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Pourquoi ce blog

L'objet de ce site est de baliser par quelques souvenirs éloquents l'histoire récente et de faire contribuer ces expériences, par des commentaires d'actualité, à éclairer et choisir les changements, en s'interrogeant sur les propositions des politiques et les analyses des essaiystes. Donc, à l'origine, deux versants : l'un rétrospectif, l'autre prospectif.

A côté des problèmes de société (parfois traités de manière si impertinente que la rubrique "hors des clous"a été conçue pour les accueillir), place a été faite à "l'évasion" avec des incursions dans la peinture, le tourisme, des poèmes,  des chansons, ce qui constitue aussi des aperçus sur l'histoire vécue.

 

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L'auteur

 

DSCF0656-copie-1.JPGNé en 1933, appartenant à la génération dont l'enfance a été marquée par la deuxième guerre mondiale, l'occupation et la Résistance, l'adolescence par la Libération, la guerre froide, puis par de clairvoyants engagements pour les décolonisations, l'auteur a ensuite partagé sa vie professionnelle entre le service public (il a notamment été préfet, délégué à l’emploi, directeur des affaires économiques de l’outre-mer, président de sa chaîne de radio-télévision, RFO), l'enseignement et la publication d’ouvrages de sciences politiques (il est aujourd’hui membre du comité de rédaction et collaborateur régulier de la Revue Politique et Parlementaire). Il a également assumé des missions dans de grandes entreprises en restructuration (Boussac, Usinor/Sacilor), puis a été conseil d’organismes professionnels.

 

Alors que ses condisciples ont été en particulier Michel Rocard et Jacques Chirac (il a partagé la jeunesse militante du premier dans les années cinquante et fait entrer le second à Matignon dans les années 60, avant d'être son premier collaborateur à l’Emploi et pour la négociation de Grenelle et au secrétariat d’Etat aux Finances, il n'a suivi ni l'un, ni l'autre dans leurs itinéraires. En effet, dans le domaine politique, comme il ressort de ses publications (cf. infra), Gérard Bélorgey n’a rallié ni la vulgate de la Veme république sur les bienfaits de l’alternance entre partis dominants, ni les tenants du catéchisme du libre-échange mondial. Il ne se résigne donc pas à TINA ("there is no alternative" au libéralisme). Tout en reconnaissant les apports autant que les limites de ceux qui ont été aux affaires et avec lesquels il a travaillé, il ne se résigne pas non plus à trouver satisfaction dans tel ou tel programme de camp. Mesurant combien notre société multiculturelle, injuste et caricaturalement mondialisée, souffre aussi bien des impasses de l’angélisme que des progrès de l’inégalité et des dangers de l’autoritarisme, il voudrait contribuer à un réalisme sans démagogie.

 

Partie de ses archives est déposée dans les Fonds d'Histoire contemporaine de la Fondation des Sciences Poltiques (cf. liens).

 

Il a publié sous d'autres noms que celui sous lequel il a signé des ouvrages fondamentaux que furent "le gouvernement et l'administration de la France" (1967), "la France décentralisée" ( 1984), "Les Dom-Tom" (1994)  : le pseudo de Serge Adour correspond à l'époque de la guerre d'Algérie et à une grande série de papiers dans Le Monde en  1957 , celui d'Olivier Memling au recueil de poèmes et chansons "Sablier " (couronné en 1980 par l'Académie Française et référé, dans l'histoire littéraire du XXeme Siècle de Hachette) celui de  Gérard Olivier à son analyse dans de  grands quotidiens de la décentralisation en 1981/82; celui de Solon  (malheureusement partagée par erreur avec d'autres auteurs) à la publication en 1988 de "la démocratie absolue" . Cessant de vivre un peu masqué, il retrouve son nom en 1998 pour "Trois Illusions qui nous gouvernent", puis en 2000 pour "Bulles d'Histoire et autres contes vrais " (série de coups de projecteurs sur quelques apects du dernier demi siècle qui seront souvent repris ci-dessous), ainsi que pour de  nombreux articles dans  diverses revues. EN 2009, il est revenu sur la guerre d'Algérie avec le roman ( Ed. Baurepaire) "La course de printemps". Il prépare "L'évolution des rapports Gouvernés /Gouvernants sous la Veme République :entre absolutismes et renouvellements?"

