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Pourquoi ce blog

L'objet de ce site est de baliser par quelques souvenirs éloquents l'histoire récente et de faire contribuer ces expériences, par des commentaires d'actualité, à éclairer et choisir les changements, en s'interrogeant sur les propositions des politiques et les analyses des essaiystes. Donc, à l'origine, deux versants : l'un rétrospectif, l'autre prospectif.

A côté des problèmes de société (parfois traités de manière si impertinente que la rubrique "hors des clous"a été conçue pour les accueillir), place a été faite à "l'évasion" avec des incursions dans la peinture, le tourisme, des poèmes,  des chansons, ce qui constitue aussi des aperçus sur l'histoire vécue.

 

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L'auteur

 

DSCF0656-copie-1.JPGNé en 1933, appartenant à la génération dont l'enfance a été marquée par la deuxième guerre mondiale, l'occupation et la Résistance, l'adolescence par la Libération, la guerre froide, puis par de clairvoyants engagements pour les décolonisations, l'auteur a ensuite partagé sa vie professionnelle entre le service public (il a notamment été préfet, délégué à l’emploi, directeur des affaires économiques de l’outre-mer, président de sa chaîne de radio-télévision, RFO), l'enseignement et la publication d’ouvrages de sciences politiques (il est aujourd’hui membre du comité de rédaction et collaborateur régulier de la Revue Politique et Parlementaire). Il a également assumé des missions dans de grandes entreprises en restructuration (Boussac, Usinor/Sacilor), puis a été conseil d’organismes professionnels.

 

Alors que ses condisciples ont été en particulier Michel Rocard et Jacques Chirac (il a partagé la jeunesse militante du premier dans les années cinquante et fait entrer le second à Matignon dans les années 60, avant d'être son premier collaborateur à l’Emploi et pour la négociation de Grenelle et au secrétariat d’Etat aux Finances, il n'a suivi ni l'un, ni l'autre dans leurs itinéraires. En effet, dans le domaine politique, comme il ressort de ses publications (cf. infra), Gérard Bélorgey n’a rallié ni la vulgate de la Veme république sur les bienfaits de l’alternance entre partis dominants, ni les tenants du catéchisme du libre-échange mondial. Il ne se résigne donc pas à TINA ("there is no alternative" au libéralisme). Tout en reconnaissant les apports autant que les limites de ceux qui ont été aux affaires et avec lesquels il a travaillé, il ne se résigne pas non plus à trouver satisfaction dans tel ou tel programme de camp. Mesurant combien notre société multiculturelle, injuste et caricaturalement mondialisée, souffre aussi bien des impasses de l’angélisme que des progrès de l’inégalité et des dangers de l’autoritarisme, il voudrait contribuer à un réalisme sans démagogie.

 

Partie de ses archives est déposée dans les Fonds d'Histoire contemporaine de la Fondation des Sciences Poltiques (cf. liens).

 

Il a publié sous d'autres noms que celui sous lequel il a signé des ouvrages fondamentaux que furent "le gouvernement et l'administration de la France" (1967), "la France décentralisée" ( 1984), "Les Dom-Tom" (1994)  : le pseudo de Serge Adour correspond à l'époque de la guerre d'Algérie et à une grande série de papiers dans Le Monde en  1957 , celui d'Olivier Memling au recueil de poèmes et chansons "Sablier " (couronné en 1980 par l'Académie Française et référé, dans l'histoire littéraire du XXeme Siècle de Hachette) celui de  Gérard Olivier à son analyse dans de  grands quotidiens de la décentralisation en 1981/82; celui de Solon  (malheureusement partagée par erreur avec d'autres auteurs) à la publication en 1988 de "la démocratie absolue" . Cessant de vivre un peu masqué, il retrouve son nom en 1998 pour "Trois Illusions qui nous gouvernent", puis en 2000 pour "Bulles d'Histoire et autres contes vrais " (série de coups de projecteurs sur quelques apects du dernier demi siècle qui seront souvent repris ci-dessous), ainsi que pour de  nombreux articles dans  diverses revues. EN 2009, il est revenu sur la guerre d'Algérie avec le roman ( Ed. Baurepaire) "La course de printemps". Il prépare "L'évolution des rapports Gouvernés /Gouvernants sous la Veme République :entre absolutismes et renouvellements?"

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4 juin 2007 1 04 /06 /juin /2007 18:14
Ce que préparent les enchaînements électoraux est bien perçu par quelques médias, et au premier chef par MARIANNE dont l'équipe met ses fougueux talents au service d'une troisième voie et voix pour "sauver la démocratie parlementaire" contre le rouleau compresseur des scrutins majoritaires superposés qui confirme le risque français de "la démocratie absolue" C'est bel et bon et bienvenu.

Mais pourquoi donc, depuis plus de deux décennies, tant de difficulté à se faire entendre lorsqu'on faisait telle analyse ou que l'on prenait telle position. Candidat au "centre" en 1981 ( plus de 14% tout seul aux législatives), je me voyais nier que le centre puisse exister et, accessoirement, j'ai brisé dans cet essai bien des chances de carrrière. Publiant en 1988
"la démocratie absolue" chez P.Fanlac (sous le nom, malheureux, de Solon, car d'autres utilisaient aussi ce pseudo que j'avais hâtivement choisi en ne pouvant sortir de la réserve du fonctionnaire que j'étais alors) , je n'ai guère trouvé d'écho.

