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Pourquoi ce blog

L'objet de ce site est de baliser par quelques souvenirs éloquents l'histoire récente et de faire contribuer ces expériences, par des commentaires d'actualité, à éclairer et choisir les changements, en s'interrogeant sur les propositions des politiques et les analyses des essaiystes. Donc, à l'origine, deux versants : l'un rétrospectif, l'autre prospectif.

A côté des problèmes de société (parfois traités de manière si impertinente que la rubrique "hors des clous"a été conçue pour les accueillir), place a été faite à "l'évasion" avec des incursions dans la peinture, le tourisme, des poèmes,  des chansons, ce qui constitue aussi des aperçus sur l'histoire vécue.

 

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L'auteur

 

DSCF0656-copie-1.JPGNé en 1933, appartenant à la génération dont l'enfance a été marquée par la deuxième guerre mondiale, l'occupation et la Résistance, l'adolescence par la Libération, la guerre froide, puis par de clairvoyants engagements pour les décolonisations, l'auteur a ensuite partagé sa vie professionnelle entre le service public (il a notamment été préfet, délégué à l’emploi, directeur des affaires économiques de l’outre-mer, président de sa chaîne de radio-télévision, RFO), l'enseignement et la publication d’ouvrages de sciences politiques (il est aujourd’hui membre du comité de rédaction et collaborateur régulier de la Revue Politique et Parlementaire). Il a également assumé des missions dans de grandes entreprises en restructuration (Boussac, Usinor/Sacilor), puis a été conseil d’organismes professionnels.

 

Alors que ses condisciples ont été en particulier Michel Rocard et Jacques Chirac (il a partagé la jeunesse militante du premier dans les années cinquante et fait entrer le second à Matignon dans les années 60, avant d'être son premier collaborateur à l’Emploi et pour la négociation de Grenelle et au secrétariat d’Etat aux Finances, il n'a suivi ni l'un, ni l'autre dans leurs itinéraires. En effet, dans le domaine politique, comme il ressort de ses publications (cf. infra), Gérard Bélorgey n’a rallié ni la vulgate de la Veme république sur les bienfaits de l’alternance entre partis dominants, ni les tenants du catéchisme du libre-échange mondial. Il ne se résigne donc pas à TINA ("there is no alternative" au libéralisme). Tout en reconnaissant les apports autant que les limites de ceux qui ont été aux affaires et avec lesquels il a travaillé, il ne se résigne pas non plus à trouver satisfaction dans tel ou tel programme de camp. Mesurant combien notre société multiculturelle, injuste et caricaturalement mondialisée, souffre aussi bien des impasses de l’angélisme que des progrès de l’inégalité et des dangers de l’autoritarisme, il voudrait contribuer à un réalisme sans démagogie.

 

Partie de ses archives est déposée dans les Fonds d'Histoire contemporaine de la Fondation des Sciences Poltiques (cf. liens).

 

Il a publié sous d'autres noms que celui sous lequel il a signé des ouvrages fondamentaux que furent "le gouvernement et l'administration de la France" (1967), "la France décentralisée" ( 1984), "Les Dom-Tom" (1994)  : le pseudo de Serge Adour correspond à l'époque de la guerre d'Algérie et à une grande série de papiers dans Le Monde en  1957 , celui d'Olivier Memling au recueil de poèmes et chansons "Sablier " (couronné en 1980 par l'Académie Française et référé, dans l'histoire littéraire du XXeme Siècle de Hachette) celui de  Gérard Olivier à son analyse dans de  grands quotidiens de la décentralisation en 1981/82; celui de Solon  (malheureusement partagée par erreur avec d'autres auteurs) à la publication en 1988 de "la démocratie absolue" . Cessant de vivre un peu masqué, il retrouve son nom en 1998 pour "Trois Illusions qui nous gouvernent", puis en 2000 pour "Bulles d'Histoire et autres contes vrais " (série de coups de projecteurs sur quelques apects du dernier demi siècle qui seront souvent repris ci-dessous), ainsi que pour de  nombreux articles dans  diverses revues. EN 2009, il est revenu sur la guerre d'Algérie avec le roman ( Ed. Baurepaire) "La course de printemps". Il prépare "L'évolution des rapports Gouvernés /Gouvernants sous la Veme République :entre absolutismes et renouvellements?"

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19 mai 2007 6 19 /05 /mai /2007 17:44
Au lendemain d'une campagne électorale dont une part des thèmes a trouvé ses sources dans l'héritage multi-ethnique (l' Empire est dans le métro) et dans la diversité culturelle (le monde entier prend nos autobus et nous y lisons des publications du monde entier) de la société française, et où les questions de "l'identité nationale" et de "l'immigration" sont apparues comme jamais, je mets en ligne l'article que je viens de publier dans la Revue Politique et Parlementaire (N° 1042, janvier mars 2007 : 2007 : LE MODÈLE FRANCAIS À L'ÉPREUVE ).
Plus que centenaire cette Revue dont c'est, pour sa 109 eme année, le N° 1042, est elle-même l'illlustration de la continuité dans le renouvellement.
Cet article est heureusement suivi par celui de Nonna MAYER et Guy MICHELAT ("Les Français sont-ils plus racistes qu'hier ?). Vous aurez la réponse soit en consultant la RPP dans une bibliothèque, soit en la commandant à votre Libraire ou au siège de la revue, 3 rue Bellini - 92800 Puteaux , fax 00 33 (1) 47 73 01 48.

Encore un scrupule. Le texte qui suit ne renvoie aux ouvrages fondamentaux sur les questions d'identité, de culture, de citoyenneté, de différence. Consulter notamment les ouvrages clefs de André Semprini, Michel Wieviorka, Dominique Schnapper, Fred Constant.


Stratégies, tensions et progrès
dans la France multi ethnique et culturelle (1)



Au regard des très nombreuses études de base sur les questions liées à ces thèmes, on ne saurait citer que quelques travaux récents, et on ne peut rendre compte de l’abondance des interventions de tous les partenaires de cet univers multiple qui apparaît comme un véritable chaudron. Aussi, cet incomplet panorama sera forcément schématique en tentant de faire ressentir, sans nécessairement en juger, l’éventail des sentiments des membres des « minorités visibles » comme de la population « de souche européenne ». Et je présente mes regrets à ceux que je pourrais blesser par quelques simplifications tant c’est délicat : dans ces relations inter ethniques, comme au sein même de chaque communauté, chacun est aux aguets des autres, ainsi qu’aux représentations qui sont données des diverses situations rencontrées ; rares sont les analyses qui ne soient contestées, tandis que toute ligne de conduite préconisée porte d’appréciables enjeux politiques. Il faut d’autant plus unir aux rappels des débats de principe et des données que collectent des enquêtes, un effort d’écoute, que, dans l’état de notre instrumentation statistique (2) et de notre pratique sociologique (3), la compréhension des opinions et sensibilités est encore plus difficile que la connaissance des itinéraires et des faits.


