.

L’histoire de ce pays se réclame de deux grandes filiations. Celle qui est traditionnellement reconnue par les historiens et qui oppose, depuis la prise de possession de 1853, colonisés et colonisateurs, exploiteurs et exploités, colons et kanak. Une opposition qui connaît des paroxysmes, avec la grande insurrection de 1878 ou la guerre kanak de 1917, qui se poursuit avec la revendication nationaliste et le point d’orgue de la guerre civile ou coloniale entre 1984 et 1988. Dans cette filiation, la Nouvelle-Calédonie serait donc une terre d’affrontement. Mais il existe une seconde filiation qui est rendue possible par la fin de l’Indigénat en 1946. Elle apparaît  avec le premier accord de Nouméa en 1952, se poursuit avec la création de l’Union Calédonienne et sa devise « deux couleurs un seul peuple », puis plus tard avec le gouvernement Tjibaou qui réunit la FNSC et le Front Indépendantiste, la table ronde de Nainville-les-Roches, jusqu’aux accords de Matignon-Oudinot, l’Accord de Nouméa et la levée des deux drapeaux. C’est la filiation  de la devise, « terre de parole ». Dans cette optique, si la nature du pays est le dialogue, il devient naturel de conclure des alliances entre anciens adversaires, entre indépendantistes et non-indépendantistes, et ce sont ceux qui s’y opposeraient qui deviendraient contre-nature.

De cette décennie de paix, 1988-1998, il aurait fallu revenir sur bien des réalisations en grande partie évoquées dans le film de Jacques-Olivier Trompas retraçant le chemin parcouru. Certaines mériteraient un colloque à elles seules : le chantier de la Koné-Tiwaka si cher à Jean-Marie Tjibaou, les 400 cadres, la mise en place des provinces et les transferts de pouvoir effectif dès juillet 1989, l’Université Française du Pacifique toujours en 1989, ou encore le Centre culturel Tjibaou dessiné par Renzo Piano, inauguré par Lionel Jospin le 4 mai 1998 à la veille de la signature de l’Accord de Nouméa. D’autres ont eu moins de retentissement mais révèlent une réelle évolution des mentalités, je pense à la sortie, dès 1992, du manuel scolaire d’histoire de la Nouvelle-Calédonie pour le Primaire publié par le Centre de Documentation Pédagogique alors de compétence territoriale. Il faudra attendre 2010, pour que le secondaire compétence exclusive de l’Etat, se dote d’un manuel semblable pour les classes de premières et de terminales.

Parmi toutes ces créations et évolutions, j’ai donc dû faire des choix, j’en ai retenu deux qui, à mon sens, ont entraîné une profonde mutation du pays.

L’accord de Bercy en février 1998, vient consolider Matignon-Oudinot et constitue un préalable à l’accord de Nouméa. Qu’un accord économique prépare, se situe en amont, d’une décolonisation est historiquement nouveau. Il faut bien comprendre qu’au lendemain de Matignon-Oudinot et après la guerre et ses pertes, le mot d’ordre est devenu : « L’indépendance ne se prend pas, elle se prépare ». Jean-Marie Tjibaou confiait, qu’étudiant à Lyon, il avait été marqué par les propos de ses condisciples africains regrettant que les indépendances du continent noir avaient trop souvent conduit les dirigeants des nouveaux Etats à venir demander de l’argent « par la fenêtre » aux anciennes métropoles coloniales. Cette obsession de la maîtrise de l’économie, des moyens de production pour une meilleure redistribution des richesses, je l’ai rencontrée avec Jean-Marie Tjibaou, entre 1982 et 1984, dans le gouvernement qu’il présidait et qu’avec mes amis, j’avais contribué à mettre en place. Cette détermination a toujours animé ceux qui lui ont succédé au FLNKS. C’est dans cette tradition qu’il faut replacer « le préalable » minier qui a mobilisé au delà même de la mouvance indépendantiste. Il suffit de regarder les clichés des manifestations militantes et populaires qui accompagnent les négociations de Bercy et qui sont aujourd’hui curieusement oubliées, comme si l’expression du peuple ne comptait pas et que seul importait les compétences, l’intelligence ou la pugnacité des négociateurs. Qu’il me soit permis néanmoins d’évoquer la mémoire de Raphaël Pidjot qui devait disparaître dans un accident d’hélicoptère en novembre 2000 avec l’état-major de la SMSP.

En avril 1990, la vente des mines de la SMSP, par Jacques Lafleur à la Province nord, que l’on dit actée au moment des négociations de Matignon, a mis en route une dynamique, animée par une volonté politique, qui conduit à l’accord de Bercy et à l’échange des massifs miniers avec la SLN, condition de faisabilité de la future usine du Nord. En quoi ces transactions qui relèvent du monde des affaires et de la finance constituent, elles aussi, « une avancée », « une percée », « une victoire » ?

Historiquement, la mine fait partie du projet colonial. C’est l’un des principaux facteurs de colonisation. La mine du XIXe siècle est cannibale, elle dévore les hommes, elle nécessite la venue et l’exploitation d’une main d’œuvre, dont les descendants forment aujourd’hui la mosaïque calédonienne. Avec Bercy et les suites de Bercy, ce facteur de colonisation devient le principal facteur de décolonisation. Nous commençons tout juste à entrevoir les bouleversements sociétaux de cette inversion des termes de l’Histoire. Notons au passage, que l’Histoire s’inverse aussi dans le sens où l’Etat qui, jusque là, avait toujours refusé son soutien à la bourgeoisie calédonienne issue du colonnat dans ses projets de construire de nouvelles usines métallurgiques avec des partenaires internationaux non Français, l’accorde aux dirigeants indépendantistes.

Le pays change. La décennie 1988-1998 est également marquée par la multiplication des conflits sociaux dont les observateurs ne retiennent que l’âpreté sinon la violence, facteurs de déstabilisation de l’économie. Conflits chez Le Froid, aux IRN, chez Song, sur le port, à Jama médical, chez Ballande, chez Mazoyer, chez Costentin, à RFO, à SOGADOC… la liste est encore bien plus longue. C’est le temps des cadenassages et des bâches bleues. A lire ce qui s’écrit à l’époque à entendre ce qui se dit, on pourrait croire que le diable et ses légions ont investi le pays et qu’ils ont nom USTKE. L’analyse la plus commune consiste à constater que ce syndicat, parce qu’il est indépendantiste, a porté la revendication et la lutte du plan politique où il n’est pas représenté, au plan social où il peut exister. Rares sont ceux qui comprennent que pendant cette période, par ces conflits, par la manière de ces conflits, l’évidence d’un salariat Kanak permanent devient évidente. Le monde Kanak est passé d’une société dominée par l’emploi saisonnier et l’activité de subsistances à une société de salariat permanent dans les secteurs secondaire et tertiaire. Mutation sociologique également issue des accords Matignon-Oudinot, c’est aussi « une avancée », « une percée », « une victoire ».

Si cette avancée est irréversible d’autres également issues de Matignon-Oudinot et de Nouméa ne le sont pas. Depuis Nainville-les-Roches, le Front Indépendantiste puis le FLNKS ont toujours accepté de mener la décolonisation dans le cadre des institutions de la République. La Constitution française garantit que la démocratie sera le moyen final de la décolonisation. Une décolonisation conduite par des instances internationales, option toujours possible, n’a pas été retenue. Une décolonisation dans et par la démocratie est souhaitée par tous. Dans cette configuration, il faut néanmoins se demander où se situe la priorité : dans la démocratie, ou dans la décolonisation ? Ou plutôt, si la démocratie se révèle être un obstacle à la décolonisation, laquelle de ces deux notions devient prioritaire ? Ni Matignon-Oudinot, ni Nouméa n’ont répondu à cette question. Je crains qu’il n’y ait pas de réponse théorique et prédéfinie. La réponse, une fois de plus, sera donnée par l’Histoire. En attendant, cette interrogation pose le problème de la légitimité. Qui est légitime pour négocier ? Dans la République, comme dans toute démocratie, la réponse ne souffre d’aucune contestation, ce sont les vainqueurs des élections. Dans un pays en voie de décolonisation, ce n’est pas si évident. Les représentants du peuple colonisé même s’ils sont écrasés électoralement seront, quoiqu’il arrive, présents à la négociation finale. La légitimité électorale n’efface pas la légitimité historique, particulièrement dans un pays où ce que l’on peut faire et ce que l’on ne doit pas faire, ce que l’on peut atteindre et ce que l’on ne doit pas franchir se mesure à l’aune de Gossanah.

Je voudrais au terme de cette intervention, vous faire part d’une expérience vécue il y a quelques semaines à Alger où je me suis rendu à l’invitation du Gouvernement algérien dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance. Je faisais partie d’une délégation officielle du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, conduite par Mme Dewe Gorodey. Nous allions inaugurer l’exposition Caledoun, nom de la Calédonie en arabe, dont je suis le commissaire scientifique, et qui après l’Institut du monde Arabe à Paris était présentée en Algérie traduite en arabe et intégrée à l’exposition de 5000 m2 consacrée à la guerre d’indépendance mais aussi aux résistances et aux soulèvements contre la colonisation française. La délégation comprenait des descendants des Algériens condamnés puis transportés en Nouvelle-Calédonie à la fin du XIXe siècle ainsi que des représentants coutumiers de l’aire Ajie Arhu.