De même, lorsqu'en 1998, est sorti à France-Empire, sous mon nom enfin, "trois illusions qui nous gouvernent " ( le libre-échange mondial, l'Europe du modèle qui le porte, l'alternance sans alternative stratégique- et donc qui ne régule pas le marché mondial, sauf par le chômage - faite de l'oligopole des deux partis dominants), livre, annonçant dix ans avant ce qui vient de se passer en France aujourd'hui, c'est la seule revue "Commentaires" qui a bien voulu alors m'ouvrir ses colonnes alors que son libéralisme n'est pas le mien, mais que sa probité l'y portait ( certains journalistes de "Marianne" doivent bien se rappeler mes efforts pour se faire entendre d'eux, mais je n'appartenais pas, n'est-ce pas, à leur miliieu ).

Il est heureux que le temps faisant, tardivement il est vrai, son oeuvre, des voix étouffées soient reprises par des plumes connues. Dans l'intervalle, quoique plus que centenaire, sereine, et pluraliste, mais peu reprise elle aussi, "la Revue Politique et Parlementaire" , dans son numéro du premier trimestre 2005 ( N°1034 : "Europe, Institutions, La France face à elle-même") avait bien voulu accueillir le texte ci-dessous que je vous livre dans toute son actualité.



G. Bélorgey - Des risques de démocratie absolue ?



Plus que durant les deux siècles précédents, les rapports « Gouvernés/Gouvernants » semblent s’être profondément transformés depuis les années soixante . Ce qu’on n’imaginait pas alors, c’est que notre démocratie se trouve immergée dans trois risques d’absolutisme sous l’empire desquels nous sommes conjointement placés. Le premier risque, dans la logique du scrutin majoritaire, est celui de l’absolutisme d’une majorité pouvant, par nos régimes institutionnel et électoraux, détenir tous les pouvoirs dans la République, ce que ne balancent guère les facteurs de démocratie participative et directe . Le second, dans la logique des avantages comparatifs, est celui de l’absolutisme du marché porté par le système monde et par les engagements actuels dominants de l’Europe, ce qui suscite de difficiles recherches de réponse. Le troisième, dans la logique du toujours plus, est l’absolutisme de la liberté, au nom de laquelle les mœurs nouvelles exigent, par de puissantes pressions multiformes, une société de permissivité dont le contrepoids est la préoccupation antagoniste de sécurité.


1- Les suites de la fièvre de 1968 marquent la fin du Gaullisme et l’entrée de la France dans le double libéralisme, qui ira s’amplifiant sans limites, de l’économie et des mœurs. Ces changements transcrivent « à la française » l’état du « système monde » . D’une part sous les apparences de la même Constitution, la mise en place d’un nouveau régime politique remplace l’ambition originale gaulliste de rassemblement de la Nation, par une division spécifique entre droite et gauche, mais néanmoins comparable à ce que connaissent les autres pays d’occident. D’autre part les décisions économiques clefs prises depuis 1969 et, après un intermède, notamment en 1983, sont d’alignement obligatoire sur les choix de la communauté européenne qui va déjà s’élargissant et s’intégrant dans un libre-échange généralisé. A l’échelon planétaire, la suprématie des États- Unis sur le monde de Yalta, après plus de trente cinq ans, à trouvé des limites, sans que ni les ressorts capitalistique et technologiques , ni les effets pervers de leur puissance, ni leur capacité de continuer à définir de grandes règles du jeu et de les faire prévaloir à travers les institutions économiques internationales, ne disparaissent. Aussi leurs séides, devenus partenaires ambitieux, doivent composer avec eux, avec leurs déficits, avec leur stratégie militaire, avec leur devise, et doivent s’imposer de suivre les règles que la puissance américaine continue d’autant plus à engendrer qu’elle a diffusé sa culture et que ses compétiteurs ont pris le relais de ses méthodes. Sous les pressions successives des difficultés pétrolières, des crises monétaires et d’endettements, des restructurations nées des productivités comme des capacités concurrentielles des pays émergents, et devant la confirmation de l’impossibilité pour les gauches traditionnelles de passer de la conquête du pouvoir à la transformation des sociétés, en même temps que s’affichait le krach définitif de la référence socialiste soviétique, les pays d’Europe en sont tous venus à des formules à dominante bipartite.

Malgré les variantes, le facteur commun est de ne plus opposer au libéralisme florissant une idéologie structurée, la rémanence réformiste étant de vouloir que l’économie de marché soit une économie « sociale » de marché. Solidairement, dès lors qu’il n’y a plus, en apparence, du moins, deux vues radicalement opposées de modèles de société, mais des recommandations de dosages différents, le scrutin majoritaire satisfait cette faculté de compétition tout en éliminant l’influence de ceux qui ne s’inscrivent pas dans ce marketing politique : les extrêmes n’ont guère de représentation ; il est impossible à un centre de conciliation de se constituer . « Le Temps des Lumières », en accouchant dans le sang des nouvelles sociétés de la fin du XVIII eme siècle, avait ouvert au sein des nations d’Occident, dont au premier chef la France, patrie des idéologies tenaces et des révolutions tournant court, deux cents ans durant, tous les débats et tous les essais aussi bien sur les rapports de puissances entre les forces sociales que sur les recherches d’équilibres entre les pouvoirs. Le réformisme oblitère la première question et substitue au combat pour le pouvoir des classes défavorisés, le combat pour des catégories particulières opprimées. Quant au débat sur l’architecture des pouvoirs institutionnels, il perd beaucoup de ses enjeux. Dès lors que la dévolution du pouvoir peut fonctionner selon le schéma du bipartisme, qu’importe que la démocratie soit plus ou moins directe ou plus ou moins médiatisée, qu’elle soit plutôt parlementaire ou plutôt présidentielle, qu’elle soit même dyarchique comme la nôtre - qui fait coexister un pouvoir présidentiel éminent et un pouvoir parlementaire opérant -, on lui demande d’abord de faire apparaître une majorité, d’en dégager un chef - que ce soit par le suffrage universel direct ou par le truchement d’un leadership de parti et d’une confiance parlementaire - et de faire fonctionner, le cas échant, une alternance. Par delà, la conception du général de Gaulle de rassemblement autour d’un responsable du destin de la Nation, la Veme République a été bâtie sur le scrutin majoritaire qui est un scrutin de division frontale, parce qu’il fallait une majorité et qu’il n’y en avait pas ; désormais, il y en a une ou une autre et, pour faire en sorte qu’elle ne soit pas gênée par une cohabitation, la réforme du quinquennat a permis de favoriser, de manière consensuelle, sinon complice, entre droite et gauche, une coïncidence plus aisée de la majorité parlementaire et de la majorité présidentielle. Un autre monde est né.

