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Pourquoi ce blog

L'objet de ce site est de baliser par quelques souvenirs éloquents l'histoire récente et de faire contribuer ces expériences, par des commentaires d'actualité, à éclairer et choisir les changements, en s'interrogeant sur les propositions des politiques et les analyses des essaiystes. Donc, à l'origine, deux versants : l'un rétrospectif, l'autre prospectif.

A côté des problèmes de société (parfois traités de manière si impertinente que la rubrique "hors des clous"a été conçue pour les accueillir), place a été faite à "l'évasion" avec des incursions dans la peinture, le tourisme, des poèmes,  des chansons, ce qui constitue aussi des aperçus sur l'histoire vécue.

 

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L'auteur

 

DSCF0656-copie-1.JPGNé en 1933, appartenant à la génération dont l'enfance a été marquée par la deuxième guerre mondiale, l'occupation et la Résistance, l'adolescence par la Libération, la guerre froide, puis par de clairvoyants engagements pour les décolonisations, l'auteur a ensuite partagé sa vie professionnelle entre le service public (il a notamment été préfet, délégué à l’emploi, directeur des affaires économiques de l’outre-mer, président de sa chaîne de radio-télévision, RFO), l'enseignement et la publication d’ouvrages de sciences politiques (il est aujourd’hui membre du comité de rédaction et collaborateur régulier de la Revue Politique et Parlementaire). Il a également assumé des missions dans de grandes entreprises en restructuration (Boussac, Usinor/Sacilor), puis a été conseil d’organismes professionnels.

 

Alors que ses condisciples ont été en particulier Michel Rocard et Jacques Chirac (il a partagé la jeunesse militante du premier dans les années cinquante et fait entrer le second à Matignon dans les années 60, avant d'être son premier collaborateur à l’Emploi et pour la négociation de Grenelle et au secrétariat d’Etat aux Finances, il n'a suivi ni l'un, ni l'autre dans leurs itinéraires. En effet, dans le domaine politique, comme il ressort de ses publications (cf. infra), Gérard Bélorgey n’a rallié ni la vulgate de la Veme république sur les bienfaits de l’alternance entre partis dominants, ni les tenants du catéchisme du libre-échange mondial. Il ne se résigne donc pas à TINA ("there is no alternative" au libéralisme). Tout en reconnaissant les apports autant que les limites de ceux qui ont été aux affaires et avec lesquels il a travaillé, il ne se résigne pas non plus à trouver satisfaction dans tel ou tel programme de camp. Mesurant combien notre société multiculturelle, injuste et caricaturalement mondialisée, souffre aussi bien des impasses de l’angélisme que des progrès de l’inégalité et des dangers de l’autoritarisme, il voudrait contribuer à un réalisme sans démagogie.

 

Partie de ses archives est déposée dans les Fonds d'Histoire contemporaine de la Fondation des Sciences Poltiques (cf. liens).

 

Il a publié sous d'autres noms que celui sous lequel il a signé des ouvrages fondamentaux que furent "le gouvernement et l'administration de la France" (1967), "la France décentralisée" ( 1984), "Les Dom-Tom" (1994)  : le pseudo de Serge Adour correspond à l'époque de la guerre d'Algérie et à une grande série de papiers dans Le Monde en  1957 , celui d'Olivier Memling au recueil de poèmes et chansons "Sablier " (couronné en 1980 par l'Académie Française et référé, dans l'histoire littéraire du XXeme Siècle de Hachette) celui de  Gérard Olivier à son analyse dans de  grands quotidiens de la décentralisation en 1981/82; celui de Solon  (malheureusement partagée par erreur avec d'autres auteurs) à la publication en 1988 de "la démocratie absolue" . Cessant de vivre un peu masqué, il retrouve son nom en 1998 pour "Trois Illusions qui nous gouvernent", puis en 2000 pour "Bulles d'Histoire et autres contes vrais " (série de coups de projecteurs sur quelques apects du dernier demi siècle qui seront souvent repris ci-dessous), ainsi que pour de  nombreux articles dans  diverses revues. EN 2009, il est revenu sur la guerre d'Algérie avec le roman ( Ed. Baurepaire) "La course de printemps". Il prépare "L'évolution des rapports Gouvernés /Gouvernants sous la Veme République :entre absolutismes et renouvellements?"

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Articles RÉCents

19 janvier 2014 7 19 /01 /janvier /2014 08:58

 

 

Au moment où les choses bougent un peu pour une réforme de notre organisation territoriale, mais où la tentation démagogique est forte de ne fâcher personne - comme l'illustrent les propos ambigus de F. Hollande " "Les départements gardent leur utilité pour assurer la cohésion sociale, la solidarité territoriale et je ne suis donc pas favorable à leur suppression pure et simple",

 

il faut faire preuve d'une rigueur de raisonnement.

 

Il est exact qu'un échelon de cohésion sociale est nécessaire; mais ce n'est pas celui des départements tels qu'ils sont : ce n'est effectivement pas leur suppression "pure et simple" qu'il faut souhaiter , mais leur transformation : une circonscription plus vaste pourrait asurer leurs fonctions, en même temps que les fonctions d'équipement et d'interventions remplies par les Régioins. Or, beaucouo de celles-ci sont trop grandes pour pouvoir être un échelon de proximité administrative. Loin d'en diminuer le nombre par des essais de fusions qui ne peuvent que tourner court, du fait des rivalités entre les grands pouvoirs locaux et leurs chef-lieux, il conviendrait donc, par une réforme (qui ne peut être que constitutionnelle) de substituer aux Régions actuelles  une quarantaine de circonscriptions de base multi compétentes (permettant des économies d'organisation  et d'échelle) sauf en matière de stratégie économique , matière pour laquelle il suffirait qu'une demi douzaine de larges enceintes de réflexions, nourries des compétences locales, soient les partenaires en dialogue avec le pouvoir central.   

 

Tels sont les thèmes, après une présentation  de la situatiion  actuelle, que développe l'article reproduit ci après

   

 

publié dans le N°  1068/69, juillet/décembre 2013de la RPP

 

Décentralisation : pour une collectivité territoriale unique  

 

 

Il existe, sur les structures et les enjeux des  collectivités et administrations territoriales françaises,  tant de données[i] et tant de travaux [ii], que c'est sans doute faire preuve de témérité que de penser pouvoir y ajouter quelques considérations. Celles qui suivent, souvent forcément schématiques, ont pour objet - en s'appuyant sur ces dossiers très nourris, mais qui ne sortent guère des cadres reçus - de tenter un constat aboutissant aux questions de savoir s'il n'y a pas lieu à des évolutions radicales.

 

Certes des transformations sont en cours :

 

- En matière de régimes électoraux locaux,  la loi du 17 mai 2013 a fait d'une part le choix de revenir à la distinction des fonctions de conseiller départemental et de conseiller régional et, d'autre part,  ceux d'intégrer deux novations dans les scrutins cantonaux : celle de la parité, par le binôme obligatoire des candidatures, et celle de l'automaticité de la désignation des élus -les premiers d'entre eux - destinés à siéger dans les intercommunalités.

 

- Plus porteur en matière d'organisation structurelle, est le projet de loi "de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles", (qui comporte également la prise en compte de "pôles ruraux d'équilibre et de solidarité territoriale"). Dans les deux cas, en effet, le bon choix a été fait de faire place, en honorant autant la géographie humaine que la géographie administrative, par dessus les carroyages historiques communal et départemental, aux réalités d'aujourd’hui : la prééminence  de ces bassins de vie - et périmètres de problèmes partagés -  que sont, d'une part, de grandes agglomérations, d'autre part, des "pays" appelant, dans un cas et  l'autre, à ce que puissent exister de très fortes  facultés de dépassement du cadre communal, voire des empiètements sur les champs d'action du départements et de la région d'appartenance de ces communautés. En outre, sous l'égide de "conférences territoriales de l'action publique”, la prise en compte des préférences locales pour des formes autodéterminées de montages des diverses possibilités de collaborations entre personnes morales différentes devraient aboutir  à des créations "à la carte"  qui pourraient répondre souplement aux besoins

 

Il reste que cette très utile réforme n'apporte pas de simplification aux superpositions de collectivités  qui nuisent à la décentralisation, pèsent sur l'économie et discréditent l'image de l'appareil public. Cette complexité territoriale française tient, en effet,  à un empilement historique  sur lequel se sont déversées des vagues de décentralisation qui n'ont pas assez allégé l'appareil d'État.  La combinaison de ces héritages  autorise certaines latitudes de gestion  locale, sans que des contrepoids significatifs existent au regard du pouvoir central. Aussi bien pour rationnaliser que pour mieux décentraliser, il faut donc poser la question de la refonte de la carte territoriale, comme s'interroger sur la pertinence de certaines missions publiques.

 

 

1 - Les périmètres dans lesquels s’exercent les pouvoirs territoriaux français ont des historiques bien différents conférant à chacun une légitimité spécifique d’origine.

- Les si nombreuses communes françaises tiennent au fait que les paroisses, même profondément modifiées par les réductions ou les expansions démographiques restent les berceaux des relations de proximité. Leurs différents types de regroupements ont, compte tenu des inconvénients et coûts des émiettements,  puissamment corrigé les sensibilités de voisinage par la prise en compte de contraintes techniques ( celles des réseaux  de distribution d’eau, d’énergie, de transports, etc.), de l’intérêt de la mise en commun de services et, dans les cas les mieux poussés d’intégration, de péréquation de ressources. Mais les communes restent si fortement ressenties comme l'échelon incontournable de la démocratie locale que dans les différentes  réformes  visant à mieux asseoir la légitimité des  organes directeurs des regroupements intercommunaux, aucune hypothèse n'est allé jusqu'à instituer une légitimité concurrente de la légitimité élective communale : les formules retenues ont successivement été de faire choisir les responsables intercommunaux, à l'occasion du vote communal,  par la technique du "fléchage", puis, maintenant de disposer que ceux-ci  sont  les premiers de la liste des élus. Et l'idée, présente dans ce qui est projeté pour les métropoles, que la moitié des conseillers métropolitains soient élus au suffrage universel rencontre une forte résistance, notamment de l'Association des Maires de France. 

 

- Un triple enracinement révolutionnaire, impérial et républicain fonde la solidité des départements : dans des circonscriptions  taillées pour permettre en leur sein des relations serrées entre pouvoir d’État,  populations et notables locaux, la Convention a « départi » ses commissaires de la République pour assurer le respect de ses volontés. Après leurs fonctions capitales d‘assurer des moyens militaires (la première tâche des préfets de Napoléon est de veiller à la conscription des hommes et à la réquisition des chevaux) et de tenir, sous les Empires et les Restaurations, les opinions, ces départements reçurent de la loi Tréveneuc du 15 février 1872, le rôle symbolique, en cas d’empêchement de l’Assemblée Nationale, de se réunir pour exercer la souveraineté nationale. L’institution départementale tire ensuite son succès de facteurs intimement liés : des dimensions pertinentes car permettant d’administrer de près;  le scrutin uninominal cantonal se prêtant bien à une représentation des terroirs comme des diversités politiques; un dialogue souvent complice entre élus issus de ce scrutin et le préfet. Le transfert à un élu du pouvoir exécutif départemental - ce qui était dans l'ordre des choses, mais fut parfois conduit de manière revancharde - est finalement réussi parce que les départements continuent à démontrer leur savoir faire dans  l’exercice de leurs compétences de base (routière, scolaire, sociale), comme par leur rôle de subventionner des communes. Mais dès le milieu des années cinquante, ils avaient été regardés comme des enceintes souvent trop étroites pour conduire la lutte contre « le désert français » ne pouvant trouver son souffle que dans des dimensions régionales.

 

- Et c’est une légitimité d’origine consulaire  qui va fournir les dimensions des régions  (celles des périmètres des Chambres de commerce et d’industrie)  parce  que ce sont ces milieux économiques, qui conduisirent,  souvent liés aux milieux universitaires « provinciaux »,  la revendication d’aménagement du territoire. Aussi les socio professionnels auront-ils grande influence sur les travaux des  Conférences Administratives Régionales, dans les CODER et dans la réforme présentée lors du referendum de 1969 selon laquelle l’organe délibératif régional envisagé mêlait – ce qui fut très contesté par la classe politique traditionnelle et l’un des facteurs de l’échec  - élus et représentants du monde économique et social, en cohérence avec l’aspiration à organiser « la participation ». Après l’échec de cette ambition,  la prudence pompidolienne crée en 1972,  les Établissements Publics Régionaux, toujours dans le double rôle de périmètre d’État et d’émanation territoriale, avec, dans le cadre des procédures de planification et d’exécution budgétaires, la fonction d’être consultés sur la répartition des crédits régionalisés de l’État,  ce qui va permettre en fait , vingt ans durant, aux élus régionaux - dont les avis sont quasi toujours suivis - de capter peu à peu  le pouvoir de répartition territoriale des dépenses d’équipement de l’État, tandis que parallèlement bien des préfets gèrent en tenant de plus en plus compte du point de vue des assemblées locales. En 1981/82, le droit, en quelque sorte, suit pour partie le fait de la prise de pouvoir par les élus qui vont émaner à compter de 2003 du scrutin proportionnel régional à deux tours avec prime majoritaire. La légitimité démocratique a remplacé l’inspiration consulaire et les Régions développent leurs missions (notamment pour contribuer aux équipements structurants, pour des soutiens à l'emploi et pour la formation professionnelle) en lançant nombre d’initiatives cristallisant la superposition de compétences dont il est d’autant plus difficile d’éviter les enchevêtrements qu’elle emporte ces cocktails de financement critiqués mais appréciés parce qu’ils permettent à chaque partenaire de donner son point de vue et qu’ils  aident bien opportunément à boucler des tours de table. Mais il va en résulter une stratification quasi intouchable des collectivités, nourrie par le poids des situations acquises,  des avantages, des réseaux, des services mutuels, etc., ce qui rend extrêmement difficile une remise à plat  rationnelle de la carte territoriale.

 

- C’est sans doute pourquoi la recherche en 2009,  par le comité Balladur, de la  réforme de cette carte n'a pu conduire à reprendre la proposition de réformes de l’État [iii] faite en 1947 par Michel Debré : 47 grands départements.  Celle-ci  fut - sans doute techniquement la meilleure jamais formulée ;  d’autant qu’il eut été concevable,  sans renaissance de vieux régionalismes historiques pouvant menacer l’unité nationale, d’instituer, en superposition légère à ce maillage commun aux collectivités et aux administrations d'État , sur les périmètres des zones de défense, de vastes espaces d’orientation économique qui auraient constitué des cadres de réflexion géopolitique plus adaptés à l’échelle européenne que nos régions actuelles. Les travaux du comité ne débouchèrent que sur l’idée de favoriser les réductions volontaires du nombre tant  des régions  que des départements.

 

- Un levier pouvait jouer dans une bonne direction avec la création, par la réforme électorale réalisée par la loi du 16 décembre 2010  du conseiller territorial devant siéger dans l’instance délibérante du département et dans celle de la région. Certes, le mode d'élection choisi après des débats difficiles avait été celui bien trop clivant, à nos yeux,  du scrutin majoritaire à deux tours au niveau du canton, mais les avantages importants étaient de réduire de près de moitié le nombre des élus locaux, de créer une interpénétration  tenant à la double fonction des  conseillers territoriaux qui auraient, peut être, pu être plus aisément portés à envisager des fusions que des élus spécifiques à chaque collectivité. Or, l'abolition - comme résultat, hélas, quasi automatique de l'alternance ! - de cet intéressant essai  consolide la stratification existante.

 

 

2 - Les vagues de décentralisations qui se sont déversées sur l’empilement des territoires, n'ont pas créé une nouvelle logique.

 

- Celles-ci ont eu plusieurs inspirations. D'abord traversant toutes les familles politiques y trouvant chacune des moyens féodaux de se doter d’influences renforcées et d’une image de pouvoir assez fictive - fictive, en ce qu’elle ne s’appuyait ni sur des capacités stratégiques de la nature de celles de l’État, ni sur des capacités financières restant très contenues -  et promouvant de la sorte à bon compte  une espèce de paradigme de la « démocratie de proximité » au flou séduisant, la « décentralisation » a servi, un temps, dans des élans allégrement partagés, d’ersatz idéologique à une large part transpartisane de la classe politique française. La réforme constitutionnelle de 2003 a fait droit à cette idéologie par l’affirmation  d’une « organisation décentralisée de la République », garantissant les collectivités locales de leurs compétences et des ressources correspondantes[iv], leur ouvrant même le droit à l’expérimentation[v], celui d’organiser des référendums décisionnels (mais forcément limités à des choix de gestion, en ce qu’ils ne peuvent porter sur l’édiction de normes  propres à telle ou telle circonscription). Parallèlement, l'État central, à la recherche d'allégements, a trouvé dans la décentralisation un courant porteur et des structures d'accueil pour transférer à des organes périphériques l'exercice de certaines de ses propres compétences.