De cette exposition, j’ai rapporté cette affiche représentant la délégation du FLN aux accords d’Evian. Si l’on juxtapose ce cliché avec ceux des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, la présence des dirigeants du RPCR apparaît dans toute son exception. Il faut le redire : Matignon-Oudinot et Nouméa sont des exceptions historiques car si la présence de l’Etat et du FLNKS est historiquement naturelle celle des représentants des communautés issues de la colonisation ne l’est pas. Leur présence est une « une avancée », « une percée », « une victoire ». Mais cette présence n’est pas définitivement acquise. A la différence de l’Etat et du FLNKS, les autres doivent mériter d’être présents. Si leur conduite, leurs positions se réfugient dans les refus systématiques et les rejets du partage et du dialogue, rien ne pourra empêcher le FLNKS de négocier seul avec l’Etat, et rien ne pourra interdire l’Etat de représenter seul des Français qui s’affirment plus Français que les Français. Michel Rocard, Jean-Marie Tjibaou, Jacques Lafleur ont légué aux Calédoniens non Kanak un don précieux et fragile : celui d’être admis à la table. Aussi difficile ou injuste que cette vérité nous apparaisse, nous devrions tous prendre conscience de cette exception calédonienne pour reprendre le titre de Pierre Maresca.

A Alger, cette évidence a pris tout son sens. Au cours de ce séjour, dans toutes les visites et les cérémonies officielles, ce ne sont pas les Arabes de Nouvelle-Calédonie qui ont conduit et fait rentrer les coutumiers Kanak, comme l’auraient souhaité les responsables du ministère des Moudjaïdin. Par un mouvement naturel, les Arabes de Nouvelle-Calédonie se sont toujours placés derrière les coutumiers et ont refusé d’être, pour eux, des accueillants. Les coutumiers Kanak ont conduit et introduit la délégation du Pays. « Nous sommes ensemble. Ils sont venus avec nous. Ils sont avec nous. Ils font le travail avec nous», répétaient-ils dans toutes leurs coutumes. Quand on sait que ces coutumiers sont les descendants des tribus Kanak qui ont été détruites ou dispersées après l’Insurrection d’Ataï en 1878 et que c’est sur leurs tertres ravagés et leurs terres spoliées dans la région de Bourail que l’administration coloniale a installé les ancêtres de ces mêmes Algériens, on mesurera le chemin parcouru et les efforts réalisés par les uns et les autres. Comment alors ne pas répéter après Césaire, Matignon, Nouméa : « une victoire sur soi… La plus grande des victoires. Sur la douleur intime. Sur le ressentiment. Sur la légitime méfiance. »

Introduire un colloque dont l’intitulé annonce deux durées : 25 ans et 15 ans. 25 ans et 15 ans qui ont vu la chute du Mur de Berlin et la libération de Mandela. J’ai en vain cherché un événement, une image qui aurait pu incarner ces deux durées : 25 ans et 15 ans. Je me suis souvenu des années où j’exerçais comme professeur en ZEP, au Collège de la Rivière Salée, où j’ai fait toute ma carrière et je me suis décidé à faire l’appel :

Eric Galardon - Jacques Morice - Michel Couhia - Aldo Goyetche - Yves Tual - Aldo Tonhoueri - Célestin Zongo - Jean-Marie Kabar - Jacques Fels   - Léopold Dawano - Julienne Akaro - Martial Vanaa - Esekia Ihily - Ben Dao - Donatien Wadjeno - Jean-Luc Majele - Patrick Waina - Samuel Wamo - Séraphin Ouckewen - Jean-Yves Veron.

Tous avaient entre 15 ans et 25 ans, leur durée de vie parmi nous. Nous allons commencer nos travaux mais je ne peux m’empêcher de penser que l’encre des stylos qui ont servi à la signature des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, est l’encre de leurs vies.

Au Pays, avant une réunion importante, un débat, une discussion, on n’appelle pas en vain par leurs noms celles et ceux qui ne sont plus là...

Alors, voilà, j’ai dit. A vous maintenant. Tchokouè.

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* où a également été projeté le film de Ben Salama "Naissance d'une Nation"

 

 

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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 15:27

01-hymne-de-Nouvelle-Cale-donie.mp3 01-hymne-de-Nouvelle-Cale-donie.mp3

Ci-dessus  à télécharger
l'HYMNE DE NOUVELLE CAL2DONIE
 transmis par Alain Christnacht avec les commentaires ci après :

"chanté par plusieurs chorales blanches et noires et joué par un orchestre, comprenant une « toutoute »  (coquillage dans lequel les Kanak des clans de la mer jouent une musiqued'appel), ce qui a été recemment joué  devant toutes les autorités de la Nouvelle-Calédonie et des membresde la mission du Dialogue de 1988 pour les anniversaires des accords de Matignon et de Nouméa."...
"Le refrain est également chanté en nengone, langue
 de Maré, la plus musicale des langues kanak, dans la version officielle. Cela n'a rien de néocolonialiste ou "blanc" même si la chorale principale est très "petites filles blondes" mais c'est musicalement, et de loin, la meilleure.
 Tout juste pourrait-on trouver une certaine inspiration chrétienne mais ils sont comme ça en Kanakie, avec le poids historique des missions protestantes ou catholiques". 
"Lors de la présentation, spontanément, les invités, dont le haut-commissaire,
 le maire de Nouméa et Dick Ukeiwe, se sont levés. Seuls les parlementaires du Rassemblement-UMP étaient absents mais les élus du Rassemblement ne s'étaient qu'abstenus au moment du vote du projet.
 Les élus indépendantistes ont voté pour. Ils ont exprimé leur satisfaction à la présentation."

"L'hymne est l'un des "signes identitaires" dont l'Accord de Nouméa a prévuqu'il devrait être adopté de manière consensuelle (loi du pays à la majorité
> > des 3/5e). Il y a déjà un hymne en Polynésie. Les autres sont la devise - adoptée en même temps que l'hymne : «terre de 
parole, terre de partage » . Le graphisme des billets de banque est  en cours ; pour le nom de la Nouvelle-Calédonie et le drapeau c'est plus compliqué,  mais, selon la même méthode que pour l'hymne, un groupe de travail 
consulte et un concours a été lancé. "



Soyons unis, devenons frères.

Ô Terre sacrée de nos ancêtres,
Lumière éclairant nos vies,
Tu les invites à nous transmettre
Leurs rêves, leurs espoirs, leurs envies.
A l’abri des pins colonnaires,
A l’ombre des flamboyants
Dans les vallées de tes rivières,
Leur cœur pour toujours est présent.
Refrain 1 :
         Hnoresaluso ke’j onome
         Ha déco ikuja ne enetho
         Hue netitonelo kébo kaagu
         Ri nodedrane
 
Refrain 2 :
         Soyons unis, devenons frères,
         Plus de violence ni de guerre.
         Marchons confiants et solidaires,
         Pour notre pays
 
Terre de parole et de partage
Tu proposes à l’étranger,
Dans la tribu ou le village,
Un endroit pour se reposer.
Tu veux loger la tolérance,
L’équité et le respect,
Au creux de tes bras immenses,
Ô Terre de liberté

refrains

Ô Terre aux multiples visages
Nord, Sud, Iles Loyauté,
Tes trois provinces sont l’image
De ta grande diversité.
Nous tes enfants, tu nous rassembles,
Tempérant nos souvenirs.
D’une seule voix, chantons ensemble :
Terre, tu es notre avenir.
 


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27 avril 2008 7 27 /04 /avril /2008 11:15
CI- joint les deux contributions que j'ai fait parvenir à ce colloque tenu à la mairie de Paris et au Sénat les 25 et 26 avril 2008



Gérard Bélorgey-  Nouvelle-Calédonie - SOUVENIRS-1988

Les accords Matignon formalisés le 26 juin   furent en quelque sorte déclinés par les accords Oudinot formalisés le 20 août.

C’est après l’accord solennel de Matignon et pendant « la charrette » de préparation du protocole Oudinot qui constitua en fait l’ossature du projet de loi statutaire, présenté au referendum en novembre,  que je revis Jean Marie Tjibaou dont j’avais fait la connaissance vingt ans avant lorsqu’il me fut présenté par Gilbert Zaksas ( alors TPG du Territoire et qui devait décéder neuf  ans plus tard) et qui l’avait identifié comme l’homme d’avenir de la nouvelle Calédonie (cf.  Une saga de Lituanie en Calédonie in « Bulles d’Histoire et autres contes vrais » ). Si j’avais accueilli ensuite , avec certains de ses condisciples, lors de l’un de leur voyage à Paris, le séminariste  que J.M. Tjibaou fut  un moment à Lyon, si j’avais suivi ses  étapes d’étudiant en anthropologie et  reçu de lui la publication « Kanakie »  pour « Mélanésie 2000 » , vu ses engagements et mandats de l’UC au FLNKS, je crois que nous ne nous étions pas revus. Nous sommes tombés alors dans les bras l’un de l’autre dans les souvenirs du rôle de notre ami commun.  Et retrouvés régulièrement puisque nous fûmes l’un et l’autre, au « salon rouge » du ministère,  de toutes les réunions d’abord préparatoires aux accords Oudinot , ensuite de mises en forme et en œuvre  des dispositions arrêtées   et auxquelles participaient les délégations composées de représentants de chaque catégorie de signataires.

