C'est une belle entreprise pédagogique que le dernier ouvrage de
"J. Généreux (qui) explique l'économie à tout le monde".
Mais, après deux tiers de l'ouvrage constitués d'une excellente histoire de la pensée économique et d'un démontage des raisons des impasses actuelles, certaines de ses explications sont bien courtes et les perspectives ouvertes d'autant plus incrédibles.
On entend bien que ce n'est pas "la mondialisation" qui serait, en elle-même, responsable de la mauvaise concurrence internationale actuelle, mais le système même du "capitalisme réel" ( quoique le soutien mutuel qu'ils s'apportent les unissent, de fait, en un même et seul phénomène) .
Pour autant, peut-on, aujourd'hui, trouver (comme le pense aussi le M'PEP) dans l'espérance de voir mis en œuvre l'esprit de la Charte de la Havane (envisagée en 1948), une réponse concevable aux tensions du monde contemporain ?
Notre auteur, en refusant une approche nationale (alors qu'il explique très bien pourquoi la meilleure zone économique optimale possible est une Nation), semble préférer le mythe internationaliste du marché mondial régulable (comment?) susceptible d'être porteur de progrès pour tous (comme en s'attendant à ce qu'une prochaine progression du niveau de vie des masses asiatiques change les équilibres mondiaux) au réalisme d'appeler à la défense et promotion de nos intérêts territoriaux.
On veut bien comprendre aussi que sans régulation des flux et placements instantanés de capitaux, tous les vices économiques et sociaux entraînés par le capitalisme financier ( qu'on ne voit pourtant pas faire place à ces larges pans rêvés d' "économie sociale et solidaire ") soient indéracinables et que, dès lors, le protectionnisme commercial, même intelligent, parvienne difficilement lui-même à quelques résultats ; mais comme la première hypothèse est encore plus invraisemblable à mettre en œuvre que le second volet, comment faire ?
À moins que la tentation soit de renoncer à des essais de protection en misant trop sur "la relance keynésienne"?
Or, enfin, et surtout, on ne peut vraiment pas comprendre toutes les vertus attachées à cette relance keynésienne, alors que sauf par une petite incidence, il n'est apparemment tenu aucun compte de l'ouverture économique internationale (en fait, et malgré les distinguo de J.G., de ce qui est le "libre échange") en tant qu'amortisseur aussi bien des effets de relance d'une demande nationale que de ceux du multiplicateur d'investissement, et particulièrement de l'impact de la dépense publique en équipements. Renvoyons ici à un article ancien d'un économiste déjà cité sur ce site : Keynes pour les nuls <http://obouba.over-blog.com/article-26014199.htlm>
dont on donne ci-dessous (*) les équations de base pour bien illustrer la question).
En termes bien simplifiés, comme le veut JG, indiquons sommairement
- en premier lieu, que toute augmentation de la capacité de consommation des ménages peut se traduire, autant que par l'appel à des productions terminales nationales porteuses d'emplois également nationaux , par des importations à meilleur prix;
- et marquons, en second lieu, que tout investissement d'entreprise, et , soulignons, en troisième lieu, que toute injection de crédits budgétaires ( sous déduction des impôts qui pourraient les financer) pour des travaux ou des outillages publics ne bénéficient à l'emploi national que dans la mesure où les demandes engendrées ne sont pas couvertes par des offres et des réponses étrangères ( ou intra-européennes, ou de pays tiers), en énergies, en matières premières, en biens intermédiaires, en personnels importés à bas coûts, en machines-outils manufacturées et en composants assemblés ailleurs, etc.
Or, comme il peut en être largement ainsi, un État qui favorise, à sa charge, et le cas échant par endettement supplémentaire, de telles expressions de demandes peut, à due proportion, plus en répercuter le bénéfice à des économies qui lui sont non seulement étrangères, mais, pire, en concurrence avec la sienne : une dépense française finance alors, dans la stagnation de notre territoire, la croissance, par leurs exportations, des émergents plutôt encouragés alors à ne pas développer leurs marchés intérieurs; les beaux effets attendus de retour national de politiques keynésiennes de la demande et de l'investissement ne peuvent être un peu garantis sans, au moins, quelques précautions en matière de protections commerciales...
J'ai cherché en vain dans ce livre une claire expression de ces problèmes, ni la réfutation des observations que j'avance.
C'est particulièrement inquiétant - et J. Généreux pourrait être moins simpliste sur les bienfaits d 'une "politique de la demande ", plus explicite sur ses besoins d'accompagnement et ne pas entretenir d'illusions - au moment où les oppositions socialistes internes ou marginales, au moment où les leaders sociaux démocrates européens eux-mêmes, les uns et les autres croient trouver une réponse aux problèmes qui nous écrasent, seulement par moins d'austérité et/ou dans d'autres (plus souples) calculs du plafonnement à 3% des déficits autorisés.