1 - Des cercles de l’Empire ...

La plupart des « immigrés » pourraient dire, « nous sommes ici parce que vous étiez là-bas ». Cette « société de la diversité (4) » s’inscrit évidemment dans la suite de l’Empire. Elle n’en est pas pour autant, la continuation. Cet héritage se télescope avec les effets de la mondialisation, tandis que, dans les relations de la République avec les pays qui en sont issus, le temps a fait progressivement son oeuvre, le chef de l’État ayant aussi affiché une nouvelle posture : en s’engageant pour les causes du Sud, en reconnaissant des parts occultées de l’Histoire, pour une réelle intégration de tous les « immigrés » et pour parfaire l’égalité au bénéfice des outre-mers français (5).

C’est que le premier cercle est celui des départements et collectivités d’outre-mer, se prolongeant par la présence dans l’hexagone de près de 700.000 citoyens qui y sont nés ou dont l’un des parents au moins y est né. À la domination coloniale et à une départementalisation qui fut inégalitaire a heureusement succédé une construction juridique respectueuse de chacun, mise en ordre par la réforme constitutionnelle de 2003. Dans les COM - essentiellement les pays du Pacifique - et pour la Nouvelle-Calédonie, objet d’un titre spécial de la Constitution, large compétence est attribuée pour tout le droit économique, fiscal et social à des autorités autonomes et des avenirs d’imagination constructive restent ouverts. Dans les DOM, le déverrouillage institutionnel résultant des réforme de 2003 a permis que des initiatives locales proposent des réformes statutaires pouvant entrer en vigueur dès lors que le corps électoral les approuverait. En dehors d’un changement de catégorie des îles du nord de la Guadeloupe, la modeste seule proposition d’une assemblée unique a été rejetée par des opinions dominantes craignant manifestement, même sans motif raisonnable, que toute retouche à l’existant déclenche un processus favorisant un cheminement vers une indépendance majoritairement redoutée en ce qu’elle priverait ces communautés de la couverture économique et de la solidarité sociale de la République. En effet, même si un certain nombre de retards n’ont pu être comblés, même si le libre-échange bouleverse des équilibres économiques précédents, la mise en place d’outils très importants de la part de la Nation, assistée par l’U.E (en contrepartie des concurrences commerciales imposées à nos produits tropicaux) ont donné de fortes garanties sociales et d’appréciables moyens économiques à nos concitoyens d’outre-mer. Ceux d’entre eux qui, par le passé, ont immigré vers l’hexagone ont certainement par ailleurs, eu plus de chances que les secondes générations confrontées à l’évolution du marché de l’emploi, comme à des discriminations tendant à frapper indistinctement les populations noires en augmentation issues de toutes origines.

Les rémanences de l’Empire s’expriment, en effet, en second lieu dans le nombre élevé des citoyens français issus eux-mêmes ou par leurs parents et/ou grands-parents des anciens pays qui le composaient et ayant acquis, par un mécanisme ou un autre, notre nationalité. Sur les bases du recensement de 1999, une étude de 2005 (6) décompte quelque 700.000 personnes issues de l’immigration d’Afrique sub-saharienne et 3 millions d’originaires du Maghreb par filiation depuis deux générations ( au total 23% de l’ensemble de la population d’ « origine étrangère ». Ce document porte notamment en conclusion que « si les Français d’origine africaine et turque présentent des spécificités, religieuses par exemple, ceux-ci sont loin d’apparaître comme en marge ou en rupture avec la société française et ses principales valeurs.... Sur bien des plans, à défaut de tous, l’intégration à la politique française semble au minimum comparable à celles des Français en général. En résumé, ce sont bien des Français et ce ne sont pas des Français contre les autres » . Réciproquement, selon un sondage de fin novembre 2005, deux français sur trois (chiffre un peu plus faible que celui de l’année précédant les violences urbaines) regardaient les Français musulmans tout à fait comme des Français ordinaires. Ces appréciations convergentes sont d’autant plus à positiver que sur la récente période, la médiane des acquisitions de nationalité française était autour de 150.000 personnes par an (7) dont plus des deux tiers originaires du continent africain et une sur deux originaire du Maghreb.

La troisième projection du passé est l’importance d’une population immigrée (8) , non ou, non encore, naturalisée, provenant largement des mêmes origines « impériales » (maghrébines, africaines et marginalement asiatiques) que celles des Français « issus de l’immigration ». Dès lors que, plus que l’appel des employeurs à une main d’oeuvre externe, c’est désormais la demande même des migrants pour des regroupements familiaux qui est devenue le ressort de ces implantations, ceux-ci cherchent souvent à développer et sécuriser leur présence, ce qui pose l’éventail des questions et hypothèses d’une politique de l’immigration.

2 -.... aux concepts et outils de l’intégration

L’ensemble de ces thèmes ne relève pas de la présente communication, mais, parmi eux, celui de la gestion des immigrations est gouverné par le concept clef marquant la politique française : celui de l’intégration. Les principes fondamentaux de la République, notre vision de l’homme universel, comme notre conviction dominante ethnocentriste de la qualité de notre modèle, ont conduit à traiter les arrivants par la recherche des moyens de les faire accéder à des chances d’égalité, et pour la cohésion sociale - dépendant beaucoup des risques d’allergie des Français aux différences - par le corollaire : un pilotage, dans le respect des cultures de chacun, devant les porter à être assez ressemblants pour être bien « intégrables », par le plus d’identité possible. C’est la part d’ambiguïté d’une telle appréciation qui fait débat puisqu’elle comporte, avec des frontières incertaines, aussi bien des règles évidentes applicables à tous les résidents et devant protéger les immigrés eux-mêmes (par exemple en assurant les droits des femmes), que des modes de comportements déduits de nos logiques de citoyenneté (comme, par exemple, celle de la laïcité pouvant entrer en conflit avec leurs données culturelles).