 

 - C'est ainsi que les actes successifs de décentralisation ont additionné des choses de natures en réalité bien différentes :

 

* Une geste politique : le transfert des exécutifs préfectoraux (et des logistiques et personnels y étant attachés)  à des élus pouvant – à l’inverse de la tradition républicaine qui interdisait à un  parlementaire ou au maire d’une grande ville de présider la commission départementale jouant auprès du préfet le rôle d’un double exécutif collégial  -  cumuler cette fonction avec des mandats nationaux et municipaux significatifs.

* Le passage d’une tutelle réputée contraignante à des contrôles de légalité a posteriori devenus, semble-t-il,  aujourd'hui, de plus en plus légers[vi].

* Des facilités accordées aux gestions locales, parfois embrouillées par l’ouverture aux collectivités de tous rangs  de facultés d’action susceptibles de doublons et d’incohérences, si bien qu'il a fallu toujours recommencer à chercher des "blocs de compétences" pour en arriver à la plus modeste, mais incontournable  solution de choisir des "chefs de file"

* Quelques habilitations juridiques conférées à des collectivités et autorités de second rang, pouvant être sensibles, par la proximité de leurs électorats,  aux tentations de les satisfaire - fut-ce en divergeant du respect des règles nationales et de l'intérêt général - et trouvant, pour le moins, dans les nouveaux dispositifs, des tribunes pour exprimer des particularismes, voire des égoïsmes locaux. Pour autant - après que des risques centrifuges, soulignés par un rapport du  Conseil d'État en 1992 - aient été éteints par diverses précautions dont un renforcement de la déconcentration -  le mouvement décentralisateur n'a pas affecté l'unité de l'État, ni, donc,  l'égalité des citoyens. Les régions ont trouvé une place utile et raisonnable, parfois enflée par l'affichage d'ambitions de notoriétés personnelles et de vouloir trop  traiter au lieu et place des autorités d'État. C'est plutôt, parfois, au niveau des  communes, que des transferts de pouvoirs ont pu faire problème, en particulier en matière de droits des sols [vii] .

* Des délestages de l'État échelonnés depuis 1983, mais gouvernés par le principe constitutionnalisé en 2003 de la compensation  financière donnant lieu aux débats du Comité des Finances Locales, appuyé sur les travaux de  commission  consultative sur l'évaluation des charges.

 

C'est qu'en effet les transferts - s'ils s'inscrivent bien en matière de moyens d'éducation dans la tradition de la construction de bâtiments scolaires, en matière de voierie  dans une vocation routière des départements, et que s'agissant des missions conférées aux régions, celles-ci répondent à une logique manifeste de distribution rationnelle des tâches - ont eu, par contre,  dans le domaine de l'aide sociale, un contenu qui apparaît essentiellement comme une décharge de l'État : le département n'est vraiment responsable ni des dépenses, ni des ressources, mais mis dans l'obligation de faire face à de nombreuses difficultés de mise en œuvre. Les dispositions appliquées  et les niveaux de prestations possibles sont arrêtés au niveau national. C'est largement  le code de l'aide sociale et des familles qui est transcrit dans les règlements départementaux d'aide sociale pour assurer la gestion des trois grands blocs de compétences transférés : le financement et la gestion de l’allocation de revenu minimum d’insertion devenu RSA ; la mise en œuvre des politiques relatives à la protection sanitaire de la famille et de l’enfance et à l’aide sociale à l’enfance; l’aide aux personnes handicapées adultes et aux personnes âgées.

 

Ces  charges ont été conférées aux départements "en dehors de tout processus de décentralisation"[viii] "en bouleversant  leur rôle, au-delà même des charges financières : toutes supposent une analyse individuelle de la situation des bénéficiaires..., toutes contraignent les élus départementaux à être très présents dans les différentes instances d’attribution." Ainsi "croît progressivement le sentiment, pour nombre d’élus décideurs, que comme leurs agents, ils deviennent des « guichets » agissant pour le compte d’autrui, en l’occurrence l’Etat. "Toutes (ces gestions) se révèlent enfin plus coûteuses que prévues" : elles représentent près de 90% de la dépense sociale départementale, elles constituent une dépense brute d'aide sociale représentant environ 60% des dépenses courantes départementales de gestion. Si  des transferts de fiscalités ou des contributions ad hoc ont apporté pour celles des dépenses sociales qui relevaient de la solidarité nationale les compensations théoriquement nécessaires, les "ciseaux" [ix] résultant de l'augmentation des besoins et de la diminution relative de recettes fiscales laissent aux départements une charge nette significative. Celle-ci a pour conséquence une gestion souvent de plus en plus rigoureuse des aides, ce qui peut conduire à des appréciations d'éligibilité plus ou moins sévères d'un département à l'autre et de la sorte à la mise en cause de l'égalité des usagers (c’est d'ailleurs pour faire face à de tels risques d'inégalités de traitement des risques  qu'il y a eu en 2004 une recentralisation des actions en  matière de prévention sanitaire).

 

En définitive, à tous ses niveaux territoriaux, complexifiés de surcroît, par les nécessaires intercommunalités, la décentralisation s'épuise dans les émiettements institutionnels et dans des montages - et remords -  financiers et techniques.

 

 

3 - Les comptes assez lisibles des décentralisations responsabilisent les élus, mais l'organisation française est souvent estimée comme offrant un mauvais rapport coût /efficacité.

 

- La prise en compte budgétaire de l'ensemble de ces décentralisations inégalement  assistées  s'insère dans un vaste mécano budgétaire que retrace chaque année "le jaune"  annexé  au projet de loi de finances sur les transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales  et qui constitue la base permettant d'apprécier les flux  en jeux.

 

* Les ressources ( quelque 100 Mds) qui transitent par de l'État sont constituées d'une petite part (autour de 14%)  faite de la compensation de degrèvements d'impôts ainsi que de subventions sectorielles , surtout des différentes dotations globales liées à la décentralisation (de l'ordre de 60 %) et, enfin,  des transferts de fiscalités (estimés à environ 27 milliards) qui ont accompagnées d'une part les transferts de compétences (tant de l'acte I que de l'acte  II de la décentralisatin, d'autre part la suppression en 2010 de la taxe professionnelle par un "panier" comportant aussi en moindre importance une dotation compensatrice.

 

* Ce flux est à comparer aux quelques 225 mds ( dont un peu moins de 20 en emprunts)  de ressources totales des collectivités. En moyenne 2012/2013, après réintégration dans les ressources locales de la fiscalité transférée, le degré d'autonomie financière (recettes propres/ressources totales, hors emprunt) s'établissait, toutes collectivités locales confondues, autour de 62%, ce qui satisfait largement  à l'obligation constitutionnelle : le dernier rapport disponible (2010) sur l'autonomie financière des collectivités territoriales affiche les ratios de 64,7% pour les Communes et EPCI, de 68,1% pour les départements et de 55,6% pour les Régions, bons niveaux favorisés par le fait qu'en vertu d'une décision du Conseil constitutionnel, l’année 2010 a constitué une année de transition au cours de laquelle les collectivités ont perçu, à la place de la taxe professionnelle, une « compensation relais» et que  cette compensation a été considérée comme une de leurs ressources propres.

 

* L'appréciation de l'évolution de l'autonomie financière des collectivités territoriales est rendue difficle par le délai de sortie du  rapport ad hoc, mais, dans le cadre d'échanges très techniques entre le Parlement et le Gouvernement [x]  ont été produites différentes  estimations provisoires des ratios 2011 d'où il résulte que si l'autonomie financière n'est pas sensiblement affectée par la suppression de la TP, les réformes des financements des collectivités, réduisant des facultés de modulations des taux,  ont néanmoins fortement diminué leur degré d'autonomie fiscale, sauf pour "le bloc communal" : après 2010, celui-ci pourrait moduler 41 % de ses recettes contre 48 % antérieurement, les départements 16 % seulement contre 35 % auparavant, les régions ayant quant à elles un pouvoir de taux sur 14 % de leurs recettes contre 30 % avant réforme. Ces distorsions devraient se corriger dans l'avenir qui doit aussi, apporter une montée en puissance du rôle des péréquations verticale et horizontale [xi] dont l'intérêt est de soutenir la capacité d'engagement budgétaire  des moins riches des collectivités.

 

-  Globalement,  une réelle responsabilisation financière (qui ne permet plus de dire que élus locaux aurait la popularité de la dépense et l'État l'impopularité de l'impôt, alors qu'ils souffrent manifestement les uns et les autres de l'allergie fiscale de nos contemporains, n'en demandant pas moins des services publics et sociaux satisfaisants) place les collectivités territoriales françaises parmi les plus responsables d'Europe [xii] , derrière l'Europe du Nord, mais devant celle du Sud et même devant les Pays bas et l'Allemagne [xiii], ce qui peut pour partie s'expliquer par le fait que le poids relatif de la dépense locale française est moindre que chez la plupart de nos voisins.

 

- Mais la flexibilité des finances locales se heurte à bien des entraves: sur le plan technique, au vieux problème de la modernisation des bases fiscales toujours à recommencer; à l'obstacle  stratégique que représente la priorité de compétitivité traduite par les engagements de la France pour ramener aux normes européennes ses déficits et endettement publics globaux; à la difficulté politique résultant du fait que l'impôt n'est bien accepté que s'il est ressenti comme nécessaire et "juste" , alors qu'à l'inverse l'allergie fiscale est attisée par des campagnes politiques.

 

- Ce n'est pas seulement  dans un cadre idéologique tendant à faire avant tout rechercher l'attractivité de la France et, donc, à mettre systématiquement en cause le niveau des prélèvements obligatoires, ainsi que les dépenses et structures publiques, que les superpositions des collectivités locales et leurs relations  l'État (qui ne se serait  pas allégé à proportion de ce qu'il a délégué) sont  critiquées, c'est aussi parce que de nombreux travaux ont pointé qu'au regard des services rendus,  il n'était sans doute pas obtenu le meilleur rapport coût /efficacité.

 

Si l'on se rapporte à ces travaux, on constate toutefois qu'aucune estimation globale quantifiée (et comparative avec des pays étrangers)  ne semble jamais avoir pu être faite du coût des structures existantes, en d'autres termes et en conséquence, qu'aucun réel essai de "rationalisation des choix budgétaires" en quelque sorte n'a jamais pu être mené à bien en la matière. Aussi ne peut-on guère estimer sérieusement  quelle est la part entre la tendance de fond aux dépenses d'administration territoriale, toutes causes et tous supports confondus, et la part de responsabilités de nos structures superposées. Il reste que toutes les approches  donnent à penser [xiv] - au vu des augmentations conséquentes de dépenses, d'effectifs, etc. - que le système existant est génétiquement porteur d’excès. C'est au fond la question que s'est posée, Béatrice Marre [xv] : tout en mesurant les lourdeurs du système elle s'interroge sur le point de savoir s'il n'y a pas un développement parallèle inéluctable des inspirations unitaires et des pulsions décentralisatrices aboutissant à des inconvénients comme à des avantages, et en se demandant si ce compromis  n'est pas un prix incontournable de la démocratie.

 

C'est pourquoi, à mon sens, on ne peut chercher à se faire opinion sur la question de la carte territoriale et des collectivités locales de la France, sans avoir tracé, a grands traits,  à quel "compromis" jusqu'alors a abouti  notre Histoire. Ce compromis est d'autoriser des latitudes de gestion locale mais, en en aucun cas, des facultés de pondération périphérique d'un pouvoir central stratégique.

 

 

 4 - Les compétences assez flexibles de gestion locale  trouvent des bornes dans les principes fondamentaux de l'État unitaire, ainsi que dans la distribution des pouvoirs de police et dans le poids des normes.

 

- L’article 72 de la Constitution dispose que les collectivités de la République « ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Les débats (2010 et 2013) sur le maintien pour tous ou la réservation aux seules communes de la clause générale de compétence a levé bien des passions et a surtout démontré la vanité d'essais de définitions législatives. De toutes façons, la supériorité du pouvoir normatif d’État s’exerce sous le contrôle exercé avec beaucoup de finesse par le Conseil Constitutionnel. Ce qu’il faut absolument garder à l’esprit, c’est que la relation des citoyens avec les collectivités publiques secondaires n’est pas, dans notre état unitaire décentralisé,  de même nature  que leurs relations  avec l’État. Les citoyens sont essentiellement usagers des autres collectivités publiques comme ils sont usagers des services d’État, mais vis à vis de celui-ci ils sontsujets de droit, notamment commercial, pénal, fiscal, social, tandis que les collectivités secondaires n’ont pas de pouvoir normatif général. Dans le fédéralisme, où une part importante du droit émane des Etats fédérés on peut encore pour une part  parler de relations Gouvernants/Gouvernés au stade territorial; dans notre décentralisation on ne peut pratiquement  plus parler que de relations administrateurs/administrés. 

 

- Il reste que les administrateurs élus disposent de réelles souplesses tenant essentiellement

 

* au caractère assez relatif de la distinction entre dépenses obligatoires (le niveau effectif de la dépense dépend souvent de l’autorité décentralisée) et dépenses facultatives (parmi des dépenses juridiquement facultatives, il en est qui souvent sont néanmoins exigées par l’électorat local) ;

* aux arbitrages budgétaires qui - dans les limites de l’obligation d’équilibre de leurs comptes de fonctionnement et de respect des lois et réglementations -  sont sans conteste  de leurs propres responsabilités pour décider des actions, des moyens des services, des interventions, etc. ;

* au jeu toujours possible entre dépenses de fonctionnement qui, doivent être équilibrées par des ressources disponibles et dépenses d'équipement qui peuvent faire appel à l'emprunt : si on ne peut pas emprunter pour le fonctionnement, on peut néanmoins réduire à très peu le solde de ce budget devant être viré en crédit du budget d'équipement, au titre duquel se fera alors  un niveau d'emprunt qui aura toutefois aidé à une dilatation des dépenses de fonctionnement.   

* à certains exercices de  compétences en matière d’aides sociales laissant - comme on l'a rappelé -  un certain pouvoir d’appréciation aux opérateurs locaux.

 

 

 

 

 Mais, les latitudes pratiques d'action rencontrent plusieurs grandes bornes:

 

Dans l'exercice des pouvoirs de police, les maires peuvent avoir une place difficile à tenir. Leurs  pouvoirs propres en matière de police municipale générale et spéciales ne peuvent être utilisés que dans le respect des dispositions des lois nationales et des directives européennes  qui couvrent bien des matières et, bien souvent, les maires ne peuvent que transmettre les demandes et problèmes que posent les habitants, sauf qu’ils sont bien compétents, sous le contrôle du juge, pour statuer sur quelques questions sensibles  ( comme la mendicité sur la voie publique, les circulations nocturnes des mineurs, les situations faites aux gens du voyage, le rôle de  travailleurs sociaux communaux). Pour assurer la sureté, la tranquillité et l’ordre public, ils peuvent recourir à des personnels de police municipale, mais avec la couverture progressive du territoire par la police d'État[xvi], malgré que,   parallèlement, depuis 1999 [xvii], des textes favorisent le développement de polices municipales [xviii] - cherchant leur place entre sécurisation quotidienne, répression d'une part de délinquance, et concours exceptionnels à certaines opérations de sécurité publique - les magistrats municipaux sont à l'écart de ce qui est maintien de l’ordre à force ouverte, et malgré des appels comme en fit la gestion du précédent Président de la République, à les impliquer plus dans la sécurisation, ils ne peuvent qu'en trouver difficilement les voies et moyens, ce qui ne peut qu'accroître leur malaise.

 

*Dans le champ des polices spéciales - à la différence de ce qui s'est produit pour les permis de construire délivrés (selon qu’existe ou non un plan local d’urbanisme), au nom de la commune ou au nom de l’Etat, domaine dans lequel les élus ont  parfois pu  - comme on l'a regretté - prendre trop de liberté, les maires ne sont pas très bien lotis pour pouvoir exercer leur pouvoir de police propre lorsque celui-ci en vient à télescoper des compétences de polices spéciales que l'État s'est conféré envers certains lieux (gares, aéroports), envers certaines activités (avec au demeurant beaucoup d'interférences, pour chasse, pêche, cinéma...), sur certaines personnes  (en matière d'étrangers, de malades mentaux), dans certains domaines sensibles (santé, alimentation, commerce,  environnement, télécommunications)[xix] ou le sentiment local paraît devoir toujours céder devant le choix national. 

 

* Ce débat sur les pouvoirs dans le périmètre communal est, en fait partie de celui de savoir jusqu'où une commune appartient à ses habitants:  dans quelle mesure ce que ces habitants veulent ou souhaitent doit céder devant le fait que cette communauté est une parcelle du territoire national : un chaînon nécessaire à ses solidarités, un lieu où s'exerce et doivent se reconnaître des intérêts nationaux,  que ce soit ceux de faire passer un moyen de communication, d'y installer des servitudes, de faire reconnaître un patrimoine monumental et de le protéger, d’y respecter un paysage et une production traditionnelle, de ne pas porter atteinte par des constructions intempestives à une qualité esthétique héritée de l’histoire, etc. C’est la recherche de ce bon dosage qui devrait être l’âme de l’équilibre politique territorial français et dont la conduite a longtemps été confiée aux préfets de la République.