C’est Alain Christnacht dont chacun connaissait la particulière compétence en la matière qui, avec Louis Le Pensec, pilotait la négociation et assurait la mise au point des documents nécessaires, particulièrement dans le domaine institutionnel et juridique. Naturellement, pour la part relative  à l’accompagnement économique et social - dominée par l’ambition du rééquilibrage entre les provinces et qui devait déboucher notamment sur les séries de contrats de plan - la Direction des Affaires Économiques, Sociales et Culturelles du ministère (à la responsabilité de laquelle j’avais été nommé un peu avant et où Michel Rocard -  avec lequel nous avions conduit aux Etudiants Socialistes et souvent malgré la SFIO, dans les années 53/57, les réflexions décolonisatrices sur les cas du Maghreb – n’avait vu que pertinence à me maintenir) lui apportait tous ses concours. Il fallait  en conséquence tenir de surcroît les liaisons inter services avec les autres administrations et notamment avec les Finances pour faire valoir les besoins calédoniens  , ce qui n’allait pas, après de régulières messes de réunions interministérielles à Matignon,  sans très fréquents besoins d’arbitrage que rendait ou faisait rendre par le premier Ministre son conseiller ad hoc, Jean François Merle.

Il en fut ainsi pour la préparation de cette négociation et tout au long de la période qui lui succéda et fut marquée par des rencontres parisiennes régulières d’un « comité de suivi » des accords, tandis que l’état des affaires et les moyens de les faire avancer  se trouvèrent aussi placés sous les regards de plusieurs missions en Nouvelle Calédonie dont une première réunit  pour le Cabinet Martine Ulman et Marc d’Aubreby) ainsi que  moi-même pour l’administration.

 Parmi toutes les questions à l’ordre du jour, il faut souligner les  places que prirent
- la détermination précise de grands investissements structurants, comme la transversale dite alors Koné-Tiwaka dont nous allâmes jusqu’à repérer en véhicule tout terrain  les passages possibles dans la dorsale calédonienne ;
- les hypothèses des sites de développement des activités minières, portuaire ( comme Népoui)  et sidérurgiques ( on cherchait déjà la bonne localisation pour un site dans le Nord, non loin de Poum) , alors même – ce qui m’avait étonné, mais il ne voulait sans doute pas prendre de risques - que J.M. Tjibaou n’avait pas fait de forcing pour faire traiter la question des droits miniers dans le cadre des accords Oudinot et que la question minière ne  revint que plus tard,   lorsque eut mûrit l’idée de l’apport des mines de la famille Lafleur à la Province Nord, moyennant un montage financier l’assurant de dédommagements normaux, montage auquel se prêta l’ICAP  évoqué ci dessous.
- les moyens de faciliter la naissance de petites activités locales exploitant toutes les opportunités de l’agriculture, de la pisciculture, de l’élevage,  de la forêt,  des facultés de transformations et d’exportations : à cette fin, fut fondé,  sur ma suggestion ( car je provenais de l’Institut de Développement Industriel dont j’avais été l’un des représentants pour le traitement de l’affaire Boussac  et que cet IDI  offrait des techniques de références ), l’Institut Calédonien de Participation établissement dont le principe a été inscrit dans la loi de statutaire de novembre 88 ; cet ICAP, présidé dès l’origine par Paul Néaoutyne,  associait les Provinces et l’ Agence Française de Développement pour faire le temps nécessaire, sur dotations publiques,  les portages financiers dont des exploitants sans suffisamment de ressources propres n’avaient pas d’emblée les moyens et son développement efficace a été apprécié depuis vingt ans.  
- l’opération dite « 400 cadres » à laquelle s’attachèrent tout spécialement au cabinet Patrick Broudic et son correspondant de l’administration des Postes, Christian Kozar ; l’opération consistait à détecter, motiver et envoyer en métropole 400 jeunes néo-calédoniens où ils recevaient les formations ad hoc pour pouvoir tenir de nouveaux types d’emplois en rééquilibrant de la sorte  les équilibres ethno professionnels  ( le lieu privilégié de  stage s’étant trouvé être Besançon, en hiver, les adaptations comportèrent d’importants aspects vestimentaires pour un certain nombre d’entre ceux qui y arrivaient en tenue tropicale ) ; je fis ultérieurement faire appel pour piloter l’opération en Nouvelle Calédonie même à François Lebouteux, grand spécialiste en formations qui avait été mon adjoint lorsque j’avais eu auprès de Michel Delebarre en charge la « mission jeune » en 1985.
- les affaires de redistribution agraire que conduisait avec difficulté et grand besoin de mise en ordre l’Agence de développement rural et d'aménagement foncier ( ADRAF).
- les besoins de renforcement électrique gérés par ENERCAL
- l’applicabilité à la Calédonie  des avantages de  la défiscalisation ( la « loi Pons » était précisément en révision)  au bénéfice de revenus métropolitains  s’y investissant .  

Veillant sur place à la venue à temps des crédits et moyens, le très énergique J. F. Carenco, secrétaire général aux affaires économiques,  harcelait comme il convenait et l’administration parisienne et les opérateurs locaux . Deux autres hommes ont alors marqué ces circonstances, auprès du Haut Commissaire : l’un était  le préfet Jean François Denis qui connaissait bien la brousse  et les élus locaux de partout et nous les  fit découvrir (cf. photo 1  de la mission de septembre 88, où il est à droite ; la photo 2 réunit J.M. Tjibaou, Martine Ulman et moi-même à Hienghène) ; l’autre  était Jacques Iékawé, premier préfet mélanésien , après avoir été auparavant secrétaire général de la SLN. Il savait nous faire comprendre – au moment où l’on installait ici et là de jeunes administrateurs parfois impétueux - les délais et les précautions qu’impliquaient, dans le nécessaire respect de la coutume et des tabous fonciers ( pouvant neutraliser des possibilités d’utilisation du sol) la réalisation des équipements publics. Son extrême délicatesse et sa double culture en faisait un interlocuteur  très utile pour tous, mais il devait, à la suite d’une opération chirurgicale mal conduite dans un état voisin, disparaître prématurément. Une autre figure mélanésienne très active fut celle de   Raphaël Pidjot, signataire des accords, et  avec lequel j’ai beaucoup travaillé : il fut le coadjuteur technique  en tous domaines de J. M. Tjibaou avant de prendre la présidence de la société des mines de la province Nord, fonction dans laquelle il trouva la mort  dans un accident d’hélicoptère.

Je retiens le profil  de Jean Marie Tjibaou dans sa terre de Hienghène. Il  avait à la fois  su mûrir  près de vingt années, souffert un assassinat de ses frères qui semblait le viser lui-même, du accomplir, avec le soutien de sa femme,  bien des actes de prudence, comme de confier pendant la période la plus dangereuse  ses enfants à  cet européen ( dont je ne retrouve plus le nom) complétement intégré à la société locale du fait de son activité de collecteur de trocas ( ces coquillages dont il faisait les beaux boutons de chemises), gagné sur les extrémistes de tous bords une négociation du rééquilibrage laissant ouvert un avenir sur lequel il s’interrogeait sans doute lui-même .  J’ai été frappé par son extrême capacité de vigilance et d’attente. Il m’a dit un  jour – oserai-je répéter ce propos plus de paysan que d’ancien séminariste - « dans ces accords,  toute la question c’est de savoir lequel a couillonné l’autre ». Et en attendant de voir, en ne cessant d’agir pour sa foi , il faisait preuve d’une forme de sagesse et de retenue que j’ai encore retrouvée  la dernière fois que je l’ai vu. 

Au cours de l'un de ses séjours en France pour le suivi des accords, j'organisais à son intention, en tant qu’ancien préfet de la Dordogne,  une exploration dans le sud-ouest. Il envisageait en effet de créer une activité agro-alimentaire de foies gras en Nouvelle Calédonie. Il était convenu qu’à son  retour sur Paris nous devions dîner avec sa femme et la mienne . Arrivant très tard alors qu’il pleuvait, il se précipita vers la porte de verre et de métal donnant accès à  mon immeuble,  glissa, se traumatisa la jambe et s’ouvrit l'arcade sourcilière. Il était de très méchante humeur. Il avait un débat télévisé le lendemain. Il me dit : « Chez vous la pluie, ce n'est pas la pluie de chez nous; elle mouille; elle est froide; c'est une mauvaise pluie ». Et  - je m'en souviendrai toujours - il ajouta « lorsqu'on se blesse sur le seuil d'un ami, c'est un mauvais présage ». Il était assassiné quelque temps après à Ouvéa. Nous avons passé nos derniers moments ensemble au restaurant du dernier étage de la Tour Montparnasse. Les officiers de sécurité que la République lui assurait s'étaient installés au bar, nous surveillant .  Vers notre table, des serveuses portèrent successivement, sur un plateau, deux petits mots pliés, provenant de tables de l'entourage. Sur l’un on lisait "Jean-Marie, on t'aime. On aime ton pays. Vive la Kanakie avec nous". Sur l’autre, "sale canaque, on devrait avoir ta peau". Il ne disait rien et faisait découvrir le panorama de la capitale à Marie- Claude.