Selon une définition inspirée en 1993, par le « Haut Comité à l’Intégration » d’alors, ce concept d’intégration dans la mesure où il admet la persistance de spécificités culturelles des populations immigrées ou issues de l'immigration, se distingue de l'assimilation, qui vise à la disparition de toute spécificité culturelle et de l'insertion qui conduit à la pérennisation de ces spécificités. Pour sa part, le « communautarisme » est plutôt une pratique anglo-saxonne constituant à gérer les différences sur le constat du multiculturalisme et par la recherche de la meilleure entente entre les différents groupes. Son risque, tout en ne cherchant pas au plan civique et social à favoriser des ségrégations, est d’entretenir des hiérarchies de fait entre ethnies que des racistes ne regretteraient pas et des cloisonnements culturels que des identitaires d’ailleurs apprécieraient (9). La stratégie d’intégration n’exclut pas un certain recours à «l’affirmative action », notion mal traduite par le terme de « discrimination positive ». Celle-ci vise à corriger les handicaps ou la défaveur dont souffrent des personnes discriminées (ce peut être à des titres très divers et dans le champ qui ici nous intéresse, c’est essentiellement au titre des origines). Elle peut s’exercer selon deux principales modalités : celle d’actions spécifiques tenant compte du fait qu’il faut traiter différemment des personnes en situations différentes ; celle de réservation de « quotas » aux catégories considérées. La première voie a été de fait assez largement utilisée encore dans les années 90 jusqu’au moment où a prévalu l’idée, en divergence d’ailleurs avec des orientations européennes ,(10) de surtout valoriser le doit commun. La seconde voie, pratiquée dans d’autres domaines (par exemple au bénéfice des handicapés dans les entreprises ou des femmes dans la vie politique), ne l’a été qu’exceptionnellement comme outil de rééquilibrage ethno-culturel: par quelques décisions qui ont voulu avoir un caractère symbolique, mais qui ont pu, parfois, être regardées comme arbitraires ou maladroites. Une voie d’exploration a été préconisée par l’Institut Montaigne : des «chartes de la diversité » dans les entreprises pour y refléter à tous niveaux le multi ethnisme de la société française.

La stratégie dominante de l’homogénéisation juridique avec ses diverses déclinaisons possibles en matière de degrés d’homogénéisation culturelle a suscité de nombreuses variantes de positions d’organismes tels que SOS Racisme, le MRAP, la Ligue des Droits de l’Homme ou la LICRA et a été surveillée par des organisations de soutien aux immigrés comme le GISTI . L’évolution marquante au cours des dernières années - signifiant bien un refus d’un communautarisme ethno religieux - a été celle des outils qui opèrent désormais à l’égard de tous publics risquant discrimination.

C’était traditionnellement une association, le Service Social d’Aide aux Émigrants, qui suivait, avec un réseau de travailleurs sociaux, les questions de leur accueil et insertion. Par une prise en main plus jacobine, entre 1999 et 2001, des Commissions Départementales d’Accès à la Citoyenneté ont été mises en place pour soutenir les personnes susceptibles de discrimination et pour sensibiliser les opérateurs locaux notamment à la faveur de contrats de villes incluant des quartiers en difficultés (aujourd’hui pour plus de 1300 quartiers pour 6 millions d’habitants). Le Groupe d’Étude et de Lutte contre les Discriminations associant Etat, organisations syndicales et associations a exercé alors la double mission d’observatoire national des phénomènes discriminatoires et de gestion d’un réseau d’alerte. En 2001, en devenant le FASILD, le vieux FAS, conçu pour mettre en oeuvre une action sociale pour les étrangers immigrés, voit ses publics redéfinis : ils ne sont plus limités à ceux-ci, mais élargis aux personnes immigrées ou issues de l’immigration ainsi qu’à la société d’accueil. Il est l’opérateur pour 45 des 55 mesures pour l'intégration arrêtées tous azimuts en 2003 et pour la mise en oeuvre, en 2004, du plan de cohésion sociale, puis pour l’accueil des primo arrivants, notamment en matière d’apprentissage du français. En 2006, c’est « l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances » qui prend le relais, tandis que « l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations », instituée après la liquidation du SSAÉ en tant que service public, opère pour mettre en oeuvre des Programmes Régionaux d’insertion des personnes immigrées (avec un contrat d’accueil et d’intégration obligatoire à l’arrivée depuis 2007). Dès 1989 le dispositif a été couronné par le Haut Comité, devenu Haut Conseil de l’Intégration dont les moyens d’analyse s’appuient sur les travaux de l’Observatoire Statistique sur l’Immigration et l’Intégration.

La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité créée fin 2004 ne répond pas à un ciblage sur les discriminations raciales, mais est compétente à l’égard de toutes formes de discriminations (pour âge, handicaps, sexe, orientation sexuelle, opinion, appartenance syndicale ou autre, apparence physique, etc.). Selon son rapport de février 2006 - qui écarte naturellement que « la lutte contre les discriminations bien réelles liées à l’origine conduise à adopter des classifications ethno raciales... qui n’ont pas de réalité scientifique et ne correspondant pas à notre culture » ( ce qui est bien la philosophie française de l’intégration) - sur les 1822 réclamations enregistrées à sa date (dont 626 traitées) 39,6 tiennent, selon les requérants, à des discriminations en fonction de l’origine et les questions les plus fréquentes concernent l’emploi et le logement.

3- Des résultats contrastés : satisfactions, échecs et tensions

En passant, par cet exemple, des concepts et des outils de l’intégration à ses résultats, il faut constater qu’ils sont contrastés. La présidente du HCI a souvent souligné des satisfactions dont notamment que l’intégration de nos compatriotes musulmans est bien meilleure que dans des pays communautaristes ; ainsi, 42 % (pourcentage beaucoup plus élevé qu’ailleurs) s’estiment mieux définis par leur nationalité que par leur religion. Elle est aussi très convaincue par une ligne écartant la discrimination positive : « Parce que, contrairement aux États-Unis, jamais la France n'a inscrit la ségrégation dans la loi. À l'exception de la parenthèse pétainiste, le droit politique républicain n'a admis à aucune époque que l'appartenance ethnique fût inscrite dans la loi comme critère discriminant. La Constitution française garantit à tout citoyen l'égalité devant la loi, sans distinction d'origine, de race, de religion ou de croyance. Le défi qui nous attend est donc, non de changer de modèle, mais d'aller au bout de notre modèle. Pour que la diversité devienne la règle, pratiquer des quotas, demander aux gens de se classer dans un groupe - ethnique ou religieux - est à la fois inutile et attentatoire à notre tradition. Quant à la sanctification des différences religieuses, elle conduirait la France à renier sa tradition propre ».