 

* Or, au lieu de gérer dans de telles facultés de transactions,  préfets et élus ont surtout  été unis dans la soumission à une avalanche de normes (dont la prolifération provient de  l’État français, de l’Union Européenne, de l’AFNOR, des Institutions professionnelles et internationales, de documents contractuels, des compagnies d’assurance,   etc.) opposables (ou vécues comme telles alors même qu’elles peuvent être facultatives). Compte tenu de l’immense champ des matières où elles s’appliquent ( pour le respect de l'environnement, pour la gestion de l'eau, des déchets, de l'assainissement ; pour la sécurité des constructions et des  personnes ; en matière de réglementation contre les risques d'incendie, d’inondation, de toute catastrophe,  de contrôle des aliments délivrés par des services locaux,  en matière hospitalière et de maisons de retraite, pour les commodités d'accès pour les handicapés, etc.…) ces normes constituent, aux yeux en particulier des plus petites collectivités, des servitudes et des coûts qu’elles supportent mal . En même temps, le respect de bien de ces normes (notamment dans le domaine des installations et des prestations sociales) est la condition de l’uniformité du droit, de la protection effective ou du confort minimum des personnes  et de l’équité nationale.  Une transaction arrêtée en 2011 renvoie aux travaux d’une  "commission consultative d'évaluation des normes" (qui est une émanation directe du Comité des Finances Locales) et passe par un moratoire obtenu par les associations de collectivités locales pour l’application de normes nouvelles. Tout en admettant que le plein respect des normes peut être l’ennemi de faire concrètement au mieux selon les moyens dont on dispose, cette mise entre parenthèse de règles faites pour un bon service public offre la faculté d’échapper à des obligations qui peuvent constituer des garanties et des précautions pour les administrés les plus vulnérables – comme les enfants,  les personnes âgées, les handicapés, les familles immigrées  - que critiquent sévèrement ceux qui constatent que la décentralisation ainsi appliquée  peut livrer au bon vouloir d’élus locaux le respect des droits et sécurités des personnes.

 

5 - Surtout,il ne peut exister  de  puissances territoriales face à l’État

 

- Les pouvoirs périphériques français ne peuvent être titulaires de pouvoirs stratégiques: les collectivités secondaires n’exercent pas un pouvoir de même nature que le pouvoir d’État ni en matière de capacités normatives, ni en matière de capacités budgétaires et  fiscales.

 

* Au plan juridique, « Le principe de libre administration ne confère pas aux collectivités territoriales un pouvoir normatif initial : l’activité normative des autorités des collectivités locales "ne saurait, en principe, se déployer sans intervention d’une loi préalable »[xx]  et le pouvoir d’adaptation même conféré dans le cas d’un statut particulier comme celui de la Corse [xxi]  ou le droit à l’expérimentation reconnu par la révision constitutionnelle de 2003 (qui s’exerce d’ailleurs sous les conditions prévues par la loi organique du 1er août 2004)  doivent être explicitement conférés aux collectivités qui voudraient y recourir par la loi ou le règlement.  Ces pouvoirs ne peuvent en outre en aucun cas s’exercer dans le domaine des libertés publiques ou d’un droit constitutionnellement garanti et aboutir à constituer un ordre juridique distinct de l’ordre national [xxii].

 

Les collectivités territoriales  n’ont qu’un pouvoir réglementaire spécifique étroitement circonscrit et totalement subordonné - selon la place des normes locales dans la hiérarchie de ces normes -  au pouvoir d’État ; les sources locales ne peuvent pas être en compétition avec le pouvoir normatif national. Il n’y a pas de pluralité législative  comme dans les États fédéraux (États-Unis,  Allemagne, Belgique), où dans les États régionaux (Italie)  ou autonomistes (Espagne, Portugal) [xxiii]. Le pouvoir réglementaire local français consacré  par la révision constitutionnelle de 2003 est simplement un instrument indispensable à l'exercice de la libre administration (une forme du pouvoir général d'organisation des services de chaque collectivité) sans démembrer d'aucune manière le pouvoir réglementaire que l'article 21 de la Constitution confère au Premier ministre.

 

* Au plan budgétaire, si 70% de l'investissement public procède des collectivités territoriales,  le poids de celles-ci dans la dépense publique globale reste modeste : les dépenses publiques infranationales pèsent seulement en France quelque 12% du PIB et 21% de l'ensemble des dépenses publiques contre (statistiques Eurostat) 34% en moyenne dans l'union européenne, et, par exemple, 54,5% en Espagne, 45,7% en Allemagne, 27,2 % au Royaume uni. Il est vrai que là où leur poids est élevé, il s'explique  souvent par des structures quasi fédérales et, au moins  par le fait  que les échelons infra nationaux ont largement en charge  des missions d'éducation, y compris la rémunération des enseignants, et, dans certains cas, de santé.

 

* Au plan fiscal, nos collectivités locales n’ont aucune capacité pour déterminer et choisir leurs instruments fiscaux [xxiv] ; elles n’ont aucun pouvoir de définition (création, construction) des impôts leur bénéficiant (d’autant que presque tous les impôts facultatifs  ont disparus), mais seulement la compétence (souvent très encadrée) de pouvoir moduler les taux et productivités des impôts qui leur sont affectés par le pouvoir central.

 

 

- Aussi, est-ce bien à tort que la domination des régions par l’opposition d'hier avait pu un moment  apparaître à certains comme apte à rééquilibrer les rapports de forces au sein du pays, comme si  des formes de compensation (au-delà des aisances et commodités  que donnent des titres, des bureaux, des voitures, des notes de frais et des collaborateurs) pouvaient résulter de la détention du pouvoir central par une certaine coalition politique et de l’exercice de pouvoirs régionaux par une autre famille politique. Il est illusoire de penser que des pouvoirs régionaux puissent aujourd’hui balancer des pouvoirs d’État : essentiellement parce que les uns et les autres ne jouent pas dans la même cour : l’État joue dans la cour de la stratégie et les pouvoirs régionaux dans celles de la gestion.

 

Si l’erreur de jugement de mettre sur un même pied ce qui peut se faire par les Régions et ce qui peut se faire par l’État  est parfois commise,  c’est que le pouvoir d’État se trouve,  par les contraintes européennes et de mondialisation,  dans bien des domaines ramené à un pouvoir de gestion accommodant des obligations plus qu’à un pouvoir stratégique capable d’options. S’il y a un rapprochement entre les types d’action ouverts aux  Régions et des types d’action auxquels, pour une part, se consacre l’État c’est  d’abord par le plus bas commun dénominateur : la fonction de gérer ce dont on est chargé avec ce que l’on a.  C’est ensuite parce que bien des Régions, dans des soucis d’efficacité comme d’image, cherchent à se hisser dans des postures d’exploratrices de facultés nouvelles : un champ très apprécié étant celui, fructueux en voyages, des relations transfrontalières avec des régions de pays limitrophes.  Les Régions  peuvent en effet construire avec leurs homologues étrangères des échanges d’information, des circuits touristiques, des promotions de produits, des échanges culturels et universitaires, voire des cofinancements  de projets d’intérêt commun, et même des bourses pour le développement et l’emploi, mais - à l’exception de régimes particuliers des collectivités d’outre-mer [xxv] -  nos régions n’ont aucun pouvoir propre de passer des actes internationaux  et s’il arrive qu'ils les négocient ou les signent, c’est par délégation expresse du pouvoir national, parce qu’aucune de nos collectivités n’est un sujet de droit international [xxvi].  

 

- Pourrait-on concevoir de mieux doter des pouvoirs périphériques ?

 

La piste qui est en  général proposée à cette fin est celle de conférer des compétences juridiques à la fois plus larges et plus autonomes aux collectivités, par exemple dans le droit de l’urbanisme, dans celui des protections environnementales, en matière de normes,  ou encore dans le droit de l’aide sociale, voire dans celui de l’éducation  ; mais l’on vient de souligner combien , en ces matières des approches encore plus libérées de cadres nationaux ou pouvant être différentes d’une collectivité à l’autre comportent de risques  de télescoper les principes d’unité et d'égalité devant s’appliquer au sein de la République française et de conduire à ce que  les administrés  puissent se trouver placés sous des régimes de droits et d’obligations tributaires de préférences locales . Aussi chercher à  imaginer  « quel pouvoir normatif aux territoires » [xxvii] pourrait être construit semble une démarche intellectuelle mettant en avant le luxe plutôt que les besoins prioritaires de capacité financière d’agir dans les champs de compétences d’ores et déjà existants.

 

S’il est sans doute peu concevable à cette fin de partager un grand impôt entre État et autres collectivités (car la gestion en deviendrait malcommode et inégalitaire), pourquoi ne pas  accorder aux collectivités territoriales des facultés d’imagination et de construction d’une part de leurs propres impôts ? (par exemple, sur tel ou tel acte de gestion foncière ou de construction ?- ce qui serait cohérent avec le transfert aux conseils municipaux et  aux maires des compétences en matière  d’urbanisme - ; ou sur  telle ou telle source d’énergie ? ce qui s’autorégulerait par les comparaisons entre collectivités) et donc d’accéder à des responsabilités politiques et économiques correspondantes. Pourquoi ne pas imaginer de transférer à un niveau territorial adéquat le choix d’utiliser ou non, et comment, et jusqu’où,  un impôt important mais contesté et à gestion sensible comme l’ISF qui pourrait être affecté aux Régions, avec responsabilité des taux de celui-ci, de telle sorte que cet échelon régional devienne réellement le champ de certains choix économiques et sociaux, de responsabilités et d’enjeux de pouvoirs ? En bref plus d’autonomie, plus de fonction de contrepoids  pour les pouvoirs locaux impliquerait qu’elles puissent avoir un réel pouvoir fiscal supplémentaire.

 

À défaut que de telles hypothèses soient aujourd'hui crédibles, faudrait-il pour le moins donner aux décentralisations un  cadre  qui les conforte.

 

 

 

 

 

6 - Fortifier la décentralisation devrait porter à  établir une collectivité territoriale unique entre l'État et l’échelon des  communes et de leurs regroupements.

 

- Ce serait  la manière dont faire face aux critiques précitées selon lesquelles "la carte territoriale des compétences n’a pas été hiérarchisé, la collectivité régionale n’a pas émergé, etc. "  et selon lesquelles les enchevêtrements de compétences sont nombreux entre les collectivités locales et avec l'administration d'État.

- Ce serait aussi la façon dont instituer enfin  un socle institutionnel  solide afin que, sans basculer dans le fédéralisme, il existe un échelon pour bien gérer, avec des économies de frais de structure et des économies d'échelles, les délégations de compétences du pouvoir central et, dans le dialogue avec une administration d'État qui a aussi besoin de se rationnaliser, de mieux équilibrer les termes de celui-ci.  "Le millefeuille" constitue la faiblesse congénitale de la décentralisation :  sans s'appuyer sur un espace significatif de géographie humaine qui aurait la triple qualité d'être ressenti comme une large communauté de sensibilités et d'intérêts, de pouvoir faire le poids vis à vis du pouvoir central et d'être en conséquence  une institution multi compétente pour tous les enjeux territoriaux, la décentralisation, comme on l'a précédemment souligné, "s'est épuisée" à s'émietter dans trop de structures d'accueil, d'interfaces électives et de problèmes techniques.

 

- Mais quel peut être le périmètre pertinent d'une telle collectivité ?

* le département ne peut pas absorber les fonctions acquises aux régions;

* les régions pourraient en principe absorber les fonctions des départements sous réserve pour certaines tâches d'avoir une dimension adéquate

 

On ne voit vraiment pas ce qui s'opposerait a ce que - avec le transfert conjoint des concours d'état correspondants - et pour réaliser des  économies significatives (et visibles par tous) par la suppression  des assemblées et logistiques départementales, ainsi que par des fusions de gestions,  les régions, prennent en charge  les actuelles voieries départementales, construisent des collèges, comme elles réalisent des lycées, subventionnent le cas échéant, sans filtre départemental, les communes et leurs établissements, réunissent en leur main les actions de niveau supra communal pour la sauvegarde de l'emploi et la stimulation, par diverses actions économiques ou culturelles aujourd'hui très partagées, de facultés d'activités. Il serait également bon que des charges d'aide sociale, trouvent au sein des budgets régionaux une place pondérée sans comparaison avec la manière dont ces charges dévorent les départements. Toutefois, pour exercer ce dernier type de  fonctions départementales actuelles,  les régions - qui se sont construites dans  les périmètres bien souvent aléatoires hérités du dessin des vieilles Chambres Régionales de Commerce et d'Industrie - semblent, pour certaines  d'entre elles trop vastes pour bien opérer dans de telles missions de proximité. Par ailleurs une très grande région incluant une  métropole majeure n'est pas, en ce qui concerne la politique de la Ville,  le meilleur lieu d'arbitrage impartial entre cette métropole et  d'autres fortes potentialités urbaines de son ressort.


En bref le périmètre pertinent d'administration est, à nos yeux, celui des régions moyennes, tandis que le périmètre pertinent de réflexion  et de conception d'aménagement du territoire n'est même plus aujourd'hui celui des régions existantes (dont certaines sont évidemment trop étroites), mais, à une plus vaste échelle, celui de six (sans doute, au plus) grands secteurs géo économiques (sachant relier selon les tropismes dominants, les façades extérieures de la France à ses zones et points d'appui centraux).

- La révision de la carte française serait en conséquence

 

- pour le niveau stratégique d'aménagement de créer, mais sans aucune personnalité morale, des conférences économiques interrégionales de bien plus vastes périmètres que les régions actuelles et pouvant apporter leur contribution à une  réflexion de stratégie économique nationale;

 

- pour le niveau pratique d'administration, de refondre la carte des régions (par quelques divisions des plus grandes, des fusions des plus petites et quelques rectifications de frontières) afin d'aboutir à  trente à quarante "régions administrantes" devenant les collectivités  supra communales de droit commun. C'est sur leur socle que fusionneraient toutes les compétences décentralisées ou à décentraliser ; une répartition habile des sièges des services entre les ex chefs-lieux départementaux devrait  pouvoir ménager les divers intérêts et besoins de commodités en présence.

 

Les départements seraient appelés à transférer à ces régions leurs compétences, leurs budgets et patrimoines ainsi que leurs personnels.  Bien que n'apparaissant plus dans la Constitution, ils devraient subsister sous leurs noms, comme simples circonscriptions administratives internes des régions(attaches nominales et affectives, références à la mémoire républicaine, enceintes possibles de services de proximité pouvant être indispensables aux commodités des habitants). 

 

Une telle transformation  ne se fera jamais par un consensus qui murirait tout seul et par un volontarisme suffisamment partagé par  des élus concernés trop naturellement et légitimement souvent  attachés à leurs fonctions, à leurs devoirs traditionnels et à leurs respectables habitudes; y arriverait-on ici ou là que - comme l'exemple de l'essai,  qui a (hélas) tourné court en Alsace le prouve - pourraient se rencontrer des résistances affectives ou politiques très conservatrices.

 

- La question conceptuelle de la bonne organisation  territoriale n'est que la moindre, encore qu'à cette occasion il faudrait sans doute aussi, en cessant de se cacher  dans des compromis, se poser la question de savoir, si les "métropoles " et  les "pôles de pays ruraux " n'ont pas, vocation à devenir collectivités locales à la place des communes y étant regroupées. Dès lors qu'il y aurait une grosse étape institutionnelle à franchir, autant n'avoir pas à y recommencer dans des temps successifs, dès lors que  c'est le problème politique qui est le problème essentiel ;  et qu'il n'est soluble que par des voies juridiques exceptionnelles.

 

Il est regrettable à nos yeux que l'affaire de la fin du cumul des mandats (débat ayant confrontés des arguments non décisifs dans un sens ou dans l'autre) ait en quelque sorte occulté le vrai débat avec les grands élus locaux qui aurait du être celui de parvenir à en  finir avec le cumul des collectivités locales.  En effet les capacités de la France ne sont pas liées au point de savoir si un  sénateur peut être ou non maire d'une commune, tandis que l'efficacité sans doute, et, du moins la réputation à coup sûr,  de l'appareil public sont liées à la suppression du mille feuille.  Mais, pour surmonter les résistances politiques d'une réforme territoriale, il faut espérer que la fin du cumul des mandats pourrai être utile,  si elle aidait à l'adoption d'une réforme qui ne peut être conduite que par la voie de la révision constitutionnelle par le Congrès et en faisant aussi une part importante à une application par loi organique surtout, parce que l'organisation territoriale de la France - incluant la question fondamentale de la manière dont est respecté le principe de libre administration locale -  mérite bien ces solennités, mais aussi afin de rechercher le plus possible  de consentements parlementaires.

 

Alors même qu'en prenant la Constitution à la lettre, on pourrait en débattre, il faut,  en effet,  mesurer que l'objectif juridiquement satisfaisant serait de remplacer les dispositions actuelles du titre XII en faisant disparaître la mention du département pour aboutir à un texte

- disant " les collectivités locales sont les communes et les régions";

- et devant certainement indiquer aussi les modalités fondatrices  d'une telle réforme, de telle sorte qu'il y aurait à préciser en substance :

" Les régions sont constituées dans des périmètres le cas échéant redéfinis par des lois organiques." [xxviii]

" Une loi organique détermine également  le délai et les conditions dans lesquelles les compétences, comptes et  patrimoines, ainsi que les  personnels des départements sont transférés aux régions."

