Le texte ci-dessous est ma contribution au colloque tenu, à l’initiative du préfet Pierre Lise, au Sénat le 29 avril 2011 sur « Outre Mer et devise Républicaine ».
Je le publie en particulier en soutien et complément de la chronique ici engagée sur l'état des lieux en matière d'organisation territoriale de la République.
Ce texte est au nombre des actes de ce colloque récemment publiés dans la collection « logiques juridiques » à l’Harmattan, et comportant notamment les communications suivantes
En OUVERTURE
- allocution de bienvenue , Serge Larcher, sénateur de la Martinique
- présentation du colloque , Pierre Lise, préfet honoraire, président du cercle pour l’excellence des originaires d’outre-mer)
- « l’outre-mer dans la république », Bernard Stirn, président de la section du contentieu au Conseil d’État
sur le thème « LIBERTÉ
- « de la libération à la liberté », Hubert Gerbeau, ancien directeur du CERSOI de la Réunion
- « les libertés fondamentales au cœur du pacte républicain », Pierre Olivier Caille, maître de conférence à l’école de droit de la Sorbonne
sur le thème « ÉGALITÉ »,
- « différenciations sociales et discrimnations en droit français », Antoine Delblond, professeur de droit public Université de Nantes
-« les discriminations positives », Ferdinand Melin-Soucramanien, professeur de droit public Université Montesquieu-BordeauxIV
- « égalité ou différenciation statutaire », Olivier Gohin, professeur de droit public à l’Université Paris II-Panthéon-Assas
sur le thème FRATERNITÉ
-« Quels chemins, pour la solidarité ? » , Gérard Belorgey préfet honoraire, ancien directeur au ministère de l’outre-mer
- « L’exigence de solidarité nationale », Véronique Bertille, maîtrede conférences en droitb public, Université Montesquieu-BordeauxIV
et la SYNTHÈSE par Alain Delcamp, secrétaire général du Sénat, vice-président de l’association française des constitutionnalistes
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Cher Pierre, Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général et notre hôte, chers Amis,
Compte tenu des délais très stricts qui me sont impartis je vais être conduit à faire d’abord toute sa part à la voie émotionnelle plus peut-être qu’à la voie juridique fine . Ce n’est pas sans avantage: l’émotion est brève, et le juriste est long.
La voie émotionnelle c’est de constater que construire la solidarité passe par le ressenti de la fraternité. Et que le ressenti de la fraternité n’est pas à tous venu d’un coup. En 1956 nous n’étions que quelques uns à aller au premier grand colloque des écrivains noirs. Il y en a fallu du temps pour que les horizons espérés depuis le fameux appel de Césaire pour la départementalisation dans et pour l’égalité , pour que les fraternités aussi que nous exprimions dans ces rencontres des années cinquante, les uns et les autres, trouvent leurs voies concrètes d’application. Oui, il en a fallu du temps. J’ai été directeur des affaires économiques, sociales et culturelles de l’Outre mer à la fin des années quatre vingt, président de RFO en 93/97 ; j’ai eu dans l’une et l’autre de ces fonctions à lutter contre l’ostracisme qu’inspiraient toujours un certain nombre de gens ; par exemple, le simple nom de Césaire – avec le parfum de souffre de ses positions - suscitait encore l’hostilité et les cabales à l’encontre de ses proches de trop de personnes; et je me permets, tout en me réjouissant, de sourire un peu aussi lorsque j‘entends ces louanges unanimes qui célèbrent et « le grand homme de la négritude » et une fraternité qui a été aussi difficile à conquérir qu’elle est indispensable comme socle de toute action. Il faut donc fondamentalement rappeler que ces fraternités et solidarités ont exigé bien des progrès de conscience politique ; c’est cette prise de conscience politique qui est – après le ressenti affectif - la deuxième base des solidarités dont les outre mers sont – pardon de le dire – les bénéficiaires.
