Dans chaque nuit de brouillard je me souviendrai
dans chaque nuit de brouillard, oui je me souviendrai
de celle où je suis parti
vers ton agonie, vers ton asphyxie
mes phares contre la mort
et où je suis arrivé trop tard
Dans chaque nuit de brouillard tu es avec moi
et même si je ne te vois pas
pour l’animal que je suis
il y a ton odeur
– il m’est arrivé de retrouver la même
et j’ai eu confiance dans l’homme qui la transpirait
–
C’était aussi celle de ta sueur
quand tu es entré dans ta passion
– un dernier état de ta douleur –
les cordes vocales atteintes
muré dans son silence
au moment où il avait le plus à dire
Mais bien avant
mon père un jour a dit que le temps
n’avait plus d’importance
il a cessé de porter sa montre
et il a bu deux fois plus fort sa vie
De toute façon, il n’avait rien à dire
il avait trop à dire
aux sourds qui sourient
puis il ne put plus rien dire
il avait gagné contre le pire
Cet homme a su mourir
Je regarde pour toi
les volets bleus des maisons du midi
nous buvons ensemble les ricard canaris
je déjeune avec toi
dans ce café latin
que tu aimais, que tu aimais
et je caresse aussi
je caresse pour toi
cette fille à l’allure des années trente
pareille aux photos que tu cachais
mon père
qui me ressemble
et je fume comme toi
avec l’espoir d’avoir autant
de courage qu’au temps
où il t’en fallut tant
pour mourir en silence
Quand je parle parfois
j’entends l’inflexion de ta voix
et j’écoute pour toi
la guitare brutale
d’un copain d’ailleurs
qui monte au zapateado
quand les doigts d’acier brun
spasment muscles et souvenirs
Quand vous verrez à mon poignet
s’arrêter l’heure
sur la montre de mon père
que je ne quitte jamais
sur cette montre
qui se remonte
de ma chaleur et de mon mouvement
quand vous verrez que les aiguilles sont fixes
vous saurez qu’avec lui
je suis depuis quelques heures
Sur son masque de mort
son visage d’enfance
c’est depuis cet instant
que je me sais mortel