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 10:27

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14 octobre 2014 ~

Gerard Belorgey | Une structure territoriale à rendre moins critiquable

Les origines de chaque périmètre de nos collectivités locales, comme la cristallisation des notoriétés et avantages qu’elles ont engendrés, rendent leur refonte problématique. Les nombreuses communes françaises sont ancrées sur le principe de la compétence générale et sur celui, qu’en tant que collectivités fondamentales, elles sont porteuses de la légitimité démocratique; il en a résulté que les organes des établissements publics intercommunaux n’émanent que d’un suffrage indirect (ou « fléché ») et que c’est seulement à compter de 2014 que d’importantes intercommunalités pourront avoir des organes procédant pour moitié d’une élection directe; quant à la chirurgie de réduction du nombre des communes elle a été de longue date abandonnée au profit du développement d’intercommunalités destinées à faire des coquilles vides de bien des niveaux  communaux. 

Un triple enracinement 

Un triple enracinement révolutionnaire, impérial et républicain fonde la solidité des départements. Ils permettent d’administrer de près, et depuis un siècle et demi, constituent d’utiles quoique insuffisantes intercommunalités : par les péréquations de leurs budgets alimentant leurs services (aide sociale, routes, collèges, sécurité et lutte contre incendie, transports notamment scolaires, traitements des déchets, promotion touristique, etc.) et des redistributions de ressources du fait des  subventions aux communes. Mais dès le milieu des années cinquante, ils avaient été regardés comme des enceintes souvent trop étroites pour conduire la lutte contre « le désert français », ne pouvant trouver son souffle que dans des dimensions régionales. 

Et c’est une « légitimité » d’origine consulaire qui va fournir les dimensions des régions (celles, peu changées, des périmètres des Chambres de commerce et d’industrie) parce que ce sont ces milieux socioprofessionnels ,souvent liés aux milieux universitaires « provinciaux », qui conduisirent la revendication d’aménagement du territoire qui a engendré les  rôles des régions d’aujourd’hui. Au regard de ces superpositions, un levier fut recherché par la réforme de 2010 du conseiller territorial lequel, siégeant dans l’instance délibérante du département et dans celle de la région, aurait pu pousser vers la fusion des deux entités. L’alternance a automatiquement conduit à son abolition.

Quant aux vagues de décentralisations, sans créer une nouvelle logique, elles ont additionné une geste politique, des facilités accordées aux initiatives locales (si susceptibles de doublons et d’incohérences, qu’il a fallu toujours recommencer à chercher des « blocs de compétences » pour en arriver à la plus modeste solution de choisir des « chefs de file »), enfin des délestages de l’État, gouvernés par le principe de la compensation financière, mais pouvant comme en matière d’aides sociales (60 à 70% des dépenses courantes départementales) se révéler plus coûteux que prévus.

Le modèle français

Ce schéma français s’est avéré très stable sur la durée parce qu’il exprime un compromis historique (ayant un coût) entre l’État unitaire et les franchises territoriales, celui d’autoriser des latitudes de gestion locale mais, en aucun cas, des facultés périphériques de faire contrepoids à des options politiques, économiques et sociales d’un pouvoir central.

Les administrateurs élus disposent de réelles souplesses tenant à l’absence de clause limitatives des compétences de chaque niveau territorial (n’étant borné dans ses actions que par ses limites de ressources),  au caractère assez relatif de la distinction entre dépenses juridiquement obligatoires et dépenses facultatives,  au jeu toujours possible entre budgets de fonctionnement qui doivent être équilibrés et recours à l’emprunt pour les dépenses d’équipement, au passage d’une tutelle réputée autrefois contraignante à des contrôles de légalité a posteriori devenus bien aléatoires, à la « déconcentralisation » de compétences de programmation de crédits d’État, au besoin pour cet État de trouver des compléments de financement auprès de partenaires locaux et, en conséquence, à la dévolution aux régions de responsabilités en matière de formation professionnelle, de transport ferroviaire, etc.