La décolonisation des « anciennes colonies » et celle des pays du Pacifique, ces décolonisations « à la française » - selon deux voies originales sur lesquelles je reviendrai - que l’on a eu tant de mal à faire comprendre à la communauté internationale et à l’Europe , ont, à mes yeux, été effectivement relativement réussies : parce qu’on a entendu les leçons qu’il fallait tirer de cette décolonisation manquée , puis si tragique qui a des années durant été le défi si mal relevé de l’Algérie. S’il y a deux hommes qui, à mon sens, sont les seuls à avoir fait autant en direction de l’outre mer, deux hommes politiques différents qui sont mes condisciples, qui s’appellent l’un Jacques Chirac et l’autre Michel Rocard c’est, selon moi, parce qu’ils ont subi, chacun à sa manière, l’épreuve algérienne. L’un, Jacques, c’est vrai, a certainement eu une certaine nostalgie impériale ; mais le rêve qu’il a eu du maintien de la souveraineté française ne l’a pas empêché de comprendre en ces circonstances que pour assurer cette continuité , il eut fallu que les intégrations des populations algériennes aient été au plan politique, économique et social engagées de longue date et soient intervenues à temps . L’autre, Michel, qui n’était pas un « anticolonialiste » mais qui était - depuis les « comités France Maghreb » que nous avons vécu ensemble - un raisonnable « décolonisateur » a, pour sa part, toujours et partout voulu trouver, à temps aussi, les chemins pratiques et pragmatiques qu’il fallait imaginer . Ainsi deux familles politiques – quelles que soient les apparences de conflits, et les concurrences, quelles que soient les divergences techniques qui peuvent apparaître dans telle ou telle loi de programmation ou de finances – ont-elles pu converger, su se relayer pour des objectifs économiques et sociaux largement partagés. Le défi démographique des outre-mers, les coûts globaux pour rapprocher ceux-ci des niveaux de la Nation se trouvant au demeurant bien plus modestes que dans le cas algérien et la perspective de continuer la route ensemble pouvant s’appuyer sur des mixités culturelles dont les sociétés trop séparées du Maghreb n’avaient pas mûri les chances, ont permis de voir que la République avait les moyens de chercher à satisfaire à sa devise.
Toutefois les principes de « liberté, égalité, fraternité » ont débouché sur deux chemins juridiques parallèles, et à travers ceux-ci à deux expressions de la solidarité sensiblement différentes .
Les chemins institutionnels - après des temps d’hésitations, de contestations, de toutes parts - ont clairement abouti avec la réforme de 2003, et avec certaines consultations locales qui lui ont succédé, à deux modèles. Celui de l’article 73 qui répond fondamentalement à la demande d’égalité des habitants des départements d’outre mer, dans l’axe d’une histoire, avec sa part de domination et de cruautés, suivie de sa part de progrès dans la volonté du partage des cultures – qui fut une histoire commune : en effet presque toutes les populations (en dehors des Arawaks et des Amérindiens) provenant de l’extérieur, ces « pays » n’ont pas eu d’antécédents collectifs avant d’avoir - douloureusement puis plus convenablement - partagé avec la France des siècles de destin. La géométrie variable de l’article 74 et du titre constitutionnel spécial pour la Nouvelle Calédonie répondent, eux, essentiellement aux attentes ou aux revendications de respect des différences ( qui ont pu d’ailleurs être portées de manières discordantes dans le temps par une partie ou une autre de leurs populations ) ; ce sont les demandes, pouvant être difficiles à concilier, de communautés complexes ayant eu à la fois une longue existence historique propre avant l’arrivée européenne, et, depuis celle-ci, un tel renouvellement de leurs rapports sociétaux, qu’il leur faut des « sur mesure » très ouverts. Ainsi ces deux réalités d’une part des DOM et, d’autre part, des collectivités qu’on appelait autrefois les TOM - sous réserve de cas particuliers, un peu hybrides, comme celui de Saint Pierre et Miquelon et encore , pour un temps, celui de Mayotte – ont-elles donné naissance à des régimes statutaires bien distincts, d’où ont découlé des systèmes différents de normes juridiques (d’un côté, sauf adaptations exceptionnelles, l’homogénéité des normes juridiques avec celles de la Nation ; de l’autre, la faculté pour des autorités locales de « pays » de dire – chacun dans leur zone de compétences définies par des statuts au demeurant évolutifs - un droit local singulier, différent du droit national. Voilà ce qui va bien au delà de la décentralisation, et c’est en ce sens que j’observais auprès du professeur Gohin que l’on peut admettre que notre État, à côté de sa dominante unitaire, est marginalement pour le moins quand même « un État composite ».