2 - Les trois piliers formant la Triade constitutive de notre société et qui n’existaient pas il y a cinquante ans sont en place
: la reconnaissance du marché planétaire et que le profit devient la condition incontournable de la survie , ce qui va logiquement de pair avec, en second lieu, les compétences accordées à un système européen pour faire jouer la division internationale du travail non seulement en supprimant les entraves à la circulation au sein de l’Union, mais aussi en ouvrant celle-ci à l’ensemble du monde dans l’esprit de l’OMC; enfin l’exercice par un système bipartisan ( pouvant néanmoins résulter de coalitions) d’un quasi monopole pour ouvrir les voies du pouvoir dont la détention permet à une majorité ou à une autre de chercher à maximiser dans le sens de ses convictions et de ses intérêts électoraux les possibilités de cette équation.


Celle-ci est toutefois, quoiqu’en vain, contestée par ceux qu’elle laisse sur le bord de la route : dans la classe politique, par ce qui reste de partis émiettés, exclus pour hétérodoxie des coalitions et opposés au bipartisme dominant ; chez les électeurs inscrits, par les abstentionnistes ; et elle bien amère pour un certain nombre de votants : ceux qui se rallient moins à un camp par conviction pour lui que par aversion pour l’autre ; ceux qui d’une consultation à la suivante changent de choix ; s’ils font l’alternance, ses résultats les satisfont-ils ?

Telle est ce que l’on peut désigner, sur le plan politique, comme notre risque de démocratie absolue. Sans être despotique – ce qui aurait signifié qu’elle n’aurait obéi à aucune loi – la monarchie était devenue « absolue » lorsque, face au pouvoir concentré du monarque, les corps intermédiaires avaient vu leur rôle décliner. Il faut de même entendre par « démocratie absolue » un régime dans lequel d’une part les pouvoirs se trouvent concentrés parce que le délibératif et l’exécutif appartiennent au même camp et où, d’autre part, tout ce qui procède d’une inspiration démocratique, comme tout ce qui procédait d’une inspiration monarchique, est réputé sacralisé. Ce schéma est bien celui auquel aboutit le régime politique français sur le plan institutionnel, et sur le plan sociétal. Au premier titre, c’est le fruit des grandes alternances produites par la coïncidence des majorités renouvelées . La France y a un moment échappé lorsque le second modèle de la Veme République permit qu’il y eut, le cas échéant, d’une part un président désigné au suffrage universel et d’autre part une majorité parlementaire opposée élue au suffrage majoritaire. Le quinquennat a sans doute mis un terme à une telle anormalité par rapport à la logique générale d’un régime dans lequel les pouvoirs nationaux sont très concentrés et destinés à être exercés par les tenants d’un même camp, même si celui-ci comporte des familles différentes. Dans une telle configuration, seul le Conseil Constitutionnel ( malgré les limites de sa faculté de saisine et malgré les modalités de désignation de ses membres) peut être un garde-fou à l’encontre de certaines mesures de la majorité aux affaires, mais il joue plus le rôle d’un correcteur technique que d’un contrepoids politique.

Certes, une part de modération à la bipolarisation droite/gauche – laquelle triomphe au second tour des présidentielles ( sauf lors de l’anomalie 2002) et des législatives - et de la puissance d’une double majorité nationale est apportée par les élections locales (encore que le scrutin majoritaire y joue un rôle majeur) et par une partie de l’élection des sénateurs, mais sans porter à conséquence sur les choix politiques d’ensemble. Pour mettre éventuellement ceux-ci en cause – on sort alors de la mécanique institutionnelle pour le rapport de forces politiques - restent l’opinion, les media, la rue. Mais, sauf implosion, vers quel aggiornamento peuvent mener les divers canaux de la démocratie dite participative ? La seule grande consultation décisionnelle qui permet d’échapper aux contraintes du système majoritaire est le referendum qui rend son pouvoir à chaque citoyen. A la différence de l’abstention qui permet d’échapper négativement à ce système majoritaire, il autorise d’y échapper positivement par l’expression d’un choix que ne maîtrisent pas les grands partis, même si ceux-ci s’attachent à conditionner les votants. Mais derrière un référendum et quelle qu’en soit la réponse, la gestion des conséquences ne peut que retourner, fut-ce après quelques spasmes, aux équipes des majorités . En effet, sur le plan sociétal, de la même manière que la religion du monarque (c’est à dire sa manière de définir Dieu et d’apprécier le monde s’imposait ), de la même manière la religion démocratique s’impose à la société contemporaine. Son catéchisme répute que ce qui procède de l’opinion majoritaire est bon et ne saurait être mis en cause que par ce qui pourrait procéder d’une opinion majoritaire de rechange. Ni un mouvement d’opinion ne trouvant son relais dans un grand parti, ni, a fortiori, un referendum dont le résultat réunirait des voix appartenant à des sensibilités politiques très hétérogènes ne suffiraient à former ce rechange