Mais, parallèlement, différents constats annonçaient que manifestement notre stratégie parviendrait difficilement à des intégrations pacifiées. En février 2004, alors que l’Assemblée Nationale va voter, quasiment dans l’union laïque, après le rapport Stasi, la loi sur les signes religieux, Ph. Douste-Blazy fait une très clairvoyante déclaration percevant (sans la nommer ainsi) ce que l’on peut regarder comme la contradiction qui existe à ne pouvoir assurer en même temps les autres formes d’égalité que l’égalité par l’abstention d’ostentatoire dans le port des signes religieux : « Chacun devra désormais abandonner, aux portes de l'école publique, les signes de son appartenance particulière. C'est un message fort, mais qui ne serait qu'un faux-fuyant symbolique si nous refusions d'aborder les causes réelles de ce repli identitaire..... Les minorités visibles, notamment noires ou maghrébines, connaissent un taux de chômage beaucoup plus important que la moyenne nationale. A diplôme équivalent, les Français fils d'Algériens sont quatre fois plus victimes du chômage que leurs concitoyens nés de parents français. Ils se heurtent, de surcroît, au « plafond de verre » qui les empêche d'accéder aux postes à responsabilité (11). Notre République, peut-être fatiguée d'avoir à combattre ces discriminations, les a ignorées, voire cachées, et nous assistons à la naissance de véritables ghettos. Nous devons reconnaître l'échec de nos politiques publiques, et inverser notre action. C'est même toute notre perception de l'égalité des chances qui est à revoir... »

Le rapport 2003 de la Cour des Comptes se concluait lui-même par des observations extrêmement pessimistes. Pour « une bonne partie des populations issues de l’immigration la plus récente», « des situations souvent indignes » sont « à l’origine directe ou indirecte de tensions sociales ou raciales graves, lourdes de menaces pour l’avenir.... » compte tenu de « trois difficultés majeures dont le traitement a jusqu’ici débouché sur un triple échec...:
- la concentration d’une part importante des immigrants dans des zones dont les difficultés connaissent un développement quasi exponentiel ;
- la situation économique, sociale et personnelle d’un grand nombre d’immigrants et de leurs enfants dont certains ont à faire face en outre à des pratiques discriminatoires ;
- le nombre et les conditions de vie des étrangers en situation irrégulière.


Depuis lors des efforts d’ajustement mis en oeuvre en tenant compte des recommandations du HCI ne seront pas à l’échelle des problèmes clefs non résolus, ce qui débouchera sur les émeutes urbaines de 2005 que pressentait le rapport de la Cour. Pour apprécier mésinterprétations et diagnostics que ces embrasements ont suscités, il faut évoquer la portée des racismes dans ce qui s’est passé de très signifiant lors de ces récentes années aux charnières de la société civile et de la société politique.

4 - Les racismes

La mesure du racisme en France fait l’objet de travaux si répétés que nous ne pouvons en donner les références mais seulement en dégager - ce qui les trahit un peu - les dominantes et les tendances. Plus on avance dans le temps, plus les membres questionnés des minorités visibles (de un quart en 2003 à près de 60% aujourd’hui ; mais ce ne sont pas les mêmes échantillons, ni questions) expriment un taux élevé de conduites négatives à leur égard auxquelles sont spécialement sensibles les plus jeunes, les plus diplômés, les plus intégrés et les deuxièmes générations ( encore que les comportements les plus graves auraient frappé les premières générations). En outre, 73 % de Français métropolitains originaires d'outre-mer estiment que la France est "accueillante", mais 59 % la jugent "raciste". Si l'ensemble des violences et menaces à caractère raciste et antisémite décroît par rapport à 2004 on constate, par contre, dans la deuxième partie de novembre 2005, une banalisation du racisme et de son aveu : 33 % (+8 % /2004) des sondés se déclarent « racistes » (24% « un peu » et 9% « plutôt ») ; 63 % estiment que "certains comportements peuvent justifier des réactions racistes", tandis que nombre de personnes citent les "Français" comme aussi victimes du racisme. Malgré le contexte de violences urbaines de l’enquête d’alors, 14 % seulement des personnes interrogées considéraient que le nombre d'immigrés posait un problème de sécurité. Mais une majorité en nombre plus élevé qu’auparavant estimaient le nombre d'étrangers et d'immigrés trop important. A l’évidence, pour des motifs d’angoisse sur l’emploi , mais aussi, à raison d’une jalousie objectivement infondée mais réelle que véhicule l’extrémisme : bien des petits contribuables français ont le fantasme de ne pas être au sein de catégories éligibles à des avantages comparables à ceux que peuvent avoir des immigrés (alors que tous doivent répondre aux mêmes critères, souvent bien plus difficiles à satisfaire pour ces derniers). Les techniques du « testing » - au demeurant corroborées par les dossiers de la HALDE - montrent par ailleurs que les discriminations à l’embauche vont en s’aggravant (par rapport à la moyenne nationale, beaucoup moins de réponses pour les patronymes maghrébins, encore que les « 48/50 ans » sont encore plus pénalisés), comme pour l’accès au logement.

Les mesures du racisme semblent mélanger des choses un peu différentes. Ainsi l’islamo phobie - qui est dirigée à l’encontre d’une religion et non d’une ethnie, sauf à identifier arabo-berbères et musulmans - n’est pas de même nature que le racisme colonial d’autrefois à l’ encontre des nord-africains. Différent du racisme agressif « populaire » (les violences pour causes de faciès, ces « cris de singes » sur les stades), du racisme « institutionnel » ( la loi sur les bienfaits de la colonisation, mais elle a été retirée), du racisme « médiatique » ( peu de noirs sur les écrans, mais c’est moins vrai), du racisme « intellectualo-mondain » qui serait celui de certains philosophes, le « racisme ordinaire » (12), n’est pas non plus l’idéologie raciale ou la pulsion nourrie de phénomènes sexuels qui ont porté aux exterminations, aux dominations, aux apartheids ou aux expéditions punitives. Il trouve ses causes dans la peur des torts que l’autre peut porter notamment pour l’emploi (et celui-ci peut aussi bien être un concurrent de même ethnie, comme le plombier polonais). D’apparentes discriminations peuvent aussi s’expliquer par la crainte d’avoir à gérer des questions pratiques difficiles (13). Alors même que le racisme est un poison indivisible dont les manifestations mineures peuvent préparer les pires, le fait que ces comportements semblent parfois plus contingents que fondamentaux conduit à espérer qu’ils ne sont pas les composantes d’un racisme structurel. Aussi, sans suivre certains intellectuels très situés - qui pourraient porter à faire penser que l’antiracisme vigilant devenu une « religion du monde », en faisant voir du racisme partout, serait contre-productif en le favorisant dans tous les sens - il faut se demander si des résultats présentés ne pourraient majorer l’estimation du racisme. De plus, des estimations résultent de sondages conduits auprès des membres mêmes des minorités. La subjectivité de ceux-ci, aussi compréhensible et respectable soit-elle, ne peut-elle, dans certains cas, les porter à prendre leurs sentiments pour des faits (alors que ce que ressentent les intéressés n’a pas toujours été voulu par des tiers comme offense ou discriminations). Parmi ces tiers, il en est qui estiment aussi qu’une appartenance raciale est parfois mise en avant pour expliquer des difficultés qui n’ont rien à voir avec cette appartenance ou peut être invoquée, par certains qui se considèrent comme des créanciers de l’Histoire, pour obtenir mieux que le droit commun. On voit comment en cherchant une lecture moins pessimiste des statistiques, on risque aussi de faire le jeu du racisme dont les frontières sont difficiles à saisir. Il peut en effet être inconscient, non voulu, mais perçu par la conscience de l’autre, tant il est vrai - et c’est « le poids de l’Histoire sur les cerveaux vivants » - qu’il existe comme fait d’opinion dans les dimensions mêmes où il est ressenti comme tel. S’il en est ainsi, il suffit, symétriquement, que des Blancs aussi éprouvent le sentiment d’une hostilité raciale à leur endroit pour que celle-ci existe et entretienne, par cercle vicieux, leur propre racisme. Tandis qu’entre communautés de couleurs et en leur sein, il peut aussi exister des stigmatisations raciales, d’ailleurs souvent inspirées par la hiérarchisation résultant du regard européen.