Je suis devenu plus tard en 1993 président de la radiotélévision de l'outre-mer (RFO) . J’ai apporté tout ce que j’ai pu à la station régionale de Nouméa et j’ai cru bien faire en nommant comme directeur régional Wallès Kotra. Mais son origine mélanésienne ( de Tiga lui aussi, comme Jacques Iékawé) ne lui  a sans doute pas facilité la tâche,  confronté qu’il fut aux très  forts antagonismes entre une partie des personnels dont certains s’adaptant difficilement aux changements en cours et les syndicalistes de l’USTKE voulant une place spéciale pour et dans la station.   J'ai aussi soutenu alors  la réalisation de magazines révélant des outre-mers méconnus et j'ai créé une collection vidéo pour pérenniser le meilleur de nos émissions de télévision. A Nouméa, l'architecte Renzo Piano concevait le centre Jean-Marie Tjibaou,  et dans ce sillage, grâce à l’épouse de Jean Marie , qui a ouvert au réalisateur, après bien des palabres, les portes de la brousse, des mémoires, des histoires et des secrets, un collaborateur Yves Delaborde avec Didier Garel,  a pu produire " l'Arbre et la Parole" (primé dans tout festival océanien) , une très authentique petite production qui est un va et vient entre l'atelier de Renzo Piano à Gênes et les villages des oncles de Jean-Marie. Tout cela a plutôt disparu dans les vicissitudes de RFO, mais c’est l’un des  témoignages auquel j’ai voulu contribuer sur ma rencontre avec cet homme et ce pays . 


Photo 1

 























Photo 2




 





















G. Bélorgey – Nouvelle Calédonie -  Observations de synthèse



Ce que j’ai vu en 1968

Un Territoire d’outre-mer comportant tous les ingrédients d’une évolution à potentialités dramatiques : la superposition d’une colonisation de peuplement importante  sur des sociétés précédentes (ne permettant , à la différence de ce qui a pu se passer dans les Dom, où le mouvement vers l’égalité a pu succédé à la phase de l’esclavage, parce qu’il n’y avait pas de référence historique « autochtone » , aucune histoire partagée depuis les origines); la spoliation agraire et le cantonnement des anciens habitants ayant suscité de lourds conflits interethniques ; le renforcement des immigrations depuis les diasporas du Pacifique et par suite de l’appel du nickel sur les européens ; une forme d’apartheid avec ses implications de large exclusion  économique et sociale des kanaques en souvent mauvais état sanitaire ; situation coloniale quasi pure que ne modérait ( à la différence de la Polynésie ) aucun métissage significatif ; des cultures étanches l’une envers l’autre, avec pour seuls facteurs communs essentiels  le rôle des religions importées rivalisant par leurs missions en milieu mélanésien  (où la religion est plus influente qu’en milieu européen) et y exerçant l’essentiel des fonctions éducatives.
C’est néanmoins ce milieu qui produit les consciences morales et politiques mélanésiennes modernes penchant entre un « loyalisme »  au service d’une recherche de bénéfices égalitaires et une affirmation identitaire frustrée portant à l’indépendantisme.
La présence de considérables forces américaines pendant la guerre du Pacifique est sans conséquences ; le souffle égalisateur  du Gaullisme s’est arrêté ensuite à l’étape statutaire des droits civiques dans un territoire dont le statut original permet la gestion fiscale, sociale, juridique au profit des dominants ; aucune risée de l’esprit métropolitain de 1968 ne parvient jusqu’ à ces antipodes. C’est en eux-mêmes que les mélanésiens doivent trouver leurs chemins. Lorsque des circonstances en révèlent la capacité, c’est le regard formé par  l’analyse historique d’un G. Zaksas qui peut constituer une catalyse.

Ce que j’ai vu en 1988

Après un certain nombre d’années d’essais de progrès et de troubles aux frontières de la guerre civile, le succès des médiateurs du Pacifique tient du miracle et s’appuie d’ailleurs sur des relais humains qui sont plus moraux que politiques. Les accords s’analysent finalement en un sursis donné pour que les communautés de N.C. trouvent une solution ensemble
- en conférant, dans la phase initiale,  un rôle clef à l’administration d’État en position de pacification arbitrale ;
- en attachant la plus grande importance au ré-équilbrage économique, culturel et social auquel se consacrent  des équipes convaincues.

Depuis lors

- des risques majeurs ont été écartés – comme ce qui aurait pu suivre l’assassinat de J.M. Tjibaou et de Yeiwené Yeiwené ou de tensions intercommunautaires encore fréquentes ;
- une ténacité exceptionnelle ( illustré par le rôle d’A. Christnacht, mais aussi de collaborateurs d’un J. Chirac  attaché à la paix civile outre-mer) a permis, notamment à la faveur de l’accord de Nouméa, puis de ses mises en oeuvre, de surmonter des questions très difficiles comme celle des corps électoraux ;
- et la cogestion du Pays dans le cadre de son statut constitutionnel s’avère possible et productive, même si elle est souvent tendue ; 
- avec en perspective  la  relative indétermination  de l’horizon 2014, compte tenu des pondérations culturelles, ethniques, politiques  du pays,  sur la forme que prendra le réalisme des uns et des autres .

Un réalisme qui ne prévaudra, dans un cadre statutaire ou un autre, que si sont peu à peu résolues les questions brûlantes qui se posent aujourd’hui et que chacun relève à la faveur de ce vingtième anniversaire : la continuation du développement, mais aussi  un besoin de maîtrise de l’inégalité et des frustrations en résultant dont témoignent les vives  pulsions syndicales ; le fonctionnement des pouvoirs dont l’équilibre et l’efficacité  tiennent  au respect de l’esprit et des contenus des accords.  

ET POUR RÉUNIR EN CETTE PÉRIODE MARQUÉE PAR LA COMMÉMORATION DE L'UN ET LE DÉCÈS DE L'AUTRE, VOICI UN ÉMOUVANT TEXTE DE CÉSAIRE SUR TJIBAOU


                                          Tjibaou par Césaire

Si dans la rétrospective des hommes de l’année, il y a une figure que l’on a pas le droit d’oublier, c’est celle de Jean-Marie Tjibaou, car nul à mes yeux n’incarne mieux en cette fin de siècle, et de manière plus pathétique la noblesse et la grandeur véritable mises au service d’un petit peuple luttant pour sa survie et la survie d’une civilisation.
Démarche en vérité exemplaire. Son premier mot d’homme politique (non pas de politicien mais d’homme) est un mot qui livre l’essentiel : « relever la tête ! ».

Oui, Kanak. Fondamentalement Kanak et fier de l’être.
Kanak, autant dire fidèle. De cette fidélité qui va, par-delà l’Ancêtre, à la Terre-mère, la Terre, entrailles toujours vivantes. De cette fidélité qui seule rend légitime l’action politique qui, au demeurant, n’est que prolongement et ne peut être que « béquille ».
Kanak donc et parce que Kanak d’une exemplaire fidélité, responsable.

Le grand mot est lâché.
Responsable de l’avenir.
Responsable du présent et du devenir.
Responsable de la vie à maintenir, à renforcer, à transmettre…

Alors inévitablement devait se poser la question :
« Comment, mais comment être kanak dans le monde moderne ? »
Il ne s’agit pas d’archaïsme. Il faut prendre le monde en charge et, l’orientant, tâcher de lui donner sens : un sens humain.

Il ne faut pas plus pour comprendre Matignon. Non pas ce compromis, mais au contraire, cette percée. Cette avancée. Cette victoire.
Et d’abord, une victoire sur soi… La plus grande des victoires. Sur la douleur intime. Sur le ressentiment. Sur la légitime méfiance.
Au terme, l’inter-reconnaissance.

Le partage.
Don. Contre-don. Partage.
Autant de mots occasionnellement employés par d’autres, mais qui sont des mots kanak, donc des mots de Tjibaou.

D’ailleurs, l’homme était d’abnégation totale et de générosité. Pas naïf. Généreux. Et parce que généreux, prêtant à l’autre sa générosité. Le croyant toujours capable d’un sursaut, d’un geste, d’une conversion.
Oui, même le colon.
Oui, même le colonisateur.

En vérité, le combat pour son pays, pour sa terre, c’est avec les armes les plus nobles et au nom des valeurs les plus hautes qu’il le mena, et jusqu’au bout :
« Kanaké est un des plus puissants archétypes du monde mélanésien. Il est l’Ancêtre, le Premier né. Il est la flèche faîtière, le mât central, le sanctuaire de la grande case. Il est la parole qui fait exister les hommes. »

Jean-Marie Tjibaou combattait pour Kanaké.
Le Nobel de la paix. D’autres l’ont eu et qui le méritaient. Jean-Marie Tjibaou lui aussi le méritait. Et il eût été bien que le reste du monde honorât la noblesse de la démarche d’un fils d’un tiers monde lointain et oublié.