" Ce transfert aura lieu au plus tard à la date du ...en ce qui concerne  les régions n'incluant pas plus de trois départements. Lorsque des régions précédentes sont  constituées de plus de trois départements, ce transfert est subordonné à la refonte par les  lois  organiques sus visées des  périmètres de celles-ci."

 

Les modalités, procédures consultatives, conditions et délais selon lesquelles ces refontes auraient à être proposées et arrêtées ne semblent pas devoir relever pour leur part de la loi organique, mais, en parallélisme avec les textes ayant organise depuis 1982, les collectivités régionales,  de dispositions à prendre par voie législative et/ou réglementaire.

 

- Enfin, encore qu'on ne soit sans doute pas là dans la matière constitutionnelle, il serait opportun que soit, en substance,  ajouté pour la cohérence de l'ensemble :

"Une loi détermine les périmètres et les attributions  de conférences économiques interrégionales  réunissant, aux fins d'aménagement du territoire et de contributions à la stratégie économique nationale, les régions intéressées par des données et  perspectives comm

unes."

 

- Une démarche parallèle de reconfiguration de l'administration d'État sur le canevas des mêmes périmètres que ceux de nouvelles collectivités régionales "administrantes”, comme premier échelon de bien des services administratifs serait logique et peut sans doute être préfigurée.

 

D'ores et déjà, les boîtes à outils ne manquent pas: notamment le rapport au Premier ministre, sur "La stratégie d’organisation à 5 ans de l’administration territoriale de l’État" [xxix]. Mais ce travail considérable  conduit, du  fait de sa volonté de grandes précisions, à rendre très difficiles et aléatoires les décisions à préparer en raison de toutes les hypothèses possibles présentées qui sont subordonnées à des choix entre scénarios. Mais, au nombre de ceux-ci, pas plus que dans d'autres exercices de même ambition - du fait que la fusion région/département n'ait jamais été l'une des hypothèses prise comme base de travail -  il semble qu'il n'ait jamais été recherché un organigramme  dont le fil conducteur serait  une harmonisation des services de l'État sur la base d'une moyenne circonscription régionale, avec le minimum de déclinaisons sur les actuels échelons départementaux, mais le plus possible de relais pratiques de proximité, et si nécessaire d'antennes foraines épisodiques.   

 

 

Dans la "somme" et véritable guide -  comportant tant d'éléments à mobiliser - que constitue le rapport de juillet 2013 de la Cour des Comptes sur "l'administration territoriale de l'État”, le constat notoire est qu'il y a une véritable question de viabilité de certaines unités administratives laminées entre l'impact sur les effectifs de la RGPP et la rationalisation que veut la RéATE. Certes si des préconisations - telles notamment que des mutualisations d'informations, de moyens et de contrôles, des regroupements massifs fut-ce à l'échelon supra régional, une épuration des doublons, une remise à plat des enchevêtrements en particulier sur la politique de la Ville, une redistribution de tâches entre et avec les si nombreuses Agences - pouvaient être mises en œuvre en s'appuyant sur une gestion exigeante des ressources humaines,  on gagnerait en marges de manœuvres. Est-ce possible sans le choc d'une réforme de structure telle que proposée ci dessus  projetant un autre éclairage que celui de la tradition? Et, surtout, ce rapport ne donne-t-il pas à penser - sans l'exprimer en clair -  que la puissance publique (dans ses différentes incarnations) ne peut être, compte tenu de toutes les contraintes économiques, assez bien outillée aujourd'hui, pour faire face aux missions qu'elle a acquises de manière cumulative à travers notre histoire et à raison des ambitions de tous les opérateurs ?     

 

C'est ce qui conduit à poser une question de conclusion.

 

 6 - Ne faut-il désengager les collectivités publiques de secteurs ou de situations qui peuvent bénéficier de soins alternatifs?

 

S'il y a des secteurs où fleurissent spécialement les actions croisées, ce sont ceux du tourisme, du sport, de la culture, de l'offre de divertissements de toute espèce, qui sont des champs d'élection de quasi tous les acteurs publics. Il a, par le passé,  fallu soutenir énergiquement dans les années 1975 à 2000, ces gisements d'activités et de richesses, si bien d'ailleurs qu'ils ont souvent acquis aujourd'hui certaines capacités de voler de leurs propres ailes. Ne pourrait-on, dans un certain nombre de cas,  voir, de plus,  relayer l'intervention publique par des facultés alternatives privées d’appropriation, de gestion et de financement.

 

Dans le domaine de certaines des actions de l’État et des collectivités locales, le moment est venu de se demander s’il est légitime que ce soit les différents acteurs publics qui continuent à y être autant présents et à autant dépenser, puisqu'il faut arbitrer au sein des dépenses de la Nation entre celles, d'une part,  qu'imposent la solidarité sociale et le besoin impérieux d'une contribution publique à certains investissements marchands et celles, d'autre part, qui,  parfois aux frontières des luxes, plaisirs et divertissements, viennent  soutenir des situations qui par beaucoup de transformations de la société , ont acquis quelques moyens d'autofinancement. D'autant que la puissance publique demande désormais déjà dans bien des cas à ces centres d'activité de  s'autofinancer  parce qu'elle entend ne plus les subventionner. Tel est,  par exemple,  le cas du Domaine de Chambord, signe entre tous d'un patrimoine et d'une action publique. Mais quel sens, autrement que symbolique,  en reste-t-il si la réunion du château et du parc doit trouver ses ressources en tant qu'établissement public commercial ?   Un propriétaire et acteur privé pourrait alors aussi très bien faire comme en témoignent, à leur échelle, Chenonceau ou Cheverny.

 

Sous réserve qu'un  cahier des charges garantisse l'accessibilité culturelle aux publics les moins fortunés, il faut même penser qu'à travers des Fondations ( ou autre mécanisme), les grands groupes privés qui gagnent de l'argent ont une vocation à faire dans ces métiers et qu'il n'y aurait rien de choquant à leur vendre des patrimoines dont la disparition dans les girons publics réduirait vraiment les périmètres de l'État et ceux de bien des collectivités locales et leurs dépenses correspondantes. Au lieu d'avoir des prises en charge directes qui les gonflent d'autant, les acteurs publics, par la réglementation ou des quasi contrats qui sont des moyen d'action beaucoup plus économiques, ainsi que par des contributions marginales (par exemple en payant des droits d'entrées au profit de certains publics) pourraient maintenir une politique sociale culturelle sans en porter toute la logistique.   Certes ces "centres de profits et de pertes"  que sont aussi des monuments historiques, des musées, des stades,  des spectacles, des enceintes de jeux, des sites touristiques aménagés, etc. qui ne seraient pas rentables sur la durée ne trouveraient pas  preneurs et devraient pour partie être laissés dans les sphères publiques, pour autant que dans leur éventuelle prise en charge, voire  leur gestion à pertes, des puissances privées n'y trouvent, au delà du mécénat,  des formes de "bonnes œuvres" pouvant contribuer à leur image et notoriété institutionnelle.

 

La réflexion pour une vague de privatisations de ce type devrait évidemment définir des garde-fous efficaces pour que de tels transferts  n'aboutissent pas, comme dans le cas des autoroutes, à des risques de dérives en défaveur des usagers. En réalité, c'est toute une nouvelle ligne de partage entre missions publiques et missions privées qui mérite d'être redessinée, le public ayant vocation, dans la compétition mondiale, a accomplir certaines missions de banque d'affaires en particulier pour le secteur industriel, et le privé devant avoir vocation à prendre en charge non seulement les promotions des sports et des tourismes, mais aussi une part de l'offre et de la vie culturelle du pays, sans que , sous le coup de telle ou telle vague d'austérité, on tombe dans un système des dépouilles ( notamment par les Chinois...) des plus intéressants des biens publics comme en Grèce. Selon les cas - et leurs inspirations -  les privatisations peuvent être les plus dangereuses et parfois les plus pertinentes des opérations d'arbitrage.On ne peut pas laisser à charge du secteur public autant d'héritages culturels et patrimoniaux qu'il en existe sur notre sol; le privé doit en prendre une part proportionnelle à ses capacités, tandis que les puissances publiques doivent d'abord, devant la gravité de la situation française, pouvoir  honorer les priorités de l'industriel et du social.

 

 

 



[i] cf. notamment

- "le bleu" annexé au projet de loi de finances, sur la dépense publique

- "le jaune" annexé au projet de loi de finances sur les tranferts financiers

- le rapport annuel (décalé de deux ans) sur le degré d'autonomie financière des collectivités territoriales

- une synthèse annuelle (DGCL) des chiffres clefs des collectivités locales

 

Les études liées à des questions spécifiques seront indiquées en même temps que celles-ci seront évoquées.

 

[ii] Il faut spécialement indiquer

- au titre de la Cour des Comptes:

*  "la conduite par l'État de la décentralisation" ( octobre 2009)

* "les finances publiques locales" (octobre 2013);

- de la part d'instances réunissant élus et experts

* les publications de l'Observatoire des finances locales, et particulièrement, son très remarquable rapport annuel

* le rapport 2010 (la doc. française)  du groupe de travail sur la maitrise des dépenses locales  par  G. Carrez et M. Thenault

- des étapes marquantes de réflexions parlementaires:

*J. Puech ( 2007, Sénat)  "Une démocratie locale émancipée. Des élus disponibles, légitimes et respectés"

*A. Lambert (2008, Sénat) sur les "relations entre État et collectivités locales"

*D. Quentin et J-J Urvoas (2008, Assemblée Nationale) sur "la clarification des compétences des collectivités territoriales"

*Y. Krattinger et Mme J. Gourault (2009, Sénat) " Rapport d'étape sur la réorganisation territoriale"

 

[iii]Voir cet historique dans l’ouvrage très nourri de Jean-Louis Masson ;  Fernand Lanore / Sorlot (1984) « Provinces, départements, régions: l'organisation administrative de la France ».

 

[iv]En application de l'article 72-2 de la Constitution, "Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources".

En application de la loi organique du 29 juillet 2004, le niveau de ces recettes ne peut ainsi être inférieur à leur niveau constaté au titre de l'année 2003. Le taux plancher fixé pour les ressources propres qui correspond à celui de 2003 se traduit par un ratio de 60 % environ des ressources totales pour les communes et les départements et de 40 % pour les régions.

Afin de vérifier l'état de ce ratio, le Gouvernement transmet au Parlement, le 1er juin de chaque année, un rapport faisant "apparaître, pour chaque catégorie de collectivités territoriales, la part des ressources propres dans l'ensemble des ressources ainsi que ses modalités de calcul et son évolution.

 

[v] qui n’a, de fait, été mis en œuvre qu’à l’initiative de l’État au titre de l’article 37 de modulation du pouvoir réglementaire, et non à celui de l’article 72 de modulation du pouvoir législatif.

 

[vi]Le préfet est certes théoriquement doté d’un fort pouvoir d’appréciation puisqu’il peut déférer les actes « qu’il estime contraires à la légalité » (art. L.2131-6, L.3132-1 et L.4142-1).  Or, face à l’engorgement des tribunaux comme à la volonté des représentants de l’État de préférer la régulation plutôt que la sanction, le contrôle s’est orienté vers le conseil plutôt que le contentieux. Cette pratique favorise certes le dialogue entre les services de l’État et les élus locaux : « les négociations autour de la norme » permettent  au préfet de retrouver une place essentielle aux côtés des pouvoirs grandissants des élus locaux et restaure ainsi l’articulation entre décentralisation et déconcentration, mais engendre aussi des dysfonctionnements. Les préfets en effet n’ont pas le même pouvoir qu’auparavant face à certains  élus influents  désormais dotés de services propres et de solides réseaux et conseils juridiques.

- cf. la documentation française "bilan et perspectives du contrôle de légalité”. Pour notre part, nous avons tendance à épouser l'analyse de Bénédicte Fischer : « La réforme du contrôle de légalité et l’acte II de la décentralisation » AJDA oct. 2007.

 

[vii]Chaque commune dotée d’un plan local d’urbanisme,  a en effet vu ou subi que l’autorité de son maire pouvait désormais pleinement s’exercer  en matière de délivrance de permis de construire. Dès lors que le pouvoir est largement  passé des services (sur lesquels ceux-ci donnent toujours des avis plus ou moins suivis) vers les maires, sans qu’il existe guère aujourd’hui de pouvoir  d’intervention des préfets, la délivrance ainsi  décentralisée des permis de construire paraît pouvoir favoriser plus encore le mitage, la plasticité -  selon les opportunités souhaitées ou se faisant jour - des documents de référence, des imprudences notamment au regard de règles relatives à la sécurité publique et des légèretés au regard du respect des règles de voisinage, des multiplications de constructions dans des zones à risques et en conséquence la vulnérabilité de l’urbanisme à des catastrophes naturelles pouvant conduire au demeurant à la mise en cause de la responsabilité des maires en cas de sinistre ou de grief fait à un tiers.    Pour autant le droit de l’urbanisme – avec des aspects très complexes – n’a pas disparu. Mais le contrôle préfectoral de légalité reste en ces matières comme en d’autres, souvent  plus potentiel qu’exercé. Alors même, par ailleurs,  que le juge administratif est saisi pour annulation d’un permis et tranche en ce sens, on connaît des cas dans lesquels de nouvelles délivrances peuvent succéder à des annulations.  Il ne reste alors que la voie de la mise en cause personnel du magistrat municipal, la question étant déplacée du juge administratif vers le juge judiciaire.

 

[viii]cf. le remarquable rapport de R. JAMET au Premier Ministresur "les finances départementales".

 

[ix] cf. rapport 2010 présenté à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation par les sénateurs Y. Krattinger et R. du Luard

 

[x]- cf. rapport d'information Sénat n° 611 de C. Guené de juin 2012 sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l'État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale;

- et, à, la suite,  un rapport du Gouvernement au Parlementsur "les conséquences de la réforme de la fiscalité directe locale induite par la suppression de la taxe professionnelle".

 

[xi] cf. rapport d'information Sénat 2010, sur la péréquation, par J.Mézard et R. Pointereau.

- la péréquation verticale trouve ses instruments dans les modes de calcul très sophistiqués des composantes et des  diverses DGF  aboutissant sans doute à concerner environ 4% de la dépense locale.

- quant à la péréquation horizontale - plus difficile puisqu'elle doit faire appel à un financement par redistribution - elle n’était jusqu’alors mise en œuvre qu’à l’échelle des départements disposant de fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle et dans la région Ile-de-France.

Désormais, le Fonds National de Péréquation des Ressources Intercommunales et Communales mis en place en 2012 constituant le premier mécanisme national de péréquation horizontale pour le secteur communal et epic devrait connaître  une montée en charge progressive pour atteindre, à partir de 2016, 2 % des ressources fiscales communales et intercommunales, soit plus d’1 Md€.

 S'agissant du niveau supra communal, la suppression de la TP a conduit à créer le Fonds National de Péréquation de la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises des Départements,  tandis que le nouveau Fonds National de Péréquation des Droits de Mutation à Titre Onéreux perçus par les départements mis en place en 2011,  permet de redistribuer annuellement de l'ordre de 450 M€ entre eux. 

 

[xii] cf. bien qu'elle date un peu, des comparaisons chiffrées in « Regards sur l’actualité » N° 359 de mars 2010 «  vers une réforme de la fiscalité locale » 

 

[xiii] même si l'on retient les Lander comme "collectivité territoriales" car ceux-ci ont une autonomie fiscale cantonnée en ce sens qu'ils n'ont pas la possibilité de fixer les taux des impôts qui sont partagés entre eux-mêmes et l'État fédéral partagés.

 

[xiv] comme J. Creyssel le récapitulait très bien in la RPP N° 1053 de oct/déc 2009.

 

[xv] dans le même numéro 1053 de la RPP, lire de  Béatrice Marre : "mille feuille administratif et mille feuille territorial".

 

[xvi] Dès l'entre-deux-guerres, des commissaires  cantonaux de la police d’Etat coiffent zones rurales et petites agglomérations et de grandes villes obtiennent alors  l’étatisation de leur police, ce qui, par l'acte non abrogé dit loi du 23 avril 1941,   devint la règle pour les communes de plus de 10.000 habitants.

 

[xvii] Une loin de 1999  rénove le statut de la police municipale et accroît son rôle ; le rapport Bonnemaison de 1980 préconise la mise en œuvre de politiques locales de sécurité, ce que transcrivent pour une part des lois de 2001, relative à la sécurité quotidienne et de 2003  pour la sécurité intérieure.

 

[xviii] Les bases juridiques des polices municipales renouvelées furent  une loi de 1972 qualifiant les policiers municipaux d'agent de la force publique et une loi de 1978 leur conférant la qualité d'agent de police judiciaire adjoint.