Si je suis un habitant de la Polynésie ou a fortiori de la Nouvelle Calédonie ou si je suis un habitant d’une région monodépartementale d’outre-mer , je ne suis pas dans la même relation juridique avec la communauté nationale . Certes dans tous les cas j’ai la citoyenneté française, mais, tout en étant garanti par la même souveraineté et par les mêmes juges ( sauf lorsque c’est non pas le conseil d’État, mais le Conseil constitutionnel qui est compétent pour le contrôle de certaines normes calédoniennes) avec de très importantes variantes de ma condition. Si je suis un habitant des Antilles, de la Guyane ou de la Réunion, je suis un citoyen social et un citoyen fiscal de la République ; si je suis dans un ex TOM je suis un contribuable du Territoire et un assujetti à ses régimes propres de couvertures de risques et de prévoyance. Dans le premier cas, je paie les mêmes types d’impôt à l’État français que les habitants de tous autres départements (bien que ces impôts – comme par exemple des taux réduits de TVA ou des abattements pour l’impôt sur le revenu qui n’ont rien à voir avec des « niches fiscales » puisqu’ils ont impact sur tous les contribuables et acteurs économiques locaux – puissent, pour compenser des handicaps géographiques et économiques , faire l’objet de modulations favorables sur décision du législateur national) ; je paie aussi des cotisations sociales à des régimes nationaux et depuis que l’égalité a été vraiment mise en œuvre après l’exploitation en ce sens par M. Rocard et L. Le Pensec des travaux du rapport Ripert sur le dépassement de la « parité » et parachevée par J. Chirac appliquant des engagements de sa campagne présidentielle pour les minima salariaux et sociaux, je suis éligible aux mêmes prestations que tous les métropolitains. Les résultats des flux de recettes et dépenses sociales rentrent automatiquement, à travers mes caisses de rattachement, dans la péréquation nationale du régime maladie, ou vieillesse, ou chômage, etc. . Et si je reçois dans certains cas des prestations spéciales, c’est au titre non pas d’une législation régionale, mais d’une politique nationale d’aménagement et de formation dans les régions d’outre-mer. C’est pour la même raison d’ailleurs que les techniques d’allégements des charges sociales des employeurs peuvent y être différentes de celles de la métropole où ces allégements portent sur les salaires les plus modestes tandis que, pour aider outre mer les entreprises exposées aux handicaps de ces économies insulaires, les allégements ont longtemps, et encore un peu, pris en compte une échelle plus ouverte de rémunérations . Si je suis dans le Pacifique , j’ai un régime de couverture des risques sociaux propre à chaque Territoire, organisé par lui et des institutions locales, plutôt moins favorable, surtout pour le chômage, que le régime national (avec donc des problèmes de coordination parfois à régler avec les organismes nationaux). Dans un ex TOM, je ne paie pas d’impôts à l’État national , mais à mon Territoire dont les impôts directs sont généralement moindres, mais qui peut avoir d’importantes ressources de fiscalité indirecte, notamment douanières parce que les autres collectivités que les DOM ne sont pas intégrées mais seulement associées à l’Union Européenne, ce qui leur conserve la liberté commerciale et tarifaire, avec en contrepartie le fait que l’UE les a dotés dix fois moins par habitant que les DOM de ses apports en fonds structurels.
Les régimes sociaux et fiscaux sont l’illustration de la rupture d’homogénéité juridique la plus marquante, mais de nombreuses singularités existent et peuvent se développer dès lors qu’un domaine de compétences est statutairement délégué à une autorité territoriale élue, ceci pouvant concerner des domaines très concrets pour la vie des habitants ( environnement, éducation, commerce, urbanisme, droit foncier, distribution d’énergie, etc.). Alors – rappelons-le – qu’il est possible sous le régime du 73 (hors à la Réunion qui ne l’a pas voulu) d’avoir dans certains cas des modulations d’application de normes nationales , cette éventuelle exception n’a rien à voir avec la dévolution de blocs de compétence que réalisent des statuts d’autonomie.