Il est mort. Foudroyé par un des siens.
Cette mort, il l’avait pressentie et en avait d’avance acceptée le risque, lui qui souvent parlait du « grand trou noir ».
Aujourd’hui, disons simplement qu’il n’est pas au pouvoir du « grand trou noir » de tout engloutir.
Jean-Marie Tjibaou, pour l’essentiel, demeure.
Il aurait inventé une voie nouvelle : la voie kanak de la décolonisation.

Je vois l’allée.
Bordée de cordyline virile d’une tendresse d’érythrina.
Jean-Marie Tjibaou s’avance.
Dominant l’allée, sur la colline,
L’araucaria pérenne.
Tous les éléments du mythe fondateur sont là.
Jean-Marie Tjibaou s’avance et son indéfinissable sourire l’annonce :
« Kanaky nous est né. »

Aimé Césaire 1990

   

Pour clôre ces évocations, voici

- d'abord la jaquette de couverture du livre de présentation du festival Mélanésia






- ensuite la jacquette du film réalisé par RFO ( durée  49' )



      

    Cette réalisation de Yves              Delaborde va de la construction de la case kanak à l'achitecture de Renzo Piano pour
la construction du centre Jean Marie Tjibaou à Nouméa.


Transposée en DVD,cette production peut être commandée  à RFO
35/37 rue Danton
92240 Malakoff

et particulièrement à
laurence.zaksas-lalande@rfo.fr
   

























 
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28 mai 2007 1 28 /05 /mai /2007 11:46
Pendant cette période intérimaire, s'écoulant entre présidentielle et législatives, je suspends mes commentaires, actuellement inutiles, sur notre situation politique. Et j'en reviens aux témoignages sur l'histoire contemporaine auxquels ce blog est prioritairement dédié.

En vous offrant aujourd'hui ce retour sur des personnages clefs de l'évolution de la Nouvelle Calédonie.



- UNE SAGA DU SIECLE, DE LITUANIE EN CALÉDONIE
( extrait de "Bulles d'Histoire et autres Contes Vrais", Phenix Edition , 2000, disposnible sur alapage.com)


Au milieu des années soixante dix, en hiver, le solennel huissier à chaîne qui introduisait mes visiteurs apparaît, manifestement impressionné, dans mon bureau de préfet de Loir et Cher, en me tendant une carte de visite.

« Ce monsieur m'a dit qu'il n'a pas de rendez-vous, mais je crois vraiment qu'il peut être reçu. Vous verrez qu'il est très bien. Il a une pelisse avec un col de fourrure et une canne à pommeau d'argent. »

Celui qui est entré, dans cette tenue aristocratique, avait été un révolutionnaire professionnel et venait acheter pour sa retraite un petit château sur les plateaux de la Loire dans un paysage qui lui rappelait sa Lituanie natale. C'était le T.P.G. de Nouvelle-Calédonie. D'une fonction à l'autre, à travers sa vie qu'il m'avait contée, il avait gardé sa continuité dans les passions, sa ténacité pour le changement : de la participation aux échecs de la révolution mondiale à la contribution à la réforme en Nouvelle-Calédonie.


A Nouméa en 1969, en mission, relevant des Finances, je suis hébergé chez le Trésorier Payeur Général. La grande villa dans les lourdes fleurs. La nuit tropicale tombant tôt d'un coup. Une fois parties cette femme au casque roux et aux formes rondes tenues d'attaches fines et deux fillettes sorties d'un livre colonial anglais, fumerie dans les transats d'osier suspendus au dessus de la Ville, de la baie, des montagnes, de la mer.

« Vous n'y arriverez pas" me disait-il. " Comment le général vous a chargé d'obtenir l'institution de l'impôt sur le revenu contre le doublement des concours de la France dans le Territoire ! Mon dernier rapport personnel - vous voulez le voir - lui a dit que c'était impossible. Ils vous feront le même coup qu'à Papeete. Si l'affaire venait à être inscrite pour un débat du Congrès, ils aligneront les engins de travaux contre les grilles, les murs et les portes. Et si l'ordre du jour est maintenu, ils avanceront. Rien ne résiste aux bennes à gratter le nickel.... et l'argent. Je suis un vieux révolutionnaire. Je sais que le temps n'est pas mûr. »

« Et vous le faites mûrir? Pardonnez-moi, mais par quel chemin êtes vous là? Je connais votre nom. J'ai travaillé sur vos remarquables interventions lorsque vous étiez député à la première Constituante. Elles sont dans l'analytique de ses travaux. A côté des Teitgen, Philip et autres, vous avez été, Gilbert Zaksas, un très grand constitutionnaliste. Celui qui a fait les analyses comparées de tous les régimes intellectuellement concevables dans la France de la Libération, celui qui, sous la présidence de Guy Mollet a constitué, avec Senghor et Cot, le comité constitutionnel pour le premier projet de Constitution. Comment, pourquoi, êtes vous ici ? »

« A vous je vais le dire. Parce qu'il n'y a plus grand monde à savoir pourquoi. Mais à vous, je veux. Je ne reçois jamais personne ici sans savoir qui c'est. Le renseignement aussi a été ma vie. Pour vous donc, j'ai regardé. Votre enfance dans la guerre, pas aussi dure que pour mes enfants juifs, mais sans cadeau et votre exode jusqu'à cette frontière espagnole que je connais. Vos engagements anticolonialistes, comme les miens, des années cinquante. Votre formation marxiste par Victor Fay que j'ai tant estimé. Votre rupture, comme la mienne, avec la gauche d'alors et, comme moi, la référence au Général. Alors, malgré notre quart de siècle de distance - vous avez l'âge de ma femme, enfin... de celle d'aujourd'hui - je peux aussi tout vous raconter. Pas pour moi. Pour vous faire comprendre. Demain. En attendant Allez dormir. »

C'est son profil de vieil oiseau, chaussé de lunettes à cercle d'or, qui s'est inscrit dans la lumière rouge lorsque c'est lui-même qui a tiré d'un geste ample et sec les rideaux du matin.

« Levez-vous Monseigneur, disait -on à Louis Quatorze enfant. De grandes tâches vous attendent. Aujourd'hui, je vous emmènerai en brousse. Vous saurez un peu moins mal après.

- Dans cette tenue ? »

Je regardai la sienne. Rien n'y manquait du gilet, de la cravate, des chaussures tressées, des boutons de manchette pour dessiner le personnage d'un fonctionnaire éternel.

« Oui, dans cette tenue. C'est ainsi qu'on m'attend. C'est ainsi qu'on me reçoit, même dans les pilous pilous, ces fêtes marquées par les puissantes danses de guerre ou de moissons. Ceux qui dans les vieux atours de végétaux tressés scandent leurs piétinements immémoriaux sont les mêmes qu'aux comptoirs des bazars, dans les écoles, aux guichets de la poste ou sur les mobylettes, mais c'est une de leurs façons de faire vivre les ancêtres. Après on mange parfois de la chauve souris cuite à l'étouffée dans les palmes. Mais je conserve mon costume. C'est lui qui me fait différent des autres Européens qui sont en cow boys, en chercheur de métal ou en commerçants. Le week-end, je vais comme tout le monde, en short, sur les plages. Je sais même plonger à la poursuite des tortues. »

Nous prenons un petit déjeuner surchargé de fruits dans un jardin gorgé de couleurs. Je questionne.

« C'est la tenue du personnage?
- c'est la tenue dans laquelle, sauf au combat, j'ai été dans l'Histoire.
- dans l'Histoire? et dans les combats?
- L'Histoire elle commence par des combats. Contre la faim, contre la honte, contre le froid. »

De tout ce qu'il m'a dit, je reconstruis cette histoire dont certaines étapes restent imprécises et peut-être romancées par le narrateur qu'il était, mais dont la forte trajectoire est la vue qu'il avait de sa vie. C'est donc la vraie.

Imaginez une famille juive dans une petite bourgade de Lituanie au début du siècle. N'ayant pas le ventre assez plein pour croire à quoi que ce soit. Les siens, ils n'ont même pas cru dans la Révolution. Quand les soviets de Lénine ont pris le contrôle de la région, il a racheté leur tiédeur. C'était dangereux d'être tiède, surtout pour des Juifs. Il est entré à dix ou douze ans - il ne sait pas si elle est vraiment vraie sa date de naissance sur sa carte d'identité de la France - dans les jeunesses communistes. Il a fait que son père, qui avait eu le tort d'être un moment soldat pour la France, adhère aussi au parti. Ils ont servis ensemble dans l'avant-garde. Il a été comme son mousse - lui trouver à manger, où coucher, où fuir - sur les théâtres de la révolution permanente d'alors. Relisez Victor Serge. Il était trop jeune pour faire Spartacus, en Allemagne, avec Rosa Luxembourg. En tout cas, il est dans les grèves insurrectionnelles de l'Angleterre. Avec cette expérience, il participe, en France, à la formation aux méthodes soviétiques des cadres de la C.G.T. après la rupture de celle-ci avec Léon Jouhaux.