 

[xix] il a été jugé, par exemple  (CE 24 sept. 2012, Commune de Valence, CE, 30 sept. 2011, SFR et autres) qu'un maire au nom du principe de précaution ne pouvait régmenter la culture des OGM ou qu’au regard de l’implantation d’antennes de téléphonie mobile sur une commune, les décisions de plusieurs  maires - qui s’y étaient opposés au nom de la protection de la population contre l’exposition aux ondes électromagnétiques, en invoquant la charte constitutionnalisée  de l’environnement – ne peuvent se substituer à celles du ministre chargé des communications numériques et de l’Agence  nationale des fréquences.

 

[xx] selon les commentaires des Grands arrêts du Conseil constitutionnel.  

 

[xxi] Cf. 454 DC du 17 janvier 2002

 

[xxii] CC. Dec 185 du 18 janvier 1985 Loi Chevènement, 329 du 13 janvier 1994, Révision de la loi Falloux, 373 du 9 avril 1006 Statut de la Polynésie.

 

[xxiii] La seule exception française (dans le cadre du concept d’ « un seul peuple » intégrant des « populations d'outre-mer ») tient au statut de la Nouvelle-Calédonie avec l'existence de « lois du pays » soumises au Conseil constitutionnel tandis que les lois de pays de la Polynésie restent des actes administratifs soumis au contrôle de la juridiction administrative.

 

[xxiv]Une importante occasion manquée a été le non établissement en 1967 lors de la loi foncière d’une « taxe sur les constructibilités » qui aurait offert (aux communes en particulier  ou à leurs regroupements autour d’opérations d’aménagement et construction )  une capacité de maîtriser l’urbanisation, de financer partie des équipements publics nécessaires induits,  d’en répartir équitablement les charges entre nouveaux et anciens habitants et de se créer des ressources liées de manière cohérente à leurs choix d’urbanisme ; mais ce volontarisme allait à l’encontre de la soif de vente des terrains et d’obtention  des constructibilités au coup par coup, en bref de la spéculation immobilière et de la loterie de répartition des coûts de la densification de l’habitat.

 

[xxv] (qui d’une part peuvent distinguer des matières de compétences locales et des matières de  compétences d’État et qui peuvent comporter des cas de figure où la République délègue à des exécutifs territoriaux des charges de négociation pour compte de la France  ou de représentation conjointe de celle-ci et de la collectivité  dans des institutions interétatiques)

 

[xxvi] Cf. les observations incluses  sous l’article « décentralisation » dans « les grands arrêts du Conseil Constitutionnel ». 

 

[xxvii] Titre du N°86 de « pouvoirs locaux » qui offre un sommaire de contributions souvent plus subtiles que convaincantes.

 

[xxviii] il semblerait prévoyant d'ajouter : "Celles-ci peuvent également reconnaître le caractère de collectivités territoriales à des métropoles et à des pôles de pays ruraux".

 

[xxix] de Jean-Marc Rebière (préfet, président du Conseil supérieur de l'administration territoriale de l'État) et Jean-Pierre Weiss (ingénieur général des ponts, directeur général d'établissements publics d'aménagement).

 

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31 mars 2012 6 31 /03 /mars /2012 09:20

Critiquée par beaucoup, la campagne électorale des uns et des autres ne manque pas de traiter de questions importantes et de les éclairer par de bons dossiers de media et par les sérieux argumentaires des candidats. Il se développe donc une espèce de pédagogie démocratique par un effort de vulgarisation des questions économiques et  de société. C'est - à côté des boules puantes et des duels aux coups bas  qui font partie de l'inévitable compétition où tout est bon pour chercher à détruire  l'autre - un progrès par un apport au profit du grand public de moyens de connaissance et de réflexion.

Mais des questions majeures sont assez largement laissées de côté.

 

On a signalé déjà ici le besoin d'un véritable débat sur la révision du Traité de Ljsbonne : pour chercher à faire remplacer le principe d'ouverture commerciale par celui de précaution, pour remplacer aussi l'indépendance de la BCE par sa mise au service d'une stratégie économique définie par le pouvoir politique et pour lui permettre de prêter en direct aux États. Voilà un thème qui n'est pas traité par les europhiles benêts  ( que l'on trouve au centre et dans la moyenne gauche) croyant toujours aux vertus du système en place et à la capacité d'une gouvernance progressiste de 27 États ; ni par les europhiles cyniques ( que l'on trouve à droite et au pouvoir)  trouvant dans les disciplines de l' Union - qu'ils critiquent par ailleurs pour répondre à la demande des Français d'échapper aux contraintes européennes - les moyens de faire valoir et triompher leur conceptions propres : la règle d'or, la rigueur, le besoin de réformes  souvent antisociales  pour obtenir meilleure compétitivité.

Lorsque le sujet est abordé c''est de manière excessive par ceux qui préconisent tout simplement de sortir de l'Europe et de l'euro.

Mais la troisième voie d'une réforme de certains des principes de cette Europe et donc de sa consolidation si elle parvient à muter n'est présentée par personne (François Bayrou s'intéressant plus aux mécanismes des décisions qu'à des réformes de stratégie) . Or, même si l'on  considère que ce serait  un  rêve irréaliste;  on ne peut  ni subir le système tel qu'il est, ni  le  quitter en  prenant  les risques de tout casser et des conséquences qui en  résulteraient sans avoir auparavant essayer de négocier pour  obtenir son évolution significative. Et cette évolution , il est certainement possible de l'obtenir   au moyen de cet argument fort qui serait effectivement de menacer de prendre la sortie si les changements nécessaires ne sont pas obtenus.

Ce silence sur un nécessaire profond changement de l'Europe illustre combien cette campagne se déploie dans le conservatisme : en prenant pour cadre incontesté les choses telles qu'elles sont sans imaginer qu'il y a les moyens de changer la donne.

 

Une autre grande affaire est celle de la couverture maladie et hospitalière. Sauver l'une et l'autre est le vrai combat prioritaire qui a été manqué lorsque les syndicats et la gauche (bien qu'ils eussent raison sur la méthode et sur des points particuliers)  se sont trompés de bataille en s'opposant à la prolongation de l'âge des retraites. Il vaut mieux des retraités ayant cessé le travail un peu plus tard et convenablement soignés que des retraités précoces et mal soignés  : parce que la couverture maladie est  de plus en plus écornée et rabotée  tandis que les hôpitaux sont poussés à la rentabilité plutôt qu'à la qualité des soins. C'est un enjeu très lourd : compte tenu des dates de départ du travail et des chances de vie, c'est la question de la capacité  des salariés retraités à voir correctement couverts leurs besoins de soins qui est posée sur de longues périodes : pendant en moyenne une quinzaine d'années pour les hommes et une vingtaine pour les femmes ).  Il ne faut plus que ceux qui proposent le changement  se trompent  de combat.


  Or, le seul grand gisement d'économies que beaucoup ont à l'esprit  est, selon une intox bien entretenue,  dans le "trou de la sécurité sociale" . L.Parisot trépigne pour avoir "une grande réforme de l'assurance maladie", l'objectif étant de trouver "des possibilités de réduction de ce que doit rembourser la sécurité sociale". C'est bien un des enjeux majeurs de la présidentielle pour tout le monde. Casser, à tous les prix humains qu'il faudra , la sécu " à la française",  la dépense sociale. C'est en substance ce que le candidat du centre - qui a la qualité de vouloir briser la bipolarisation et le défaut d'avoir un positionnement européen contraignant , qui a des vertus personnelles mais qui est convaincu, en étant honnête de le dire,  d'avoir  des potions à faire prendre - nomme le douloureux effort à consentir et qu'il ne faut pas cacher .


Ne cachons donc pas ce qui est, au centre et à droite, clairement ou évidemment inclus dans les propositions  faites ou les orientations indiquées, ni le problème qui guette la gauche pour tenir les engagements qu'on lit dans le programme de F. Hollande : que "l'accès à la santé soit le même partout" et que "le coût ne soit jamais un obstacle à la santé".

 

Ceux  dont les économies dans le domaine des dépenses sociales peuvent être redoutables, sont naturellement les gouvernants sortants dans l'axe de ce qu'ils ont déjà fait sur la sécurité sociale : divers coups de rabots qui passent pour des mesures" techniques" supportées par les assurés, mais qui ne résultant pas d'un grand affichage de réforme comme pour les retraites et ne mobilisant donc pas assez pour  faire naître une vague significative d'oppositions de grande dimension politique. Chacun subit donc une désécurisation larvée et permanente : les participations personnelles des assurés sur les frais médicaux même non augmentés de dépassement d'honoraires ne cessent d'augmenter, tandis que par une astuce ou une autre ce qui était remboursé rétrécit et beaucoup : retraits de nombreux  médicaments soit des listes agréés, soit des produits  remboursés, ou diminutions successives de taux de remboursement, mise à charge des mutuelles et donc de leurs adhérents des désengagements de la sécurité sociale ; sur le versant des services de santé, on sait ce que représente le nouveau managment appliqué aux hopitaux et non seulement les incommodités, mais aussi les réels  risques sanitaires  qui résultent de la réforme des cartes hospitalières; dans le même esprit le métier d'infirmière de ville ( et de campagne) est en train d'être soumis à de nouvelles régles qui en rendront les pratiques moins souples en matière d'actes autorisés et de déplacements possibles, de manière - semble-t-il - à  ce qu'elles soient rattachées à des plateformes techniques déterminées d'une manière favorisant la concentration souhaitée des laboratoires privés et créant toujours plus de distance entre les soignants et les soignés .   

 

Le candidat du centre affiche une dose importante nécessaire d'économies et reste plutôt dans le flou; mais ceux qui le nourrissent en fiches et ceux  qui le conseillent parlent plus clairement. Consultez donc "Le Point" du 15 mars qui le présente comme "le prophète" , dont la tonalité de tous les articles est contre les dépenses sociales, voire contre les services publics, ce que synthétise dans ce numéro la présentation de la thérapie de la Fondation pour la recherche sur les administrations et sur les politiques publiques ( IFRAP,  think tank hyperlibréral ) qui demande des privatisations supplémentaires, l'alignement des tarifs hospitaliers sur le privé,  cogne sur le train  de vie des  fonctionnaires, les retraites, les allocations chômage et trouve comme effort principal la réforme de l'assurance maladie. D'ailleurs, dans un récent entretien entre "experts " in le Monde " électronique du 28/03 - Cahuzac comme conseiller budgétaire  de Hollande et l'ancien banquier  Peyrelevade, conseiller économique de Bayrou, le premier, après voir douté que la croissance puisse  être au rendez-vous des hypothèses sur lesquelles le candidat socialiste a bâti son "projet" indique en clair que, pour lui le gisement d'économie est bien dans la réduction des couvertures sociales :  " nous sommes prêts à faire de 30 à 40 milliards d'économies en trois ans sans bloquer en valeur les salaires des fonctionnaires ou les pensions des retraités. Comment ? En réduisant les dépenses de protection sociale (550 milliards) et celles des collectivités locales (250 milliards). Il n'est pas question pour nous de revenir  sur les 62 ans ou de renoncer aux économies possibles sur l'assurance-maladie, par exemple en jouant sur les consommations excessives de médicaments, en rationalisant la carte hospitalière ou en s'attaquant à la question de l'organisation des urgences. Rien de tout cela n'est dérisoire. On parle chaque fois de milliards d'euros.". La création de maisons de santé de proximité ( au fond les anciens dispensaires ou ces centres de santé mutualiste que l'on met aujourd'hui en faillite parce qu'ils sont plus chers que la médecine de ville ) pour soulager les urgences vers qui trop de malades se rendent  - proposition présente chez Bayrou comme chez Hollande- pourrait-elle être à hauteur des besoins créés par les défaillances hospitalières et faire accepter que les participations personnelles des assurés sur les frais médicaux subis de fait par les assurés ne cessent d'augmenter comme le veut le MEDEF ?  

 

A gauche, on est certainement sincère à vouloir le maintien de le couverture sociale française et le salut des hôpitaux , mais ne sera-t-on, surtout si la croissance n'est pas là,  coincés, entre les limites des productivités fiscales  et les besoins d'économie ?

 

Dans le champ fiscal  les réformes socialistes aujourd'hui envisagées restent trop timides après la relégation - provisoire ?- des propositions Piketty et on est loin d'avoir exploré toutes les facultés de productions de ressources équitables et non contraire au développement. On pourrait imaginer des tranches autrement plus progressives de l'IR que ce qui est présenté avec le gadget non productif des 75% sur le million d'euros. Un peu plus d'IR sur les tranches supérieures de revenus justifierait d'ailleurs, en parallèle,  un appel aussi mais modéré à la fiscalité indirecte, c'est à dire à la TVA. Oui, il faut soulager certaines entreprises par un transfert des cotisations vers la TVA du  financement d'une part de la couverture sociale, en ciblant les bénéficiaires  de telle sorte que  les diminutions de cotisations soient  réservées aux secteurs exposés aux concurrences externes et intra européennes que sont  l'agriculture,  l'industrie, les transports et la recherche, et à ceux des services qui pourraient se délocaliser, sans qu'en bénéficie tout le tissu des entreprises de proximité ou accrochées au sol comme le bâtiment ou le tourisme et si Bruxelles - comme l'a dit N. Sarkozy s'oppose à ces distinctions, il est évident qu'il faut passer outre. Enfin n'a-t-on imaginé ( comme des gouvernements du passé avaient su le faire, et sans doute en redoudant ses effets injustes ou un peu  créateur d'endettement à venir, mais tout a un prix...)  l'intérêt que présenterait aujourd'hui un grand emprunt libératoire de certains impôts  sur  le revenu  qui aiderait à passer un cap de besoins de liquidités ?  Mais dès que l'on parle impôts  il ya chez tous les politiques comme chez tous les contribuables une aversion ou une allergie pour l'impôt  et  l'idéologie libérale pour sa part commune à tous va plutôt pousser aux économies, aux coupes sombres non seulement dans les budgets (dont certains peuvent d'ailleurs parfaitement le supporter), mais aussi   selon les modèles italien ou espagnol, dans la "coûteuse" protection sociale qui est le fruit de plus d'un siècle de combats humanisyes et  populaires.

 

C'est pourquoi la gauche serait bienvenue et moins équivoque à dire clairement que la protection sociale maladie doit être "sanctuarisée" et qu'une légitime chasse aux fraudes  ou aux excès, voire quelques corrections raisonnables de carte hospitalière,  ne saurait pas conduire à remettre en cause les principes de couverture convenable, financière et hospitalière de tous les assurés dont beaucoup déjà ne peuvent , en provinces, accéder qu'après de très longs délais à de simples consultations ou à des soins qu'ils sont obligés d'aller payer plus cher dans les cliniques privées; mais l'objectif libéral n'est-il précisément de pousser à  ces transferts : ne serait-ce pas seulement par besoin d'économies publiques que l'on met l'hôpital à la diète, mais pour gaver l'investissement privé médical ?
 

Répétons-le : que la gauche ne se trompe pas de combat ni de programme : sanctuariser les dépenses nécessaires d'assurance maladie et au fonctionnement normal de services hospitalier saturés qui ne peuvent plus répondre à la demande, pouvoir garantir ces soins aux personnes âgées, c'est plus important que quelques mois de travail en plus ou en moins avant la retraite : mieux vaut reculer encore un peu celle-ci et garantir l'assurance maladie.


Dans le champ des économies les besoins de celles-ci répondent à des  nécessités réelles - et qui peuvent être satisfaits en partie, moins par la désécurisation sociale que par une véritable révision de dépenses publiques souvent franchement discutables, mais aussi répondent aussi à une idéologie : se soumettre toujours aux régles européennes, alors que la contradiction de ces règles européennes est d'imposer une liberté des échanges qui est le premier facteur du surendettement frappant d'ailleurs tous les pays de la zone  ( cf. sur ce site notre papier du 10 Décembre dernier " : "le surdendettement est essentiellement le produit du libre échange" ) et de vouloir la réduction de la dette par la rigueur sans faire appel aux autres moyens qui le faciliterait.


Ceux-ci sont pourtant évidents, mais tabous : obtenir des prêts sans intérêt du système bancaire européen, mais ce qui supposerait le changement  d'esprit et sans doute du statut de la BCE, concevoir qu'il est nécessaire, pour alléger la dette, d'admettre une part de "monétarisation" de celle-ci, c'est à dire de création monétaire (à l'américaine) pouvant conduire à une petite dose d'inflation supplémentaire ( on peut passer de 2 à 4% en pensant avec Paul Krugmann, cf. sur ce site notre papier du 30 janvier  que "l'infation n'est pas le problème , mais est la solution" et voir aussi notamment la conception de Kenneth Rogoff, ancien chief economist du FMI, via denis Clerc, article web , Monde électronique du 9 Août 2011). Ceci implique évidemment un changement de concept sur l'euro qui de monnaie intangible doit pouvoir devenir, s'il le faut, une monnaie susceptible de dévaluation C'est bien là que se noue le rapport entre les questions européennes et les questions sociales . En gérant selon les principes de l'Europe d'aujourd'hui nous ne pouvons aller qu'à la régression sociale , selon les exemples espagnol et italien et sans oublier que la situation sociale allemande est très mauvaise.