Avec des droits, des devoirs, des obligations, des couvertures sociales, certains services publics, des systèmes fiscaux et des régimes du commerce extérieur qui ne sont pas les mêmes entre les collectivités du 73 et celles du 74 et avec des inégalités entre les collectivités du 74 - puisque les habitants de chacune d’entre elles sont sous une part de normes changeant de l’une à l’autre selon les choix de chacune des majorités ou coalitions politiques territoriales - on a donc bien deux situations dont les conséquences pratiques sont très sensibles à chacun.
Il est donc logique que ces deux situations aient conduit à ce que la solidarité nationale joue différemment dans les deux cas : pour des résultats d’ailleurs à peu près comparables. Le transfert - je n’aime pas l’application de ce terme aux seuls pays d’outre mer, car il nourrit l’idée fausse d’une assistance envers eux, alors qu’on peut aussi bien parler de transfert (que l’on pourrait également quantifier si on utilisait des instruments de mesure des péréquations au sein de la métropole) pour la Creuse, la presqu’île de Crozon, en vérité pour tout département qui est en dessous du PIB national médian - mais disons donc le « transfert », (puisque ce fut le terme couramment utilisé) des moyens de la nation est à peu près, par habitant, le même à l’égard des citoyens des collectivités et à l’égard des citoyens des départements. En empruntant des voies différentes : à l’égard des DOM, il emprunte tout simplement la voie principale des automatismes parce que son expression budgétaire est schématiquement le solde pour chaque département, des impôts nationaux et des cotisations sociales payés par leurs habitants et des dépenses publiques et prestations sociales qui y sont réalisées et distribuées, et parce qu’il y a péréquation nationale pour bien des tarifs quels que soient les coûts du service ( par exemple pour EDF).
À l’égard des autres collectivités territoriales dont ne provient pour l’Etat, en face des dépenses qu’il y accomplit, aucune recette fiscale (dès lors que tous les prélèvements fiscaux vont au Territoire), les mises en œuvre de la solidarité au sein de la République ne passent pas par des mécanismes automatiques ( et de ce fait elles sont moins garanties), mais par des subventions diverses, par des allocations globales qui transitent par leurs budgets propres ou par des prises en charge de dépenses ( en personnels , en investissements,) de certains services public fondamentaux, parfois en quelques aides sociales et, surtout, par les contributions du budget de la nation à des programmes de relais ( comme celui qui a suivi la fin des essais nucléaires en Polynésie) ou de soutien : ainsi pour les contrats de plan dotés de concours importants pour conduire les différences provinces de Calédonie à des chances économiques mieux équilibrées que par le passé.
Il y a pour les « pays » du 73 comme pour ceux du 74 un tronc commun des moyens de la solidarité. Dans ces deux cas il faut soutenir des progrès vers moins d’inégalité sociale par des actions pour l’égalité de chances économiques entre la métropole et les outre-mers pénalisés par la distance, l’insularité, les micro marchés etc., et marqués de taux de chômage et d’exclusion pouvant aller au triple du taux national . Ce tronc commun de soutien est là aussi constitué par une dose d’automatismes : les conséquences des déséquilibres des commerces extérieurs des outre mers (seule la Nouvelle Calédonie est bien placée par le nickel pour y parvenir, et, malgré le tourisme et la perle noire, la Polynésie a bien du mal) sont portées par ce qu’apporte comme sécurité le parapluie monétaire du franc relayé par l’euro. Partout, par contre, les politiques de crédit aux entreprises restent aléatoires : les conditions des prêteurs sont parfois durcies par des précautions au regard des risques spéciaux de l’outre-mer, tandis qu’ont pratiquement disparu des dispositifs de bonification sur fonds publics qui étaient autrefois applicables à certains types d’investissement.
