Marie de Gandt réalise - avec son livre « Sous la plume » racontant l’histoire d’une universitaire cahotant de cabinet ministériel (par le copain L. Wauquiez qui la débauche) en cabinet ministériel (dont avec Morin, le mirage du « centre » et avec Bertrand, la tentation écartée de s’encarter) jusqu’à la collaboration un peu mystique avec Nicolas Sarkozy - une introspection exceptionnelle d’une intellectuelle fascinée par la compréhension du pouvoir, puis, peut-être, par le pouvoir lui-même. De la même façon que ses prédécesseurs normaliens de l’après-guerre, happés par le communisme, s’étaient - comme on disait à l’époque dans l’équipe atlantiste de la Revue « Preuves » - « déculottés au son du canon de Stalingrad » , de 2007 à 2012 , comme bien d’autres jeunes femmes du temps, l’auteure s’est, peu à peu, donnée à être possédée par l’attractivité politique du Président de la République : avec lucidité et dérision, avec enthousiasme envers l’impulsion et hargne envers bien des choix de ce « PR » dont elle dit qu’il « porte la faute morale de gouverner en divisant ».
C’est que la narratrice vient elle-même d’une charnière sociale, de grands parents conservateurs sociaux et de parents appartenant à la gauche des banlieues, en cherchant au fond, souvent avec humour, la résolution de la division gauche/droite qu’elle ne voudrait pas porter. En tant qu’elle est l’orfèvre qui polit (de loin ou dans l’urgence) la parole politique, dans ce rôle de « plume » (au début « d’ouverture », ensuite, plus les dérives de fond du pouvoir la contrariant, et plus Nicolas Sarkozy la fascinant, en démontrant une espèce de dévotion à son égard), elle contribue à élaborer, à faire passer, voire à créer, des messages dont elle n’approuve pas, dans certains cas, tous les contenus, mais dans lesquels elle veut alors néanmoins glisser, « son grain de sel », sa part d’espérance.
Cette enseignante de littérature comparée n’a cessé d’exercer son métier pendant ses missions de « plume », gagnées parfois de haute lutte et grande habileté sur des concurrentes, vécues entre les ors, les sous-sols et les soupentes de la République, parmi ses domestiques (ce peuple qui va survivre à tout président) ; elle a, en même temps, vécu ses charges de mère, puis les affres d’être enceinte, tout en entendant porter ses ambitions dans la cruauté des univers politiques, des rivalités de sexes, et plus encore des rivalités entre femmes (le livre est plein de références, en clair ou par de très lisibles clefs, délicates ou truculentes à bien des personnalités du temps et on peut apprécier quelques éloquents croquis comme celui de Guéant). Après cette traversée « « coleridgienne » de l’autre côté du miroir, cette femme de lettres retrouve en définitive sa vérité dans le constat qu’ « il n’y a de réalité qu’à l’aune de ce qu’on construit par le langage ». Elle a du certainement beaucoup châtier le sien - tant son livre révèle une culture classique, même parfois maniérée – pour écrire les discours des ministres, pour trouver les vulgarisations nécessaires, pour tenter de présenter les inspirations - parfois provocatrices et improbables - du maître élyséen, selon des exercices où elle se veut, en fait, meilleure, plus subtile, moins Jaurès que Guaino.
Il est vrai que celui représentait les traces du temps ou tout collaborateur proche d’un homme politique pouvait être sa plume, du moins de circonstances : sans qu’il y ait besoin, en plus des conseillers pol. et com. , de spécialiste de l’écriture, d’un(e) esclave volontaire des essais de transmission (et de perfectionnement) de la pensée d’un patron. La plume était autrefois le sous-produit du compagnonnage personnel ou du conseil technique. C’est ainsi qu’autrefois, je fus, à côté d’autres de mon espèce (et Marie de Gandt garde à l’évidence une espèce de regard comparatif permanent sur ces collègues issus de l’ENA qui ont cette capacité de synthèse des différents versants de l’homme public) parmi ceux qui savaient décliner des dossiers techniques en paroles de communication politique. Je fus ainsi, en particulier, la plume de Jacques Chirac débutant et toujours très confiant dans ce qu’on lui préparait , puis, plus tard, celle de Pierre Messmer, rigoureux PM qui reprenait toujours nos projets de discours pour, de sa main, les raboter de manière sévère. Sauf ceux, une fois, que je lui avais rédigés , après une longue préparation technique et politique, il y a bien longtemps, pour ce voyage en Corse qui aurait pu désamorcer bien des choses et des bombes si son inspiration avait ensuite été suivie sans trop de délais des mesures pertinentes, mais qui déboucha, à notre retour, sur le décès de Georges Pompidou, ce qui ouvrit d’autres urgences à l’histoire politique d’alors.
Aujourd’hui, dans l’opposition ou aux affaires, « ils » ont tous leur plume, - parasites, ou béquilles, ternes ou brillantes, spécialistes des équilibrismes avant les infidélités, et devenant parfois elles-mêmes des aigrettes se croyant au pouvoir… tant le jeu de notre vie politique, loin des Français, fait souvent confondre le fond et la forme.
D’ailleurs, dès 1974, ne vit-on venir auprès de P. Messmer – dont le sautillant vieux directeur de Cabinet, le préfet P. Doueil essayait avec difficulté de mettre du rayonnement dans l’austère juste parole du patron – et afin que celui-ci communique mieux, un spécialiste ? Ne riez pas : c’était le communiquant Jean-Jacques de Peretti dont le résultat fut d’obtenir quelques semaines après son entrée en coulisses, une couverture du Point ou de l’Express titrée en grand « Messmer doit partir ».
Marie de Gandt a été plus heureuse, sans éviter les mises au pilori par Marianne, et je crois bien comprendre qu’on lui doit ( comme elle le donne au demeurant sans humilité à penser) les meilleures interventions stratégiques ou humanistes de N. Sarkozy ; malheureusement, elle n’a pas réussi jusqu’au bout son coaching transformateur , si bien qu’on ne perçoit pas comment elle a pu rester prise, éprise, jusqu’à accepter les dérives ultra de la dernière phase de campagne, tandis qu’on voit bien comment elle a pu être, avec élégance, de ceux et de celles qui ont su accompagner le Président battu dans le ton et la dignité de la défaite.
Toutes ces facettes du personnage produisent un texte touffu qui donne une espèce de jubilation à goûter son talent de conteuse de Cour mélangeant des rémanences de ses Humanités grecques ou latines et des incursions de novlangue, ce qui vaut bien des auteurs du Grand Siècle. Elle y unit une rigueur et une probité d’auto inspection cherchant à valoir psychanalyse que, pendant cette riche période de sa vie, elle a aussi tentée (elle ne nous en donne pas le résultat…), pour comprendre ses contradictions …. ou pour se libérer de la drogue du pouvoir ... En la lisant vous ne pouvez que vivre, hors des sectarismes, un long moment d’intelligence tenant en haleine comme une espèce de thriller qui tantôt passionne, tantôt excède, mais qui, toujours, force le respect humain et l’estime littéraire pour cette nouvelliste autobiographique inaugurant vraiment, dans des chemins battus, mais qu’elle renouvelle étonnamment, un nouveau genre de sincérité comme d’écriture.