 

Au contraire il faut savoir doser en combinant d'une part des économies, mais respectueuses des droits acquis par plus d'un siècle de batailles sociales pour le progrès et très cher achetés par  les grandes misères des habitants de l'Europe  jusq'aux années cinquante, d'autre part l'obtention par l'État de ressources fiscales et autres, justes, non contraires au développement  et  assez productives - et, enfin, comme elles ne peuvent être en conciliant ces nécessités qu'insuffisantes - une  part de création monétaire contrôlée  qui est l'oxygène des mutations économiques difficiles.  

 

Savoir doser - en l'espèce entre rigueur, fiscalité, développement et ressource monétaire - savoir que "gouverner c'est doser" plutôt que radicalement choisir - ce qui ne s'impose, comme en 1940 par exemple,  que dans les spasmes de l'Histoire - renvoie à la conception même de la fonction  des pouvoirs.  L'équipe politique qui pourra réussir c'est celle qui saura doser sans oublier, par principe,  d'utiliser le dernier cité des moyens de ce dosage . Sinon, Dieu merci, elle  sera bousculée par le bon sens et les colères du peuple.  

 


 

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15 avril 2010 4 15 /04 /avril /2010 13:52

 

  A la suite de mon billet sur le harcèlement professionnel

j'ai reçu la contribution ci dessous à la reflexion sur ce mal  du temps

Je la publie volontiers tant il est vrai que le système est contagieux : dans la concurrence mondiale,  l'État doit être aussi "rentable" , compétitif avec les " moins disants fiscaux"  : moins peser sur les charges que subissent ... les actionnaires à travers les coûts publics.  

 

 

Le harcèlement professionnel ne deviendrait-il pas globalement un mode de gestion des  « ressources humaines »? La Fonction publique de l’État touchée à son tour…

 

par Catherine Piquemal Pastré

Docteur d'Etat en droit public

Maître de conférences -Faculté de droit - Université de Rouen


Qu’il y ait des raisons au harcèlement professionnel liées aux désirs des actionnaires, certes, mais il semble que cela s’inscrive aujourd’hui, dans un cadre plus large des relations du travail, des relations humaines en général, marquées du sceau de la brutalité et de la violence.

 

Ne serait-ce pas un mode de gestion volontairement retenu pour obtenir une soumission totale vis-à-vis de l’employeur, de ses objectifs, dans une vision comptable de toute l’activité humaine ? Ne serait-ce pas aussi à certains égards, un mode d’action politique ?

 

Ainsi, l’action politique qui vise à réformer l’État en réformant la Fonction publique n’en est-elle pas aujourd’hui un témoignage ?

La réforme de l’État que l’on nomme Révision générale des politiques publiques, s’exprime par la volonté des gouvernants actuels de désengager l’État de nombre de ses missions. Ce désengagement de l’État, des collectivités publiques se traduit par une réduction du nombre et de la place des services publics, donc du nombre des fonctionnaires. Comment alors se « débarrasser » des fonctionnaires titulaires de leur grade ?

La loi du 3 août 2009 sur la mobilité dans la Fonction publique est conçue dans cette perspective.

Déjà, sur la base de la RGPP, à des fins d’économies, on ne remplace qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. La loi du 3 août va plus loin, elle donne à l’administration les moyens d’organiser la sortie des fonctionnaires en « réorientation professionnelle » vers le secteur privé, dans ce qu’elle appelle pudiquement un « projet personnalisé d’évolution professionnelle ».

Comment alors, de la recherche de la satisfaction des besoins d’intérêt général, les fonctionnaires vont-ils pouvoir passer à la recherche du profit, lorsque l’Administration, les « aide » à accéder à un emploi dans le secteur privé ? Mais là ne s’arrête pas la loi du 3 août 2009…

Alors que l’on croyait que seule la Fonction publique territoriale était atteinte par la pratique condamnable et condamnée par le juge administratif, du harcèlement moral, c’est, pour la Fonction publique de l’État, la loi elle-même qui ouvre et organise ce « mode de gestion ».

Par cette même loi du 3 août 2009 qui crée la « réorientation professionnelle », le législateur offre en effet à l’Administration la possibilité de supprimer l’emploi sur lequel se trouve le fonctionnaire, en le plaçant dans cette nouvelle position. Si le fonctionnaire fait alors preuve de « résistance » aux propositions, pressions de l’Administration, il peut être d’abord placé « en disponibilité d’office », situation qui peut ensuite se solder par son licenciement pur et simple.

N’est-ce pas là l’organisation annoncée du harcèlement moral, tel qu’il est précisément défini et condamné par le statut lui-même ?

 

Et puis, il ne s’y retrouve pas, cet agent du service public, dans l’obéissance hiérarchique désormais fondée sur la peur, peur du lendemain, peur de déplaire au supérieur et de perdre ainsi son emploi, lui qui jusqu’alors obéissait aux ordres, conscient de sa mission de service public, prêt à s’investir totalement car dégagé du souci du lendemain, étant assuré d’avoir une « carrière ».

Comment l’État employeur ne va-t-il pas, demain, désespérer ses agents, lui qui montre du doigt aujourd’hui, les employeurs du secteur privé qui, par leur mode de gestion poussent leurs agents désespérés au suicide ?

 

Les « droits acquis » ? Qui a parlé de « droits acquis » ? Le contenu de la situation du fonctionnaire, ses droits et ses obligations peuvent être modifiés unilatéralement par l’État ou la collectivité publique employeur, à tout instant, sans que le fonctionnaire puisse invoquer des « droits acquis » ou réclamer une indemnisation quelconque.

La situation statutaire permet en effet à la personne publique, seule juge des besoins du service, d’établir unilatéralement la situation de ses agents et de la modifier à tout instant, pour l’adapter aux besoins de l’intérêt général qu’elle apprécie souverainement : souplesse de l’emploi, au service de l’administration, distinct du grade, qui n’est même plus, compte tenu de la loi de 2009,  la garantie du fonctionnaire.

Alors, quand dans un entretien au Monde du 8 octobre 2009, Eric Maurin distinguant entre « le déclassement et la peur du déclassement » semble penser que la Fonction publique est à l’abri des risques de déclassement et que les fonctionnaires se battent en réalité pour défendre l’acquis de leur statut, « une protection » dit-il, on est loin de la réalité juridique de la situation du fonctionnaire.

Et puis aujourd’hui, l’intérêt général dans le sens duquel doit agir l’État est inspiré et calqué sur la conception anglo-saxonne « utilitariste ».

 

Recruté pour assurer des missions de service public dans une conception républicaine, sociale de l’intérêt général, le fonctionnaire se retrouve à assurer des fonctions dans l’intérêt général « utilitariste », correspondant à ce qui est économiquement utile aux agents économiques dominants du moment, dans une ambiance de performance, de rentabilité, complètement étrangère à la philosophie du service public.

C’est alors que le sentiment de « déclassement » du fonctionnaire apparaît, que celui-ci en complet désarroi, totalement désorienté, se sent moralement harcelé, incapable de répondre à des objectifs de profit, conscient du fait qu’on veut le faire « sortir » de la Fonction publique, lui qui n’est plus considéré que comme un « coût » au regard du budget de l’État, et non plus comme remplissant une mission au service de la collectivité toute entière.

 

Le 15 avril 2010

Voir : «  Une nouvelle atteinte fondamentale à la Fonction publique, la loi du 3 août 2009 ». L. n° 2009-972, 3 août 2009  mobilité et parcours professionnels dans la fonction publique ; lundi 26 octobre 2009, par Catherine Piquemal-Pastré  Accueil du site > 6. Questions Droit cri-TIC >

Article 44 quater de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, Titre II du statut général des fonctionnaires relatif à la Fonction publique de l’État.

Voir : « Fonctionnaires désorientés. Quand l’examen du texte en dit long sur la volonté politique. Approche juridique du projet de décret relatif à la réorientation professionnelle des fonctionnaires de l’État » mercredi 10 février 2010, par Catherine Piquemal-Pastré,,

Article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, Titre I du statut général portant droits et obligations des fonctionnaires.  

[v] Eric Maurin, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), La Peur du déclassement, 2009 (Le Seuil, La République des idées).

 


 

 

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26 mars 2010 5 26 /03 /mars /2010 10:18
Je n'avais pas voulu jusqu'à présent -  parce que je préferai que cela provienne de collègues en activité aux prises avec les expériences en cours -  relever la mode de tout privatiser qui conduit jusqu'à concevoir de confier des recrutements ( et tout ce qui marche avec :  sélection,  formation, gestion de carrières, etc..) de membres de corps d'État à des officines privées dont la vertu est de parler " management" et plus encore ses jargons (comme je l'ai constaté chaque fois que dans mes anciennes fonctions d'État ou en entreprises,  j'ai été obligé, avec plus de profits pour eux que pour moi,  de recourir à ces marchands de concepts)  .

Les mobiliser pour se substituer aux autorités d'État ne relève vraisemblablement  pas du souci de rendre les recrutements et promotions plus impartiaux en les faisant échapper aux décideurs politiques, mais  - du moins faut-il le redouter - d'une certaine aversion envers la fonction publique qui paraît influencer l'actuelle approche de  la réforme de l'État .

Avec la dimension humoristique qui a conduit des commentateurs à se féliciter de ce "coup de jeune" qui en résulterait pour le corps préfectoral (supposé ankylosé) dès lors qu'on lui appliquerait cette technique de modernisation . Mais voici que certains des membres
de ce corps préfectoral dans "le Chêne et l'Olivier" de ce mois - le très sage bulletin de l'"association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur" qui considère plutôt traditionnellement avec beaucoup de respect les initiatives des pouvoirs - expriment d'un côté leur intérêt pour les cas ou ces "coachings" privés peuvent être utiles et montrent d'un autre côté le niveau de ridicule auquel aboutit l'irruption de l'incompétence des consultants.
 

 Il ne faut pas voir dans ces propos d'un certain "préfet Rastignac" l'expression d'un esprit de corps qui serait exacerbé par tout ce qui se prépare ( y compris de supprimer le "corps préfectoral" pour ne plus alimenter la fonction que par des nominations au cas par cas de personnes de toutes origines éventuelles;  y compris de remettre en cause la fonction de sous-préfet), car il y a là d'autres débats avec des arguments en sens divers  - et d'anciennes très solides études et réflexions qu'il faudrait quand même exploiter - que cet article n'aborde pas. Il faut simplement voir  dans cet impertinent et courageux papier le légitime "coup de sang" de serviteurs généralement muets de l'État qui ne peuvent plus se taire quand on veut les voir  recevoir  un "coup de jeune" par des pédagogues n'ayant ni titre, ni connaissance, ni expérience pour le faire à bon droit .

Voici donc comment "bronchent" pour une fois quelques chevaux de bataille  de la  préfectorale:


Extrait du « Le Chêne et l’Olivier » , lettre d'Information de l'Association du Corps Prefectoral et des Hauts Fonctionnaires du Ministere de l'Interieur ( mars 2010)

 

" On connaissait « Expliquez-moi le préfet », petit ouvrage sur l’histoire du corps préfectoral à l’intention des enfants. Voici venu le temps de « Raconte-moi le préfet » pour l’édification des consultants privés.

Le ministère a décidé de s’entourer des conseils de spécialistes des ressources humaines. Pourquoi pas ? Etre corseté dans des postures de refus au motif que l’univers public n’a pas à emprunter aux méthodes du secteur privé n’a pas de sens. Encore faut-il savoir exactement ce que le gestionnaire du corps attend des consultants privés qu’il a sélectionnés.

Que les membres du corps préfectoral qui souhaitent tricoter leur parcours professionnel entre des postes au sein du ministère et des emplois dans le privé ou le para-public puissent être accompagnés pendant plusieurs mois dans leur recherche de postes, la valorisation de leurs atouts est une bonne idée. L’équipe de la sous-direction du corps préfectoral, pour impliquée et professionnelle qu’elle soit, n’a ni le temps ni la compétence pour jeter des passerelles entre les mondes du privé et du public. Que les collègues aient besoin à certains moments clefs de leur carrière d’un coaching individuel ou collectif pour conduire un projet complexe ou débloquer une situation verrouillée répond aussi à une attente réelle. Cet accompagnement ne s’invente pas et exige le professionnalisme de consultants expérimentés.

 

Plus contestable en revanche est de faire appel à une société conseil pour recruter des sous-préfets et des préfets à l’extérieur de l’administration d’Etat. Pour trois raisons au moins.

D’abord, rechercher dans le privé ou la fonction publique territoriale la « perle rare » qui ferait défaut au corps préfectoral, pourtant le plus ouvert de la fonction publique comme le rappelle à juste titre le ministère, signifie en creux que les fonctionnaires d’Etat n’offrent pas les qualités attendues pour ce métier.

Ensuite, on peut s’étonner de la méthode retenue par le consultant choisi, Eurogroup Consulting, pour partir à la pêche des dites perles rares. En proposant aux directeurs des conseils régionaux et généraux, via un courrier sous le double timbre du Ministère et d’Eurogroup, de rejoindre le corps préfectoral, métier de passion et de conviction, le consultant a déclenché les sourires goguenards des DGS de tous poils. Car, si l’on venait les draguer, n’était-ce pas la preuve que le corps préfectoral ne suffisait pas à la tâche ? Cette opération de séduction à grande échelle n’est pas de nature à améliorer les relations que certains souspréfets entretiennent avec les directeurs des services des exécutifs locaux.

Enfin, et c’est à coup sûr le point le plus délicat, Eurogroup Consulting a été chargé de détecter les nouveaux talents sans avoir la moindre idée sur les qualités attendues d’un bon sous-préfet. Les entretiens sollicités auprès de certains de nos collègues par les consultants d’Eurogroup Consulting pour s’acculturer à notre milieu en témoignent. Les questions posées par ces spécialistes du recrutement étaient proches du niveau de la mer :

- « en quoi consiste votre métier, quelle est une journée type, quelles sont les qualités nécessaire, faites-vous du management… ».

La présentation du métier, de sa diversité, de ses contraintes, de son contexte a suscité chez le consultant une réaction qui se passe de commentaires :

- « ah, mais c’est qu’on travaille beaucoup chez vous alors » !

Le ministère de l’Intérieur serait bien avisé de conserver en son sein la fonction de recrutement grâce à sa connaissance des profils, des compétences, des traits de personnalités qui font un bon préfet ou un bon sous préfet. Il y ferait des économies et garantirait la qualité d’un corps de serviteurs de l’Etat stratégique pour l’avenir du pays.

Le Préfet Rastignac"

 

     
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26 mars 2009 4 26 /03 /mars /2009 15:23
Des générations d'élèves de l'ena ont considéré que le classement de sortie de l'École leur pourrissait la vie pendant la scolarité et souvent, longtemps au delà. Il est supprimé et voilà que les critiques et protestations fusent...

Ayant été,  de trois ou quatre manières dans cette école - comme élève à la fin des années cinquante, comme directeur adjoint des stages en 65/66, comme membre de son conseil et comme enseignant par la suite, j'avais naturellement eu,  comme tout le monde, ma petite idée de réforme : que l'ena soit l'institution dans laquelle il fallait être entré et avoir été (un peu) formé pour pouvoir se présenter à un panel de concours donnant accès à tel ou tel corps ou à telle ou telle fonction du service public, ce qui garantissait un recrutement de l"ensemble au mérite et, grâce à la possibilité ( que je suggérai) de tenter plusieurs fois une entrée dans la filière de sa préférence ( alors que le plus dur de "l'amphi garnison" est que ses résultats sont sans appel, sauf tournants incertains ultérieurs de carrière) ,  un certain respect des préférences et des vocations de chacun.

On n'arrive pas aujourd'hui à  quelque chose de très différent si de la souplesse préside aux affectations définitives après sortie  et il reste effectivement à savoir comment se feront les passages de la qualité d'élève à  telle ou telle institution ou administration, mais l'on vient de se se donner le délai pour y réfléchir et ce n'est pas si mal.

Une  vraie question  qui subsiste était de savoir s'il eut fallu  "débrancher" l'accès à certains grands corps  (IGF, CE, CC) de la fin de la scolarité et n'ouvrir cet accès qu'après une certaine ancienneté dans d'autres fonctions. Le problème du choix eut été retardé, mais il n'aurait pas été plus facile, peut-être même avec des critères plus aisément biaisés.  De surcroît certaines vocations ont intérêt à être affirmées assez tôt, et pas si tôt d'ailleurs lorsque les élèves sont issus du concours fonctionnaire avec déjà un temps de vie professionnelle précédente.

 De fait "l'alimentation de ces "grands corps " peut être influencée de bien des manières et au premier chef par de nombreux recrutements parallèles à ceux de l'ena qui est le seul système à  maintenir la méritocratie de base ( à mieux nourrir encore par la troisième voie si celle-ci est bâtie avec plus de rigueur que d'arbitraire). Il faut donc surtout que les "tours extérieurs" restent en proportion raisonnable. Au delà une circulation entre "corps" pour l'instant, et métiers de toutes les façons sans doute dans l'avenir,  est le moyen  par lequel écarter des carrières trop linéaires, trop enfermées ou trop débitrices d' heureuses  influences.