Au delà , on a schématiquement mis en place trois types d’outils: d’abord des outils pour les investissements publics, les formations et des actions de sauvegarde (notamment de l’agriculture très concurrencée par les pays à bas salaires) en collaboration, dans les DOM, avec l’Union Européenne dont il ne faut toutefois par exagérer le rôle ; non seulement parce ces fonds structurels pour les régions ultra périphériques ont progressivement diminué, mais parce qu’il faut bien voir qu’ils sont une bien légitime contrepartie aux pertes ayant résulté de l’ouverture de l’Europe à des produits tropicaux de toutes origines, ce qui, par exemple, a entraîné la non compétitivité des bananes antillaises dont la production diminuée ne survit que par des garanties de revenu pour les producteurs. Le deuxième outil pour obtenir des prises de risques par les investisseurs privés a été constitué des mécanismes successifs de défiscalisation (dont les effets de réduction d’impôts de grands contribuables et les coûts ont suscité bien des critiques, alors même qu’ils ont joué un rôle indispensable de levier et dont , une fois acquise les moralisations nécessaires, je peux vous assurer - à la fois en tant qu’ancien fonctionnaire ayant traité des affaires économiques de l’outre mer, et dix ans plus tard, en tant qu’ancien délégué des entreprises des DOM - que le résultat a été positif ; il ne serait pour partie remplaçable qu’au prix de beaucoup d’imagination comme celle d’une institution spéciale de financement et de portage, ce qui a d’ailleurs aussi été créé en Calédonie, un peu à l’image de l’IDI, sous le nom d’ICAP (Institut Calédonien de Participation) et a favorisé un développement endogène significatif. Enfin une troisième série d’actions consiste à diminuer, selon des formules un peu plus avantageuses qu’en métropole, le coût du travail : dans les secteurs exposés à la concurrence mondiale, ce qui est impérieux ; ainsi qu’au bénéfice de toutes les petites entreprises, ce qui peut être débattu comme ayant au mieux, si c’est répercuté, un effet prix, mais guère d’effet emploi. Les modes opératoires tiennent inévitablement compte des caractères spécifiques respectifs des collectivités et départements : ainsi, à la défiscalisation nationale, les collectivités ont-elles pu ajouter des défiscalisations territoriales ; ainsi, les allégements de charges sociales nationales ne peuvent-elles exister que dans les collectivités départementales où existent ces cotisations ; dans les autres collectivités, s’il y a des exonérations c’est l’affaire des autorités qui conçoivent et gèrent les régimes correspondants.
Il y a enfin un outil de promotion et d’égalité que l’on a pas voulu ou su utiliser : c’est la créolisation de postes de responsabilité publics de l’État. Je n’ai guère réussi à la direction du ministère à faire aller dans ce sens , mais j’ai pu un peu le faire comme président de l’ANT , et ensuite de RFO. Je connaît bien le type d’arguments inverses sur l’égalité républicaine et l’interdiction de critères ethniques, malgré le rôle que devrait avoir la discrimination positive comme facteur d’égalité en tant que rachat des erreurs et du poids des passés : certes, telle part de préférence eut été plutôt à contre courant, hélas, de l’esprit français. Mais je pense avec Madame qui est intervenue tout à l’heure , que cela traduit une lecture en langue de bois, des contraintes juridiques de gestion de la fonction publique, alors qu’il eut fallu favoriser la prise en mains par les personnes originaires de leur région tropicale d’affaires administratives nationales se déroulant sur leur sol et influant sur leur développement L’Europe a bien accepté, dans le cadre d’accords PTOM /U.E, des discriminations pour certains cas d’acquisitions foncières et d’accès à l’emploi dans le Pacifique. Quant au droit calédonien il distingue bien dans certains domaines « anciens habitants » et nouveaux arrivés . Il n’y aurait, à mes yeux, rien d’anticonstitutionnel, s’il n’y a pas une juridisation formelle , que soit favorisé, à compétences égales, un agent d’origine locale par rapport à un agent métropolitain pour occuper chez lui des postes de responsabilité. D’ailleurs lorsque la France traite d’affaires internationales ou participe à des organisations régionales mondiales et que cela concerne des collectivités du Pacifique et, de même des DOM dans les océans Indien et Atlantique, on a trouvé les moyens que des élus de ces pays jouent alors un rôle primordial , comme il serait opportun que des ultra marins peuplent plus qu’aujourd’hui la représentation permanente diplomatique, commerciale et consulaire française dans l’environnement international. Ce souhait de créolisation s’il est peu satisfait, à côté de l’intérêt que les DOM pourraient avoir d’exercer une certaine liberté tarifaire et commerciale comme l’ont les ex-TOM, pourrait être un des facteurs incitant quelques esprits à considérer avec intérêt des évolutions de statut, malgré tous les avantages sociaux et les garanties d’automatismes qu’apportent le statut de DOM.