3 - Or, jusqu’à de récentes prises de conscience , ce rechange s’est inscrit dans les limites de l’adhésion à un socle de pensée unique qui a imbibé la quasi totalité des acteurs politiques. Le concept essentiel partagé est que la liberté politique et la liberté économique sont deux indissociables libertés et que reconnaître ce lien est un facteur favorisant des relations de paix entre intérêts, communautés et nations. En conséquence, sous réserve des réticences que peuvent inspirer les immigrés, aussi différents soient les milieux de notre société, celle-ci a été plutôt bien disposée, d’autant que les goûts et les modes de consommation se sont internationalisés, envers la mondialisation. Le trouble s’installe avec le traumatisme que constituent les « délocalisations » et leur impact négatif sur l’emploi. Des effets de la globalisation - qui comporte les conséquences positives de créer de nombreuses activités, sources de revenus et d’emplois - l’opinion voit surtout le revers qui est aussi d’en supprimer. Et de trois manières : par des transferts d’entreprises à l’étranger ; par des substitutions d’importations à des productions ou à des prestations nationales, ce qui a conduit à la rétraction de notre agriculture, à une part de désindustrialisation et, déjà, à bien de translations de services pouvant être fournis à distance ; enfin, par le remplacement d’exportations françaises par celles d’autres pays qui nous concurrencent encore plus sur les marchés externes que sur notre marché interne. Or l’absolutisme du marché transcrit la logique des avantages comparatifs. Lorsque nos prix de revient sont affectés de nos charges fiscales et sociales et de nos rigidités du travail , celles de nos activités incorporant d’appréciables coûts de main d’œuvre ne peuvent pas être en compétition avec les pays de niveau social et de services publics beaucoup moins avancé. Par contre sur deux types de segments d’activités – les productions à forte intensité capitalistique et technologique et les services non délocalisables (de conception, de marketing et négoce auprès des espaces de grande consommation , de tourisme, pour la santé et les services aux personnes, pour une part du BTP) - notre économie reste bien placée sous deux réserves. C’est, en premier lieu, qu’elle ait toujours un temps d’avance dans les produits de haute gamme et valeur ajoutée dans lesquels les pays émergents deviennent, à moindre coût que nous, également très compétitifs, ce qui est un changement important de la « division internationale du travail » et rend plus incertaine notre « sortie par le haut ». C’est, en second lieu, que les services délivrés sur notre territoire soit soumis au droit fiscal et social de celui-ci.

Au regard de ces interrogations vitales l’encadrement et/ou l’éclatement des compétences de la puissance publique fait que les gouvernants ne détiennent pas à l’échelon de l’Etat national la faculté de réponses à une large part des attentes et des demandes des gouvernés. La décentralisation, qui est essentiellement transferts de compétences de gestion au sein d’un État unitaire restant maître des règles du jeu , peut favoriser un certain nombre d’adaptation des activités économiques, comme d’ailleurs être pénalisante si elle n’est pas bien gérée. Mais sa portée est plus psychologique et pratique que globalement stratégique. Loin du fédéralisme, elle n’a débouché sur aucun pouvoir normatif substantiel ( faculté de législations différentes selon les régions), ni sur aucun autre pouvoir fiscal que celui de moduler des taxes existantes dédiées aux collectivités locales (celles-ci ne peuvent ni supprimer des impôts, ni en imaginer d’autres ) . Ce n’est pas ce petit démembrement par le bas qu’est la décentralisation qui affecte l’État, c’est le grand démembrement par le haut. Par le passé, la capacité nationale a toujours été contingente, mais d’une manière plus masquée. Bien sûr, les politiques conduites et les réponses apportées ont toujours été tributaires d’abord de tout l’amont du système monde, mais l’Etat pouvait faire écran et donner le sentiment, au demeurant fondé lorsque les espaces géo-économiques n’étaient pas en communication, qu’à travers telle ou telle équipe aux affaires, il avait un certain pouvoir d’option. Tel n’est plus le cas dès lors qu’il y a eu transfert du pouvoir à des autorités supra nationales ou reconnaissance de leur capacité de décision sans guère d’appel .

4- Ainsi toutes les questions relatives au risque d’absolutisme du marché se nouent autour des rôles tenus par l’Union Européenne et par l’OMC . L’articulation des pouvoirs au sein de l’Union, dans le cadre actuel ou dans celui, représentant une amélioration, mais non un changement de nature, que représente le projet constitutionnel, apporte ses formes de réponse à deux problèmes d’équilibre. Sur le plan géographique, il est recherché une pondération de compromis entre les représentations des États. Sur le plan politique, la répartition entre le pouvoir d’influence (le parlement), le pouvoir délibératif et de conciliation (le conseil), les pouvoirs d’impulsion et de décision d’une commission mieux encadrée et contrôlée , et les pouvoirs suprêmes (de la banque centrale et de la cour de justice) reste d’une nature profondément différente d’un système fédéral qui, d’élargissement en élargissement, est devenu impossible. C’est bien d’ailleurs que l’objectif n’est pas une démocratie plurinationale pondérée, mais, au demeurant dans une partie des axes du Traité de Rome, une opération économique dont la nature a toutefois changé. Si les principes fondamentaux de libre circulation, concurrence, établissement, tant pour les services que pour les biens, sont toujours les mêmes, ils sont mis en œuvre dans deux espaces concentriques transformés : le premier, celui des adhérents, s’est dilaté jusqu’au disparate et a complètement fait l’impasse sur la notion de « préférence communautaire » qui était le contrepoids de la concurrence interne ; en effet le second cercle est quasiment celui du monde entier dès lors que l’Union se soumet, partie par obligation pratique , partie par conviction idéologique de ses leaders et de ses techniciens, aux arrangements de l’OMC.