Il n'y aura jamais de perfection, mais la leçon du service public est d'apprendre à savoir bien doser par des compromis intelligents et hors des passions politiques. Sur la réforme appréciable en son  principe qui vient d'intervenir enfin, sachons donc raison garder...
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17 octobre 2008 5 17 /10 /octobre /2008 09:23
   E. Balladur est décidément le préposé de la Présidence aux réflexions sur les réformes institutionnelles. Après celle de la Constitution, le voici en charge de propositions pour la réforme de l'organisation territoriale de la France, chantier que lui disputent des élus sous la houlette du chef des parlementaires UMP , l'institution sénatoriale en tant qu'elle représente les collectivités locales de la Nation, et quelques groupes d'"experts" réels ou improvisés, sans compter les approches de principe du rapport Attali et celles  plus  comptables du Budget.

Économies donc, et  rationalité ?

Il ne peut y avoir de redistribution des tâches sans une mise à plat des responsabilités de financement et des attributions de ressources fiscales. Mais le poids des habitudes, parfois  des inerties passées est considérable, tandis que le  renoncement d'autrefois à des réformes qui eussent été capitales ne peut sans doute plus être compensé. Si l'on voulait réduire le nombre d'échelons d'administration et, par exemple, fusionner l'étage qui subventionne ( La région, sur ses fonds ou sur des fonds délégués par l'État) avec l'étage qui gère ( le département et les regroupements intercommunaux), on ne trouverait pas seulement lle problème  technique de définir le bon périmètre ( ce n'est pas conceptuellement le plus difficile et le bon schéma semble bien le vieux schéma de Michel Debré de quelque quarante régions "administrantes"  obtenues par des regroupements de départements et le  découpage de certaines unités régionales aujourd'hui trop vastes pour pouvoir administrer d'assez près), mais on trouverait surtout toutes les susceptibilités sur la détermination des chefs lieux et la difficulté psycho politique majeure d'avoir à remercier  une part  des notables locaux qui n'ont pas démérité dans des fonctions d'élus de telle ou telle collectivité pouvant, il est vrai,  faire double emploi.
Quant aux ressources, elles sont privées d'une base fiscale dont l'existence eut permis d'alléger l'actuelle batterie si contestée des vieux impôts directs locaux dont la TF et la TP.  On a renoncé, devant l'alliance de certains élus locaux , avides de bénéfices fonciers pour leurs électeurs propriètaires de toute taille , avec les intérêts de la promotion immobilière ,   à créer
en 1967 ( et l'on est jamais revenu sur cette erreur)  en France, comme il existe en d'autres pays, notamment aux E.U, une vraie taxe foncière sur l'urbanisation alors galopante, qui eut été une taxe sur la constructibilité des sols; ses  effets induits eussent été salutaires : de lutte contre la spéculation foncière, d'incitation à un urbanisme rationnel, de répartition équitable des charges d'urbanisation et de protection contre les ghettos, de ressource flexible mais très responsabilisante pour les collectivités et notamment les communes ou leurs regroupements.  Le résultat de cette absence a été la forme diabolique prise par notre urbanisation désordonnée faisant de plus peser trop d'autres types de  charges sur les plus modestes des ménages et  les plus intéressantes  des entreprises. C'est sans doute irrattrapable, car l'effet rétroactif serait aujourd'hui plutôt inéquitable  et cela gèle vraisemblablement  dans ses grands traits la fiscalité locale telle qu'elle existe aujourd'hui.
    

Opérationnalité ou projections de préoccupations de rapports de forces politiques ?
Des réformes n'iraient pas sans incidence sur le mode d'élection, la RP , utilisée pour le choix des conseillers régionaux, étant manifestement regardée avec réserve par ceux qui préfèrent les scrutins uninominaux comme pour l'élection des conseillers généraux, d'autant que tout aggiornamento et découpage ouvrirait la boite de Pandore des recherches optimisant les chances électorales de tel ou tel camp, compte tenu de l'intérêt majeur que représente l'exercice  des pouvoirs de gestion territoriale assorti de tant d'influences dans le paradoxe d'une Nation pilotée à droite au niveau national et gérée à gauche à bien des niveaux locaux, avec enfin, en perspective,  des effets considérables  sur le Sénat.

Enjeu de relations entre collectivités territoriales ou d'organisation de l'État ?

Les deux se tiennent  dès lors que depuis toujours les circonscriptions d'État ont pour une part coïncidé avec les périmètres géographiques de collectivités locales, à tel point que, jusqu'aux réformes de 1981, le préfet était le représentant du premier et l'exécutif des départements et régions. Mais, dans la réalité,  dès le milieu des années 70, les assemblées de ceux-ci et celles-ci avaient pris, de fait ,dans la plupart des cas, tellement d'influence, y compris, sur la répartition des crédits d'État, que ce rôle préfectoral d'exécutif local était parfois une commodité  pour les élus locaux qui pouvaient faire passer, certains de leurs choix ( lorsqu'ils ne plaisaient pas à tous ... et le poids de leurs fiscalités) pour ceux de la puissance publique nationale , si bien que le transfert des exécutifs a été une opération vérité, mais accompagné d'une espèce de revanche, parfois, sur l'autorité d'État dont le rôle coordonnateur a néanmoins obligatoirement perduré.

C'est à propos de ce métier préfectoral dans lequel j'avais tellement voulu croire que dans les observations terminales ( " Entre transaction et solitude" )  de l'ouvrage "Bulles d'Histoire et Autres Contes vrais" ( Phenix Edition, 2000, disponible sur Alapage .com) j'écrivais alors : " L'administration préfectorale  qui a été l'ossature d'une société traditionnelle ne remplit plus ce rôle, mais en exerce d'autres.  "Départis" dans les provinces pour y faire exécuter les lois - celles des Révolutions, des Empires, des Républiques - réquisitionner les chevaux et les hommes, maintenir l'ordre, sinon gagner les élections pour le pouvoir en place, du moins mettre les gouvernements en situation de comprendre comment elles se présentaient,  à la fois impulser les administrations d'État et inscrire les actions des assemblées départementales dans une cohérence nationale,  faire face à toutes sortes de problèmes à régler, les préfets ont longtemps été les seuls bien outillés à ces fins : par une information et des instruments de communication qui n'étaient pas diffusés comme aujourd'hui, par leur rôle de double exécutif de l'État et des collectivités sous tutelle qui sont devenus majeures, et - même - jusqu'à la Cinquième république, parce que l'absence de grand phénomène majoritaire de gouvernement  leur conférait un pouvoir propre un peu libéré des partis. Plus encore, à la différence de tous les autres agents publics qui ne peuvent agir que dans le champ d'habilitations précises, les préfets ont eu le devoir de trouver, dans la nécessité d'assumer leurs très vastes responsabilités de fait, les moyens, juridiques ou autres, de leurs compétences.    C'étaient les préfets de légende. Une légende qui a survécu à la réalité,  une vingtaine d'années, entre 1960 et 1980 . Pendant ce sursis, la stabilité  d'un fort pouvoir politique réduisit la part d'autonomie et d'arbitrage de la fonction;  les élus se virent reconnaître bien des légitimités en exerçant déjà des influences déterminantes sur le contenu de décisions qui passaient pour être celles des administrations du territoire, tandis que les puissances de l'économie commençaient à faire prévaloir leurs intérêts internationaux sur les lectures provinciales des affaires.

Parce que le droit traduisait les faits en mouvement et semblait  devoir mettre, grâce au transfert des exécutifs,  un terme aux alibis par lesquels bien des élus faisaient porter aux préfets la responsabilité de leurs choix, j'ai, sous le nom de Gérard Olivier, salué, dans Le Monde  et dans La Croix ,  au lendemain des réformes de 1981/82, "La fin des préfets de légende ".  Comme je l'exprimais alors , puis le développais dans "la France décentralisée" (  Berger- Levrault, 1984) et dans un cours  sur les finances locales (polycopié toujours consultable dans les fonds de bibliothèque de l'IEP et de l'ENA),   la  décentralisation restait pourtant inquiétante : elle  s'accompagnait d'enchevêtrement de compétences, de cocktails de financements,  d'absence de responsabilisation fiscale, de cumul des mandats : une constellation de défauts propices à la construction de nouvelles féodalités maillant le pays.

Celui-ci s'en est bien rendu compte. Il a fait sentir le besoin de quelques correctifs, en même temps qu'il est beaucoup revenu à ses préfets. La réforme décentralisatrice avait été conduite par Deferre comme un règlement de comptes entre élus et préfets. Il fut, un moment,  de bon ton de brocarder ces derniers. Un ministre des années 1980 n'avait-il pas dit qu'à la suite d'un changement politique, il n'était pas nécessaire de changer les préfets, mais seulement de les "faire tourner". Puisqu'ils avaient à chanter une autre chanson, il fallait seulement les faire chanter dans une autre cour. A quelques exceptions près,  ils ne se contentent pas de chanter. Ils se coltinent avec la réalité et essayent de la rendre supportable par les administrés. D'ailleurs, de toutes les personnalités publiques, ce sont encore celles qui ont le plus la confiance de l'opinion. Je n'ai jamais refait le métier, mais, comme interlocuteur d'entreprises ou comme  directeur de centrale, je suis resté en relations fréquentes et étroites avec ceux qui l'exercent. Ce ne sont plus des pivots de la Nation, mais des utilités appréciées. On attend d'eux que les services publics fonctionnent, qu'une bonne logistique soit en place, que la politique du gouvernement soit expliquée, que les crises soient traitées, même s'ils n'en ont pas les moyens. On veut aussi qu'ils ne fassent pas d'ombre aux élus : qu'ils soient suffisamment puissants pour être efficaces en cas de besoin et assez effacés pour ne pas être personnellement influents. Ils doivent être des hommes de service, pas des hommes de pouvoir."

Or, le corps préfectoral a tenu un langage constant que les gouvernements d'ailleurs ont écouté et essayer de mettre en oeuvre : la "déconcentration"( doter l'autorité territoriale d'État de pouvoirs définitivement délégués par les administrations centrales) doit aller de pair avec la "décentralisation"  ( habiliter des autorités locales  à exercer des compétences transférées par l'État) . Beaucoup a été fait en ce sens sur le plan technique, en particulier, à la suite des travaux, à la charnière des années 70, d'une "commission Iélhé" ( du nom de son présient, conseiller maître à la Cour ,venu de la France d'Outre-mer) qui s'était attaqué, avec une petite épuipe de collaborateurs dont je fus, ministère par ministère à "éplucher" tout ce qui était transférable. Depuis  lors, dans cet esprit, bien des textes solennels sur l'organisation territoriale ont voulu doter les chefs d'orchestre de l'État dans ses circonscriptions , région ou département,  des moyens d'assurer des politiques cohérentes.

Mais le temps de la chance de le réussir vraiment était passé. Il eut fallu le souffle politique. Ce fut celui que chercha, en 1969, le projet de loi référendaire sur la regionalisation qui mêlait étroitement décentralisation et déconcentration. Ce souffle mourut avec son inspirateur. En même temps, l'État se trouvait rogné par le haut et par le bas....et par le milieu.  L'Europe lui prenait les compétences stratégiques, les collectivités locales recevaient largement le soin de gérer  les actions de proximité. La tenue du tissu économique dépendait de plus en plus enfin des milieux d'affaires et des  choix ou obligations des entreprises confrontées à la concurrence internationale. Quant aux  administrations elles eurent surtout à intervenir pour contrôler ( mais il s'agit là d'une tâche quasi juridictionnelle qui relève du droit du travail et qui est théoriquement hors compétence préfectorale) ou pour faire face à des situations  de restructuration  si pénibles à gérer que c'est bien souvent, de fait, au corps préfectoral à tout faire que revint la charge des préventions, des pansements, des conversions, des consolations...

La  question préababe à une réforme territoriale de l'État et en même temps des collectivités locales est de savoir ce qui reste à faire à la Nation et en son sein, de dire clairement par qui .   

l


 
        

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20 juillet 2008 7 20 /07 /juillet /2008 09:44
Sans  doute, parce que, de longue date,  les pouvoirs publics de toutes inspirations n'ont pas su définir une stratégie nationale suffisamment respectueuse des intérêts des Français et donc de l'avenir de leurs services publics, ceux-ci sont systématiquement  contestés par les idéologies libérales, les institutions européennes et les besoins d'économies imputables à l'ouverture aux concurrences mondiales. Ainsi les dépenses de  service public sont-elles aujourd'hui dans le collimateur de toutes les suspicions, ce qui donne lieu à un faisceau d'approches de valeurs  très inégales et peut trop souvent aller jusqu' à récuser l'esprit et l'utilité des services publics dans bien des domaines.


Il  a des besoins de réorganisations plus efficientes et moins coûteuses que le statu quo  qui sont tout à fait respectables  et impliquent légitimement la révision  des cartes administratives, judiciaires, hospitalières, militaires, etc. dont on ne peut qu'approuver les principes tout en se devant d'être vigilants sur les mises en oeuvre. L'une des clefs de ces opérations   serait dans la fusion des régions et départements en une circonscription unifiée dont une quarantaine environ devraient  couvrir l'hexagone (si souvent les départements très utiles sont étroits pour la rentabilité de certaines fonctions,  nombre de régions sont trop grandes pour être des circonscriptions administrantes) ; mais ce schéma (toujours pertinent et que  Michel Debré  suggéra il y a bien longtemps) heurte un peu les situations et habitudes d'une partie de la nomenklatura locale que l'on devrait néanmoins  pouvoir convaincre si on  en faisait effectivement l'effort.

Il y a la complète révision de la méthodologie budgétaire débutée sous les gestions précédentes et dans un réel consensus technique d'élus compétents appartenant à des familles  politiques différentes; mais  on a du mal à percevoir la portée pratique de cette révision laborieuse et sophistiquée, tant les chamboulements d'approche et la lecture difficile de "missions" posant des problèmes de définition rendent les navigations  hasardeuses  dans la préparation et la compréhension de la dépense publique.

Cette réforme de la technique budgétaire a été de pair avec la poursuite d'"objectifs  d'excellence"  s'appuyant  sur la multiplication  - avec un choix thématique qui paraît assez aléatoire -  des "audits de performance" ( que l'on peut consulter sur la rubrique éponyme du site web du ministère des finances), ce qui a souvent mobilisé les compétences reconnues des corps d'inspection et de contrôle, sans toujours apporter  des appréciations assez  pluralistes des  bien et mal fondés  de dépenses passées en revue.

Il y a enfin
la propension à confier à des cabinets privés d'audit et de "consulting" (s'exprimant souvent dans ces termes prétentieux et jargonneux) des missions de diagnostic et de réorganisation d'administrations publiques, ce qui répond à l'idée fausse selon laquelle ce sont des regards de gestionnaires privés qui doivent gouverner l'appréciation de services publics. Pour avoir exercé des responsabilités publiques et privées, je tiens au contraire à témoigner que l'esprit et les contraintes imprégnant le service public n'ont rien à voir avec les ressorts et les obligations selon lesquels doivent être gérés des  centres privés de profits et de pertes. AInsi des critères différents ôtent  toute pertinence à une approche analogique, en ne laissant d'intérêt de transposition qu'à des facteurs communs de bon sens.

Ce n'est  pas d'ajourd'hui que date ces modes répondant à l'esprit qu'il faut concevoir et gérer  l'État comme une entreprise; les agents publics ne sont pas rares qui ont  subi avec effarement les descentes inquisitoriales et souvent incompétentes  d'"experts" dont les travaux ne trouvaient la plupart du temps un sens que lorsqu'ils reprenaient des études administratives sérieuses précédentes.

La machine publique a pourtant l'expérience de grands chantiers qui ont tourné court très largement par suite d'erreurs psychologiques vis à vis du milieu public alors qu'ils comportaient néanmoins des fécondités méthodologiques vérifiées. La fin des années soixante a été marquée par la grande ambition de la Rationalisation des Choix Budgétaires (inspirée du PPBS américain) qui a eu la vertu, lorsqu'elle fut intelligemment appliquée,  d'apprendre aux services dÉtat à s'avouer leurs préférences et les prix qu'ils étaient prêts ou non à les payer; c'est sans doute d'ailleurs cet aspect d'opération vérité qui  a été   fatale à la RCB (
cf. L’ECHEC DE L’EXPERIENCE FRANCAISE DE RCB; une référence pour la réforme financière de l’État; ;Groupe d’études et de recherches sur l’administration publique(GERAP) par Alexis Quint), mais il y aurait encore beaucoup à apprendre de cette approche dont la finesse pourrait permettre, à nos yeux,  de mieux cerner et bâtir des  budgets de programme.