Je conclurai en m’inquiétant de deux données qui relèvent de la culture régnante et qui pourraient, à mon sens, faire obstacle à ce que les outremers poursuivent dans les meilleures voies possibles.
Le premier obstacle c’est celui de la culture politique de ce qu’est devenue la Cinquième République : celle de l’affrontement - nourri par la confrontation aux scrutins majoritaires à deux tours, de deux camps dominants - ce que notait bien au fond la commission Balladur, en introduction de son rapport sur des propositions de réforme constitutionnelle pour 2008 parmi les arguments pour écarter l’hypothèse d’un régime présidentiel à l’américaine exigeant de savoir faire appel aux compromis. Néanmoins, les progrès de l’outre mer - comme je l’ai mis d’emblée en exergue - ont été obtenus - malgré les combats inévitables entre les hommes , mais avec une conscience partagée, notamment par tous les élus d’outre mer, des besoins de fond - par une recherches inavouée, mais heureusement réelle - peut-être aussi grâce au rôle réaliste joué par l’administration - des convergences et des continuités : gauche et droite ont su se succéder, bien sûr chacune avec son propre habillage de présentation, dans le même bon sens global, et il faut souhaiter que l’année qui vient - si favorable à des excès de l’esprit de compétition – ne les empêche pas de garder toutes les deux, conscience des réponses communes indispensables pour faire face aux grands enjeux des sociétés ultramarines.
Le second obstacle culturel que rencontre l’outre-mer, surtout les DOM placés sous les contraintes européennes, est le crédit trop systématique – une forme d’absolutisme idéologique - que notre univers accorde à la globalisation économique mondiale et notamment au libre échange commercial. A mon sens, depuis la fin des années 80, celui-ci a moins résolu de questions qu’il n’a posé de graves problèmes – dont celui résolu, seulement à titre provisoire par un montage habile, mais toujours débattu, de l’octroi de mer - alors que l’on doit évidemment, pour prévenir l’aggravation de la détérioration des emplois dans les anciennes productions agricoles et dans les activités de transformation industrielle, protéger celles qui restent porteuses. Il est certain, en effet, que les économies ultra marines sont spécialement sensibles, à côté d’aspects positifs, aux effets pervers de l’ouverture commerciale bénéficiant surtout aux low cost countries et aux importations de produits fabriqués avec de grandes économies d’échelles : le résultat est que le seul secteur où l’on peut gagner à coup sûr de l’argent est celui de la distribution dont les phénomènes pèsent plus sur les prix que des taxes raisonnables d’entrée qui sont le coût par lequel payer la préservation de certains emplois et favoriser le développement d’une économie locale endogène. Plus la globalisation a des effets négatifs sur les niveaux d’emploi des DOM, plus la solidarité s’impose et plus elle coûte cher à la Nation pour compenser les charges qui résultent de ces pénalisations. Un équilibre complexe entre niveaux d’emplois et coûts de revient des produits proposés aux consommateurs reste à bien rechercher outre mer, ce qui peut d’ailleurs en faire un des laboratoires de la République pour trouver, sans ouvrir des dangers massifs de hausse de prix, des hypothèses de réponses à des compétitions meurtrières permises par les excès du libre échange.
Voilà donc les deux défis, l’un politique, l’autre économique et social, dont il faut avoir conscience pour prendre bien garde à ce que l’outre-mer ne sorte pas des champs positifs de notre devise républicaine.
Je vous remercie de votre attention.