Le point clef est que l’Union a fait sienne la conception anglo-saxonne de la « libre concurrence » du siècle passé. Or, loin que le libre-échange engendre des avantages pour tous, il est désormais un jeu pouvant être perdant/perdant. Dès lors que le monde contemporain est celui de l’irruption sur le marché planétaire de milliards de travailleurs très motivés, d’un très bon rapport coût/qualité, dont beaucoup aptes autant à la haute et moyenne gamme qu’aux activités de main d’œuvre, sans que leurs niveaux de vie, au sein de sociétés autoritaires ou oligarchiques, puissent bien progresser, la mise en libre communication de mondes disparates garantit les problèmes du « Nord » et la précarité du « Sud » . De plus, la conception de la concurrence « non faussée » est largement … fausse. Dans celle-ci peu importe en effet que les facteurs de coûts soient structurellement très inégaux , et les niveaux de prix altérés par les cours des monnaies, pourvu que les produits issus ce ces distorsions soient « librement » confrontés sans faire l’objet ni de mesures de soutien, ni de dispositif de protection, ni de correctifs de progrès. L’égalité de la concurrence serait d’une part que les produits mis en circulation sur le même territoire soit soumis à des charges comparables et, d’autre part, que le paiement des pays pauvres soit fixé, par le truchement de « droits restitués » perçus à leur bénéfice, « comme si travail inclus dans leurs exportations était évalué au même niveau que celui des pays développés », ce qui pourrait nourrir des moyens de développement de ces pays d’origine dans la trappe de la pauvreté . A l’inverse la part d’illogisme du concept européen de « libre concurrence » est dans le fait d’accepter des distorsions fiscales, sociales, environnementales et monétaires et de condamner des correctifs structurels aux différentiels de prix de vente. C’est qu’en fait, le système n’a jamais eu pour but de garantir le « fair play » au bénéfice des uns et des autres , mais le développement des échanges commerciaux par préférence assurée aux plus bas coûts de revient et aux meilleurs prix et, par conséquent, de peser sur les plus élevés, d’en faire réduire les charges ou de faire substituer à ces productions coûteuses des productions satisfaisant par des prix minorés ce qui est réputé être l’intérêt du consommateur et la précaution anti-inflationniste.

Lorsque cette clef de raisonnement est appliquée dans une Union étendue à un très large périmètre ( et assiégée par tous ses voisins souhaitant les avantages qu’ils peuvent en retirer à raison même de leurs retards) et se trouve également appliquée au delà, dans les relations commerciales avec le monde entier, de telles perspectives peuvent être meurtrières pour les emplois des pays du noyau de l’Europe, ainsi qu’inquiétantes pour l’avenir de leurs services publics regardés comme de dangereux facteurs de surcoûts. Or, s’il est bien vrai que de rigoureuses réformes des secteurs publics pour éliminer les rentes et assurer la valeur même de « service » sont la condition de leur survie, l’existence d’une dose structurante d’économie mixte doit être regardée comme une forme de régulation sociale par le contrepoids de la propriété publique à l’univers des actionnariats privés ne pouvant, dans l’attente d’un capitalisme populaire bien sécurisé, être détenu, dans la plupart des cas, que par des personnes aisées. Toujours est-il que la répulsion libérale à l’égard de l’économie mixte (comme l’intérêt de recettes budgétaires exceptionnelles de cessions d’avoirs publics) favorise, sans qu’aucune limite rationnelle ne puisse vraiment être tracée entre les services publics privatisables et les autres , la « marchandisation » de beaucoup des fonctions d’intérêt général.

5 - Au regard de tous ces enjeux, les questions essentielles qui sont au cœur des débats d’aujourd’hui semblent les suivantes. Il est crédible que nous soyons, en déployant l’énergie, la rigueur et l’imagination nécessaires à la réalisation de réformes acceptables, en mesure de nous rendre compétitifs par rapport aux autres pays du noyau européen ; mais il est douteux que nous puissions le faire en comparaison des coûts des nouveaux pays de l’Est et il est certain que c’est impossible à l’égard des prix obtenus dans les pays en voie de développement et émergents. Dans quelle mesure les activités condamnées par ces concurrences pourront-elles être remplacées par des activités rentables? Pour la part où elles ne seraient pas substituables , leur maintien du moins partiel, pourrait-il être obtenu au prix d’une réduction de leurs coûts collectifs et sociaux, soit par des aménagements pertinents de nos charges (comme l’hypothèse de la TVA sociale ) , soit par une certaine régression des sécurités et des niveaux de vie ? Ou, enfin - la convergence des conditions sociales entre pays aussi disparates que ceux du noyau de l’Europe , ceux du nouvel Est européen et plus encore ceux des continents asiatique, africains et sud- américain ne pouvant pas advenir spontanément à un horizon raisonnable - la modération des concurrences ne peut-elle être obtenue, du moins dans certains secteurs et à titre transitoire, par des régulations des échanges mondiaux et par des harmonisations européennes ? Mais l’absolutisme du marché ne semble pouvoir être écarté : les institutions internationales économiques ne sont sans doute guère disposées à ces régulations; au sein de l’Union européenne l’élargissement géographique n’a pas été de pair avec l’élargissement suffisant de la règle de la majorité qualifiée. Les harmonisations fiscales et sociales doivent être décidées à l’unanimité. Sauf s’il se produisait une remarquable progression de la capacité de négociation au sein de l’Union, et/ou que certains moyens de pression (comme un lien entre les aides au rattrapage et des efforts fiscaux de convergence) ne soient pas trop mal reçus, on voit mal les pays les moins avancés renoncer - même si la même famille sociale-démocrate était aux affaires chez eux et chez nous - à leurs avantages comparatifs. Un commentateur averti (puisqu’il fut le chef de cabinet d’un commissaire) déclare : « l’un des biais les plus redoutables de la stratégie de Lisbonne , c’est que l’harmonisation fiscale et sociale est rendue impossible par la règle de l’unanimité. Ainsi la façon dont on va améliorer la croissance risque de s’accompagner d’une détérioration du modèle européen ». L’absolutisme du marché est d’autant plus redoutable que le même marché réunit des inégaux.