A l’inverse de la globalisation sous le terme unique de « racisme » de conduites d’inspirations très diverses et inégalement coupables, ce qui donne peut-être une idée exagérée de l’expansion de l’esprit raciste, à nos yeux, une lacune, par contre, minore l’estimation du racisme ressenti. Un facteur, non pris en compte, est souvent durement subi par les minorités visibles ou simplement culturelles. Il est qu’appuyés sur notre conception universaliste égalitaire, nous contestons bien souvent aux autres la faculté d’exprimer leur différence. Il en résulte que tout autre, pour être vraiment adopté en quelque sorte, doit accepter d’être traité comme s’il n’était pas un autre, mais le plus ressemblant possible au modèle français de référence (comme il est d’ailleurs demandé de l’établir pour obtenir naturalisation, voire pour des papiers de séjour). Ainsi, par exemple, l’intégration assimilatrice laïque a-elle voulu que voile et foulard soient proscrits dans les établissements d’enseignement, ce que d’aucuns trouvent raciste puisqu’il existe des formes de conciliation (14) que nous savons mal mettre en oeuvre. Aller « jusqu’au bout de notre modèle », comme le conseille B.Kriegel, consistant à regarder « comme inacceptable tout ce qui porte atteinte, dans une culture, aux droits fondamentaux de la personne » peut conduire à différentes voies. Celle, indispensable, conformément aux recommandations du HCI, de faire prévaloir la loi du domicile en France pour protéger des dizaines de milliers de femmes contre l’excision, la polygamie, l’inégalité entre époux, les mariages forcés. Celle qui serait sectaire, comme d’interdire dans tous les lieux publics tout ce qui paraît suspect d’originalités révélatrices de déni de droit, telles des tenues traditionnelles féminines. Celle qui se fait jour dans le « projet de charte de la laïcité dans les services publics ». En voulant répondre à certaines difficultés relationnelles pouvant résulter des exigences des uns ou des autres au sein des activités administratives, éducatives, sportives, hospitalières, etc, ce document (dont il est prévu pour l’heure, un simple affichage) est-il la réponse mesurée qui permette de concilier des principes qui peuvent se heurter - la liberté de conscience et le libre exercice public des cultes d’un coté; la laïcité de l’autre - dans une équitable application de l’égalité entre usagers des services publics ? Qu’il est difficile de trouver le bon dosage entre la protection et la tolérance.

L’essence d’un risque de racisme « à la française » - que dément, par contre, le taux bien plus élevé en France des unions mixtes que dans d’autres pays multi-ethniques, notamment aux Etats-Unis - ne serait-il, en s’écartant dans les faits du concept se voulant équilibré d’intégration, de combiner le discriminatoire et l’assimilatoire ? C’est cette tension contradictoire qui contribue à des crises et provoque les revendications identitaires. Comme l’observait Colette Guillaumin il y a 25 ans (cf. note 3) « non, la race n’existe pas. Si, la race existe . non certes elle n’est pas ce qu’on dit qu’elle est, mais elle est néanmoins la plus tangible, réelle, brutale des réalités » . « Parler de question raciale n’est pas supposer l’existence des races et donc entériner à notre insu l’idéologie raciste », mais tenir compte de phénomènes individuels et collectifs omni présents. Le fait d’adopter le regard « color blindness » qui récuse par principe de prendre en compte les faits raciaux méconnaît la prégnance - aussi réelle que regrettable - dans le monde des « lignes de couleur (15). La hiérarchisation raciale qui a si fort marqué, (et toujours encore un peu trop), par exemple, les Antilles, en fonction des degrés de pigmentation des « sangs mêlés » est un exemple de cette aliénation. C’est dire aussi qu’il faut se méfier des louanges que des gens bien intentionnés font de « cet avenir du monde » que serait le « métissage ». Si celui-ci est regardé comme une manière d’éclaircir les peaux, il est une forme de racisme. Il ne faut pas qu’il soit compris comme l’union par laquelle diluer les identités de base, mais comme le medium pour « métisser » la société, ce qui est tout autre chose. On a progressé en ce sens, mais dans un champ qui reste conflictuel.

5 –Du champ conflictuel aux lois mémorielles


Aux accusations répétées contre les immigrés (au sens le plus large du terme) ont répondu au cours des récentes années des accusations très articulées contre l’État français de la part tant de citoyens issus de l’Empire que de groupes variés d’immigrés. Les premières sont particulièrement portées par des familles extrémistes xénophobes qui voient dans la présence immigrée et la raison du chômage des « Français » et celle de charges indues des régimes de garanties sociales, mais ce sont des opinions également répandues dans bien des milieux. Il s’y ajoute en pointe l’imputation de l’insécurité à l’immigration. Même en l’absence de statistiques ethniques, la presse n’a pas eu de mal à trouver des sources stigmatisant les milieux immigrés (16) et selon lesquelles 60 à 70 % de la délinquance émanait de l’immigration. Que les catégories sociales marginales les plus en difficulté aient toujours spécialement nourri les commissariats et les prisons, ni ne les absout, ni ne réduit l’hostilité qu’inspirent aux autochtones français ces « allogènes ». C’est en tant qu’ « indigènes » que ceux-ci vont retourner des chefs d’accusation à l’encontre de la France.