Néanmoins, ces latitudes pratiques d’action ont pour bornes les principes mêmes du modèle français : alors que dans des Etats fédérés on peut encore, au stade territorial, parler de relations Gouvernants/Gouvernés, dans notre décentralisation on ne peut pratiquement plus parler que de relations administrateurs/administrés. En effet, il ne peut exister de puissances territoriales face à l’État : les collectivités secondaires n’exercent pas un pouvoir de même nature que le pouvoir d’État, ni en matière de capacités normatives, ni en matière de capacités budgétaires et fiscales. L’État joue dans la cour de la stratégie et les pouvoirs territoriaux (sauf peut-être les très grandes métropoles) dans celles de la gestion. C’est bien pourquoi des pouvoirs régionaux issus de familles politiques différentes d’une majorité parlementaire ne pourraient pas constituer des moyens de politiques de  rechange. Toutefois l’opinion peut mettre sur des pieds comparables les images d’un pouvoir central et celles de pouvoirs régionaux, dès lors que le gouvernement, ayant consenti des  transferts majeurs de souverainetés, apparaît lui-même comme de moins en moins détenteur d’un pouvoir stratégique, mais de plus en plus comme un gestionnaire d’options arrêtées au niveau européen.

Des collectivités territoriales en mutation

Il reste qu’aujourd’hui les collectivités territoriales  n’ont qu’un pouvoir réglementaire spécifique étroitement circonscrit et totalement subordonné – même après la révision constitutionnelle de 2003 – au pouvoir d’État. Dans l’exercice des pouvoirs de police générale, les maires sont très encadrés par la juridiction administrative et s’ils peuvent recourir à des personnels de polices municipales en développement, les rôles des procureurs et des préfets ainsi que la couverture depuis l’avant-guerre du territoire par les polices d’État, les tiennent à l’écart des poursuites judiciaires et des actions de maintien de l’ordre. S’agissant du champ des polices spéciales les compétences multiples de l’État restreignent d’autant les capacités des élus : si une commune appartient certes à ses habitants, la limite en est que cette communauté est un chaînon du territoire national au sein duquel doivent se reconnaître des intérêts nationaux, et donc la faculté d’y faire prévaloir, malgré des rejets qui peuvent s’exprimer, d’incontournables servitudes (infrastructures, établissements insalubres, protections de sites, implantations de pylônes et d’éoliennes, réseaux d’ondes,  expériences culturales, etc.). Autrefois unis dans le besoin de trouver des transactions, préfets et élus l’ont, de plus été, depuis vingt ans, dans la soumission à une avalanche de normes, si bien que la piste de chercher à imaginer  » quel pouvoir normatif (pourrait être donné) aux Territoires ? » semble un luxe au regard du besoin prioritaire de savoir comment avoir la capacité d’agir dans les champs de compétences d’ores et déjà existants.

Alors qu’elles réalisent 70% de l’investissement public, les collectivités territoriales ont, en effet,  un poids budgétaire modeste dans la dépense publique globale (21% et quelque 12% du PIB). Au plan fiscal, elles n’ont aucun pouvoir de création/construction des impôts leur bénéficiant, mais seulement la compétence très encadrée de pouvoir moduler les taux et productivités des impôts qui leur sont affectés. Il a toujours été estimé inconcevable de partager un grand impôt entre État et autres collectivités, ni d’envisager de donner aux régions un réel enjeu de pouvoir en leur transmettant un impôt faisant, par exemple comme l’ISF, débat politique; pas plus qu’il n’a été établi au bénéfice des communes et de leurs groupements d’urbanisme, une taxe sur les constructibilités – dont l’institution, écartée lors de la loi foncière de 1967, eut dilaté la capacité d’offre foncière et donc les facultés de constructions de logements, en même temps que rendue plus équitable la distribution des charges de l’urbanisation,

C’est seulement en apparence que les calculs des comptes des collectivités locales responsabilisent les élus. Au regard (en 2012) des quelques 225 mds (dont un peu moins de 20 en emprunts)  de ressources totales des collectivités, ce sont quelque 100 Mds qui transitent par l’État. Après réintégration dans leurs recettes propres de ressources affectées en compensation d’impôts supprimés et de certains transferts, leur degré d’autonomie financière (recettes propres/ressources totales) s’établit, toutes collectivités confondues, autour de 62%; mais leur degré d’autonomie fiscale s’est dégradé du fait de réformes réduisant (comme la suppression de la TP) les capacités locales d’impositions.

Cette organisation française dont les effectifs locaux ont augmenté est réputée offrir un mauvais rapport coût/efficacité, encore  qu’aucune estimation globale quantifiée ne semble jamais avoir pu être sérieusement faite des « surcoûts » des structures en place. La question est, en vérité, de savoir si ce qui est mis en cause est l’organisation (les doublons ? l’absence de réduction d’effectifs après regroupements de missions à un échelon supra communal? le fait que « la région n’ait pas émergée » ?) ou si ce sont les missions mêmes des collectivités qui sont contestées par la critique libérale (comme celle de l’IFRAP) ?