Face à la puissance du marché, les citoyens se trouvent devant trois types d’offres de la démocratie bipartisane qui leur proposent de doser différemment ( et c‘est bien là ou réside tout le sens résiduel du politique) les contraintes économiques et les garanties sociales, mais qui ne garantissent pas des résultats très différenciés (et c’est là la limite du politique). L’offre libérale consiste schématiquement à se plier au marché pour en tirer tous les avantages de dynamisme économique comme de discipline sociale, en comptant sur la pression des concurrences pour écarter les rêves, et même une part des acquis, sociaux, tant il est vrai que certains trouvent au système européen élargi l’avantage majeur de conduire à l’élimination de l’exception française : en dehors, peut-être, du culturel, ils apprécient beaucoup plus l’esprit Bolkestein. Cette option comporte, sans doute, d’accepter une part d’ « ajustement par le bas », mais en escomptant une compensation sur la durée. Toutes choses égales en matière de système monde et européen, c’est l’offre la plus cohérente. Ses chances sont aussi liées à l’insatisfaction que les corporatismes, rentes et dérives mêmes de nos services publics inspire à la France du secteur privé. Mais si cette voie libérale était en œuvre et n’obtenait pas assez vite des effets positifs supérieurs aux conséquences de régression pour certains, elle mènerait à des tensions sociales et politiques pouvant faire de l’extrémisme de droite l’arbitre des situations. L’offre sociale démocrate majoritaire, pour sa part, est confrontée à la contradiction qui existe manifestement entre d’une part sa volonté de consolidation des garanties et avancées sociales et, d’autre part, les libéralisations du marché telles quelles sont actuellement, pour le moins, solidaires du système européen. Pour comprendre cette adhésion de gauche à un tel cadre, il faut supposer que ses tenants, en s’estimant réalistes, font le postulat qu’il n’y a pas d’autre alternative à l’économie monde : c’est toute la force du TINA (« there is no alternative » ) de Davos s’imposant à presque toutes les familles d’esprits et qu’ils pourraient devenir aptes à obtenir des inflexions appréciables.

Les faisabilités politiques de l’une et l’autre de ces offres sont tributaires d’une faculté de minoration des risques de régression. Ceux-ci seront d’autant moins importants que pourront être substitués aux fabrications et prestations subissant la concurrence des pays les moins disants fiscaux et sociaux, des biens et services de haute gamme et valeur ajoutée trouvant de larges marchés et que pourront se consolider et se développer simultanément des services non délocalisables. Qu’un tel pari puisse être emporté implique tout un contexte de mutations structurelles, de réformes sociales raisonnablement dosées et de précautions contre des migrations intra européennes, « package » qui est évidemment aussi le besoin de la troisième offre de l’establishment. Celle-ci est l’offre pragmatique que porte, par une espèce de renouvellement permanent, le Président de la République dans lequel The Economist voit une personnalité plus proche de certains leaders socialistes étrangers que des thèses libérales qu’il combat dès lors qu’elles menacent la cohésion sociale, notre tissu d’emplois et l’ambition industrielle. Cette offre de compromis postule que le mouvement de la vie et l’habileté politique peuvent permettre, par une espèce de « stop and go », d’appels aux concessions des uns et des autres, la conciliation de notre modèle social, du développement économique et de l’élargissement européen. Mais cette voie a-t-elle encore une audience dans la grande Europe où l’influence française est très diluée et même totalement marginale au sein de la commission, comme à la cour de justice ? Et celui qui la porte, aurait-il encore une majorité en France ?
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D’une majorité, par contre, semblent s’approcher ceux qui, tous ensemble, contestent le projet constitutionnel et, en fait, à travers lui, une certaine Europe. Mais c’est pour des motifs si différents - au nom du souverainisme, du fédéralisme, du pragmatisme, de l’anti-libéralisme – que, même si les arguments de la dernière inspiration sont communs à beaucoup et sont un antidote contre l’absolutisme du marché, on les voit mal faire le ciment d’une majorité de rechange.

Or, si le système bi-partisan n’éclate pas à la faveur de telles circonstances, il lui faut retrouver les moyens selon lesquels se constituent à notre époque des majorités parlementaires et donc, ensuite, de gouvernement. Elles ne résultent pas de la simple transcription électorale de clivages sociaux, tant les répartitions socioprofessionnelles des électorats sont, malgré quelques dominantes, composites. Elles transcrivent toutefois de manière aléatoire la dialectique des « exclus » et des « pourvus ». Les premiers doivent recevoir une assistance qui n’est possible que par ponction sur les seconds. Mais il faut préserver la capacité de ceux qui en ont les moyens, pour qu’ils épargnent, investissent et prennent des risques. La ponction va donc se concentrer sur les classes moyennes, divers systèmes d’incitation et d’exception bénéficiant aux plus aisés. Pour autant deux frondes s’amplifient. Les « mieux pourvus » soutiennent qu’ils n’ont plus les moyens, par rapport à ce qu’on leur offre ailleurs, d’être le levier économique qu’on attend d’eux et se « délocalisent » d’une manière ou d’une autre. Beaucoup des « moins pourvus » entrent dans la contestation politique, c’est à dire non seulement dans l’opposition au camp (quel qu’il soit) qui est au pouvoir, mais aussi, en nombre, rallient les extrémismes, notamment de droite, où ils rejoignent des déçus de la gauche.