« L’appel des Indigènes de la République » lancé en avril 2005, mais mûri de longue date (pour commémorer la répression de Sétif en 1945), et dont depuis l’esprit prospère par vagues (comme en attestent tous les sites net sur ces thèmes), fait en note (17) l’objet de larges extraits parce qu’on doit le considérer comme un éloquent document collectif sur la cicatrice laissée par les dominations passées et sur les malentendus de l’intégration. Si ce qu’il exprime semble pour partie irrecevable, surtout sur les parties que nous ne citons pas, le fond de celles que nous citons peut difficilement être récusé. Cet appel est bien moins inquiétant que des signes qui ont marqué gravement les rapports intercommunautaires dans notre pays. Que la Marseillaise ait été sifflée lors du match France-Algérie de foot en 2001 montre qu’amitiés et rancoeurs peuvent coexister, tandis que les effervescences chauvines des grands affrontements sportifs favorisent le défoulement de tous les plus mauvais instincts, flattés par toute une littérature policière à grande diffusion qui fait sa matière de luttes morbides entre clans ethniques Plutôt que d’évoquer comme un élément de la recomposition du paysage associatif de l’outre-mer (cf. infra), la « tribu Ka », c’est au nombre des dérives que nous préférons en faire état, en espérant que ses effectifs réputés dérisoires n’ont pas progressé, puisque, comme le rappelle la note 18 , cette association a cherché à déterrer la hache de guerre de règlements de comptes inter raciaux. Par ailleurs, à la dimension abjecte de la profanation, par certains, de cimetières israélites ou musulmans, sont venus s’ajouter, par d’autres, des cas de violences ouvertes sur des personnes. Sans inventer un racisme anti blanc ou anti establishment, il ne faut pas sous-estimer ce que signifie les agressions d’inspiration plus que crapuleuse dont des gamins ont été l’objet lors de manifestations de jeunes, ou ce que révèle les prises à partie d’agents publics (pompiers, enseignants, agents des transports en commun) au service de tous leurs concitoyens. Outre les victimes directes des émeutes, deux personnes ont été délibérément assassinées pendant cette période et certains douloureux faits divers appellent des questions.

L’ambiance des relations entre certaines minorités de minorités est émaillée par les ressacs des antagonismes entre les causes palestinienne et israélienne. Islamophobie et judéophobie se font la courte échelle. Le sectarisme des intégristes s’exprime dans les affaires comme celle des caricatures ou dans les menaces envers tel ou tel commentateur de la religion de Mahomet. Les descendants des colonisés font, eux, preuve d’une vigilance compréhensible lorsqu’ils contestent une définition univoque du mot « colonisation » dans le Petit Robert. Mais lorsqu’ils font procès à Olivier Pétré-Grenouilleau, de ses travaux sur « les traites négrières »(19) , ne serait-ce parce que les peuples de l’Empire effacent leurs divisions d’héritiers d’esclaves et d’héritiers d’esclavagistes dans la mise au pilori d’un diable unique et commun. L’opprobre ne s’applique qu’aux traites négrières dans les Océans atlantique et indien. C’est ce seul esclavage là qui a été reconnu par la loi Taubira de 2001 comme « crime contre l'humanité » (20). Telle qualification est la même que celle de l’Holocauste, mais l’esclavage n’est pas comme lui « génocide ». S’il a consisté à capturer, vendre et à exploiter ses victimes au prix de pertes et d’inhumanités considérables, son but n’était pas de les exterminer. C’est sans doute parce que la dénonciation spécifique de la Shoah lui vaut une place unique dans la conscience nationale et dans les différentes manifestations qui en résultent, que le fantaisiste Dieudonné pour lequel il y aurait deux poids deux mesures dans le traitement des victimes (21) de l’Histoire a exprimé une exaspération qui a été parfois ressentie à tort comme une provocation antisémite. « Je suis habitué au racisme anti-Noir depuis mon enfance et ce racisme doit être combattu au même titre que l'antisémitisme. Il n'y a pas de hiérarchie dans la souffrance » dit-il en 2004.

C’est à ces demandes de reconnaissance imprescriptible des exterminations et des oppressions jalonnant l’Histoire, comme des contributions à sa construction, et de prévention contre l’oubli que, de longue date, les pouvoirs publics ont répondu. Dans la filiation d’une loi Pleven de 1972 réprimant les manifestations de tous les racismes et xénophobies, la loi Gayssot de 1990 a été l’instrument contre le « négationnisme » des crimes nazis, puis une loi de janvier 2001 a reconnu le génocide arménien et sa négation vient d’être pénalisée par un texte de 2006. Sur l’impulsion surtout des rapatriés, mais avec aussi un large assentiment de l’opinion, la loi du 22 février 2005 a stipulé la « reconnaissance du caractère positif de la présence française », notamment en Afrique du Nord, et - comme la loi Taubira l’a prescrit pour l’esclavage - son enseignement. Ces divers textes ont le facteur commun de l’ingérence du législateur dans la lecture de l’Histoire, mais sont de portées différentes. Les lois Gayssot, Taubira sont pour une part normatives, non seulement en ce qu’elles interdisent ou prescrivent, mais en ce qu’elles donnent à un ensemble de faits historiques une qualification inscrite dans plusieurs instruments internationaux. Quant à la loi sur les bienfaits de la colonisation, ce qu’elle prescrivait était beaucoup plus flou et ne relevait pas du domaine législatif, si bien que la disposition incriminée a pu être, sur saisine du Président de la République, délégalisée par le Conseil Constitutionnel, après qu’elle eut fait l’objet des feux croisés des juristes, des historiens et des ex-colonisés.

6 - La recomposition des milieux associatifs d’ultra marins

C’est contre cette «loi de la honte» que s’inscrivirent en effet les associations qui recomposent la représentation des ultramarins en métropole avec l’apparition d’organisations transversales ayant d’ailleurs entre elles d’importantes divergences de points de vue. Par un récent passé, les organisations se faisant entendre en métropole étaient essentiellement des associations regroupant, selon leurs affinités géographiques d’origine, des domiens et constituaient plutôt des amicales à but culturel et social, tandis qu’il y a toujours eu, proches de l’establishment, des formations réunissant de nombreux membres des cadres, professions libérales et politiques de l’outre-mer dans une mission de représentation globale de ses intérêts matériels et moraux.

Mais deux acteurs (en attendant ceux qui se constituent à la faveur de la campagne présidentielle) de style très nouveaux, ont fait leur apparition. En février 2003, le «CollectifDom », habilement présidé au départ par P. Karam et récemment par l’écrivain C. Ribbe, réputé pour sa pugnacité, s’est constitué en revendiquant dix mille adhésions et s’est jusqu’à présent focalisé sur des questions concrètes très sensibles, comme les prix du transport aérien et la situation du logement, en tenant une position philosophique absolue anticommunautariste qu’exprime bien sa dernière adresse de décembre 2006 au Président de la République : «Il ne doit pas être question de noirs et de blancs, mais seulement de Français ».