« Révolutionnaire professionnel, je suis devenu, mais en exil et seul, à la mort. de mon père. Je n'étais pas en Russie. Lénine, Trotsky, Kamenev, Zinoviev , les grands procès, la prise du pouvoir par Staline, je n'y ai rien compris, sauf que "le socialisme dans un seul pays" , ça allait être l'échec en Russie, trop attardée, trop pauvre, trop seule. Vous savez, elle le dit bien "la critique du programme de Gotha" : "le niveau culturel d'une société ne peut jamais être au dessus du niveau de ses forces productives". Je n'étais pas trotskiste, mais, quand même, bien nourri de vrai matérialisme historique. La seule chance du communisme eut été de poursuivre la révolution hors des frontières de l'URSS. C'était aussi ma vie, ma foi et, après tant de morts et de souffrances, j'y croyais. »

« Pour le compte du Komintern , j'ai été l'un des responsables de l'Agitprop en France. Un métier de bureaucrate. La vie s'est calmée. J'ai épousé une camarade des combats perdus . Je suis devenu un petit bourgeois français adorant le vin rouge et faire l'amour, vivant dans le quinzième et surveillé par la police.
Finissez ces fruits et ce café d'ici, "le café-soleil" l'un des plus puissants du monde. »

La lumière baignait l'agglomération ceinte de baies et prolongée de presqu'îles , le profil des collines du bagne, la cathédrale. Après avoir frotté ses lunettes, il regarda l'heure sur un énorme et compliqué chrono.

« J'ai trois cadrans pour les fuseaux horaires. Je pense toujours à tous les versants du monde;
et ajouta
- je vais conduire les filles, au collège des soeurs. »

Je suis descendu dans le hall. Je suis sorti dans le jardin jusqu'au rebord de la piscine.
« Alors , il a commencé à vous raconter »
demanda la bouche reprenant le souffle de la dernière brasse. Le regard vert était gourmand de savoir jusqu'où.
« Pour vous, madame, je ne sais pas encore
- Il ne vous dira pas que c'est de ma faute. Mais sachez -le. C'est moi qui lui ai pris sa vie. J'ai été son piège. Pourquoi? Pour son magnétisme d'abord. La première fois où j'ai vu cet homme, dans ce pays où mon mari tenait un poste de directeur du cabinet d'un Gouverneur - j'ai été à lui, comme un papillon - oui, comme un papillon. L'image est banale, mais c'est la seule vraie qui me vient à l'esprit parce que je n'avais pas plus de tête qu'un papillon : donc, comme un papillon qui va à la lumière. »

Elle avait dit trois ou quatre fois le mot "papillon" . Et c'était bien. Parce que c'est comme ça que les papillons volettent : en faisant trois ou quatre passages sur les lieux de leur destination.

« Et puis parce qu'avec lui - j'ai du l'arracher à deux unions, vous savez, à deux unions avec des compagnes qu'il avait aimées - avec lui et par lui, comme on dit pour Dieu, je voulais tout çà. »
Son bras embrasse le jardin, la villa, les oiseaux, la baie, les eaux, la lumière.
« Tout ça, les îles, l'aisance, la reconnaissance, des enfants aussi intelligentes que lui. Il a été mon découvreur, mon amant, mon père, mon éducateur, mon pilote , mon mari. Ce n'est pas un vieil homme pour moi. Dommage qu'il fume trop, comme vous. Il n'a pas du trouver la paix. Mais il fait du très bon travail ici. Nous sommes presque les seuls chez qui viennent les Canaques. »

Il revient juste du collège. Il la tire de l'eau, le bras tendu vers le corps opulent, fin et arqué. Le costume de fonctionnaire est tout éclaboussé des paillettes du bain. Ils se penchent l'un vers l'autre en se frottant le nez.


La voiture parfois cahote, parfois s'enlise sur la piste épousant des terrains mouvementés. On a franchi des terres grises et lourdes peuplées de petits arbres aux troncs blanchissants, les niaoulis. On laisse à droite la mer dont la ligne de récifs est effacée par de grandes plantations ondulantes de cocotiers sous lesquels paissent parfois quelques boeufs à bosse. On monte vers des contreforts rehaussés de toutes les variétés de grands pins et des puissants arbres tropicaux du monde. On redescend, on plonge dans une jungle douce et vivrière. Dans l'échancrure des végétations, entre des feuilles de bananiers, surgissent parfois des trouées donnant sur des cases construites et ordonnées en cercles rigoureux dont la principale est surmontée, comme les maisons des maires de Dordogne le sont des "mai" d'honneur", des hampes sculptées de chef. De lourdes ombres passent entre les troncs et les feuillages. Des enfants nattés crient et font des signes.

« C'est drôle me dit-il. il n'y a rien de commun entre ce pays et l'Espagne. Et pourtant. Est-ce sa beauté, est-ce sa rudesse, est-ce sa dignité dans le malheur. J'en sens toujours les connivences. C'est dans ce décor là que je veux vous parler de l'Espagne, du premier grand tournant de ma vie. »

Nous avons été au bord de l'eau. Des hommes avaient tiré une pirogue sur une grève blanche. En demi rond, paisiblement, mais intensément, ils pilaient de gros coquillages coniques : des trocas .

« C'est pour faire les boutons de nos chemises » m'expliqua-t-il.

Ils vinrent nous offrir le lait d'une noix de coco ouverte de deux coups obliques de machette et ils échangèrent avec lui quelques mots dans l'une des langues locales.

« Oui, me dit il, en riant avec malice - il eut un instant vingt ans - j'ai ajouté au yiddish, au russe, au lituanien, au polonais, à l'allemand, au français, à l'anglais, à l'espagnol, quelques unes des plus parlées des vingt neuf langues tribales de ce pays. Je n'ai aucun mal. Je suis un écho sonore du sens des mots. »

Peut-être était-ce le signe de sa prodigieuse ouverture au monde.
« Et l'Espagne ?
- De l'Agitprop en France aux brigades internationales pour soutenir la République espagnole, ce n'était même pas le chemin du devoir, c'était mon métier. J'ai fait cette guerre atroce, une guerre du moyen-âge, de gueux républicains et de reîtres fascistes, de mercenaires et d'illuminés, de religions et de saloperies. Je me suis retrouvé à Barcelone où j'ai assisté à la liquidation des anarchistes du P.O.U.M. Souvenez-vous, le Parti Ouvrier d'Unité Marxiste. Victor Serge encore. Il n'y a que ces anarchistes qui croyaient à l'unité contre le fascisme. Mais pour les staliniens , mes camarades de combats, les anarchistes c'était le vrai danger. Ils les ont poursuivis, arrêtés, exécutés. Je n'ai pas supporté. Lorsqu'avec la défaite républicaine, je me suis retrouvé en France, je n'ai plus eu un contact avec le P.C. Ceux qui m'ont aidé ce furent d'abord les Basques, puis ensuite les socialistes. »


La journée s'est achevée dans des cases sur pilotis que venaient lécher les petites lames d'un lagon. L'air courait entre les larges ouvertures et faisait frémir les palmes séchées des farés. Il nous a fait servir de larges rasades de pastis très mouillé.

« Respirez l'odeur d'anis - oh, je regrette l'absinthe des années trente filtrée par un sucre, à travers une cuillère percée. C'est ce qui m'a soutenu lorsque je suis repassé d'Espagne dans le midi français, à la veille de la guerre. Ma compagne d'Espagne et moi , on a échappé à ces gendarmes qui attrapaient les rouges pour les mettre déjà, dans quelque chose comme des camps. Grâce aux Basques, sous un beau nom d'emprunt de chez eux , Andueza, on a été gérants d'un moulin sur la Garonne. Oui, avec mes dons, j'ai même parlé un peu basque...aussi". On pêchait les truites au filet dans le courant, la nuit, pour les hôtels. Il y avait tellement de truites que l'on se nourrissait, nous, de leurs joues. Avant de les livrer, on faisait sauter les joues au couteau puis, dans de grandes poêles, nous faisions des fricassées de joues de truites .Mais je ne suis pas resté là. J'avais eu mon droit en France avant la guerre. Je me suis inscrit au barreau. J'ai épousé la fille d'un professeur de droit, avocat. Toulouse, en quarante, c'était un bouillonnement révolutionnaire. Les jeunesses de l'avant garde socialiste s'étaient insurgées contre le ralliement de Paul Faure à Pétain. Dans sa petite librairie Silvio Trentin, cet intellectuel italien exilé, liait à son combat antifasciste une prospective visionnaire fédérale pour les régions d'Europe. Il fut le point de catalyse d'un réseau comptant Pierre Bertaux qui devait devenir Commissaire de la République à la Libération à Toulouse. Quand celui-ci fut arrêté j'ai été l'un de ses avocats. Au même moment se développaient les rafles en zone occupée. On a monté un réseau de passage et d'accueil pour nos amis et les familles juives. On les dispersait dans les fermes, les commerces, les établissements d'enseignement. Et puis on a commencé à fabriquer les fausses pièces d'identité. Je parlais allemand. C'est moi qui ai piloté les opérations consistant à aller voler en zone occupée les cachets très spéciaux dont on avait besoin pour valider des pièces d'identité. »

« De proche en proche, l'organisation qui naquit alors - et qui pris le nom de"Libérer-Fédérer"- fut à la fois l'une des plus discrètes de l'assistance juive, un creuset d'esprit libertaire et d'utopie fédérale, et le relais du réseau anglais S.O.E. Je parlais anglais. C'est à moi que revint la liaison avec celui-ci. Alphonse était le nom de code de l'agent britannique Peter Brooks qui fut le premier parachuté avec pour contact la librairie de Silvio. Avec ceux qui constituèrent le noyau actif de l'organisation, avec Pierre Descours qui quittera comme moi, plus tard, la S.F.I.O., avec Achille Auban qui en restera un parlementaire fidèle, avec le physiologue Camille Soula qui devint médecin personnel du président Auriol, avec bien d'autres, nous en avons accueilli ensuite bien des parachutages : d'argent , d'armes et d'explosifs pour remplir la tâche essentielle qui nous revenait : les sabotages des liaisons ferrées. »

Ses yeux se perdirent sur l'horizon de l'étendue d'eau qui venait à nos pieds.