Restent tous les autres : à séduire en fonction des besoins, passions, intérêts, qui s’affrontent dans le champ politique national : celui de l’incantation et de l’habileté par lesquelles chaque camp ou leader cherche à se faire apprécier par tous les publics et groupes de pression. La capacité de sorcellerie est redevenue le moyen du pouvoir. Cette petite communauté habitée de désirs et de peurs multiples qu’est une Nation est, tout comme les candidats, désormais largement impuissante à l’égard de l’ordre du monde, mais non pas à l’égard de l’ordre chez elle. C’est le domaine où elle peut faire entendre ses différences et dans lequel elle a conservé suffisamment de compétences pour rechercher ses règles en son propre sein et en faire ses lois. Les candidats, donc, doivent et peuvent répondre à de telles attentes.

6 - Les questions de société sont de la sorte, sans doute encore plus qu’hier, au cœur des débats et des enjeux d’élections à venir. Elles peuvent bien contribuer à départager des compétiteurs. En compensation de leur marge de manœuvre réduite dans les matières économiques dépendant largement du supra-national et, par voie de conséquence, dans le domaine social lui-même lié à la fois par l’économie et par le budget , donc, du même coup, en contrepartie de l’atteinte à leur crédibilité dans leur capacité au service des intérêts correspondants des gouvernés, les forces en compétition pour la conquête et l’exercice du pouvoir attachent une importance politique de premier rang aux matières dans lesquelles la souveraineté nationale peut toujours s’exprimer avec des plages de choix : ce sont, au premier chef, celles qui concernent la définition , compte tenu des demandes des uns et des autres, du cadre législatif des mœurs de la communauté. C’est le champ dans lequel, du code de la route à l’euthanasie, de la réforme du code pénal à la recherche biologique, vont se mesurer l’absolutisme de la liberté et le garde-fou de la sécurité. Celle-ci et le principe de précaution – qui est un moyen d’arbitrage entre permissivité et régulation - trouvent également une dimension forte dans l’action internationale, mais celle-ci n ’a pas les mêmes incidences électorales que dans le champ interne. Aussi illustrera-t-on dans celui-ci seulement comment notre démocratie contemporaine donne toute sa mesure au vieil affrontement entre la revendication de liberté et la demande de protection, d’autant que ce ne sont pas seulement ceux qu’opposent les deux besoins qui sont en lice (par exemple, le suspect et le plaignant), mais que les deux demandes antagonistes peuvent parfaitement être simultanément présentes chez les mêmes personnes (il faut, par exemple, protéger du sida contre les imprescriptibles droits sexuels). Le scrutin majoritaire se prête particulièrement bien aux pressions des demandeurs de libéralisation des mœurs ou des demandeurs de sécurisation de la société. Chaque voix, surtout marginale, est précieuse pour être élu. Tout candidat va être attentif aux uns et aux autres, ce qui peut favoriser la conjonction du laxisme dans les mœurs et d’une politique sécuritaire des pouvoirs publics, le premier appelant souvent le besoin de la seconde. Abolirait-on aujourd’hui la peine de mort ?

« Il est interdit d’interdire » disait 1968. « Il est obligatoire de protéger » répond le vingt et unième siècle. « Il faut libérer » a-t-on répété entre les deux. Le grand « chelem » c’est de cumuler les trois prescriptions . On a libéré, pas tout à fait, (depuis l’IVG jusqu’à la réforme du code civil) les femmes et on les a protégées aussi. On a libéré la création audiovisuelle, mais des indignations s’élèvent contre la moindre rémanence de censure, alors que l’on prétend protéger par divers gadgets les publics sensibles contre les déchaînements de mercantilisme . Les campagnes publiques contre les grandes maladies et les grands risques font aisément recette, d’autant que le lien est fort avec les problèmes des budgets sanitaires de la nation. La question des médecines douces et l’évaluation des techniques de traitement des troubles psychiques ou neurologiques deviennent autant matière de candidats législateurs que de spécialistes . Les problèmes du couple et des relations aux enfants ouvrent un inépuisable chantier sans doute électoralement aussi prometteur pour les politiques que les émissions « people ». Dans le domaine des relations sexuelles, le fait et le droit ont tout accepté ; de plus, les couples homosexuels ont été un peu protégés , mais la demande va au delà : le mariage, la faculté d’adoption. Aux candidats d’apprécier s’ils gagneront plus de voix en soutenant ces revendications qu’ils n’en perdront dans une autre partie de leur électorat. Ce n’est pas une affaire européenne ; ce n’est pas une affaire régionale comme dans les régions très décentralisées de l’Espagne. C’est un enjeu législatif de la démocratie nationale.