Pour autant il n’en existe pas moins ce que des magazines autrefois ont appelé une espèce de « marché black » dans l’Hexagone : quelque 3 millions de personnes partageant un certain nombre de mêmes problèmes, pouvant avoir de mêmes goûts, fréquenter de mêmes commerces, utiliser de mêmes produits, apprécier les mêmes modes et instituts de beauté, même si c’est un monde très fragmenté (22) et que cible, selon des segments de clientèles - il n’y a pas « une musique noire », mais tout l’éventail des mondes dans celles qui sont aimées - un clavier de medias différents mais complémentaires (de RFI et RFO à MTV, en passant par la radio Média tropical et par des magazines qui ont du mal à trouver leur rentabilité, précisément parce que ce monde riche est peut-être consonant mais n’est pas homogène). Cette réalité mosaïque - « nous, le peuple arc en ciel » dit le poète Edouard P. Maunich - a été fracturée par de réelles oppositions et parfois mépris réciproques - entre Africains, Caraïbéens, Réunionnais - mais elle constitue une force latente qu’une nouvelle organisation, au vu du choc moral des violences urbaines de 2005, a voulu révéler et mobiliser.

Né, fin novembre 2005, de l’appel d’une soixantaine d’associations le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) présidé par P. Lozès, veut donc regrouper les Noirs de France, d'origine antillaise et africaine, avec l’ambition - qui semble bien accueillie (23) - d’être un « interlocuteur institutionnel» pour leur cause, de « les compter pour qu’ils comptent » de dresser le bilan des discriminations «ethno raciales» (deux choses ce qu’il a commencé à faire : cf. note 4) et de parvenir à obtenir « une véritable égalité» entre les différentes communautés. En soulignant que « les populations noires ne sont pas discriminées parce qu'elles sont immigrées », que «ce sont des Français comme les autres que l'on ne peut ignorer », le CRAN retrouve de fait une plateforme commune avec CollectifDom, de même qu’au nom des droits de l’Homme, les deux organismes - qui se sont beaucoup malmenés l’un l’autre - assurent de pair vigilance et contentieux à l’encontre des « sorties » (comme celles d’un G. Frèche ou d’un P. Sevran) faisant injures à tous les ex-colonisés.

7- Les lectures françaises des violences urbaines (24)

Ce sont largement ceux-ci qui sont concentrés dans les cités difficiles où il y aurait (selon ce que semble indiquer des morceaux d’enquêtes) une prédominance d’arabo-berbères et de subsahariens et beaucoup moins de domiens, toujours quelques immigrés européens côtoyant les familles les plus déshérités de notre éventail social, encore que fréquemment des environnements semi résidentiels ou pavillonnaires sont peuplées de membres souvent retraités des petites classes moyennes.

Plus de vingt ans après la marche des Beurs pour l’égalité en 1983, la crise ayant embrasé des banlieues a été une gifle pour la politique française d’intégration. Des situations comparables d’immigration concernent d’autres pays européens ; de mêmes procès sur les passés coloniaux ont lieu à l’égard de toutes les anciennes grandes puissances; de violentes interpellations ont toujours secoué les Etats-Unis. Mais la France considérait sa méthode comme une bonne leçon pour les autres - qui ne se sont pas privés de ricaner - et les demandes parlementaires de commission d’enquête ou les inquiétudes de tous ceux qui redoutent de nouvelles explosions dont le risque est rémanent montrent bien que le partage d’une compréhension de leurs causes n’existe pas vraiment.

C’est que les diverses lectures françaises de ces violences ont été peu compatibles entre elles. En schématisant, il y a deux approches dont l’une est d’imputer ces crises au fait de l’immigration (ce qui met en cause la politique de l’immigration et nourrit l’argumentaire pour la durcir), dont l’autre est d’en trouver les motifs dans les conditions d’existence faites aux immigrés (ce qui met en cause les moyens de l’intégration et de la politique sociale et nourrit l’argumentaire pour les renforcer). La première approche met en exergue un prolétariat venu de manière mal contrôlée de l’extérieur qui ne peut parvenir à s’intégrer et dont les émeutiers vouent haine à la France. Selon A. Finkelkraut (25) , "la violence actuelle n'est pas une réaction à l'injustice de la République » - qui assure aux immigrés de bien meilleures conditions de vie que dans leurs pays d’origine - « mais un gigantesque pogrom antirépublicain" mobilisant des jeunes dont « la plupart sont noirs ou arabes avec une identité musulmane ».

La part d’explication par la religion « peu présente » (l’Islam n’a ni inspiré, ni contrôlé les mouvements) ne sera pas confirmée (26) . Quant à l’autre part d’explication, selon laquelle, au fond, des minorités s’excluraient elles-mêmes par leur propre ancrage racial, c’est ce que la seconde approche veut aussi nier lorsqu’elle trouve dans les conditions d’existence faite aux « immigrés » la raison fondamentale des troubles. Ces conditions par leurs aspects discriminatoires et les pénalisations matérielles qui vont de pair expliqueraient quasiment tout. Il est certes bien vrai que la crise des banlieues est l’explosion d’un supplice de Tantale de jeunes estimant que, « privés de travail par les discriminations, ils ont le droit de se procurer, par des moyens illégaux, les biens » si tentants que la société de consommation, en même temps, leur fait miroiter et leur refuse. Il est toujours vrai que l’émeute est le ressac des sentiments d’abandon, de relégation scolaire, de cantonnement résidentiel, d’humiliation par des contrôles musclés et terrorisant jusqu’à la fuite mortelle dans un transformateur. Mais la contrainte du «groupe des pairs » sur les jeunes embrigadés, avec leurs « cultures souvent méditerranéennes de l’honneur, du défi, de la fierté », dans des « compétitions de l’apparence » aboutit aux clans adverses nourris par vols et trafics. Enfin, au delà du « jeu contre les forces de l’ordre », il y a eu agressions et crimes. Modèles et actes de combat ont offert jusqu’aux pires manière d’exister, surtout s’il y a reprise par les médias, parce qu’il n’y en a guère d’autre, dès lors que ces jeunes n’ont pas de débouchés accessibles. Non seulement parce qu’ils sont discriminés, mais parce qu’ils entretiennent les motifs d’exclusion à leur encontre : par leur look, leur langage, leurs provocations (comme certains « rapp »). Faire évoluer leur système de valeurs, réformer partie de ces comportements, rendre les intéressés aptes à passer un entretien d’embauche est largement - dans l’incapacité fréquente de fait, plutôt que dans la démission, de familles éprouvées et dont les cultures décalées n’offrent plus guère d’outils pour affronter le monde contemporain - dans les cas appelant sanctions pénales, de la compétence de missions de rééducation, dans le cas général, du rôle des administrations sociales. Mais encore faut-il qu’il n’y ait pas déficit d’offres d’emplois, le travail étant l’irremplaçable voie de l’insertion par l’activité, par la dignité, par des ressources non délictuelles, par un début de sécurisation. Aucune politique d’accompagnement par des services publics et sociaux, aussi nécessaire soit son renforcement quantitatif et qualitatif, ne remplacera un marché porteur du travail. Si des offres d’emplois, adaptées et suffisantes, pouvaient exister, l’appel à la responsabilité des jeunes eux-mêmes aurait tout son sens.