La manière dont faire face à ces  critiques est d’admettre que l’efficacité peut-être, la réputation à coup sûr, de l’appareil public sont mises en doute à raison de ce mille-feuille quiconstitue la faiblesse congénitale de la décentralisation : sans s’appuyer sur un espace administratif unique, la décentralisation s’épuise dans les émiettements institutionnels et dans des montages – et remords – financiers et techniques.

Fortifier la décentralisation autant que chercher des économies aurait dû porter à établir une collectivité territoriale unique entre l’État et l’échelon des communes et de leurs regroupements. Ainsi, pour le niveau pratique d’administration, aurait-on pu refondre la carte des régions afin d’aboutir à trente à quarante « régions administrantes », correspondant à des  bassins reconnus de géographie humaine et devenant les collectivités supra communales de droit commun. Pour satisfaire au besoin d’un niveau stratégique territorial d’aménagement et d’impulsion économique ce sont de bien plus vastes périmètres que ceux des régions actuelles qui semblent être pertinents[1].

De telles transformations ne pouvant procéder d’un consensus qui mûrirait tout seul, il nous semblait qu’une réforme constitutionnelle était la bonne voie pour rechercher solennellement une adhésion transpartisane.

C’est dans un sens différent des préconisations ci-dessus que le choix de l’exécutif a été celui d’une réforme (note du 5 juin,  sur le site du Premier Ministre) « fondée sur 3 axes principaux:

des régions plus puissantes et regroupées, pour promouvoir le développement économique, l’emploi et la cohésion territoriale ;

la montée en puissance des intercommunalités pour que l’armature territoriale repose à terme sur le couple intercommunalités / régions;

la redéfinition du rôle des conseils généraux dans la perspective de leur suppression. »

 

23 octobre 2014 ~

Gerard Belorgey | Une réforme territoriale plus idéologique que pratique

Au départ, l’exécutif pensait pouvoir se dispenser d’une réforme constitutionnelle qui est apparue incontournable. La manifeste impossibilité politique d’y procéder interdit d’en fixer la date, si bien que des délais se trouvent ouverts pour apprécier et faire évoluer cette entreprise. Elle est à la confluence d’un mouvement de réforme administrative ayant de longue date constaté des réalités de géographie humaine s’inscrivant au-dessus des divisions administratives et ayant abouti à la loi MAPAM, et d’un soudain affichage politique voulant frapper les esprits par de « grosses économies ».

Dans la perspective d’un vide départemental, les 14 métropoles existantes ou prévues forment des noyaux durs, mais d’impact spatial limité, du maillage d’intercommunalités annoncé. Ailleurs, la carte et les contenus des intercommunalités sont de difficiles chantiers dans un contexte paradoxal : la suppression des départements réalisant jusqu’alors des administrations de proximité va de pair avec des élargissements de périmètres de régions rendant celles-ci encore plus distantes du terrain alors qu’elles reçoivent des compétences … de proximité ! Est néanmoins intervenu le bémol que les départements « ruraux » pourraient survivre à 2020 de manière simplifiée.

Les deux projets de loi

Après le « projet de loi relatif à la délimitation des régions, etc. « , un second projet de loi « portant nouvelle organisation territoriale de la République » a pour objectifs, d’une part, de transférer aux régions (ou aux métropoles) nombre des compétences des départements, tout en maintenant ceux-ci jusqu’en 2020, essentiellement pour l’aide sociale (encore que partie de celle-ci pourrait être éventuellement confiée de manière autoritaire aux métropoles), d’autre part, de donner à l’administration préfectorale les moyens d’obliger en tant que de besoin à la construction pour 2017 des intercommunalités appelées à euthanasier et relayer les départements. Ce projet va nourrir de grands débats parlementaires, d’autant qu’il aura à préciser la portée de l’exception de ruralité.

Au regard de cette réforme, la question n’est pas de savoir si tel ou tel périmètre régional est pertinent ou s’il peut en exister un meilleur, mais de savoir s’il est pertinent de bâtir une France métropolitaine sur le double maillage de 12/14 régions et d’une multiplicité d’intercommunalités qui restent à construire.