On a fait sauter les anciens interdits, des pénalisations et des tabous et l’on en crée d’autres. Le pouvoir a été porté vers la brèche toujours renouvelée du déplacement des lignes de normalité sociale. Ce qui passait il y a peu pour des transgressions passe pour des banalités ; et plus se repousse la frontière de la transgression, moins ce qui est intégré à la normalité présente de l’intérêt. C’est l’interdit – ou pour le moins l’innovation – qui fascine ou qui est revendiquée d’abord pour le plaisir, ensuite pour le confort ; mais que ce dernier soit obtenu et le premier ne se dissipe-t-il ? C’est ainsi que l’innovation dans les mœurs, défrichement de l’interdit d’hier, promesse d’un interdit prometteur pour demain, devient objet de débat législatif et donc affaire de pouvoir. A l’inverse, ce qui passait il y a peu pour des normalités – comme les consommations de vin, de tabac, la vitesse, etc. –peut-être désigné, tout autant que des drogues, comme des transgressions, cantonné, accusé et poursuivi comme telles, parce qu’il y a atteinte a la sécurité. L’affaire du voile a aussi été traité comme un arbitrage entre la liberté individuelle de le porter et l’insécurité collective de l’admettre dans certains lieux publics, dès lors qu’on pensait qu’une majorité s’exprimait à son encontre. C’est un intéressant exemple du poids des questions de mœurs dans la gestion de la démocratie.

A quels critères, sinon d’abord à celui de la sensibilité de leurs électeurs, les candidats ou gouvernants interpellés par telle ou telle demande d’évolution des mœurs peuvent-ils publiquement se référer ? A leur convictions personnelles, ce qui peut être réducteur de séduction électorale ? A un corpus de références éthiques partagées par la communauté nationale, ce qui est difficile et mouvant ? Ce qui paraît établir une première ligne de frontière est le principe de précaution. Ce qui est compatible avec celle-ci sera réputé normal ; ce qui ne l’est pas sera réputé répréhensible ou devra être traité. Voilà qui peut inspirer une charte constitutionnalisée de la protection de l’environnement répondant manifestement à l’attente de la majeure partie de l’opinion, même si nous nous créons de la sorte des obligations pouvant, dans la compétition internationale, nous alourdir par rapport aux pays qui ont moins de respect pour le patrimoine naturel et pour la santé de leurs concitoyens et celle de la planète. Le principe de précaution peut aussi être traduit en problème technique, voire de chance et risque statistique, s’il s’agit, par exemple, du contrôle des médicaments. Une seconde ligne de frontière comporte à l’évidence, comme repères , d’abord le respect de la vie, du moins entre la naissance et le renoncement consenti, ensuite la protection de l’intégrité des personnes, ce qui explique que ce corpus exclue de la normalité certaines drogues, la pratique de mauvais traitements, mais les frontières deviennent vite délicates à tracer, puisqu’on ne poursuit pas le sado-masochisme des consentants et que la définition de la pédophilie –le dernier carré de l’interdit - semble bien dépendre d’un critère d’âge ou de dépendance. Globalement, les demandes de la société envers le pouvoir (qui ne peut s’empêcher de les apprécier comme celles d’autant d’électeurs à concilier avec les éventuelles réserves d‘autres électeurs) impose à celui-ci de chercher à bâtir un système des valeurs du vivant en étant mandaté, non plus pour être défenseur d’un ordre moral, mais pour être garant, dans le respect des choix des individus, pour autant qu’ils peuvent les exprimer, de la dignité de vie. N’est-ce le sens de l’effort de réflexion collective sur les accompagnements de la mort ? L’interpellation prend encore une toute autre dimension lorsqu’il s’agit de légiférer sur les possibilités de fécondation ou sur les questions génétiques. Mais quelle conception de la vie retenir dans certains cas, dès lors que le pouvoir ne peut se référer à des valeurs religieuses ou spirituelles ? Dans une société à la fois pluriconfessionnelle et obéissant au principe de laïcité, beaucoup pensent que c’est celle-ci qui devrait pouvoir offrir un socle de commun dénominateur de valeurs acceptables par tous. Malgré le regain d’intérêt souvent passionné qui se développe autour de la notion de laïcité et de ses interférences avec les religions, n’est–ce beaucoup demander à un tel concept dont l’objet pratique fut de partager le champ de Dieu et le champ de César et dont la finalité idéologique deviendrait d’être un substitut aux Révélations ?




Autrefois répartiteur au sein d’une nation de l’aisance et de la puissance sociale, ainsi que metteur en forme de règles civiles qui ont longtemps duré, le pouvoir est, désormais, dans des champs infiniment plus vastes que ceux traités par Napoléon, porté de manière continue sur la brèche d’écrire le droit souvent contesté d’une société cherchant des balises alors qu’elle est menacée dans toutes ses sécurités : par les atteintes au climat mondial et au patrimoine naturel ; par les ressacs de la libre circulation à travers le monde des produits et des services ; par les pressions pour la migration vers de meilleures chances des hommes de la misère ; par les contestations de toute nature et d’aucune cohérence entre elles des pouvoirs économiques et politiques des pays avancés et de leurs privilèges au moment où une part même de leurs habitants peuvent les perdre. Si cette société laisse s’épanouir les risques de démocratie absolue qu’elle porte en elle - un empire du marché plus attentif aux consommateurs qu’au maintien de l’emploi , sa domination sans antidote par telle ou telle majorité et idéologie d’alternance, une part de complaisance démagogique envers tous les excès de la liberté allant souvent de pair avec l’appât de l’argent - l’insécurité pour tous, comme aux Etats-Unis, s’y développera largement plus vite que les pansements, précautions et polices qu’elle pourrait mettre en œuvre. Il faut espérer qu’elle puisse trouver ses voies : remplacer la soumission à la globalisation sans régulation par la définition d’un développement combiné et d’un commerce équitable négocié avec ses partenaires de l’Europe et du monde ; en venir à un régime politique favorisant plus une nouvelle réflexion stratégique consensuelle que les déclinaisons rivales de la pensée unique dans des « matches » convenus entre champions de chaque camp ; doser autrement dans ses valeurs l’hédonisme et le sens des responsabilités.


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