Il doit être évident, en effet, qu'à soit tout seul, un tel type de mesures (les grands programmes d'investissement ? et financés comment ? et conduits par qui ?) est destiné à être inopérant en faveur de notre emploi... s'il n'y a simultanément :
- d'abord des politiques de protection commerciale;
- de préférence, un pilotage public et des participations décisives de l' 'État dans ces programmes (ce "capitalisme d'État" qu'entre deux virgules évoquant l'échec soviétique, J. Généreux condamne bien lestement);
- une politique monétaire nouvelle qu'il appelle justement de ses vœux,
- comme il appelle à des tentatives d'encadrements des mouvements de capitaux, contrôles dans lesquels il ne faut, évidemment, au delà du prudentiel bancaire, ne pas trop croire... et donc en devant se préparer à faire sans ces "garde fous" qui seraient - c'est vrai - les seuls vrais transformateurs de l'économie mondiale contemporaine. À défaut de ce grand chelem, il faut d'abord défendre nos propres intérêts.
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C'est à l'occasion, en décembre 2008, de l'analyse critique d'un plan de relance inspiré par N. Sarkozy que ce rappel d'équations a eu lieu ( en montrant en l'espèce que l'annonce faite serait sans doute bien supérieure à l'effet réel produit...).
Macroéconomie keynésienne pour les nuls
Beaucoup de discussions sur les blogs d'économie autour des politiques de relance, la plupart mobilisant pour cela le modèle keynésien de base, une petite explication du modèle pour les non initiés peut être utile.....
Modèle de base
Version la plus simple, on raisonne en économie fermée et sans Etat. Soit Y le revenu total. Les deux dépenses possibles sont les dépenses de consommation des ménages (C) et les dépenses d'investissement des entreprises (I). On écrit donc :
Y = C + I
Pour simplifier toujours, on ne fait pas de théorie de l'investissement (on suppose un niveau d'investissement exogène donné), seulement de la consommation, considérée dans une perspective keynésienne comme dépendant positivement du revenu.
C= cY
c est un paramètre stratégique. Il s'agit de la propension marginale à consommer, comprise entre 0 et 1, ce qui signifie qu'un accroissement du revenu se traduit par un accroissement moins que proportionnel de la consommation.
Sur cette base, on peut réécrire puis transformer la première expression :
Y = cY + I
On fait passer cY à gauche
Y - cY = I
On met en facteur :
(1-c)Y = I
On divise de chaque côté par 1-c :
Y = [1/(1-c)]I
Notons k=1/(1-c)
Comme c est compris entre 0 et 1, 1-c est aussi compris entre 0 et 1, donc k est strictement supérieur à 1. Il sera d'autant plus fort que c est élevé.
Dès lors, si I varie d'un certain montant (notons cette variation dI), Y va varier plus que proportionnellement.
dY/dI = 1/(1-c)=k
Il s'agit de ce qu'on appelle un effet multiplicateur, en l'occurrence des dépenses d'investissement.
Deuxième modèle
On complique en intégrant l'Etat. Celui-ci prélève une partie du revenu sous forme d'impôts (notés T), si bien que C est maintenant égal à :
C= c(Y-T)
Y-T est le revenu disponible.
On considère que l'Etat applique une imposition proportionnelle aux revenus, avec un taux marginal d'imposition de t :
T = tY
Sur la base des impôts collectés, l'Etat réalise des dépenses publiques G. On a donc maintenant trois composantes dans la dépense totale :
Y = C + I + G
C = c (Y-T)
T = tY
On se sert des deux dernières relations, on les réintroduit dans la première, et on trouve :
Y = cY - ctY + I + G
Soit :
Y = [1/(1-c(1-t)][I+G]
L'Etat dispose d'une variable d'action G. En faisant varier G, on arrive à une variation plus que proportionnelle de Y. Le multiplicateur est cependant plus petit que 1/(1-c) car une partie de l'injection va se trouver ponctionnée sous forme d'impôts.
Troisième modèle
On introduit l'extérieur. Une partie des dépenses va se tourner vers les produits étrangers, il convient donc d'introduire les importations (notées M) avec un taux marginal d'importation m. L'extérieur est également demandeur de produits nationaux (exportations notées X). On a donc maintenant :
Y + M = C + I + G + X
C = c(Y-T)
T = tY
M = mY
On réarrange le tout et on obtient :
Y + mY = cY - ctY + I + G + X
Soit après transformations :
Y = [1/(1 + m - c(1-t)][I + G + X]
L'effet multiplicateur est encore réduit, car une partie de l'injection éventuelle par l'Etat sous forme de dépenses publiques est captée par les entreprises étrangères, via les importations, et ce d'autant plus que m est grand.
Que doit-on attendre dès lors d'une politique de relance ? Tout dépend de la valeur des déterminants du multiplicateur.