« Elle est bien douce, ici, dit-il, mais vous entendez cette espèce de roulement de train, là bas : le bruit des vagues d'océan qui déferlent et se roulent sur le récif. Depuis la fin de la première guerre mondiale, j'ai tous ces trains qui roulent dans ma tête : les trains des convois, , des déportations, des révolutions, des évasions, des sabotages. Pensez à la place du train dans notre histoire. Je crois que je suis ici aussi parce qu'il n'y a pas de train. Pardonnez moi - ajouta -t il - je suis fatigué. J'ai vécu tant de vies. »

Le lendemain, après la nuit tropicale dans les bungalows survolés des cris de chauve-souris, la brutalité de l'aube ouvrit comme un premier matin du monde. Je sortis. Il se baignait. Il avait manifestement récupéré de quoi vivre encore d'autres vies. Sur la route du retour, nous dépassons des théories de femmes : drapées, lourdes, larges, aux visages épatés, aux bras puissants, aux lignes fortes.

« Ce ne sont pas nos canons de beauté, me dit-il. Aussi, les métissages ont-ils été bien moins nombreux dans ce pays qu'en Polynésie. Les vrais couples n'ont été que des cas exceptionnels. Portant loin. Les deux frères - un pharmacien, un sociologue - qui ont épousé deux soeurs mélanésiennes ont déclenché le seul mouvement politique qui a chanté << deux couleurs, un seul peuple >>. L'affaire a fait long feu. Le député européen de ce mouvement a quasiment été lynché après avoir connu une gloire éphémère. Les Canaques ont monté leurs propres organisations entre le rêve boy-scout et la référence aux insurrections. Maintenant avec le nickel, tout l'argent, tous les immigrés qui viennent sont comme les ondées de sauterelles que j'ai connues en Afrique : la première mange tout; la seconde mange la première. Il n'y a qu'une force morale ici : les églises. C'est le vieil athée qui vous le dit. Parce que lorsque les colons traitait les natifs comme du bétail, les tribus rebelles traitaient les colons comme de la mangeaille, lorsque les garde-chiourmes blancs et noirs assouvissaient tous les sadismes sur les bagnards, les hommes de Dieu ont été moins pires que les autres. Ce n'étaient pas des saints non plus. Parfois des martyrs. Plutôt des hommes d'affaires, en concurrence entre protestants et catholiques. C'est la rivalité des missions qui les a obligés à composer avec les Mélanésiens pour se gagner des clients.
C'est de leurs séminaires que sort la génération canaque de demain. Nous en verrons un ce soir. »


Il passa sans doute le reste de la journée à la Trésorerie, car je ne devais pas le revoir avant la fin du jour. Sur la terrasse du soir, il ouvrit soigneusement les vins de France prévus pour le dîner.

« Ou en étions-nous, hier soir, de ma saga? » m'interrogea-t-il, alors qu'il savait bien, mais voulait continuer de se raconter.

« Dans la Résistance », fis-je mine de lui rappeler en ajoutant : « Est-ce alors qu'est né votre lien personnel avec le général?

- Un lien alors raté. Personne ne l'a su alors, mais j'ai fait une liaison sur Londres. »

Affabulait-il, car je n'en ai jamais trouvé trace ? S'il affabule, c'est avec de troublantes précisions puisqu'il m'indique :

« par l'Aber Wrach jusqu'en Cornouailles; c'était plus sûr que Calais/Douvres. Il faut savoir que nous n'étions pas intégré à la France Libre, mais le bras d'un réseau anglais. Le Général nous voulait, me voulait. C'est à Londres, naturellement que j'ai fait la connaissance du Général. Un ancien bolchevik au service de la Résistance, il aimait. Il aimait surtout mon expérience de la clandestinité. Des contacts ont aussi eu lieu avec Combat, avec Franc-Tireur. Mes camarades étaient trop rigoureux, trop indépendants, le ralliement ne s'est pas fait. Toutefois c'est bien d'alors que date ma relation avec de Gaulle. Lorsqu'il est venu à Toulouse en septembre 44 - dans cette région dont on lui avait dit qu'elle avait été libérée, mais qu'elle était tenue par de quasi-insurgés - entre nous, de nouveau, le courant est passé. Sans conséquences alors, car j'étais engagé sur d'autres voies politiques. Le mouvement "Libérer-Fédérer" s'est intégré à la S.F.I.O., un certain nombre de militants ayant aussi double appartenance avec une organisation plus révolutionnaire du temps. Vous trouverez tout cela à l'OURS si ça vous intéresse. »

Je me fis expliquer.
« L'OURS vous ne savez pas, c'est Office Universitaire de Recherche Socialiste, boulevard Saint-Germain; ça sent les vieilles archives, les vieux militants, les vieux règlements de comptes. A la Libération je me suis retrouvé avec Vincent Auriol à Toulouse et élu député socialiste à la première Constituante. Vous connaissez cet épisode par les livres. Le général n'a pas aimé le travail qu'on avait fait, ni d'ailleurs celui qu'ont fait les suivants. Au sein de la S.F.I.O., il y a eu bien des batailles de factions. J'ai poussé ma candidature à l'intérieur du parti, sur des postes clefs. Avec mon nom et mon passé, vous n'y pensez pas. J'étais la cible du P.C. comme traître à l'Internationale que j'avais quittée en Espagne et comme agent anglais. Je me suis aussi trouvé contre le père Auriol. Sa culture n'était pas la mienne. Les camarades m'ont déniché toutes les missions, tous les voyages pour m'écarter. Je ne me suis pas représenté aux élections. J'ai accepté un poste de fonctionnaire des finances en Afrique puis dans le Pacifique. C'est ainsi que j'ai rencontré celle qui va nous servir à dîner. »

Elle entra dans la jolie et vaste salle à manger meublée à la chinoise , comme c'était alors la grande mode du Pacifique. En lui répondant par un sourire très convenu, elle mit son index en signe de pudeur devant ses lèvres. Les confidences étaient interrompues. J'en profitais :

« Et notre visiteur de ce soir?
- Il ne viendra qu'à la pleine nuit. Parce qu'il ne veut pas s'afficher maintenant avec moi. Je passe ici pour un grand seigneur et pour un hurluberlu. Tenez : j'ai eu récemment une inspection de la Trésorerie. Naturellement ces affaires de comptes m'ennuient et je n'y regarde jamais moi-même. Le rapport a fait état d'un manque à recouvrer important. Je n'allais pas lancer d'enquête, ni mettre en jeu la caisse de garantie des comptables publics. J'ai pris l'avion pour Paris. J'ai été voir "le roi Farges" - vous savez, c'est le surnom du directeur de la comptabilité publique - et j'ai ouvert mon carnet de chèques personnel en lui demandant "combien?". La première chose que m'a donné la Calédonie, c'est l'argent. C'est le plus juteux poste public de toute la France. C'est bien pour cela d'ailleurs que j'ai accepté de quitter la vie politique. Ils ont un peu acheté mon départ de la concurrence, les camarades. Mais c'est agréable, n'est ce pas Manou?

- Tu as toujours tout très bien fait, tu le sais bien , Gilbert. »
Elle partit sur une parodie de révérence.

Le dîner était fini et nous nous retrouvions seuls. Il enchaîna avec le vif besoin de finir de s'expliquer.