En résumé, s’il est vrai qu’il y a une superposition diabolique de la question raciale et de la question sociale, diagnostics et remèdes qui procèdent de ces seuls regards comportent les uns le risque d’ostracisme xénophobe (sans d’ailleurs véritable mise en oeuvre possible puisque les immigrations sont des phénomènes sans retour dans une Europe assiégée par les pauvres du monde), affichent les autres un angélisme impuissant (puisque l’égalité des traitements sociaux ne peut avoir aucun effet magique pour créer de l’emploi s’il n’y en pas assez). La question clef n’est ni raciale, ni sociale ; elle est économique. Ce n’est pas le racisme qui explique à lui seul l’exclusion de nombreux membres des minorités visibles des chances d’emploi et d’insertion ; c’est le marché qui lamine les marginaux auxquels appartiennent parmi d’autres, mais au premier chef, avant d’être mieux outillées, les minorités ethniques immigrées. Il est d’autant plus difficile aux vieilles sociétés de gérer l’entrée des hommes sur leur territoire (voilà pourquoi elles essaient de se fermer) que le libre échange international y fait pénétrer les produits des « low costs countries » chassant notamment les types d’emploi peu qualifiés qui ont longtemps été ceux des immigrés, ceux-ci se tournant de plus en plus vers les services non délocalisables. C’est dire qu’en cessant de confondre les effets et les causes, la seule réponse de fond aux crises de cohésion nationale nées de pauvreté et de précarité se trouve dans une stratégie économique mondiale et nationale garantissant mieux certaines activités contre les dumpings, assurant notre compétitivité dans celles qui sont encore viables et ouvrant des chantiers d’innovation et de services pour en créer de nouvelles. « Quand le bâtiment va, tout va »...mieux, y compris la gestion de l’immigration.

8- Le Débat sur la culpabilité - Accusés et créanciers de l’Histoire

C’est notamment à la faveur des textes mémoriels, de gestes du Pape, des déclarations du chef de l’Etat sur « la tache indélébile de l’esclavage », sur des répressions comme à Madagascar et sur le fait que la « caste intellectuelle » se serait métamorphosée en « caste pénitentielle » que s’est ouverte l’offensive contre « la repentance ». La martyrologie des colonisés, le narcissisme de certaines minorités, une déformation des faits historiques en une mémoire pouvant être imaginaire, mais devenue sacralisée, aboutiraient à une victimisation généralisée faisant l’Occident coupable ....puisqu’il est attaqué ( le 11 septembre ayant relancé ce masochisme, après qu’on ait pu espéré qu’on allait pouvoir se libérer du long remords colonial). Ainsi dit P.Bruckner (27) , ferait-on « l’impasse sur les problèmes sociaux et politiques ». Voilà ce qui distingue ce diagnostic de celui d’A. Finkelkraut qui paraissait « racialiser » l’explication du mouvement. Les intéressés se retrouvent néanmoins sur de mêmes lignes. En remplaçant l’histoire par l’idéologie, en stigmatisant le phénomène colonial sans mesurer ses aspects complexes (28) et le rôle positif qu’il a rempli dans toutes les enchaînements de civilisations, en culpabilisant l’homme blanc, seul dans le monde à se repentir, on crée sur lui des créances dont la reconnaissance conduit à bien des complaisances et à faire des « assistés », on justifie l’agressivité de cultures de combat qui n’ont pas ses illusions de l’homme universel ( que ces philosophes n’ont jamais rencontré), on favorise les manipulations extrémistes islamistes nous diabolisant, on criminalise notre société qui se fissure sous de tels coups. Le thème de la criminalisation a été très décliné par des magazines pour aboutir en fait à la question : « doit-on avoir honte d’être Français ? ». On voit l’effet de bélier politique d’indigner ainsi nos compatriotes !

Or il est banal de rappeler aucune nation ne peut regarder ses passés sans qu’ils ne soient de lumières et de ténèbres, de sacrifices et d’horreurs. Nos colonisations bien différentes n’y échappent pas. Leur ambivalence (29) n’est plus à démontrer, ni leur mélange des pires et - c’est arrivé - du meilleur, des enfers peuplés de bonnes intentions et des rédemptions émergeant des atrocités. Spoliations et promotions ont été imbriquées. Ont été de pair aussi négation des communautés soumises et fait d’engendrer des entités nouvelles dotées de conscience et de modernité qui n’auraient pas existé sans la domination qui les a suscitées. Longtemps l’utopie des hommes « de gauche » de penser qu’ils pouvaient mieux guider vers le progrès que les nationalismes naissants a favorisé le refus du changement. En fait le jugement de l’Histoire portera sans doute surtout sur la manière dont on a su, ou non, dénouer les présences françaises au moindre inutile prix de souffrances et de sang et favoriser ou non leurs moins mauvaises successions.

Aussi loin de la pénitence que de l’autosatisfaction, ne pourrait-on pas sereinement considérer que l’absence de culpabilité ne vaut pas exonération de responsabilité. Et cette distinction n’est pas naïve. La notion de culpabilité collective n’a tout son sens que si l’on imagine que les hommes eussent été libres d’avoir écrit une Histoire réellement différente. De la même manière que notre progrès s’est construit sur l’atroce misère industrielle du XIeme siècle, de la même manière, les grands traits des stades historiques que sont les colonisations bilatérales, puis la globalisation multilatérale représentent des phases incontournables du développement mondial. Sans rallier les abus d’une analyse matérialiste historique qui serait totalement déterministe, ne doit-on admettre que, sinon des étapes contingentes de tel ou tel peuple (le nazisme aurait certainement pu être écarté), du moins les grandes séquences de l’évolution de notre monde (le capitalisme industriel, l’expansion coloniale) ont été des chaînons sans alternative, commandées par des circonstances de moyens, de temps et de lieux. Dès lors il ne peut y avoir culpabilité des sociétés dont elles ont constitué la trame. Les seules culpabilités que l’on puisse identifier sont celles des acteurs de cette Histoire lorsque loin de rechercher la manière la moins mauvaise de l’assumer, dans l’intérêt de tous, ils ont poursuivi la satisfaction des plus mauvaises passions de quelques uns. Il n’y a pas d’analyse éthique possible de l’Histoire, mais il reste le droit au jugement sur les hommes clefs qui l’ont gérée en vertu des pouvoirs qu’ils se sont acquis pour le faire.

(suite ultérieurement)
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