Sur la bonne hypothèse de faire disparaître les départements tels qu’ils existent, il y avait deux options possibles. L’une, non examinée, était d’instituer dans une quarantaine de périmètres géographiques une collectivité unique (soit par la création de petites régions « administrantes », soit par agrandissement de départements) exerçant de manière fusionnée les actuelles tâches départementales et régionales. L’autre, adoptée par impulsion, et consistant en la disparition des départements et en l’invention de nouvelles grandes régions, est, à nos yeux, l’expression d’une mode, aggravée par le mimétisme européen : un choix idéologique basé sur une vision mythique du mot « région » ainsi que sur une conception plus incantatoire que gestionnaire de la décentralisation.

La philosophie militante de celle-ci y trouve son compte, de grandes régions ayant toujours été le souhait des baronnies territoriales et de ceux qui les imaginent pouvoir relayer, voire, ici et là, remplacer l’État. Tandis que dans la décentralisation départementale bien souvent, les valeurs de gestion ont rapproché les compétiteurs politiques, dans la décentralisation appuyée sur les régions ce qui prévaut c’est d’un côté les compétitions de la « politics » et d’un autre l’ambition de mener des « policies » qui pourraient changer les effets des politiques nationales. Alors que les régions ont jusqu’alors moins existé par des services qui eussent été irremplaçables (sauf la réalisation des grands schémas directeurs) que par les images qu’elles représentent, les notoriétés qu’elles confèrent et les illusions qu’elles entretiennent, l’option prise conduit à des périmètres régionaux qui ont, pour la plupart, la double caractéristique de rester trop petits pour être des échelons perceptibles et significatifs à l’échelle européenne et mondiale, mais d’être trop grands pour permettre de bien administrer.

Peut-on vraiment bien ventiler les fonctions départementales entre les deux niveaux des lointaines grandes régions et des multiples intercommunalités à construire et harmoniser dans leurs territoires et selon leurs compétences ? Et si on le peut, le niveau des intercommunalités ne sera-t-il plus démultiplié et complexe qu’avec des départements qui ont été et sont de potentielles grandes intercommunalités ? On doit se demander si la réforme simplificatrice ne risque pas tout bonnement d’aboutir à enrichir le mille-feuille.

Les redistributions envisagées de certaines compétences sont elles-mêmes d’une mise en œuvre problématique. Si le premier dispositif du projet de loi est de bon sens (la confirmation d’un rôle régional pour des schémas directeurs qui pourraient d’ailleurs être établis par des régions encore moins nombreuses), d’autres – en matière de traitement des déchets, de routes, de collèges, de transports, etc. – ne sont gérables que s’il y a des délégations pratiques pour leur mise en œuvre (laquelle eut été plus aisée si de mêmes logiques concentrations de compétences intervenaient sur de grands départements). Peut-on, aussi, au bénéfice d’un monopole d’action économique pour de lointaines régions hétérogènes, exclure une capacité d’action de proximité pour certaines aides aux entreprises ?

Enfin, et surtout, à qui pourrait être confiée la responsabilité de l’aide sociale? En dehors du cas des métropoles où sa gestion pourrait peut-être se trouver assurée par transfert à celles-ci (bien que la « conférence des villes » fin septembre ait plutôt exprimé leur rejet de ce « boulet financier »), la question de savoir à qui va pouvoir revenir cette charge départementale (budgétaire et pratique) extrêmement lourde n’est pas réglée, les intercommunalités (cf.www.acteurspublics.com/2014/10/08/) estimant en majorité – et à juste titre à notre sens – qu’elles ne pourraient guère être preneuses de cette mission. La réponse à cette question ne serait-elle plutôt dans la proposition de l’ADF (cf. infra) que la compétence d’aide et de solidarité sociale doit rester totalement aux départements y compris pour leur partie transformée en métropole ?

Les relations entre métropoles et départements (pour le temps où ceux-ci subsisteraient) posent toutefois questions. En dotant les métropoles d’une concentration de compétences, le projet de loi n°2 établit une répartition apparemment claire des tâches, mais peut engendrer des collectivités départementales en peau de chagrin. Ne doit-on s’attendre à des cas de figure de départements comportant aujourd’hui une métropole et qui, s’ils perdaient les ressources attachées à cette partie actuelle de leur ressort, demanderaient à être regardés comme départements sinistrés et « ruraux » (?), l’autonomisation des métropoles par rapport aux départements pouvant ainsi elle-même augmenter les cas de « ruralité », avec pérennisation des déséquilibres puisque la ruralité donne vocation à perdurer. Enfin drainant des emplois et créant des besoins au-delà de leurs frontières, dans tout un hinterland, les Métropoles pourraient bien être sollicitées pour aider des collectivités de leurs zones périphériques.