C'est l'excès de grandes messes trop politisées autour d'un autre thème, celui, en soi très porteur et opérationnel,  de la qualité, et le caractère trop systématique  des tentatives de mise en place des cercles et procédures du même nom  qui ont détourné, en partie à la faveur du changement de majorité  de l'époque,  à la fin des années 80, de finaliser à bonne mesure les processus très intéressants de recherche des causes de "non qualité" dans les administrations et établissements publics  et qui  restaient raisonnables dès lors que des techniques  éprouvées  en entreprises étaient transposées comme il convenait à un autre milieu  (cf. Gérard Bélorgey et Cabinet Delta, LA QUALITÉ DANS LES SERVICES PUBLICS, 1987, Berger Levrault).

La réforme de l'État - chantier sans cesse renouvelé et toujours en cours, et qui veut aujourd'hui se présenter comme une "rupture" - ferait bien de se garantir une  légitimité en se gardant de prendre le modèle privé comme référence et en  se plaçant  dans une continuité  tenant compte des grandes expériences passées, de leurs zones de réussite et d'échecs. Le problème est que la réforme administrative est aussi une geste politique qui veut donc faire croire et faire voir en se plaçant sous l'éclairage  idéologique actuel du néo libéralisme voulant faire passer des choix politiques pour des obligations économiques. C'est pourquoi la première réforme de l'État ne consiste pas à réformer l'État, mais à le diminuer
.:  en réduire la sphère d'intervention ou d'influence ,  par principe et au profit d' investisseurs privés, appelés à remplacer des opérateurs publics nationaux. Il y a ainsi toujours une bonne raison - qui n'est certes pas de bonne gestion sauf comme prétexte invoqué - pour élargir de plus en plus le champ des privatisations comme  l'exige l'Europe et comme le veut d'ailleurs avec elle la classe économique dirigeante française. C'est le tour de la Poste,  après l'énergie, les transports et avant, n'en doutons pas,  les services sociaux eux-mêmes, dès que ce sera possible par suite du conditionnement de l'opinion. Celui-ci consiste à faire valoir un programme simple : il faut moins d'impôts, moins de dépenses et moins de fonctionnaires ou de personnels d'un secteur d'économie mixte. La réforme administrative et la rétraction étatique, deux habillages du rouleau compresseur libéral en marche ?

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1 octobre 2007 1 01 /10 /octobre /2007 22:39

Je porte un regard très attentif sur  la réforme envisagée  du  service public de l'emploi par  la perspective enfin mise en chantier d'une "fusion"  des agences ANPE et des Assedic.

Un rappel historique met bien en évidence que si cette union n'a pas été faite par le passé, dès les grandes réformes des structures de l'administration du travail ( et du chômage, modeste alors ) en 1967, ce défaut de conception n'a tenu qu'à des raisons  contingentes et non à des motifs logiques. Le constat que fait Georges Pompidou en 1967 est que la transformartion  industrielle ( encore) que connaît alors la France va avoir trois conséquences : des changements inéluctables de métiers pour nombre de salariés, des interruptions de continuité d'emploi constituant un chômage d'adaptation qu'il faut très convenablement couvrir pour permettre des mobilités consenties et un besoin de garantir les formations professionnelles continues pour ces adaptations ou reconversions nécessaires. C'est d'ailleurs aussi bien l'analyse de l'épopue d'un Jacques Delors chargé des affaires sociales au Plan.

Pour gérer ces changements dans la sécurité et la paix sociale, il faut le bon outil collectif qui n'existe pas : les services traditionnels du Travail sont centrés sur le contrôle du droit du travail
tandis que leurs tâches de placement ne sont guère des priorités malgré leur quasi monopole  théorique; l'indemnisation du chômage par  l'Etat est  marginale et relève plutôt de l'aide sociale ; un accord interprofessionnel de 1958 ayant créé à l'instigation du Général de Gaulle  une assurance chomage gérée paritairement par employeurs et salariés ne couvre pas toutes les activités du pays  et, en dehors d'instances professionnelles spécialisées comme dans la sidérurgie ou par le biais des CCI, la formation professionnelle puissante est essentiellement conduite par l'AFPA pour la mise en capacité et compétence des gros bataillons de qualifiés dont l'économie a alors besoin : dans le BTP, les métaux, la mécanique, etc.


 Ce sont les bonnes ordonnances sociales de 1967 dont le pilotage est en fait alors confié à Jacques Chirac, secrétaire d'État à l'emploi dont je suis le directeur de cabinet, qui vont créer les bases donnant les sécurités minimales nécessaires ; amélioration des indemnités de licenciement, surtout généralisation obligatoire de l'Unedic à toutes les activités et dimensions d'entreprises (  c'est à  à l'époque un pas considérable) et recherche du bon outil qui pourrait faire en cohérence le service des prestations chômage d'ETAT et UNEDIC, le placement des chômeurs en rapprochant, comme une bourse, demandes et offres d'emploi, mieux encore,  le moyen des ajustements entre les deux par une politique articulée de formation professionnelle tous azimuts et tout au long des parcours professsionnels.  C'est la le modèle que préconise le  rapport ORTOLI, ex-directeur de Cabinet de Pompidou devenant alors Ministre de l'Equipement : un grand service non administratif mais délégué à la  gestion paritaire syndicats/ organisations patronales ou entreprises, responsabilisant les uns et les autres, conçu selon le modèle allemand,  contractant avec l'Etat pour une mission de service public, certes sous tutelle, mais ne mettant plus l'État en première ligne, et supprimant les étanchéîtés entre indemnisation, placements, formation.

 

De ce rêve logique il ne sortit alors que la petite souris administrative ANPE, avec  je me rappelle un premier budget, en 1968, de 41 millions de francs .  Le Ministre d'État des affaires sociales, J.M. Jeanneney ne voulait pas voir son administration éliminée car il lui voyait un rôle prétorien de veiller au travail de tous; certains  partenaires sociaux redoutaient d'être en charge  du défi de monter un établissement industriel et commercial à vocation sociale  et obligation de résultats de reclassements par mobilités et formations , tandis que l'AFPA campait, comme elle campe toujours, je crois, sur son originalité issue de la guerre d'un pilotage  à trois , salariés, patrons, État. Le compromis fut donc ce petit établissement public administratif ( administratif, parce que les Finances voulaient le contrôler et parce que que le ministre du travail voulait toujours y voir son bras), cette ANPE que l'amplification du désemploi, l'infirmité du début, la difficulté de monter de vrais bourses d'échanges entre demandes et offres a du obliger à se porter  de réformes  en réformes  à la dimension considérable et aux complexités de fonctionnment que l'on sait dans ses relations avec les institutions cousines qui n'ont même pas des  programmes  informatiques compatibles. Le fait que  les Assedic aient  reçu la compétence de faire aux chomeurs les mandatements de leurs diverses sources de revenus de remplacement. n'a pas empêché les developpements séparés de chaque  esprit maison tout à la fois missionnaire et l'oeil sur son budget, ce qui  paraît créer des  interferences permanentes sur des questions de formations ( (définition, rémunérations)  dont une institution ou l'autre s'est souvent quasi autoconférée la charge de pilotage, en les déléguant fréquemment hors Afpa à des tiers très friands de ces mannes.    La double affaire a pris son énorme souffle, ses gros recrutements, ses déficits de résultats avec les grandes vagues de restructurations des années 80/90, en même temps que les incontournables pré-retraites ou les interminables stages de reconversion ( puisqu'il n'y avait pas de travail de remplacement à offrir), les spécificités de chaque approche statistique ont de plus en plus mêlé les rôles et rendus difficiles des contrôles que chacun voulaient faire à sa manière et selon ses critères. En 1985/86, alors que j'étais revenu dans l'univers du travail et de l'emploi comme Délégué à l'emploi ( que je fus avec Michel Delebarre puis avec Philipe Seguin) un audit de bon sens avait mis en évidence que le parcours d'un chômeur de moyenne durée comportait 19 étapes d'aller et retour entre les diverses administrations compétentes ( de la mairie, à l'assedic, à l'anpe, aux stages de formation, aux bilans d'étapes ou définitifs et aux revisions des situations). Plutôt que remettre une fois de plus sur le métier l'essai de rationnalisation de ce pélérinage, après avoir en vain essayé de préparer  une fusion ASSEDIC/ANPE, je laissai pour testament au ministre que je quittai  en 1987 un dossier fourni expliquant pourquoi et comment il fallait le faire et en rapprocher l'AFPA ainsi qu'une nébuleuse d'abonnés aux crédits de la form.prof.  dont les fortunes ont été bon train après les décisions de principes et les lois en la matière ayant procédé de la négociation de Grenelle en 58.

 

Je pense quen 2007, 20 ans après cette préconisation de 1987, 40 ans après le coup manqué en 1967 du grand service unifié de l'emploi (à transmettre  sous contrôle, mais vraiment à confier aux partenaires sociaux avec les garanties statutaires nécessaires aux personnels), les objections des états-majors, des personnels, des syndicats risquent de s'être encore plus renforcées, en se fossilisant par le temps et en s'amplifiant par le nombre des concernés et en s'étant de plus en plus compliquées par les charges des comptes des divers fonds de chômage , du placement et de la formation. Malgré de tels obstacles à surmonter, il faut faire cette réforme logique  dont on voudrait trouver des prémisses dans l' une des  "étude de performance" du site du ministère du budget. Mëme s' il  est sans doute peu propable qu'elle permette des économies rapides de personnels,  elle doit autoriser des gains de structure, des rationnalisations de moyens et des montées en efficacité, enfin et surtout, un peu moins de galère pour les chômeurs, usagers ou clients comme on veut bien désormais les appeler ici ou là : ces demandeurs d'emploi en perdition qui étaient  quelques dizaines de milliiers autrefois et qui sont d'importantes centaines de milliers aujourd'hui, obligés de devenir plus compétents sur le fonctionnement du service public de l'emploi que pour  l'exercice de leur propre métier!  

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5 juin 2007 2 05 /06 /juin /2007 12:09
De la même façon que j'ai essayé - peu efficacement - de conseiller des amis socialistes, l'un de mes correspondants cherche à conseiller - j'espère plus efficacement - des amls du MODEM. Le texte qu'il leur a fait parvenir pour leur réflexion a retenu tout mon intéret. Je vous invite donc à partager son analyse ou à y réagir. 


Olivier MIRÉ
Services publics : on a été trop loin dans la libéralisation

Il y a de bons principes à gauche et à droite, dans l’intervention publique et dans le libéralisme. Mais les excès de l’un et de l’autre sont néfastes. Il faut doser. C’est précisément une démarche centriste.

La question des services publics fournit un bon exemple. En partant d’une situation, après les nationalisations de 1982, où l’Etat avait beaucoup trop étendu sa sphère d’intervention directe dans l’économie, d’ailleurs bien au delà de ce qu’on peut considérer comme des services publics, on a été manifestement trop loin dans la libéralisation, c’est à dire dans le fait de confier de véritables activités de service public à un mode de gestion d’entreprise privée, autrement dit à un mode de gestion guidé avant tout par l’intérêt propre de l’entreprise et non par l’intérêt général. Dans ce dernier modèle , pour assurer le service public, l’Etat n’intervient plus qu’au travers de règles générales et pour rectifier après coup les situations trop flagrantes de négligence du service public ou de violation des règles de concurrence.

Prenons quelques exemples dans les services publics économiques.

On avait de grands monopoles publics (SNCF, Poste, France Télécom, EDF et GDF) qui avaient sans doute besoin d’être dynamisés sur différents points et, pour certains, d’être moins coûteux pour la collectivité. Mais ils fonctionnaient globalement bien, assuraient une couverture géographique totale, étaient souvent à la pointe du progrès technique (Minitel, TGV) et, chose dont les Français n’étaient pas conscients, avaient des tarifs pour l’usager tout à fait raisonnables par rapport aux autres pays en Europe (tarifs postaux, électricité la moins chère d’Europe, hormis la Scandinavie).

Au motif de rendre plus performantes les entreprises en cause, mais aussi par parti pris et en répondant aux appétits de dirigeants ou investisseurs qui voyaient là des secteurs où il y avait sans doute beaucoup d’argent à faire, l’Europe et la France ont décidé de supprimer ces monopoles, de « libéraliser » ces secteurs. Le processus a été initié par les gouvernements de droite, qui ont permis qu’il s’enclenche au niveau européen avec l’adoption de directives de libéralisation. Mais il n’a pas vraiment été freiné par les gouvernements de gauche et il avait d’ailleurs le soutien de dirigeants de certaines des entreprises concernées –ce qui montre qu’ils pensaient que l’intérêt propre de leur entreprise allait dans ce sens. Ces derniers avaient d’ailleurs raison : en tout cas EDF et France Télécom, aujourd’hui sociétés à capital, n’ont jamais été aussi florissantes.

On a donc entamé un processus d’abolition progressive des monopoles légaux. La téléphonie est complètement libéralisée, l’électricité et le gaz le seront pour les particuliers le 1er juillet, la poste en 2009, de même que le transport ferroviaire (à compléter).

Or, à la place des monopoles publics qui étaient étroitement contrôlés par l’Etat, qu’a-t-on ? De très grosses entreprises, sinon en position dominante, du moins chacune en très forte position, mais qui agissent essentiellement dans leur intérêt propre et qui assurent une qualité du service public en baisse.

Le train : on a maintenant deux catégories. Pour le transport régional, heureusement les régions sont là, mais avec des difficultés avec l’opérateur qui reste la SNCF. Pour le national, on a tout misé sur les grandes liaisons rentables TGV. Résultat : manque de coordination avec les correspondances régionales, manque de souplesse et tarification exorbitante : les entreprises et les personnes qui ne sont pas dans une catégorie particulière dépensent des fortunes pour voyager. Même seul, il est moins cher de venir en Touraine de Paris par l’autoroute que par le TGV. Pas très écologique!

La poste : fermeture des bureaux ruraux et pas plus de monde au guichet dans les villes. Par ailleurs, quel intérêt de transformer les services financiers de la poste, qui avaient une très forte spécificité sociale, en une banque classique, sinon compenser les pertes que fera l’activité courrier du fait de l’écrémage de celle-ci sur les créneaux les plus rentables du fait de l’ouverture à la concurrence  ? Comme s’il n’y avait pas assez de banques sur le marché. Autre effet pervers, la poste cherche des recettes en inondant nos boîtes aux lettres de publicité adressée. Pas très écologique non plus !

Les télécoms. Des entreprises qui dépensent des fortunes de publicité pour attirer le client sur un maquis de formules tarifaires qui ne permettent pas au consommateur de s’y retrouver. D’ailleurs France Télécom, SFR et Bouygues ont été condamnés à plus de 500 millions d’euros d’amende par l’autorité de concurrence en 2005 pour entente anticoncurrentielle, notamment sur plainte de Que Choisir ?. La qualité du réseau fixe se détériore alors que l’abonnement n’a pas cessé d’augmenter ces dernières années. Ne parlons pas du sketch ridicule de la disparition du 12 pour les renseignements téléphoniques au profit d’une multitude de prestataires qui dépensent eux-mêmes des fortunes en publicité.

L’électricité. Depuis l’ouverture du marché pour les entreprises, qui a commencé en 2000, EDF est donc florissante, mais les prix du marché libre sont désormais à près de 70% au dessus des tarifs publics. Les entreprises qui ont fait le choix de quitter les tarifs publics en pensant que libéralisation voulait dire baisse des prix auraient du comprendre que ce n’est le cas que s’il y a vraiment concurrence. Or, personne n’a les moyens de concurrencer sérieusement EDF. Sait-on que le Conseil constitutionnel a jugé que la directive européenne qui prévoit la libéralisation du marché pour les particuliers à compter du 1er juillet prochain interdit le maintien du tarif public pour les nouveaux contrats à compter de cette date, sauf pour les « cas sociaux » ? Il vaut mieux ne pas déménager à compter du 1er juillet. Comment le gouvernement envisage-t-il ce problème dont on n’a pratiquement pas parlé ?

En vérité dans la plupart des cas, on n’a pas abouti à une situation saine. Il fallait libéraliser ce qui ne relève pas des services publics nationaux fondamentaux et ce qui pouvait l’être en débouchant sur une situation vraiment concurrentielle : par exemple, oui pour l’Internet et les mobiles, non pour la téléphonie classique. France Télécom aurait du se cantonner à cette dernière et à gérer le réseau fixe au lieu de se comporter désormais comme un marchand de tapis sur tous les fronts. Oui pour le gaz, qui est en concurrence large avec d’autres énergies et pour lequel il faut constituer un champion européen, non pour l’électricité dont les usages captifs et le caractère essentiel sont trop importants. Oui pour l’avion, non pour le train et les autoroutes qui sont des monopoles naturels et qui devraient être gérés dans un très fort esprit de service public. Partiellement pour la poste qui devait garder un monopole suffisant pour rester viable sans aller perturber la concurrence sur des marchés où l’initiative privée est suffisante.

Les choix critiquables qui ont été faits profitent à certains mais non à l’intérêt général. Ils ont été opérés subrepticement, sans que les citoyens en soient informés alors que les effets les touchent directement. Comme ils sont largement passés par le truchement de l’Europe, cela a contribué à compromettre la confiance des gens dans le magnifique projet qu’est la construction européenne. Il faut recentrer tout cela !
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