« Je les soupçonne même parfois, les camarades, de m'avoir tendu le piège d'amour dans lequel vous me voyez vivre. Cette femme et moi, ce fut le coup de foudre. Physique. J'avais vécu deux ou trois révolutions, autant de guerres, j'avais partagé mes clandestinités, mes misères, mes combats avec des petits camarades dont on s'apercevait parfois le soir lorsqu'ils se déshabillaient - comme dit Anouilh , je crois, dans la Sauvage - qu'ils étaient aussi des femmes. J'en ai même mariées deux et j'ai des enfants de celles-ci. Mais je n'avais jamais eu la fascination pour la femme, comme objet de désir en soi, rien qu'en soi. C'est sans doute parce qu'on ne se battait plus. La force de mon sang était devenue libre pour cette tension là. Dans les réceptions, dans l'épaisseur de la brousse, sur les eaux des lagons, je n'ai plus voulu qu'elle. Une obsession. Elle était la jeune splendide épouse d'un brillant administrateur de la France d'Outre-Mer, plus fin mondain sans doute que grand amoureux. Elle n'a pas résisté à l'assaut de l'homme éprouvé que j'étais, mais il lui fallait aussi les îles, l'aisance, les oiseaux, ce que je lui offrais ici. Tout l'inverse de ma jeunesse. Je l'ai épousée et je suis ainsi resté depuis vingt ans dans ce poste. Que me reste-t-il à moi, comme fidélité envers moi ? Autrefois je devais porter la révolution dans le monde. Aujourd'hui j'essaie d'aider à la réforme dans ce pays. Le Général ne casse jamais ses réseaux. C'est pourquoi c'est aussi un très grand politique. Ce qui ne va pas empêcher que, sous quelques semaines, sous quelques mois, la droite sur laquelle il a été obligé de s'appuyer, puisque ces idiots de gauche n'ont pas voulu de ses réformes, fasse tout pour lui faire la peau. Depuis qu'il est revenu aux affaires, il a, ici, comme partout et toujours, plusieurs fers au feu. Comme il a fait en Algérie. Ceux qui se prétendent gaullistes ne lui apportent que la demande butée d'un ordre colonial maintenu, mais ce sont de bons militants, ce sont les rescapés du bataillon du Pacifique. Ce sont ses soldats et il ne les désavouera pas. Mais il sait que cela ne tiendra pas. J'ai donc pour mission de trouver de nouveaux interlocuteurs. J'ai trouvé l'homme de l'avenir- oui, l'homme, je veux dire, je traduis : le Kanak. Mais il n'y a pas d'homme sans femme. Et j'ai la femme aussi. La relève, la voici. »

Une silhouette sombre et ramassée se glissa, ton sur ton, dans l'ombre installée de la nuit calédonienne. Courtes présentations.

« Jean-Marie Tjibaou.
- C'est un ami » .

On se servit des jus de fruit. Quelque chose dans la tenue de l'arrivant , je ne sais plus quoi, disait qu'il était dans l'église. Il parlait peu, avec douceur, de choses simples, sur un ton réfléchi : de la vie pastorale, de la condition sanitaire des tribus, de la cassure entre deux mondes. Il disait qu'il fallait marier la religion et la coutume. Je me fis expliquer. Fasciné par le rite des morts dont les corps traversent le lagon sur le radeau du passeur afin que leurs ossements aillent se dépouiller des chairs et se blanchir dans les grottes sacrées. Notre hôte, assez vite, coupa cette leçon :

Voilà, Jean-Marie, comment se présentent à mes yeux les prochaines élections territoriales. Qu'en pensez-vous? Croyez-vous que si des gens comme vous venaient à ces affaires, vous ne pourriez pas mieux faire traiter les questions que vous vivez?

La palabre continua coupée de sourires malicieux du T.P.G. et de ces longs silences pesants de réflexion paysanne propres aux Mélanésiens. Nous nous séparâmes sans qu'ils aient conclu. Après l'avoir raccompagné aux portes de la villa devant laquelle Jean-Marie enfourcha une bicyclette du modèle qui supportait la soutane, le T.P.G. revint à moi pour me dire :

« c'est l'homme politique de demain. Mais pour cela il faut deux choses. Il faut qu'il se défroque et je m'y emploie. Il faut qu'il épouse la descendante du clan Wetta. Leurs deux clans tiennent alors l'île. Le sien est plutôt autonomiste; l'autre est de tradition loyaliste. L'héritière de la tradition Wetta, comme une Walkyrie océanienne, grande, douce, sportive , aimée pour ses oeuvres d'infirmière accompagnant son père en brousse, hiératique, c'est Marie Claude. Alors je les invite, le soir, le plus souvent possible ensemble et je les laisse seuls dans le jardin. Tout va marcher de pair. La Nature et l'Histoire feront le reste, mais il faudra vingt ans et je serai mort ».

Dix neuf ans plus tard, en 1988, Jean-Marie Tjibaou signait les accords de Matignon.
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27 mai 2007 7 27 /05 /mai /2007 19:02
- L'ARBRE, LA PAROLE et l'OUBLI

(extrait de "Bulles d'Histoire et Autres Contes Vrais", Phenix edition, 2000, disponible sur alapage.com)



Je revis J.M. Tjibaou plusieurs fois. Dès l'année succédant à notre rencontre à Nouméa, il vint à Paris avec une brochette de séminaristes auxquels je fis visiter, leurs soutanes volant au vent, les lieux sacrés de la capitale, du Sacré-Coeur à l'Hôtel des Monnaies, d'où ils repartirent avec quelques "gri-gri" d'Europe.

C'est après la signature des accords Matignon que nous nous retrouvâmes vraiment : lors de la négociation Oudinot, pour mettre en oeuvre les accompagnements économiques du deal politique. J'étais alors directeur au ministère des DOM-TOM. Nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre dans les souvenirs du rôle de notre ami commun. Je fis ensuite plusieurs missions en Nouvelle-Calédonie où il m'accueillit chez lui à Hienghène. On ne parla jamais des morts de sa famille, mais on célébra ses enfants qu'un Européen, grand acheteur et transformateur de trocas en boutons de chemises de luxe , avait pris chez lui pour les protéger pendant les événements.

Au cours de l'un de ses séjours en France pour le suivi des accords, j'organisais à son intention une exploration dans le sud-ouest. Il envisageait en effet de créer une activité agro-alimentaire de foies gras en Nouvelle Calédonie. Il devait ensuite, avec Marie Claude, venir dîner dans cet appartement standard de fonctionnaire, que ma femme et moi habitions boulevard Pasteur. Il était en retard. Il pleuvait. Je le guettais par la fenêtre. Je vis arriver sa voiture et la voiture d'escorte de sécurité. Il se précipita vers la porte de verre et de métal donnant accès à l'immeuble. Je le vis glisser. Je descendis. Il s'était traumatisé le genou, foulé la cuisse et ouvert l'arcade sourcilière. Nous le montâmes et le soignâmes en massant largement sa jambe musclée pendant qu'il se soutenait de verres et de toasts. Il était de très méchante humeur. Il avait un débat télévisé le lendemain. Il fallu cautériser et maquiller le sourcil et la tempe blessée. Il me dit : « Chez vous la pluie, ce n'est pas la pluie de chez nous; elle mouille; elle est froide; c'est une mauvaise pluie ».. Et - je m'en souviendrai toujours - il ajouta « lorsqu'on se blesse sur le seuil d'un ami, c'est un mauvais présage ».

Finalement nous allâmes dîner tard au restaurant du dernier étage de la Tour Montparnasse. Les officiers de sécurité s'étaient installés au bar, veston ouvert, pistolet à portée de main dans un baudrier. Vers notre table, des serveuses portèrent successivement, sur un plateau, deux petits mots pliés, provenant de tables de l'entourage. Le premier disait "Jean-Marie, on t'aime. On aime ton pays. Vive la Kanakie avec nous". Le second disait "sale canaque, on devrait avoir ta peau".

Nous avons fini ce dîner dans l'ambiance purement amicale et touristique de la découverte, depuis ce petit gratte ciel, des lumières de Paris que Marie Claude ne connaissait pas. Puis nous sommes descendus dans les sous-sols récupérer les voitures. Le petit cortège des Tjibaou est parti. Ma femme et moi nous sommes regardés en soufflant d'être délivrés des péripéties de la soirée. Remontés en voiture, nous avons été bloqués au péage. Les policiers ne voulaient pas payer les tickets dont ils ne seraient pas remboursés. Nous avons réglé, salué encore notre hôte : une dernière fois. Il était assassiné quelque temps après à Ouvéa.

Devenu plus tard président de la radiotélévision de l'outre-mer, j'ai soutenu la réalisation de magazines révélant des outre-mers méconnus et j'ai créé une collection vidéo pour pérenniser le meilleur de nos émissions de télévision. A Nouméa, l'architecte Renzo Piano concevait le centre Jean-Marie Tjibaou, vaste ensemble fonctionnel de formes monumentales inspirées de la construction traditionnelle kanaque : celle des cases majeures des tribus. Elles se bâtissent d'un enlacement de matières végétales, selon des procédures rigoureuses que tressent la parole des membres du clan, autour d'un haut tronc d'arbre qui en est le pivot. Inscrire dans une cassette de la collection de RFO ce moment de création et ses sources m'a paru un bon témoignage.

C'est grâce à Marie Claude, qui a ouvert au réalisateur, après bien des palabres, les portes de la brousse, des mémoires, des histoires et des secrets que " l'Arbre et la Parole" a pu être tourné. Le fil conducteur de cette petite production est un va et vient entre l'atelier de Renzo Piano à Gênes et les villages des oncles de Jean-Marie. Lorsque, deux ans plus tard, le Premier ministre se rendit en Calédonie pour célébrer les nouveaux accords franco-calédoniens et ouvrir le centre culturel, pas un exemplaire de ce documentaire n'a été présenté, ni même signalé. Entre temps, à mon instigation pourtant, la chaîne de télévision de l'outre-mer était tombée sous la houlette d'un professionnel de ces métiers. Il considérait sans doute que tout ce qu'il n'avait pas, lui-même, fait ou découvert, n'existait pas. Il n'est certes pas le seul de cet esprit dans le monde des journalistes des grands organes de métropole. Jamais aucun d'entre eux - auxquels j'ai raconté l'histoire de Gilbert Zaksas - n'a fait état du rôle et de l'extraordinaire itinéraire de ce vieil homme oublié.
 
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