Quelles perspectives ?

L’exception des « départements ruraux » (selon quels critères et pour quelles durées ?), pourrait ouvrir une assez large brèche dans la réforme, en contribuant, par analogie, au maintien – ce qui va apparaître partout comme la solution la plus commode – d’une fonction départementale pour l’aide sociale, fut-ce par des regroupements de départements aux niveaux desquels une Agence pluri départementale ad hoc pourrait instruire les demandes et assurer le suivi des importants contentieux existant en ces domaines.

Faisant pendant aux rejets de la prise en charge de l’aide sociale exprimés en « Conférence des villes » ou ressentis dans des intercommunalités, de fortes revendications de compétences ressortent des « dix propositions”, parallèles faites début octobre, les unes par l’Association des Départements de France s’exprimant en termes de gestions, les autres, par l’Association des Régions de France s’exprimant en termes de pouvoirs. L’ADF demande notamment de voir consolider la vocation de solidarité sociale et territoriale du département, d’intégrer les 13.388 syndicats techniques aux intercommunalités et aux départements et d’y situer des services unifiés entre État et collectivités, d’encourager toutes les démarches de mutualisation et de rapprochement » (ce qui veut dire en clair d’aller à des département fusionnés s’occupant de la proximité) tandis que « des Régions « XXL» sont à spécialiser dans les fonctions stratégiques et dans la compétitivité ».

Quant à l’ARF, elle veut obtenir mieux que le « brouillon » du projet de loi : que les nouvelles régions jumellent des compétences élargies de gestion et un pouvoir réglementaire significatif, qu’elles se voient juridiquement outillées et financièrement dotées pour remplir des rôles majeurs en ce qui concerne l’enseignement secondaire, la formation professionnelle, les aides pour créations et recherches d’emplois, la transition énergétique, les transports, et qu’elles aient effectivement une exclusivité d’intervention, notamment vis à vis des PME, aux fins d’un développement économique compétitif.

Un pavé dans la mare de la réforme serait qu’un groupe d’élus bien inspirés et audacieux (comme, par exemple, ceux d’Alsace) parviennent à pousser un texte portant transformation de chacune des régions actuelles ne comportant pas plus de trois départements en une collectivité unifiée **. 7 régions pourraient devenir les 7 premiers grands départements (que la force des modes ferait toutefois dénommer « Régions”) en remplacement (économique) de 17 départements. Une reconfiguration des autres régions devrait porter à une vingtaine de plus le nombre des collectivités unifiées. Le tissu territorial (hors les singularités des outremers) deviendrait de la sorte – ce qui pourrait correspondre, à peu près, à des réalités de géographie humaine susceptibles d’être appréciées par les Français – une juxtaposition d’une grande quarantaine de fortes unités locales : 14 métropoles et de 25 à 30 nouvelles régions (administrantes) remplaçant les départements (ou leur partie non métropolitaine) : par exemple, « la région Alsace » , avec Colmar, pour chef-lieu, puisque Strasbourg, pour sa part, serait Métropole et les deux villes satisfaites ?

Il y aurait d’autres cas de figures de coexistence de villes notoires dans un même périmètre qui seraient bien plus délicats à régler. Pour couronner le maillage de régions proches de leurs habitants par de vastes compartiments géographiques à l’échelle de la mondialisation, il faudrait en divisant par deux le nombre des régions « hollandaises” aboutir à 6 ou 7, « Territoires interrégionaux » devant être exclusivement dédiés à exercer, en concertation avec l’État, les compétences de grand aménagement spatial et de promotion de la capacité concurrentielle française : un schéma qui ne pourrait sans doute pas faire l’économie d’une réforme constitutionnelle : il subsisterait bien deux catégories de collectivités agrandies, largement héritières des précédentes, mais les contenus de chacune comme l’un des deux noms auraient changé… Autant, si cette chance se réalisait, la transcrire alors dans le marbre constitutionnel.

 

** un peu en ce sens cf. amendement des sénateurs revenant à une région de la seule Alsace , pour permettre, dans ce cadre, la fusion  des institutions locales poussée de longue date par les élus de ces collectivités., ainsi que d'autres amendments tendant à facilter des fusions de départements.

 

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